Daniel Aka Ahizi, président du Pit : « j’ai toute
la jeunesse avec moi »
Crise au sein du
Parti ivoirien des travailleurs, relations avec la coalition au pouvoir

D. Aka Ahizi
et avec
les autres partis d’opposition, situation politique et sociale, impunité… Le président
du Pit en parle sans détour.

Il y a
des sons discordants au sein de votre parti. L’ancien Secrétaire général,
Kouablan François et Joseph Séka Séka, votre adversaire au congrès, contestent
votre autorité. Qu’en pensez-vous?
Le Congrès et les élections se sont bien déroulés. Toutes les
instances qui devraient être élues pendant le congrès, l’ont été. Après les
élections, il fallait présenter une direction. J’ai demandé au congrès, parce
qu’il se faisait tard, de prendre du recul pour faire une large consultation
avec le groupe sortant afin de constituer une direction représentative de
l’ensemble. Cette direction devrait être investie par un Comité central.
Pendant qu’on en discutait, la salle s’est vidée. Tout le monde est parti y
compris nos adversaires. Mais avant de partir, ils ont reconnu qu’ils avaient
perdu. Joseph Séka Séka, le candidat malheureux, m’a même souhaité bon vent. Il
n’y avait donc pas de problème. Seulement, l’investiture de la direction
devrait se faire juste après mon élection. J’ai demandé au congrès de me donner
la possibilité de me faire investir par un Comité central. Le président du
congrès a donné son accord. J’ai compris, après, qu’on voulait aller à un
troisième tour. Cela ne m’intéressait pas. Nous sommes allés au Comité central
où il y a eu débat. Les positions étaient tranchées. D’un côté, il y avait ceux
qui estimaient que le Comité central étant souverain, il pouvait donc investir
la direction. Et l’autre camp qui souhaitait aller à un congrès extraordinaire.
En tant que président de cette séance, parce que le seul légalement constitué,
j’ai demandé dans la tradition démocratique d’aller au vote. Il y en a qui n’en
voulaient pas. Ils sont sortis. C’était d’ailleurs, une minorité de 23
personnes. Alors que nous étions 72 au total. La majorité dans la salle a voté.
42 ont admis que le Comité central investisse le nouveau bureau, 6 abstentions
et une seule personne qui voulait un congrès extraordinaire. La messe était
dite. En réalité, entre deux congrès, c’est le Comité central qui règle les
problèmes. On ne répète pas les congrès. Après cette rencontre, mes adversaires
se sont un peu répandus dans les journaux. Et pourtant, juste après le congrès,
je leur ai tendu la main pour leur ouvrir des possibilités d’intégrer la
direction. J’ai même proposé le poste de 1er vice-président à Joseph Séka Séka,
candidat malheureux. Il a refusé parce qu’il était dans une coalition de trois
personnes. Comme il y a trois postes vice-présidents, ils voulaient les occuper.
Je leur ai dit non. Pour le moment, nous sommes à la tâche. Nous travaillons
tranquillement.
Ne craignez-vous
pas qu’ils créent un autre parti ?
Ils sont libres de le faire. Mais, je pense que ce n’est pas dans
leur intérêt. Ils auront démontré qu’ils ne sont pas des démocrates et ce
serait dommage qu’on en arrive-là. Je pense qu’aujourd’hui les choses sont
claires. On ne peut plus agir et se comporter comme par le passé. La période
des présidents fondateurs de parti est révolue. Tout comme celle des dauphins
proclamés qui prennent la relève des présidents fondateurs. Il faut accepter
que ce soit des militants qui votent et ne pas considérer un poste politique
comme un poste ethniciste, où l’on est installé. Aujourd’hui, je suis là pour
quatre ans. Demain ils pourront décider autrement. C’est le minimum en
démocratie.
Avez-vous les coudées franches ?
Je ne peux pas dire que je ne les ai pas. J’ai tout le monde avec
moi. Ma direction est constituée. Mais j’ai pris soin de laisser quelques
postes libres à ceux qui veulent y entrer. Nous travaillons. Nous avons
commencé à faire le tour des Institutions. Nous nous sommes présentés à tout le
monde.
Vous
dites que vous avez tout le monde avec vous. Et pourtant, à un Comité central,
le Pr. Martin Bléou Djezou a pratiquement claqué la porte. Or qui dit Bléou Martin,
dit Francis Wodié. Etes-vous certain que tout le monde est avec vous ?
Je ne pense pas que Bléou Djezou Martin vienne travailler pour
Francis Wodié. Il était venu défendre une position qui était indéfendable.
L’ayant compris, il est sorti de la salle. Nous sommes en politique et en
démocratie. Quand vous venez pour développer quelque chose dans un
environnement d’hommes dotés d’une certaine intelligence, c’est évident qu’on
ne vous suive pas. Nous ne sommes pas à l’Université où en face, ce sont des
étudiants. Il a fait son développement. Les autres également. J’ai donc demandé
d’aller au vote. Il n’était pas pour cette option, il a décidé de s’en aller.
Je ne pense pas que le président Francis Wodié soit impliqué dans cette
affaire.
Avez-vous
envie de réintégrer Angèle Gnonsoa, Andoh Jacques… qui ont quitté, à un certain
moment, le Pit ?
Je fais des démarches. Je pense que les uns et les autres se
préparent à nous rejoindre. On essaie de prendre contact avec tout le monde.
Même avec les militants qui sont en exil. Mais l’essentiel à retenir est que
j’ai toute la jeunesse avec moi, prête à travailler. Aujourd’hui, les gens sont
heureux de constater qu’il y a des nouvelles têtes et que ce ne sont pas
toujours les mêmes qui dirigent le Pit.
On vous
présente comme un pro-Gbagbo qui veut remettre en question l’alliance avec le
Rhdp et ramener le Pit dans l’opposition ?
Je suis signataire du projet de société que nous avons soumis au
congrès. Je suis fondamentalement socialiste. Ma position n’a pas changé. Nous
sommes un parti de gauche, on ne peut pas se retrouver avec des partis de
droite. Et il faut l’affirmer. On ne nous a pas enseigné autre chose. Nous
avons adhéré au Pit parce qu’il y avait un manifeste clair. Nous avons choisi
d’être un parti des travailleurs. Celui qui a fait un peu d’analyse marxiste
sait où se trouvent les travailleurs. Ils ne sont pas avec la bourgeoisie.
Maintenant, si on ne veut plus être un parti de gauche, qu’on remette en cause
les fondamentaux du parti et chacun se cherche. Mais pour le moment, nous nous
en tenons à ces fondamentaux. Nous les avons rappelés dans le projet de
société, que des camarades, et moi avons l’honneur de piloter. Le congrès l’a
adopté. Nous restons fondamentalement accrochés aux valeurs de gauche. Et je
pense qu’il n’y avait pas d’alliance, contrairement à ce qui a été dit. Il y a
eu un moment où l’on a estimé que ceux qui se disaient de gauche et qui étaient
apparemment nos alliés naturels, ont dévoyé un peu la gauche. On ne pouvait
donc pas appeler à voter pour eux. La majorité du parti a demandé de choisir le
candidat du Rhdp. Mais cela ne voulait pas dire qu’on était en alliance avec
cette mouvance. On a vu François Bayrou du Modem en France, appeler à voter
François Hollande ; il n’est pas devenu pour autant socialiste. On peut appeler
à voter un candidat qui ne soit pas forcément de la tendance idéologique dans
laquelle on se situe. On n’a rien qui nous rapproche du Rhdp. Nous ne
reconnaissons pas et ne sommes pas concernés par cette politique ultralibérale
qui est faite aujourd’hui. Nous sommes un parti de gauche. Dans la mesure où ce
n’est pas un parti de gauche qui est au pouvoir, nous, nous sommes dans
l’opposition. C’est sans ambiguïté.
Les
élections locales, c’est pour bientôt. On vous retrouve sur certaines listes.
Votre parti n’a pas de candidats partout. Pourquoi le Pit n’a-t-il pas pu
couvrir l’ensemble du territoire ?
Il faut savoir raison garder. On a voulu aller aux législatives
pour essayer de couvrir l’ensemble du territoire. Mais on a fait une grosse
erreur d’approche. Le peu d’argent qu’on avait a été saupoudré un peu partout.
On n’a pas pu donner suffisamment de moyens à nos candidats pour se battre sur
le terrain. Pour ces élections, nous n’avons pas voulu commettre les mêmes erreurs.
Le peu de moyens que nous avons nous a permis de cibler certaines régions où
nous pensons avoir la chance de remporter la victoire.
Le Pit
est en perte de vitesse en termes d’élus. Le parti n’a aucun député
aujourd’hui. Pensez-vous que pour ces élections locales votre parti fera mieux
?
Nous espérons avoir quelques élus. Mais si nous n’en avons pas,
cela ne doit pas nous freiner dans notre élan de développement. Les échecs
d’aujourd’hui, préparent la victoire de demain. Je pense que nous parlons de
Pit nouveau. Dans le passé, peut-être que nous n’avons pas été suffisamment
clairs et précis dans nos positions. Cela nous a desservis. Il faut dorénavant
être clair dans nos actions pour que nous soyons compris par les populations et
avoir les militants qu’il faut. On avait beaucoup d’adhérents. Mais pas de
militants. Beaucoup de choses ont manqué. Par exemple, la formation de nos
adhérents pour en faire des militants. Nous avons décidé de redresser tout
cela. Nous allons les former à partir de nos valeurs. Pour que nous ayons
confiance en eux.
Quelles
sont vos priorités à la tête du Pit, aujourd’hui ?
Ce pays est dans une situation économiquement difficile. Je ne
parle pas de croissance chiffrée qu’on nous donne et que moi, je définis comme
des croissances appauvrissantes. En même temps qu’on parle de croissance, la
pauvreté grandit dans ce pays. Il faut amener les gens à comprendre qu’il n’y a
que la voie du socialisme qui peut amener à la réduction de la pauvreté et des
inégalités. Dans le capitalisme, la logique libérale creusera plus les fossés.
D’un côté, on aura les possédants de plus en plus riches et de l’autre, les
pauvres. Il ne sert à rien d’avancer les chiffres. Il faut savoir quel est le
secteur, le type d’entreprise, qui crée la croissance économique, pour que nous
sachions si nous pouvons avoir des retombées pour notre pays. Il faut faire en
sorte qu’il y ait une croissance qui soit endogène. Il faut qu’on s’appuie sur
les petites et moyennes entreprises, qu’on leur permettre d’exister. Nous
pensons que nous avons notre rôle à jouer. Nous insistons pour dire qu’il n’y a
que le socialisme qui puisse créer rapidement la réduction des inégalités et de
la pauvreté.
Les
socialistes ont dirigé ce pays ; on n’a pourtant vu aucun résultat tangible…
Vous n’avez pas bien examiné le Front populaire ivoirien, et vous
ne les avez pas bien écoutés. Le Fpi n’a jamais été un parti socialiste. M.
Gbagbo avait dit que c’était un front populaire qui rassemble tout. Ils ne sont
pas socialistes.
Mais,
le Fpi fait pourtant partie de l’Internationale socialiste.
Ils ont dupé tout le monde. Il n’y a pas un homme plus à droite
que Mamadou Koulibaly. Le Fpi était un parti « attrape-tout ». Ce qui
les intéressait, c’était l’immédiateté du pouvoir. Tous les moyens étaient à
utiliser pour y arriver. C’est à ce niveau que les leaders du Fpi ont dupé tout
le monde. Nous-mêmes, les avions suivis et constaté qu’ils n’étaient pas
socialistes. Ils nous ont fait plus de tort. Il fallait prendre nos distances.
Je ne suis pas membre fondateur du Pit, quoique militant de première heure.
Ceux qui ont fondé ce parti ont dit que c’était le parti des travailleurs.
Justement,
c’est le parti des travailleurs mais nous n’avons jamais vu le Pit les soutenir
dans les moments difficiles ?
Tout va changer maintenant. Nous étions à la Fédération des
syndicats autonomes de Côte d’Ivoire (Fesaci) il n’y a pas longtemps. Nous leur
avons dit qu’ils ont une revendication corporatiste, et nous avons une
revendication politique. Nous faisons donc le prolongement de leurs actions.
C’est pourquoi, nous leur avons dit qu’il faut exiger un minimum de 120 000Fcfa
de salaire de base. Aujourd’hui, dans ce pays, il est quasiment impossible de
vivre avec moins de 100 000Fcfa. Si nous ne voulons plus de bidonvilles, de
cités précaires, il faut donner la possibilité aux gens de pouvoir se loger
correctement. Cette revendication est essentielle.
Quel
rapport le Pit entretient-il avec les partis de l’opposition, notamment avec le
Fpi ?
Nous avons pris contact avec la direction de cette formation
politique. Elle nous a reçus agréablement à notre demande. Nous avons également
rencontré le Mfa, l’Udpci. Nous sommes dans une logique de rapports courtois et
intelligents avec les autres partis politiques. Mais, nous allons de plus en
plus afficher nos positions clairement dans l’opposition. Mais quand on parle
de l’opposition, cela fait frémir, fait trembler les gens. Mais en fait, c’est
parce que les partis qui sont dans l’opposition n’ont pas sérieusement compris
leurs missions. L’opposition, ce n’est pas la contestation systématique. Elle
a, je pense trois missions. Une mission de veille. Le régime en place s’est
fait élire sur un programme. Il faut veiller à ce que ce programme soit
appliqué. S’il le fait correctement, tant mieux ! On peut même appeler à voter
pour lui. Je vous donne un exemple. Le Président, Alassane Ouattara a dit,
pendant la campagne, qu’il créera un million d’emplois sur 5 ans. Cela fait 200
000 emplois chaque année. Nous sommes en train de vérifier avec des
statistiques. Si nous constatons que cela n’est pas fait, on va l’interpeller.
Et c’est la deuxième mission. Si rien ne bouge, on passe à la troisième
mission, qui est la proposition d’un programme alternatif. Nous, nous allons
entrer dans la réalité de ces trois missions pour que les gens comprennent
autrement la politique.
Quelle
est votre position par rapport au débat sur l’amnistie ?
Nous pensons qu’il faut couper avec cette attitude d’impunité que
nous traînons depuis des années. Au Pit, nous souhaitons qu’il y ait une
séparation des pouvoirs. Il faudrait éviter que l’exécutif soit au contrôle de
tout. Les vrais problèmes ne sont-ils pas les hommes qui incarnent ces
institutions et qui refusent d’assumer leurs responsabilités comme on le
constate ailleurs ? En France par exemple, les anciens Présidents de la
République sont de facto, membres du Conseil constitutionnel. Cela donne plus
de poids à cette institution. Il y a des pays où le Conseil constitutionnel
peut être saisi par un citoyen ordinaire. Ceci n’est pas le cas en Côte
d’Ivoire. Ici, le Conseil constitutionnel ne peut s’autosaisir. Il n’y a que
l’Assemblée nationale et la Commission électorale indépendante qui sont
habilitées à le saisir. Il reste donc impuissant même lorsque la Constitution
est violée.
Vous
dénoncez cette Constitution qui est pourtant née en 2000 avec la bénédiction de
la classe politique ivoirienne ?
Ce n’est pas du tout le schéma voulu par le Parti ivoirien des
travailleurs. Nous avons notre Constitution. En plus, il faut se rappeler les
conditions dans lesquelles elle a été conçue et votée par le peuple. A
l’époque, c’était un général qui était au pouvoir. Il voulait un régime fort.
Pour nous, il faut penser très rapidement et aller vers un régime parlementaire
pour diluer un peu le pouvoir d’un exécutif qui contrôle tout.
Interview réalisée par Etienne Aboua et Brou Presthone (Fraternité Matin 26/03/2013)
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