On parle beaucoup de la Centrafrique ces temps-ci. On ignore combien cette
région, alors colonie française de l’Oubangui-Chari, a souffert depuis la fin du XIXe siècle. L'est du pays,
soumis a des sultans esclavagistes, subissait des razzias incessantes ;
l’ouest connut une succession de scandales sanglants liés à l’exploitation de compagnies privées dites
« concessionnaires ».
Cela commença
en 1896, avec un
agent colonial sanguinaire,
Goujon, qui, avec l'aide d'une cinquantaine de « tirailleurs sénégalais », arma 6000 Baya locaux de fusils
et de poudre pour « razzier à fond
les chefs baya qui avaient fourni des contingents
aux Foulbé (Peuls) ». Une colonne parcourut 800 km, brûlant tout sur son passage. La campagne démarrée le 6
mars ne cessa que
le 9 septembre, quand un nouvel administrateur,
envoyé en hâte, dispersa les troupes. En détruisant l'économie de subsistance, en brûlant les villages et en capturant les troupeaux, ces opérations furent plus meurtrières que les guerres intestines qui, les années précédentes, ravageaient le pays. Celui-ci ne cessa plus d'être agité.
E n 1904-1906, la mission d'inspection de
Savorgnan de Brazza, puis celle du jeune fonctionnaire intègre Gaston Guibet
détectèrent des massacres de femmes et d'enfants
pris en otages pour obtenir
porteurs et impôts. 1500 « indigènes » furent exécutés par les agents
concessionnaires de la M’Poko. Dans
cette région, désormais occupée depuis 1911 par la compagnie forestière Sangha
Oubangui (surnommée la « Compagnie pordurière »
dans Voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdinand Céline), qui avait
absorbé la Compagnie des sultanats du haut Oubangui de sinistre mémoire,
survinrent les incidents épouvantables rapportés par André Gide (Voyage au Congo, 1927).
Rien d'étonnant à ce que la zone
connaisse une révolte généralisée de populations poussées à bout. Elle toucha non
seulement l’Oubangui-Chari, mais aussi les confins du Cameroun, du Moyen Congo
et du Tchad. C’est que, en sus de l’exigence du portage épuisant sur l'interfluve
séparant le bassin du Congo du bassin du Chari et du Tchad, les Baya devaient fournir
un latex payé au plus bas pour payer l’impôt. Cette guerre, aussi dure que
celle du Rift vers la même époque, passa inaperçue, malgré une thèse remarquable
publiée en 1986. Elle fut animée à partir de 1924 par un chef messianique,
Karnou, qui avait passé deux ans dans une mission catholique : « Tuez et mangez votre bétail, répudiez
vos femmes, brûlez vos cases, coupez les ponts, tout ce qui a connu le Blanc
est impur, et doit disparaître (...). Prenez mon médicament, le Kougowara, et
je serai avec celui qui le portera à son cou et je le rendrai invisible et
invulnérable. »
Le pays tout entier se souleva. Trois
colonnes françaises furent envoyées entre novembre 1928 et avril 1929. Karnou
fut tué. Le soulèvement devint une meurtrière guerre d’embuscades. Les «
nettoyages » entrepris systématiquement acculèrent la population au désespoir.
Les troubles se prolongèrent jusqu'en 1933 et s'achevèrent par l’« enfumade »
des grottes où les derniers rebelles s'étaient réfugiés. Ils laissèrent le pays
appauvri et déserté. La culture obligatoire du coton remplaça celle du
caoutchouc et fut maintenue à l’indépendance faute d'autres ressources, tant que
le diamant ne fut pas exploité.
B. Boganda |
Catherine Coquery-Vidrovitch,
historienne, professeur émérite de l'université Paris-Diderot.
Titre original : « Oubangui-Chari : une guerre coloniale
destructrice oubliée »
en maraude
dans le web
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rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et
aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
(1)
Le Rapport Brazza 1905, de C. Coquery-Vidrovitch. Le Passager clandestin (sous
presse 2014).
(2) La Guerre de Congo-Warra, de Raphaël
NzabakomadaYakoma. Paris, LHarmattan, 1986.
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