Notre pays a connu bien des épisodes dramatiques dans sa
jeune histoire. Il y a eu d’abord l’ère Houphouët-Boigny, avec les tueries dans
le Sanwi avec l’affaire du Sanwi ou les évènements d’Aboisso (1959-1961), les
tueries dans le Guébié (1970), en passant par les différents « complots »
imaginaires (1960-1962). L’ouverture démocratique,
obtenue sous la pression de
la rue en 1990 n’a pas mis fin aux violences politiques, en témoignent les
barbaries des militaires commandés alors par un certain Guéi Robert en mai 1991
à la cité universitaire de Yopougon, les évènements du 18 Février 1992 qui ont
vu l’arrestation de plusieurs responsables de l’opposition avec leur tête un certain
Laurent GBAGBO. Suivit l’épisode du Président Henri Konan Bédié, qui après
avoir achevé dans le doute et l’incertitude le mandat de feu le Président Houphouët,
est élu en octobre 1995 au cours d’un scrutin qui s’est organisé sur fond de
contestations et de violences avec le boycott actif, et pour un mandat qui
n’ira pas à son terme, avec le putsch militaire du Général Guéi en Décembre
1999. Difficile et périlleux épisode militaire avec son lot d’exactions de
toutes sortes, qui a abouti en 2000 à des élections générales qui se sont
déroulées dans le sang et la douleur.
Victimes des bombardements de la résidence du président Gbagbo par l'aviation franco-onusienne. (source : ivoire-politique.blogspot.com/2011/04) |
Le Président Laurent Gbagbo n’a pas échappé au signe
indien. En effet, confronté dès la première année de son mandat à une rébellion
armée, suscitée par des commanditaires clairement identifiés aujourd’hui, son
passage à la tête de la Côte a connu des drames qui ont atteint leur point
culminant avec ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui la crise
postélectorale ou la guerre de la France contre la Côte d’Ivoire, c’est selon .
Le point commun de tous ces épisodes, c’est qu’aucune
enquête sérieuse n’a été effectuée pour en connaître l’ampleur et le bilan
réels, si bien que nous ne savons pas par exemple quel est le bilan en termes
de pertes en vies humaines des évènements d’Aboisso ou du Guébié, encore moins
le bilan matériel.
C’est encore le cas aujourd’hui, après le désastre
causé par l’ambition démesurée et meurtrière pour le pouvoir d’Etat de Monsieur
Alassane Dramane Ouattara.
Mais nous devons mettre fin à ce cycle infernal, en
faisant un bilan détaillé, impartial et vérifiable de ce qui s’est réellement
passé. Plus qu’un devoir de mémoire, c’est un devoir d’intelligence,
c’est-à-dire la rupture d’avec les idées reçues, la pensée correcte et la
conformité. Car c’est bien la faillite de l’intelligence des dirigeants et des
« intellectuels » à abandonner la conduite de l’intérêt de leurs communautés au
profit de puissances étrangères qui a plongé la Côte d’Ivoire et l’Afrique dans
cette macabre série sans fin .
Cela est indispensable pour que la nécessaire
réconciliation à laquelle tous les ivoiriens aspirent soit une réalité et
quelle ait une véritable signification.
Dans ce billet donc, nous nous attarderons
essentiellement sur les préjudices subis par nos universités durant la crise
que vient de vivre notre pays.
Les universités comme victimes expiatoires du pouvoir
d’Alassane Ouattara, l’artisan du raccrochage des enseignants
L’acharnement de Monsieur Alassane Ouattara sur le
monde de l’Education en général et celui de l’Université en particulier ne date
pas d’aujourd’hui. En effet, alors qu’il était Premier ministre de Feu Félix
Houphouët-Boigny (1990-1993), c’est bien son gouvernement qui est à l’origine
de la loi de réforme du statut général de la fonction publique, ainsi que du
décret subséquent qui a institué le salaire à « double vitesse » dans le monde
de l’Education, le décret n°91-818 portant révision des échelles de traitement
des corps du personnel enseignant et des corps du personnel de la recherche
recrutés à compter l’année scolaire 1991-1992. Au terme de ce décret, tous les
enseignants (dans les trois ordres) recrutés à compter d’octobre 1991,
touchaient, pour les mêmes charges et les mêmes qualifications que leurs
devanciers, la moitié du solde de ceux-ci, une mesure totalement inique et même
anticonstitutionnelle. Fort heureusement, l’abrogation de ce décret a été l’un
des premiers actes forts du gouvernement du Président Laurent Gbagbo. La crise
née de l’élection présidentielle, a fini de nous convaincre que Monsieur
Alassane Dramane Ouattara a bel bien planifié le génocide intellectuel en Côte
d’Ivoire pour installer son système.
La destruction des structures universitaires
L’Université de Bouaké a été, dès le lendemain de la
tentative du coup d’état du 19 septembre 2002, agressée par la rébellion armée
; ses locaux ont été attaqués et détruits, ses enseignants et tous les
personnels contraints d’abandonner la ville de Bouaké. Elle avait été alors
délocalisée sur plusieurs sites à Abidjan.
Les Universités d’Abobo-Adjamé et de Cocody vont subir
le même sort, respectivement dans les mois de mars et avril 2011.
L’Université d’Abobo-Adjamé a été la première à être
violemment attaquée dans le courant du mois de mars 2011 ; tout y a été détruit
à coup d’obus et de roquettes. Elle était d’ailleurs pendant la dernière crise,
une des bases de l’armée de Monsieur Ouattara, appuyée par les soldats de
l’ONUCI et ceux des forces françaises. Les premières cibles de ces actes de
destruction étaient curieusement le service de la scolarité et le service
informatique comme si l’on voulait volontairement effacer la mémoire de
l’institution, à l’instar de ce qui s’est passé au niveau national où dans la
plupart des régions, les soldats de Messieurs Soro Guillaume et Ouattara ont
détruit les préfectures et sous-préfectures avec toutes les archives.
L’Université de Cocody a été également le théâtre de
la barbarie des forces de Monsieur Ouattara. En effet, les dozos, et autres
ex-prisonniers toujours avec l’appui des mêmes soutiens ont bombardé à coup
d’obus, les résidences des étudiants qu’ils considéraient comme le fief des
miliciens de Gbagbo, faisant de nombreuses victimes qu’il faudra un jour ou
l’autre comptabiliser.
Les amphithéâtres, les salles de cours, les
laboratoires de recherche, l’administration (la présidence en tête), les
bureaux des enseignants et des chercheurs…ont été éventrés, saccagés, pillés.
Les résidences universitaires, ont été pillées, décoiffées, détruites, des
chambres ont même été incendiées avec leurs occupants.
Ces attaques et destructions commanditées et
perpétrées par ceux qui se réclament de l’héritage d’Houphouët, le premier
bâtisseur de la Côte d’Ivoire, contre ce qui constitue pourtant un héritage
essentiel de leur mentor traduisent bien, de la part de leurs commanditaires,
une réelle volonté de déconstruction sociale comme le dit bien le SYNARES dans
l’une de ses déclarations.
Et pour abonder toujours dans le sens du SYNARES, la
fermeture prolongée, des universités de Côte d’Ivoire qui est une première du
genre est venue pour confirmer la volonté d’une planification de la destruction
de l’élite intellectuelle considérée comme gênante.
Le limogeage des présidents élus des universités
Au mois de février 2012, le gouvernement de Monsieur Ouattara
a procédé à la nomination de certaines personnalités en qualité de présidents
des universités de Cocody, d’Abobo-Adjamé devenues depuis, par la seule volonté
de l’homme fort d’Abidjan, et contre les usages, respectivement université
Félix Houphouët-Boigny et université Nandjwi Abrogoua ; l’université de Bouaké,
ou dorénavant université Alassane Ouattara semble, pour le moment, ne pas être
concernée par cette mesure ceci expliquant cela. Ainsi les professeurs Bakayoko
Ly Ramata et Tano Yao ont subtilisé, par le biais de ces nominations, les
fauteuils du Professeur N’Gbo Aké Gilbert-Marie, élu à ce poste en mai 2010, à
la tête de l’Université de Cocody, déporté alors, à la prison de Boundiali, et
celui du Professeur Gourene Germain élu dans la même période à la présidence de
l’Université d’Abobo-Adjamé.
Et pourtant ces présidents avaient été élus à la tête
de ces institutions conformément aux dispositions de la loi n° 95-696 du 7
septembre 1995 relative à l’enseignement et ses décrets d’application, résultat
de la bataille de haute lutte menée et gagnée par les enseignants et chercheurs
regroupés au sein du Syndicat National de la Recherche et de l’Enseignement
Supérieur (SYNARES). En effet à travers cette lutte, les enseignants et les
chercheurs, refusaient dorénavant la nomination par le gouvernement à la tête
des universités, de personnalités à la solde du pouvoir étatique, dont les
actions n’étaient pas toujours en phase avec les intérêts des établissements
d’enseignement supérieur et de recherche. Ils avaient donc proposé et obtenu,
en accord avec le gouvernement, de désigner eux-mêmes, par voie d’élections,
les dirigeants des universités.
En décidant de nommer aujourd’hui les présidents des
universités, le gouvernement remet gravement en cause le principe de leur
élection et par conséquent la loi l’instituant de façon arbitraire et
autoritaire, nous ramenant ainsi à l’ère du parti unique.
Des morts dont on ne parle pas
On nous répète à souhait, le nombre de morts issus de
la guerre de Monsieur Ouattara que ses protecteurs ont imposée à la Côte pour
s’emparer du fauteuil présidentiel, pourtant dévolu à Laurent Gbagbo au terme
de la loi. On entend souvent parler de trois mille morts (3000), sans jamais
préciser qui étaient ces morts et comment cette macabre comptabilité a été
réalisée. Et s’il y avait plus de 3000 morts, et ce n’est pas la force LICORNE
et l’ONUCI qui nous contrediront. En effet, des témoignages dignes de foi,
rapportent que la colonne de près de 80 chars français et onusiens qui sont
partis depuis le siège de la force française au 43ème Bataillon d’Infanterie de
la Marine à Port-Bouët au Sud d’Abidjan, pour aller faire le siège de la
résidence du Chef de l’Etat, qu’on a appelée pompeusement bunker n’a pas fait
dans le détail. En effet, sur leur passage, les soldats français, aidés de
leurs supplétifs de l’ONUCI, aspergeaient sur près de 10 kms de trajet, des
milliers de jeunes massés pour faire un bouclier humain à leur champion Laurent
Gbagbo, avec un curieux liquide, qui dès qu’il touchait la peau provoquait la
mort presqu’instantanément. Il y avait dans ce cortège macabre, un camion
frigorifié de l’ONUCI, qui se chargeait de ramasser les corps sans vie de ces
jeunes aux mains nues. Combien y en avaient-ils réellement ? Monsieur Alassane Ouattara
et ses commanditaires devront répondre un jour ou l’autre à cette question.
D’ailleurs, ces crimes-là, le procureur Koffi Simplice
les a confirmés lorsqu’il a visité la prison de Bouna à l’issue de notre
première audition, au mois de juin 2011. En effet il nous racontait qu’il y
avait de nombreux corps dans la cour de la résidence du Président Gbagbo lors
de sa visite des lieux après l’arrestation du 11 avril. Les corbillards,
disait-il, ont dû faire beaucoup de voyages pour ramasser les dépouilles.
Et que dire des centaines d’étudiants tombés sous les
obus que l’armée française et l’ONUCI ont lancés entre le 30 mars et le 11
avril 2011 sur le campus universitaire de Cocody, supposé être le fief des «
miliciens de Gbagbo ». Je me souviens encore de la conversation téléphonique
que j’ai eue avec l’un de mes étudiants qui me disait « vieux père, nous sommes morts,
l’armée française est entrain de lancer des obus sur nous, je vais me chercher
». Après, j’ai essayé en vain de le rappeler ; depuis, je n’ai plus eu
aucune nouvelle. Un autre étudiant, en médecine m’a rapporté des scènes
d’horreur où les soldats de Ouattara poursuivaient les rescapés de la tuerie du
campus de Cocody pour les achever à coup de couteaux ou de mitraillettes.
Certains sont même allés jusqu’à achever des blessés sur les lits d’hôpitaux au
Centre Universitaire de Cocody, sous les yeux du personnel soignant. Cet
étudiant qui aidait justement à soigner lesdits blessés a d’ailleurs été enlevé
par ces fous, et il a échappé à une exécution grâce à l’intervention diligente
de la section OMS Côte d’Ivoire, pour le compte de laquelle il se trouvait au
CHU.
Aujourd’hui, nous attendons la comptabilité de ces
étudiants disparus. La guerre de Ouattara n’a pas encore livré tous ses
secrets, attendons pour voir, parce que l’arbre de la communication médiatique,
à la limite du cynisme, ne cachera pas indéfiniment cette forêt de massacres
perpétrés par la soif de sang et de pouvoir d’un seul individu.
La réhabilitation des universités : que cache-t-elle
réellement ?
Après plus d’un an et demi de travaux, qui ont coûté
110 milliards de francs CFA, soit 167 millions d’euros aux contribuables
ivoiriens, contre 60 milliards de francs CFA, soit environ 91 millions d’euros,
annoncés initialement, les universités publiques de Côte d’Ivoire ont été
officiellement ré-ouvertes le 03 septembre 2012 après près de deux ans de
fermeture, une première du genre dans l’histoire de la Côte d’Ivoire.
Malgré tout le battage médiatique qui a été fait
autour de cet évènement, cette gabegie financière, n’a pas été à la hauteur des
attentes des usagers et des partenaires de l’institution universitaire. En
effet, ce fût des amphithéâtres et des salles de travaux dirigés et des salles
de travaux pratiques non équipés qui furent livrés. Le Ministre Bacongo a été
fortement soupçonné de détournement de deniers publics, même s’il s’en défend
timidement et sans convaincre.
Mais l’objet de notre propos ici c’est de nous interroger
sur la précipitation suspecte avec laquelle se sont engagés ces travaux. En
effet comme nous l’avons signalé plus haut, l’université de Cocody à l’instar
de celle d’Abobo-Adjamé a été bombardée par des obus de l’ONUCI et ceux de la
Force Licorne. Des hommes et des femmes, pour l’essentiel des étudiants ont
péri ou sont portés disparus, sous le nez et la barbe des organisations de
défense des droits de l’homme. Et contre toute logique, aucune enquête
préalable n’a été diligentée avant d’entamer ces fameux travaux de
réhabilitation. Que cherchait-on à effacer ou à cacher ? J’ai entendu dire que
le gouvernement de Monsieur Ouattara avait demandé l’exhumation des corps des
victimes de la crise postélectorale. Il faudra donc, « aller jusqu’au bout »
des exhumations de corps, en allant le faire aussi sur les campus et les
résidences universitaires, dans les villages et villes de l’ouest de la Côte
d’Ivoire, dans le village d’Anonkoua Kouté, etc.. Oui, les corps il y en a à
exhumer, et cela prendra le temps que ça va prendre, Ouattara ne pourra pas
échapper à cette échéance.
Balou Bi Toto Jérôme, enseignant-chercheur, ancien
secrétaire général de l’Université de Cocody, ancien président du Réseau africain
des secrétaires généraux des Universités francophones (RASGUF), ancien
prisonnier du goulag de Monsieur Alassane Ouattara à Bouna.
(Titre original : « Côte d'Ivoire : Ces
morts de la Crise ivoirienne dont personne ne parle, par le Professeur BALOU BI
Toto Jérôme. »)
en maraude dans le web
Sous cette
rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne
seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu
qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et
des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à
faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la
« crise ivoirienne ».
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