samedi 31 mai 2014

TU AS HÂTE QUE ÇA FINISSE...

Voyageurs, près d'un marché, quelque part en Côte d'Ivoire
Je m’adresse à toi Djédjé, à toi Sery, à toi Koutouan, à toi Gnomblehi, à toi Péhé, à toi Gonto, à toi Esmel, à toi Degny, à toi Mélèdje, à toi Adiko, à toi Mobio, à toi Yapo, à toi Adia, à toi Niamkey, à toi Amoikon, à toi Akassimandou,  à toi N’Guettia, à toi Dongo, à toi Gbané, à toi Timité, à toi Konan, à toi Yobouet, à toi Zamblé, à toi Silué, à toi Yéo, à toi Coulibaly, à toi Koné, à vous dignes fils et filles de Côte d’Ivoire.
Frédéric Djédjé, depuis avril 2011 tu as perdu ton emploi;  tu n’as plus de biens matériels, tout a été pillé par les FRCI. Ton frère cadet, diplômé de l’université et devenu gérant de cabine téléphonique, a été lâchement assassiné, pris pour un milicien pro-Gbagbo. Ta femme n’est plus couturière, car tout son matériel de travail a été emporté un matin par des hommes en arme. Tes enfants ne vont plus à l’école, ne mangent plus à leur faim.  Tu as hâte que ça finisse. 
Isidore Sery, après le 11 avril 2011 ton village a été saccagé parce que tu passes pour un militant très dynamique du FPI. Ils te soupçonnaient d’y avoir caché des armes. Plusieurs jours durant, tous les habitants de ce village ont subi le martyre, ils en portent encore les stigmates. Aujourd’hui, tu n’es même pas capable de changer tes sandales usées. Tu as hâte que ça finisse. 
Marguerite Koutouan, tu es de Yopougon Kouté, la terre d’Abidjan, théâtre de tant d’atrocités depuis avril 2011, t’appartient. Tu as beau maudire ceux qui la souillent fréquemment du sang des Ivoiriens, ils continuent de sévir. Tes boules d’Abodjama que tu écoulais chaque soir en deux temps trois mouvements, veillent dans ta cuvette. Les rares clients qui s’arrêtent à ton étal les trouvent hors de prix. Tu n’es plus en mesure d’acquitter les frais de scolarité de tes deux enfants. Tous tes wax sont usés, et tu es incapable de renouveler cette garde-robe chèrement acquise.  Tu as hâte que ça finisse. 
Gaston Gnombléhi, Élisabeth Péhé, Pierre Gonto, vous dignes enfants de l’Ouest ivoirien. Vous dont les familles ont été décimées. Vous qui avez versé sur le corps de vos parents massacrés toutes les larmes que vous avez pu. Et qui porterez toujours ce deuil et certainement bien d’autres, tant que la terre de vos aïeux n’aura pas été débarrassée de tous ces envahisseurs porteurs d’armes et de gris-gris, qui l’écument. Vous avez hâte que ça finisse. 
Jacques Esmel, valeureux fils de Dabou. Ton patronyme est politiquement connoté. Les FRCI t’ont toujours pris pour un milicien FPI. Cela t’a valu d’être à plusieurs reprises conduit « au poste ». Les zébrures que porte ton dos clair, jointes à la mendicité à laquelle tu es réduit, t’arrachent régulièrement des sanglots.  Tu as hâte que ça finisse. 
Christophe Degny,  Jean-Baptiste Mélèdje, Pascal Adiko, Jules Mobio, Serges Adia, vous souffrez du même délit patronymique que Jacques Esmel. Dans l’imaginaire de ceux qui règnent aujourd’hui sans partage sur la Côte d’Ivoire, vos parents et vous êtes sans conteste des militants du FPI. Des militants de première heure.  Vous n’avez pas voulu prendre le chemin de l’exil, contrairement à des membres de vos familles et à la plupart de vos amis. Mais vous vivez un exil intérieur, vous vous cachez d’eux pour vivre. Vous avez hâte que ça finisse.
Jean-Marie Niamkey, tu étais un homme d’affaires prospère. Depuis de nombreuses années, les cabinets ministériels constituaient l’essentiel de ta clientèle. Tu étais un fournisseur envié. Dès la mise en place du premier gouvernement Ouattara, aucun DAAF (directeur des affaires administratives et financières) n’a voulu traiter avec toi. Tu as dû te séparer de la quasi-totalité de ton personnel. Tes deux enfants qui étudiaient au Maroc sont retournés au pays. Ils sont sans occupation et tu en pleures constamment. Tu as hâte que ça finisse. 
Georges Amoikon, tu étais un étudiant brillant, et tu as toujours rêvé de décrocher un Ph. D. Cela fait deux ans que tu souffres de ne pas pouvoir terminer ta maîtrise en physique. Parce que c’est la condition posée par une université de renom pour t’offrir une bourse doctorale. Ton frère aîné qui aurait pu te permettre d’aller étudier ailleurs, n’est désormais plus qu’un simple employé après le poste de directeur qu’il occupait. Il est victime du rattrapage ethnique. Tu as hâte que ça finisse. 
Michel Akassimandou, après de brillantes études aux États-Unis, tu as décidé en 2009 de revenir t’installer en Côte d’Ivoire. Tu avais, dès ton retour, créé une PME plutôt prometteuse. Tu avais fait le choix de construire des logements pour les Ivoiriens. Tu voulais surtout que ceux de la diaspora aient chacun un toit au pays. Belle initiative en vérité que celle-là! Malheureusement, il y a eu avril 2011, et les 5000 Ivoiriens qui t’avaient fait une promesse ferme n’ont plus donné signe de vie. Finalement, tu as mis la clé sous le paillasson. Tu es souvent partagé entre le désir de retourner aux États-Unis et celui de rester pour participer à l’avènement d’un ordre nouveau en Côte d’Ivoire. Un ordre caractérisé par une sécurité tous azimuts, propice aux affaires.  Tu as hâte que ça finisse. 
Albert N’Guettia, en 2011, ta mère qui souffrait de diabète depuis belle lurette ne pouvait plus se soigner du fait de l’embargo sur les médicaments. Elle en est morte. Tu as perdu ton emploi de comptable il y a deux ans. Tes enfants et ceux de ton frère aîné (il figure au nombre des gendarmes assassinés à Bouaké par les rebelles de Guillaume Soro) ont interrompu leurs études. Toi aussi tu as hâte que ça finisse. 
Dominique Dongo, ton cas est pathétique. Tu étais au chômage depuis plusieurs années déjà. C’était grâce au petit commerce de ton épouse (elle tenait un maquis) que vous assuriez la pitance quotidienne chez vous, à Jérusalem (Yopougon). Mais ta femme t’a quitté un matin ennuagé de juin 2011. Une semaine après qu’elle a été violée par un groupe de rebelles. Toutes les médiations sont restées sans succès. Aujourd’hui, tu es très déprimé et amer.  Tu as hâte que ça finisse. 
Mariam Gbané et Aminata Timité. Vous, authentiques Ivoiriennes de Bondoukou, l’on vous confond avec les autres. Vos clientes du marché de Wassakara et de Niangon sud à gauche vous boudent depuis avril 2011. Elles ne daignent même plus jeter un coup d’œil aux condiments que vous leur proposez. C’est pourtant de ce commerce que vous tirez les revenus servant à subvenir aux besoins de vos familles respectives. Vous vous en êtes ouvertes à vos époux qui se sont contentés de lâcher : « Gbagbo kafissa ». Vous avez hâte que ça finisse. 
Charles Konan et Sébastien Yobouet. Au premier tour de l’élection présidentielle de 2010, votre choix était sans ambages : Henri Konan Bédié. Au second tour, l’un d’entre vous s’est abstenu et l’autre a accordé son suffrage à Alassane Dramane Ouattara. Naturellement, vous n’avez pas été touchés par le rattrapage ethnique, vous avez conservé votre emploi, vous occupez toujours votre poste de cadre. Pourtant, nombreux sont vos collègues qui ont été remerciés à partir de mai 2011, et vous savez très bien que ce n’est pas pour incompétence. Ni pour des raisons budgétaires. Puisque dans les structures qui vous emploient, le personnel a presque doublé en deux ans. Il arrive que cette situation vous révolte. Après tout, vos anciens collègues, devenus aujourd’hui mendiants, sont des Ivoiriens comme vous. Vous avez hâte que ça finisse.
Alphonse Zamblé, depuis 2004 tes parents à Vavoua ont été dépossédés de leurs plantations de cacao et de café qui leur permettaient de payer tes études. Tu as dû mettre un terme à celles-ci pour exercer le commerce de friperie. Mais un matin, les FRCI sont allés te chercher à ton domicile de Gbinta (Yopougon) au motif que tu serais l’un des initiateurs de l’«article 125». Pendant deux semaines tu as subi toutes sortes de tortures physiques dans un camp militaire. Tu y as laissé un œil. Mais cela n’a pas eu raison de ta détermination, de ton désir de voir un jour ou l’autre tes tortionnaires débarrasser le plancher. Tu as hâte que ça finisse. 
Yves Silué, Catherine Yéo, Salimata Coulibaly et Adama Koné. Vous êtes Sénoufo, Dioula, chrétiens et musulmans. Mais vous avez un dénominateur commun : tous les quatre vous êtes ressortissants du Nord ivoirien. Des politiciens en mal de thèmes mobilisateurs avaient agité l’ivoirité comme l’expression du rejet des Ivoiriens nordistes. Ce discours spécieux vous avait séduit et vous aviez accordé votre bénédiction à la rébellion qui a coupé notre pays en deux. Si aujourd’hui vous êtes bénéficiaires du rattrapage ethnique, vous ne perdez pas de vue que vous avez grandi, étudié et que vous travaillez dans la partie sud du pays. Vos compatriotes et amis originaires de cette zone ne vous fréquentent plus depuis 2011. Cela vous dérange énormément, et vous êtes devenus les chantres de la réconciliation nationale qui vous semble le cadet des soucis du côté du palais présidentiel. Vous avez hâte que ça finisse.
Vous et moi, nous avons tous hâte que ça finisse, mais nous nous demandons comment. Puisque les FRCI sont partout, le doigt sur la gâchette, prêts à défendre leur fétiche. En arrière-plan se trouve la force Licorne qui veille sur les intérêts français. Intérêts garantis par le bénéficiaire local des bombardements franco-onusiens d’avril 2011 et également bénéficiaire de la rébellion endossée depuis septembre 2002 par un certain Guillaume Soro, de triste réputation. 
Ce que nous ignorons, c’est que nous représentons une force redoutable, plus redoutable que les FRCI et la force Licorne. Il suffit que nous le voulions pour que ça finisse.
Ne commettons surtout pas l’erreur d’attendre les élections présidentielles de 2015 pour que ça finisse. Ça ne pourra finir dans les urnes que si nous avons la garantie que ces élections seront justes et transparentes. Ce dont je doute fort.
C’est à cette heure qu’il faut créer les conditions d’élections transparentes en 2015. La fin à laquelle nous aspirons tous se prépare de ce temps-ci. Dans le cadre d'une bonne transition que nous devons appeler de tous nos vœux.
Nous voilà prévenus !
Jacques K. Mian (1er juin 2013) 

 
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Source : Jacques K. Mian d’Anomathuepin (via Facebook)

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