Carte de l'Afrique du Sud des années 1981-1994 présentant les 4 provinces sud-africaines
et les 4 bantoustans indépendants du Transkei, Ciskei, Venda et Bophuthatswana
et les 6 bantoustans autonomes, constitués en vertu de la séparation spatiale du grand apartheid.
(Source : Wikipedia
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Extrait de « L’Afrique noire au miroir de l’Occident » de Marcel Amondji, Editions nouvelles du Sud, Ivry, 1993 (pp. 198-200).
Loin des Amériques, et, cette fois, en Afrique même – le symbole n'en est que plus fort –, une minorité de Blancs a prétendu, que dis-je ?, prétend toujours renouveler sur une majorité de Noirs la prédiction de Tocqueville.[1] Mêlant les leçons de l'esclavage et de l'après-esclavage américains avec celles de la colonisation et de l'après-colonisation de l'Afrique, les descendants des Boers et des colons anglais ont transformé, depuis 1910, l'extrême-sud du continent africain en un vaste champ d'expérimentation où le racisme porté à son comble, en avilissant le plus complètement qu'il est possible la masse des autochtones noirs, doit exalter au maximum le petit nombre des Blancs.
Qui veut comprendre ce qu'il est advenu des Noirs en
Amérique n'a qu'à étudier la manière dont les choses se sont passées au pays de
l'apartheid au cours des quatre-vingts dernières années.
Avant la mainmise anglaise sur la région, moins de trois
cent mille Blancs, les descendants des employés de la compagnie hollandaise des
Indes orientales et des protestants chassés de France à la suite de la
révocation de l'édit de Nantes (1685), arrivés aux XVIe et au XVIIe
siècles, coexistaient tant bien que mal avec les peuples noirs de la région du
cap de Bonne-Espérance, qui avaient préservé leur indépendance malgré
l'agressivité des Boers, dont témoigne, rétrospectivement, le manifeste dit du
« Great Treak » proclamé en 1836 par Piet Retief.
L'arrivée des Anglais entraîna d'importants changements
dans cette situation. Dans un premier temps, elle affaiblit la capacité de résistance
des nations noires face aux Boers, tandis que se renforçaient la colonisation
et l'oppression nationale. Par la suite, après qu'un conflit
politico-économique entre les Anglais et les Boers eut dégénéré en une guerre
longue et indécise, les Anglais finalement vainqueurs et désireux de se
concilier les Boers vaincus, leur sacrifièrent les Noirs.
C'est ainsi qu'en 1910 Londres
accorda l'indépendance à la minorité blanche et institua pour elle un régime
exclusif, qui revenait à lui livrer tous les autochtones en esclavage,
puisqu'aussi bien ces derniers étaient formellement exclus de toute
participation à la vie politique et à la jouissance des bienfaits de la
civilisation dans l'Union d'Afrique du Sud ainsi créée.
Sitôt maître du pouvoir, le régime
blanc minoritaire institua une loi – Land Act (1913) – qui
attribuait aux Blancs (à l'époque, un million d'individus au total) les 87% du
territoire, n'en laissant aux quatre millions d'autochtones d'alors que 13%.[2]
Ainsi débuta le premier et le seul régime au monde qui appuie sur des lois
racistes la domination d'une minorité d'à peine quatre millions de Blancs aujourd'hui,
sur un peuple de plus de vingt millions d'âmes.
L'histoire de la formation de la population actuelle de la
République d'Afrique du Sud est, certes, différente de l'histoire du peuplement
du Brésil ou des Etats-Unis. Cependant, ici comme là-bas, la situation actuelle
des Noirs dans la société résulte de la même volonté de les rejeter et de les
maintenir dans une position d'infériorité perpétuelle.
Nulle part cette politique n'a été plus clairement, ni
moins hypocritement exprimée et exécutée qu'en Afrique du Sud. Là, pas de faux-fuyants,
pas de lois ambiguës permettant tout à la fois de se présenter aux autres
nations comme un pays démocratique offrant à tous ses citoyens des conditions
et des possibilités égales de promotion sociale et de participation à la vie
nationale, et d'exclure en fait les Noirs et les descendants de Noirs de la
société.
A part le cynisme, ou l'hypocrisie, selon la direction où
l'on regarde, le système sud-africain d'apartheid n'offre aucune différence
essentielle avec les systèmes d'exclusion des Noirs aux Etats-Unis et au Brésil
ou ailleurs, ni avec la discrimination raciale telle qu'elle fut organisée dans
les colonies d'Afrique par les puissances européennes du début jusqu'au milieu
de ce siècle. Jusque dans ses développements extrêmes, comme les bantoustans,
il est directement inspiré de ses grands devanciers. Que dis-je ? Parfois,
c'est à se demander qui a imité l'autre. Quelle différence y a-t-il entre le principe
des bantoustans et celui des néo-colonies de l'ex-Afrique française, par exemple,
qui ont drapeau, armée et hymne national, etc., mais qui continuent notoirement
d'être régentées depuis Paris ? Or, le Group Areas Act au principe de
la création des bantoustans date de 1950, soit six ou sept ans avant la
loi-cadre Defferre...
A la différence des faux Etats souverains nés de cette
loi-cadre, aucun des bantoustans n'a été reconnu à ce jour par les nations comme
un Etat digne de ce nom. Mais, à défaut d'obtenir la reconnaissance
internationale de ses créatures, le régime raciste lui-même n'a guère à se
plaindre de sa position auprès des principales puissances occidentales, ni à
craindre de leur part, dans l'état actuel des forces en Afrique et dans le
monde, un traitement du genre de celui qu'elles appliquent à Cuba, à la Libye,
à l'Iraq et à la Yougoslavie...
On s'en aperçoit en constatant l'empressement mis à lever
les sanctions économiques déjà peu contraignantes sous prétexte que le régime
raciste a démantelé, verbalement, quelques symboles du racisme institutionnel,
alors même qu'il est évident qu'il ne s'agit que de jeter un peu de poudre aux
yeux du monde, tandis que l'apartheid demeure en place avec ses méthodes
répressives et le gouvernement d'une minorité agressive déterminée à imposer sa
loi et son ordre à la majorité noire.
On ne peut comprendre les raisons de cette complaisance
devant tant de crimes honteux si on ne voit pas que le régime d'apartheid même
amendé – et surtout s'il est amendé – est le prolongement historique exact du
contrôle absolu que quelques pays européens exerçaient directement naguère, et
qui leur a échappé à partir de 1960. C'est, en quelque sorte, l'antidote de
l'indépendance du continent. Soutenir l'Afrique du Sud dominée par la minorité
blanche, c'est, au sens propre, poursuivre la colonisation de l'Afrique noire
par d'autres moyens.
[1] - Voir A. de
Tocqueville, « De la démocratie en Amérique » : « Ceux qui espèrent que les Européens
se confondront un jour avec les nègres me paraissent… caresser une chimère. Ma
raison ne me porte point à le croire, et je ne vois rien qui me l’indique dans
les faits. Jusqu’ici, partout où les blancs ont été les plus puissants, ils ont
tenu les nègres dans l’avilissement ou dans l’esclavage. Partout où les nègres
ont été les plus forts, ils ont détruit les blancs ; c’est le seul compte
qui se soit jamais ouvert entre les deux races. »
[2] - A l'origine, le « Natives' Land
Act » ne réservait que 7,3% des terres aux Noirs. Ainsi, « En se réveillant le vendredi matin, 20 juin 1913, l'indigène
d'Afrique du Sud s'est trouvé dans la position, non pas tant d'un esclave, que
d'un paria sur sa propre terre natale » (Sol T. Plaatje, Native Life in
South Africa, cité par P. Haski, L'Afrique blanche, Seuil, 1987, p.
32).
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