1. — Journée du 22 décembre : Marche sur Grand-Bassam et manifestations devant le Palais
de Justice.
Le 22 décembre au matin, les femmes se rendent au taxi-gare
de Grand-Bassam. Nombreuses sont celles qui réussissent à emprunter des
véhicules. C'est le cas de Fatoumata Traoré qui fait partie du groupe de
Moussokoro Camara. « On nous dit qu'il fallait nous dépêcher de nous rendre à Bassam,
sinon les militaires nous barreraient la route. »
Pour tromper la vigilance des autorités, Moussokoro Camara
s'habille aux couleurs françaises et munie d'un petit drapeau tricolore qu'elle
agite avec insistance, se présente à l'autogare à la tête de son groupe. Les
forces de l'ordre croyant qu'il s'agit d'une manifestation en faveur des
autorités coloniales n'inquiètent pas les manifestantes.
« A l'autogare, poursuit Fatoumata Traoré, nous montons dans
un car qui est si chargé qu'il peut à peine avancer. » 5 à 6 véhicules bourrés
de femmes prennent le départ. C'est alors que l'afflux des manifestations
éveille des soupçons. Alertée, la police interdit aux chauffeurs allant en direction
de Bassam de transporter plus de 3 femmes à la fois. Puis l'interdiction
devient totale. Lorsque Djoko Amani et Akissi Kouamé se présentent à leur tour,
un policier, Kra, leur interdit de monter dans un taxi : « Tout chauffeur qui accepte de transporter les femme est saisi
et molesté. »(86) MM. Denise et d'Arboussier vont voir le commissaire de
Treichville qu'ils « mettent en présence des faits... ce dernier se défend
d'avoir donné de tels ordres et en sa présence plusieurs femmes africaines ont pu
circuler en véhicule.(87) Cependant la plupart des militantes ne peuvent se
rendre à Bassam en automobile. Alors, sans hésiter, elles acceptent d'y aller à
pied. Les récits de Landji N'Dri et Lorougnon Zikaï nous renseignent à ce propos.
L'héroïne Marie Koré |
« On nous dit que le Gouverneur avait interdit de transporter
ce jour-là les femmes ; qu'à cela ne tienne ! nous sommes décidées à partir à
Bassam, nous irons à pied. Alors nous entonnons nos chants d'Adjanou qui nous
stimulent. Armées de nos pilons ou de nos bâtons, en quelques instants nous sommes
à Port-Bouët. M. Denise vient nous y trouver : « Mami N'Dri, Mami Sibo attendez
que j'aille voir le Gouverneur pour savoir les raisons pour lesquelles il a donné
l'ordre de ne transporter aucune femme aujourd'hui ». Mais dès qu'il a le dos
tourné nous voilà parties à nouveau, nous sommes déjà dans les cocoteraies et
bientôt, toujours au chant de l'Adjanou, l'Impérial « est devant nous »(88). Marie
Koré (88bis) et Lorougnon Zikaï sont à la tête du groupe Bété : « Les femmes
ont accepté d'aller à pied car, disent-elles, nous ne sommes pas nées avec des
voitures, nous n'avons pas peur de nous rendre à Bassam à pied ».
Celles qui vont à pied sont encadrées par les responsables qui,
après avoir évacué tout le monde de l'autogare, empruntent la voiture de M.
Denise, vont et viennent pour encourager les manifestantes et pour voir s'il ne
leur arrive rien de fâcheux.
A part le groupe de tête qui a pu passer avant que les
forces de police ne se mettent en place, les
autres femmes évitent la grande
route et marchent dispersées dans les cocoteraies, par petits noyaux de 10 à 20
personnes. Celles qui sont surprises par la police prétendent se rendre à leur champ
dans le voisinage. Il ne s'agit donc pas d'une marche triomphale comme on se
l'imagine bien souvent, mais plutôt d'une avancée pénible dans le sable, en
ordre dispersé, à travers les cocoteraies ou le long de la plage.
Timbre à l'effigie de Marie Koré |
Un groupe de militantes d'Adjamé fut moins heureux. En
effet, nous signale le commissaire Lefuel, vers 8 heures, au niveau du Château
d'Eau, un groupe d'une centaine de femmes venant d'Adjamé, déclarant se rendre
à Grand-Bassam pour participer à une manifestation commandée par le R.D.A., est
arrêté par une patrouille de police et invité à se disperser ou à rebrousser
chemin. Les femmes refusent d'obéir. A cause des manifestations de la veille
devant le Palais du Gouverneur, elles sont refoulées de force. Quatorze d'entre
elles sont arrêtées pour tapage injurieux sur la voie publique et refus de
circuler.(89)
Toujours dans la matinée du 22 décembre, MM. Denise et
d'Arboussier accompagnent les déléguées des femmes à Bassam. Vers 11 heures un
rassemblement de 150 à 200 personnes a lieu aux abords du tribunal sous leur
direction.
Ces personnes veulent obtenir une audience avec le Procureur
de la République pour réclamer la mise en liberté de leurs frères et de leurs
maris. Le Procureur refuse de les recevoir et leur répète que les prisonniers
ne font pas la grève de la faim, qu'ils se cachent pour manger : « Alors, nous
dit Mme Marguerite Sacoum, nous avons décidé de rester à Bassam jusqu'à ce
qu'ils nous répondent favorablement. » Vers 12 heures l'Administrateur-Maire
aidé des gendarmes et de la police - procèdent à la dispersion de la foule qui
est refoulé jusqu'à l'Impérial, le quartier africain. Une personne est arrêtée
pour incitation au désordre. L'après-midi, la police signale à Impérial la
présence de nombreuses femmes venues d'Abidjan, « d'autres 3 à 400 arrivent à
pied ». (90) Aussi renforce-t-o n le service d'ordre en gardes cercle et gendarmes.
Ce premier soir, il ne se passe rien, les femmes sont
réparties entre le Siège du Parti, les différents chefs ethniques et la
secrétaire de la sous-section de Bassam, Anne-Marie Raggi. « Nous avons attendu
longtemps à Impérial et nous étions très nombreuses, nous sommes restées sur
place jusqu'à l a tombée de la nuit, puis nous sommes allés chez Koffi Damo, le
chef baoulé. »(91) Certaines ont emporté leurs couvertures et leurs objets de
toilette qu'elles portent au dos comme des bébés, d'autres ont prévu de quoi
manger. Dès le lendemain 23 décembre, de partout arrivent des paniers de vivres
: d'Azuretti le poisson, de Bonoua la banane.
2. — Journée du 23 décembre : Attente et déception.
Dès le matin « 500 femmes environ par petits groupes s'installent
le long de la lagune »(92). Aux abords du pont de la Victoire elles s’attendent
de recevoir des instructions ; sans arrêt d'autres manifestantes arrivent
d'Abidjan, pour la plupart à pied.
Le Procureur refuse à nouveau de recevoir une délégation composée
de MM. Gadeau, d'Arboussier, et Denise. En vain les femmes attendent-elles
jusqu'au soir vers 17 heures. Pendant ce temps les « blancs vont et viennent,
ils patrouillent dans leur voiture de guerre » (jeep).(93) Cette journée est un
échec, il ne se passe rien. Nos manifestantes s'en retournent à Impérial où les
rejoignent vers 17 h 30 les 3 délégués de la matinée, de retour d'Abidjan. Ils
tiennent des conférences chez le chef Dioula Samba Diallo et le chef Baoulé Koffi
Damo pour recommander le calme et la patience aux femmes que cette attente
exaspère. Une stratégie est prévue pour cette nuit-là : « Nous décidâmes,
puisque nous étions venues pour ça, de nous rendre à la prison, mais il fallait
profiter de l'obscurité pour déjouer la surveillance des gardes. Or de leur
côté, les autorités avaient pris leurs dispositions. »(94)
3. — 24 décembre le « grand jour » : Marche sur la prison.
La police signale que vers 5 heures du matin « les femmes se
rendent à la prison par petits groupes de 200 environ »(95). Leurs responsables
très tôt avaient traversé le pont pour venir les organiser à Impérial.
Auparavant, elles avaient dirigé sur la prison celles qui étaient à Bassam,
leur conseillant de longer la mer, lentement d'abord, puis à la hauteur de la
prison, de foncer et de se regrouper rapidement. Celles d'Impérial furent
réparties en plusieurs groupes afin de faciliter leur mouvement : l'un avait
pris côté mer ; faisaient partie de ce groupe Odette Ekra, Marguerite Williams,
Landji N'Dri et Kouamé N'Guessan. L'autre, avec à sa tête Marie Koré, avait
emprunté la rue principale. Le commissaire, alerté, vint constater lui-même ce
qui se passait. Il fit intervenir les forces de l'ordre. Les responsables
furent obligées de retraverser précipitamment le pont laissant derrière elles
la plupart des femmes pour aller diriger celles qui avaient pu passer.
Bassam.
Monument dédié à la Marche des femmes sur
Grand-Bassam
|
« Les Blancs nous poursuivaient dans leur jeep. Je dus ma
chance à Margot (Marguerite Williams) car avec mon groupe nous voulions
emprunter la rue qui menait directement à la prison et Margot me conseilla de
contourner le Tribunal pour passer par la plage. Pour nous dissimuler, tantôt
nous rampions, tantôt à quatre pattes en direction d'Azuretti. »(96) Marie Koré
et d'autres femmes furent découvertes car « le camion G.M.C. de la gendarmerie
mis en place la veille (les) éclaire »(97). « L'Administrateur-Maire, la
gendarmerie, les gardes de cercle, la police et moi-même (le Commissaire) avons
procédé au refoulement des manifestantes. Avec beaucoup de mal, nous avons pu
refouler aux abords de la lagune côté Impérial. Après le pont elles se
couchaient en travers de la route. »(98)
A cet endroit se trouvait massé le gros des manifestantes. Evalué
à 500 ou 600 femmes au début, leur nombre croissait sans cesse. Quelques femmes
pour traverser le pont empruntaient les charges des bassamoises, se faisant
passer pour de paisibles marchandes qui se rendaient au marché ; d'autres plus
audacieuses utilisaient des méthodes osées pour obliger les policiers africains
à détourner le regard ; d'autres enfin se faisaient traverser en pirogue. Très
peu cependant réussirent par ces biais à rejoindre leurs compagnes qui
stationnaient devant la prison. Un autre barrage empêchait ces dernières de
pénétrer dans l'enceinte de l'édifice.
Les militaires Baoulé nous avertissaient dans notre langue
que leurs fusils étaient chargés. « Si vous essayez de forcer le barrage,
disaient-ils nous seront obligés de tirer sur vous pour raison de service. » Le
Blanc venait et nous disait : partez d'ici, déguerpissez ! Margot de son côté
nous encourageait. « Si un Baoulé vous parle faites la sourde oreille, si un
Dioula vous parle ne répondez pas, si le Blanc vous parle ne dites rien. Le
Blanc allait et revenait. Cette nuit-là il vint nous voir au moins trois fois
sans succès ; nous restâmes sur place jusqu'au matin. »(99)
Les femmes qui étaient bloquées derrière le pont essayaient de
forcer le barrage et refusaient d'obéir aux policiers qui leur enjoignaient de
se disperser. « Celles qui se trouvaient hors d'atteinte dansaient sur la
chaussée, se mettaient nues et proféraient des injures, jetant sur le service
d'ordre des bouteilles, des pierres, des noix de coco, de la vase, etc. »(100) Pour
finir les militaires réagirent. « Les pompes furent mises en service ; nous
avons pu faire reculer les femmes de 200 mètres environ.»(101) Leurs cris
parvenaient à leurs compagnes massées devant la prison car « les pompes à
incendie plongées dans la lagune arrosaient les manifestantes d'eau mélangée à
de la vase et à des tessons de bouteilles »(103). «Elles ont raison de ces
énergies tout en rinçant vigoureusement les séants rebondis de ces dames...
»(104)
Beaucoup de femmes furent blessées, leurs pagnes déchiquetés
; d'autres furent culbutées dans les fossés envasés et remplis de détritus.
Malgré cela elles résistaient et s'entêtaient à vouloir passer le pont : Marie
Koré les haranguait.
« Mes sœurs bété, baoulé, dioula, et de partout, n'ayez pas
peur ! Chez nous aussi nous n'avons pas peur de l'eau, nous avons l'habitude de
travailler dans l'eau ce n'est pas parce qu'on nous envoie un jet d'eau avec du
sable que nous devons nous décourager car une personne qui veut aller au
secours de son époux, de son frère, de son fils ne doit pas reculer devant si
peu de chose. »(105) Marie Koré réussit à forcer le barrage avec d'autres
manifestantes parmi lesquelles Koli Gbaoulou, Anoï Marie, Créahi Léonie. Mais
elle glissa et tomba. Dans sa chute, son pagne se défit et Denise qu'elle
portait au dos, tomba aussi. Dès que l'enfant fut détachée de sa mère, un
militaire qui se trouvait près d'elle frappa Marie à la hanche gauche avec la
crosse de son fusil. Elle se redressa et pour se dégager lança le bras en
arrière donnant un coup à l'homme qui tomba. Elle lui saisit les bras pour l'immobiliser
tandis que la petite Denise lui assenait des coups avec le fusil qu'elle avait
ramassé. Lorsque le militaire put se dégager, il appela ses compagnons à la
rescousse, leur signalant que « cette femme et sa fille se sont permis de lui
donner des coups ». Marie fut battue. « On la tapait de tous les côtés et pour
finir on l'emmena au Commissariat. »(105)
Pendant ce temps les manifestations continuaient. A la hauteur
du pont les autres femmes furent refoulées jusqu'au rond-point d'Impérial par
une quarantaine de gendarmes et vingt gardes de cercle qui les tinrent en
respect. Etant donné la tournure que prenaient les événements, et craignant
d'être débordé, le commissaire avait demandé du renfort d'Abidjan, deux
pelotons de gardes et les capitaines de gendarmerie Maillet et Lemoine
arrivèrent vers 10 heures. Ils allèrent renforcer, côté prison, la garnison qui
jusqu'à présent n'avait rien fait, d'autre que de tenir les femmes en respect.
« Soudain il y eut un remue-ménage, une ruée de militaires… Au
fond de moi-même je pensais : c’en est fait de nous, nous allons être
fusillées. Le Blanc se détacha du groupe et vint vers nous. Margot nous
encouragea encore : « Ne vous sauvez pas. » Le Blanc nous parla une fois de
plus : « Je vous ai dit de déguerpir et vous vous y refusez ? Allez-vous-en ! »
Nous ne bougions pas. « Depuis cette nuit je vous ai dit de partir, reprend-il,
vous ne voulez pas m'obéir ? » Nous ne répondions rien. Après la troisième
sommation il sortit son sifflet et appela des gardes. Margot nous recommandait
toujours de ne pas bouger. Le Blanc donna des ordres et les militaires
commencèrent alors à nous repousser avec la crosse de leurs fusils au niveau
des reins. Pendant ce temps les coups de chicotte pleuvaient et nous poussions
des cris : « A cause de notre pays, de notre patrie on est en train de nous tuer.
» Nous fûmes refoulées jusqu'au pont. Il était environ midi. »(106)
Le service d'ordre après avoir retiré les quarante gendarmes
et les vingt gardes de cercle, lança des grenades lacrymogènes sur les femmes
rassemblées au carrefour d'Impérial pour les obliger à se disperser. Malgré les
rapports de police qui affirment que ces grenades ne fonctionnaient pas, une femme
baoulé nanafoué reçut du gaz dans les yeux : elle devait devenir aveugle par la
suite ; beaucoup de femmes eurent le corps couvert de cloques.
Le Président du Parti arriva à ce moment-là, venant de Yamoussoukro.
Il réussit à arrêter les gardes tandis qu'il invitait les femmes au calme leur
demandant de ne pas insister. Il eut beaucoup de mal à les convaincre d’abandonner
la lutte. Elles ne voulaient pas repartir sans les prisonniers. Il tint ensuite
chez le chef baoulé Damo Koffi une réunion au cours de laquelle, en baoulé, il
remercia les femmes pour leur action courageuse, leur demanda d’accepter de
retourner à Abidjan où la lutte devait continuer. Beaucoup furent déçues parce
qu'elles n’avaient pas obtenu ce qu'elles voulaient.
Le bilan de cette journée du 24 décembre nous est donné par
des documents de sources diverses. Pour le commissaire Bereta : « 5 gendarmes ont été frappés,
(moi-même) ai été légèrement blessé au bras ; 4 femmes (dont Marie Koré)
ont été arrêtées et déférées au parquet. »(107)
D'après « Le Patriote » de Saint-Etienne en date du 27
décembre 1949 plus de quarante femmes furent blessées.
Lorsqu'il fut de retour au commissariat, peut-être parce qu'elle
avait été signalée comme étant la plus dangereuse, peut-être parce qu'il avait
eu lui-même affaire à elle, le commissaire Lerat (selon la déposition de Madame
Norbert née Trohon Toye au procès de Marie Koré) « vint saisir Marie par les
bras et la projeta à terre. Il se mit à lui donner des coups de pieds ». Elle
le gifla à plusieurs reprises(107bis). Elle fut finalement enfermée au cachot
où sa fille Denise insista pour la suivre. Sur ces entrefaites arriva le
Procureur que la scène émut. Il les fit sortir de cet endroit où elles
pouvaient à peine bouger, pour les mettre avec les autres détenues.
Celles-ci Koli Baorou, Sia Créahi Léonie et Diongolo Traoré faisaient
partie de celles qui avaient réussi à franchir le barrage en affrontant les
pompes à incendie. Diongolo fut arrêtée par suite d'une méprise, car on la prit
pour Makoura Koné qui avait giflé un policier.
Beaucoup de gendarmes et de policiers se comportèrent favorablement
vis-à-vis des femmes. Certaines avaient des parents parmi eux, mais ils étaient
pour la plupart d'origine étrangère, surtout guinéenne. Cette attitude
mécontenta le commissaire qui jugea qu'ils avaient « refoulé les manifestants
avec nonchalance, sans vigueur »(108). Il demanda leur mutation pour
agissements en faveur du R.D.A. Par contre les alaouites(109), mercenaires
Syriens, furent sans pitié.
Pour les autres femmes dès l’après-midi commença le retour sur
Abidjan. Des cars avaient été mis à leur disposition. Les responsables
insistèrent pour ramener Denise mais elle s'y refusa. Elle devait rester avec
Marie Koré tout le temps que dura la détention de celle-ci.
Trois des détenues furent jugées le 28 décembre, sans
incidents : Léonie Sia fut relaxée pour son jeune âge : elle avait à peine 15 a
n s. Kadi Baourou et Diongolo Traoré furent condamnées à deux mois de prison
ferme. Le cas de Marie Koré devait être entendu le 4 janvier 1950 car elle était
hospitalisée au moment du procès. En effet, elle avait dit à sa jeune co-épouse
venue lui rendre visite : « Ils m'ont fait mal, ils m'ont tapée au côté gauche
avec leur fusil et je sens que je ne vais pas bien. »
D'abord on venait la chercher tous les matins pour lui
dispenser des soins, puis on finit par l'hospitaliser. Elle devait rester
longtemps à l'hôpital. Elle fut jugée le ler février 1950 et
condamnée à son tour à deux mois de prison.
C'est ainsi que se termina la marche des femmes sur Grand-Bassam
et sa prison : par la détention pour certaines, par un retour sans victoire
pour les autres, ces « Amazones qui rentrent à Abidjan, parties au hasard de
taxi, parties à pied, telles les débris de la Grande Armée. »(110)
Bien que la plupart des manifestantes se soient déplacées le
22 décembre faisant de ce jour le grand jour de la marche dès le 21 et jusqu'au
24, des femmes arrivaient encore par car ou par petits groupes, à pied, pour se
joindre à leurs compagnes. Djoko Amani le confirme en quelques mots : « Au
moment où nous arrivions à Bassam, toutes les femmes étaient rassemblées au
bord de la lagune, nous nous y rendîmes nous aussi, on nous arrosa comme les
autres, et nous revînmes à Abidjan. »
NOTES
(86)
Fatoumata Traoré, entretien avec les femmes à Treichville, op. cit.
(87) Réunion
R.D.A. à Abidjan, 22 décembre 1949.
(88)
Landji N'DRI, entretien avec les femmes à Treichville, op. cit.
(88bis)
Marie Koré n'avait pas d'enfant, mais la fille de sa co-épouse, la petite
Denise, l'avait adoptée. L'enfant insista pour aller à Bassam avec sa « mère ».
Elle dut la porter au dos jusqu'à destination.
89)
Rapport du commissaire de police d'Abidjan-Plateau à l'administrateur-maire, 22
décembre 1949.
(90) Id.
(91)
Rapport du commissaire de police de Grand-Bassam au commissaire divisionnaire
d'Abidjan, 22 décembre 1949.
(92) Id.
(93) Mami Landji N'DRI, Treichville, op. cit. Entretien
avec les femmes.
(94) Id.
(95) Rapport
commissaire Grand-Bassam à commissaire divisionnaire Abidjan, op. cit.
(96) Mami Landji N'DRI.
(97)
Rapport commissaire Grand-Bassam à commissaire divisionnaire.
Abidjan,
op. cit.
(98) Id.
(99) Mami Landji N'DRI, Treichville, op. cit. Entretien
avec les femmes.
(100)
Rapport commissaire Grand-Bassam à commissaire divisionnaire Abidjan, op.
cit.
(101) Id.
(102) Id.
(103)
Rapport de police : manifestation RDA, op. cit., 24 décembre 1949.
(104)
Mme Henriette Koré, 2e femme de Seri Koré, vraie mère de la petite Denise,
Treichville, op. cit.
(105) Id.
(106) Mami Landji N'DRI, Treichville, op.
cit.
(107) Rapport
commissaire Grand-Bassam à commissaire divisionnaire Abidjan, op. cit.
(107bis)
Pendant qu'elle se débattait, elle griffait le commissaire et répétait : « Mal
blanc ! mal blanc ! Si femme n'a pas né toi ! » (Sale blanc ! Si tu
n'avais pas été mis au monde par une femme, serais-tu là, en ce moment, à
malmener les femmes ?). Informations données par M. Augustin Gnapi.
(108)
Rapport commissaire (voir note 109).
(109)
Arrivés en Côte-d'Ivoire 5 à 6 ans plus tôt, ces mercenaires syriens, au nombre
de 3 à 400, étaient basés à Bouaké. Les colons faisaient appel à eux en cas de
troubles. Ils étaient encadrés par des officiers français mais ils devenaient
vite incontrôlables, pillaient, volaient, agissaient avec brutalité (Rapport Damas,
pp. 75 à 96).
(110) Rapport de police sur manifestation R.D.A., 24
décembre 1949.
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