lundi 4 mars 2013

Interview du Dr Seydou Badian Kouyaté, ancien ministre de Modibo Kéita

Nous avions une politique véritablement nationale, qui comprenait la défense, l’économie, le social et le culturel. Nous avions tout embrassé ; nous n’avions rien négligé, et notre pays était notre pays.

Comment vous suivez ce conflit au Mali, depuis l’intervention de l’armée française ? 
Le Dr Seydou Badian Kouyaté
Seydou Badian : La question m’a été posée, il y a quelque temps. Elle a été posée aussi à certains de mes compagnons. La réponse donnée par eux et par moi, c’est la même chose : on ne parle pas de l’intervention française que Modibo Keïta aurait saluée. Je dis qu’avec Modibo Keïta,  les conditions qui ont provoqué l’intervention française ne se seraient pas produites. Nous avions une politique véritablement nationale, qui comprenait la défense, l’économie, le social et le culturel. Nous avions tout embrassé ; nous n’avions rien négligé, et notre pays était notre pays. C’est cela. Mais tout de suite, je vous dis ce que j’ai déjà dit : nous n’étions pas contre la France, mais nous étions contre le système colonial. Nous sommes de culture française, nous sommes des adeptes des philosophes français, des humanistes français. Nous partageons beaucoup de choses avec la France sur ce plan là. Ils resteront nos amis et nos frères, c’est cela que j’ai à vous dire.
Est-ce qu’il y a des ressemblances entre ce conflit et les précédents que notre pays a connus ?
Non. Je vais dire tout de suite, j’entends dire par-ci et par-là, que depuis les années 1960, nous nous battons contre les Touaregs. La rébellion que nous avons eue, nous venait des administrateurs coloniaux qui étaient dans le nord. Pourquoi ? Parce qu’ils savaient que nous soutenions l’Algérie combattante. Ils ont fait circuler des papiers en disant qu’il fallait faire punir Modibo Keïta, excusez-moi du terme, de son concubinage avec les fellagas d’Algérie. Je vous mets à l’aise, il n’était pas, du tout, question d’Azawad. Il était question de créer une République du Litamé et c’était cela ; ça n’a pas été loin. Après, il y a eu d’autres. Mais, moi, j’étais en exil depuis 1968. J’étais hors du Mali. Je suis rentré au moment où les Accords d’Alger se préparaient et je les ai dénoncés. C’était en 2006-2007. Ma position est celle-ci : l’indépendance que le MNLA demande, c’est une lubie, un rêve. J’ai entendu un dirigeant MNLA dire : « Il nous faut un statut particulier ». Qu’est-ce qu’ils entendent par statut particulier ? Ils veulent être des supers citoyens ? Ils veulent un Etat dans l’Etat ? Qu’est-ce qu’ils veulent ? Si c’est des Maliens, qu’ils déposent les armes, on négocie du développement. Qu’est-ce qu’on doit faire ? Ce n’est pas à eux de nous dire ce qu’on doit faire. On se réunit avec toutes les communautés du nord du Mali, Sonrhaï, Bozo, Peul, Bamanan, Touareg, Arabes, et on voit ensemble ce qu’il y a à faire. D’ailleurs, il faut reconnaître qu’en matière de financement, ils en ont eu beaucoup. Parce que c’était la tactique d’ATT, quand ça bruissait un peu, il donnait de l’argent et c’est lui-même qui nous a amenés cette guerre parce qu’il a laissé les débris de la horde de Kadhafi rentrer au Mali avec armes et bagages. Le Niger a désarmé les Nigériens qui étaient en Libye ; l’Algérie a désarmé les Algériens qui étaient en Libye ; la Mauritanie a fait pareil. Mais c’est ATT qui les a laissés passer en leur faisant des cadeaux, pour qu’ils achètent du thé, et après ils se sont rebellés contre nous. C’était inévitable !
Et cette histoire de Kidal avec le MNLA ?
C’est le MLNA qui interdit à l’armée malienne de pénétrer dans Kidal. Mais ATT avait laissé tout ça aux Touareg. Il avait tout laissé. Est-ce qu’il y avait des soldats maliens noirs dans Kidal ? Il y en avait combien, il faut voir ?  Cette guerre, c’est la guerre d’ATT. Je suis sûr d’une chose, c’est qu’on ne sait pas tout ce qui s’est passé entre ATT et Kadhafi à propos des Touareg. Mais je crois que l’histoire étant l’histoire, tôt ou tard, on le saura. Parce que, ATT viendra s’expliquer un jour, je l’espère, devant le peuple malien.
Est-ce que vous avez des échos de nos militaires qui traversent d’énormes difficultés ?
Pas plus tard qu’avant-hier (mercredi), j’ai reçu un coup de téléphone du nord, d’un soldat qui se plaint de manque de nourriture, manque de carburant, et qui me dit : « regardez-nous et regardez les autres soldats, nos frères venus d’Afrique ! » Je ne comprends pas ce qui se passe ; je ne comprends pas. J’avais entendu le Procureur général, qui avait été sur le terrain, et tout ce qu’il a dit est vrai. Nos soldats sont pratiquement à certains égards considérés comme sous-équipés. J’ai entendu une journaliste dire que les soldats maliens se battent avec leur courage, qu’ils sont sous-équipés, vous vous rendez compte ! Sur le théâtre des opérations nos soldats communiquent avec le téléphone portable, il n’y a rien d’autre. C’est scandaleux. Je me demande ce qui se passe. Or, j’ai entendu le ministre des Finances dire l’autre jour que les moyens sont là. Alors où est le blocage ? À qui doit-on parler ? Qu’est-ce qui se passe ? Je suis vraiment choqué. Le ministre des Finances a mis ce qu’il faut à la disposition de qui de droit, et les destinataires n’ont rien. Ça, c’est quelque chose d’étrange ! Cela mérite une explication et je serais heureux de savoir ce qui se passe.
Avez-vous un mot de la fin ?
Je pense que nous devons féliciter nos soldats. Si pendant un certain temps, c’était des fils à Papa, c’était des soldats qui avaient payé pour être soldats, aujourd’hui, c’est des guerriers. C’est des vrais guerriers courageux, décidés, déterminés : on doit les féliciter, les encourager. Mais il faut qu’ils aient ce qu’il faut, et les priver aussi, c’est commettre un acte inqualifiable. Ça se passe où, à quel niveau ? J’aimerais le savoir, pour ma gouverne personnelle, à 85 ans, à deux pas d’aller rejoindre mes camarades. Je voudrais savoir ce qui se passe pour partir dans la quiétude, dans la paix. Est-ce que nous sommes défendus ? J’attends la réponse.

Kassim TRAORE, Le Reporter (Mali)
 

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Source : Bamada.net 27 février 2013

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