"Stéphane
Hessel voulait rendre possible ce qui est souhaitable"
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Stéphane Hessel |
Hessel. De quoi le succès d’un livre est-il le signe ? Et à
partir de quel moment peut-on, doit-on considérer qu’il échappe à son auteur
pour devenir un phénomène
de société intergénérationnel s’affranchissant
de tous les codes en vigueur ? Depuis peu, le monde de l’édition et le petit
microcosme parisien de toute l’intelligentsia médiacratique ne cessent de nous
exprimer leur incrédulité – doublée d’une cynique stupéfaction. En cause,
l’incroyable destin du petit opuscule façon coup de poing publié par Stéphane
Hessel, qui, à quatre-vingt-treize ans, jouissant d’une popularité au zénith, a
d’ores et déjà touché le cœur et les tripes de 500.000 acheteurs (plus de
4 millions en 2013, ndlr). Sachez-le : tous les exemplaires se vendront, signe
d’une époque moins consumériste et individualiste qu’on ne le croit. Car pour
une fois, le public en masse n’a pas attendu les sacro-saintes et habituelles
prescriptions des éditocrates pour anticiper un engouement indépendant et
authentiquement engagé.
Cette sincérité d’achats spontanés a rencontré une
autre sincérité : celle de Stéphane Hessel. Pour son parcours, sa ténacité, ses
combats, son universalité jamais démentie. Tandis que l’époque nous convoque
quotidiennement dans l’imposture des postures, dans la connivence du fric des
copains et des coquins, dans la fabrique des répliques toutes faites et des
fausses idoles télédiffusées, Stéphane Hessel nous rappelle tous à la
citoyenneté et à l’honneur de notre pays : «L’actuelle dictature
internationale des marchés financiers, écrit-il, menace la paix et
la démocratie. (…) Nous appelons les jeunes générations à faire vivre,
transmettre, l’héritage de la Résistance et de ses idéaux. Nous leur disons :
prenez le relais, indignez-vous!»
Insultes. Le croyez-vous ? Cet homme en colère, qui a connu la
Résistance, les camps, le secrétariat général de l’ONU avant de devenir
diplomate, lui qui fut associé à la rédaction de la Déclaration universelle des
droits de l’homme, se voit depuis quelques jours raillé, critiqué, vilipendé,
caricaturé… insulté. Des chroniqueurs du Figaro aux blogs du Monde,
en passant par Causeur.fr ou l’Express,
accrochez-vous bien… petit florilège. Ainsi donc, puisque «l’indignation est
le leitmotiv» de ce court livre et puisque «ceux qui
l’achètent y voient un programme d’action, un bréviaire», il y aurait
de quoi être «consterné tant le contenu manque de contenu».
Certains l’admettent pourtant : «Qui pourrait décemment s’opposer aux
grands principes, aux grands idéaux et aux grandes idées qui sont énoncées dans
le livre d’Hessel?» Mais ce n’est pas tout. «Indignez-vous!
Oui! mais dans le sens inverse demandé par Hessel. Pourquoi la France tarde
tant à récuser un modèle social dépassé par le monde actuel ? L’indignation, si
elle s’accroche à un passé à bout de souffle, devient indigne.» Il y a
pire : «S’agit-il d’autre chose que d’une habile mise en scène de
lui-même par un vieillard dont toutes les apparitions publiques révèlent
l’immense plaisir narcissique d’avoir acquis le statut d’icône nationale ?
Parvenir à un très grand âge dans un état physique et mental acceptable relève
d’une loterie qui ne tient compte ni des mérites, ni des mauvaises actions de
ceux que le destin choisit.»
Sans parler du Proche-Orient bien sûr. Parce que
Stéphane Hessel avoue que, aujourd’hui, sa «principale indignation
concerne la Palestine, la bande de Gaza, la Cisjordanie», il se voit
traîné dans la boue: «Il y a aussi chez Hessel cette obsession
anti-israélienne qui fait songer à la définition donnée jadis de l’antisémite
par Pierre Larousse : “Personne qui hait les juifs plus qu’il n’est
raisonnable.”» Rappelons qu’en octobre dernier, l’historien Pierre-André
Taguieff, directeur de recherche au CNRS, avait paraphrasé un texte de Voltaire
pour évoquer, à propos de la Palestine, la figure de Stéphane Hessel : « Quand
un serpent venimeux est doté de bonne conscience, comme le nommé Hessel, il est
compréhensible qu’on ait envie de lui écraser la tête. » Honte à tous
ces propagateurs de haine !
Conclusion. L’indignation, à elle seule, avec sa
petite colère sous le bras, ne renverse aucune montagne. Le discours de refus
et de résistance peut s’avérer insuffisant, s’il reste dépourvu d’ambition
d’à-venir et de projets aspirant à l’élévation de tous. Mais les libéraux
jugent Hessel «irresponsable» en ces termes : «Brandir
le programme du Conseil national de la Résistance pour faire honte aux
gouvernants d’aujourd’hui relève au mieux de l’idiotie historique, au pire de
l’imposture.» Nous y voilà ! Stéphane Hessel répond lui-même dans son
livre : «Tout le socle des conquêtes sociales de la Résistance est
remis en cause. Le pouvoir de l’argent, tellement combattu par la Résistance,
n’a jamais été aussi grand, insolent, égoïste avec ses propres serviteurs
jusque dans les plus hautes sphères de l’État.» Par ces mots et tous
les autres, le vieil homme montre à ceux qui n’en ont pas l’habitude la volonté
de rendre possible ce qui est souhaitable – et résolument tourner le dos à
tous ceux qui prônent l’indifférence et le renoncement. Alors merci à lui.
Source : L’Humanité 28 Février 2013
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