Le mardi 28 décembre 2010, Didier Julia, député
« gaulliste » au long cours (1967-2012), était interrogé sur Kernews
à propos de la crise postélectorale ivoirienne. Interview.
Kernews : Tous vos collègues parlent de l’accrochage que vous auriez eu avec Michèle Alliot-Marie lors de la dernière réunion du groupe UMP de l’Assemblée nationale, quelques jours avant Noël… Que s’est-il passé ?
Didier Julia |
Didier Julia :
J'ai eu l'occasion, lors de la réunion du groupe UMP qui rassemble tous les
députés, en l'absence de François Fillon, de poser trois questions à Madame
Alliot-Marie, ministre des Affaires étrangères.
Ma première
question était de savoir pourquoi la France s'engage-t-elle au premier plan
dans un problème de politique intérieure qui concerne la Côte d'Ivoire ?
La deuxième
question : pourquoi le gouvernement français envisage-t-il de prendre des mesures
de rétorsion à l'égard de l'entourage du président sortant de Côte d'Ivoire,
qui serait à Paris, en leur retirant leurs visas et leurs passeports, alors que
cela peut mettre en danger les 15000 Français qui sont en Côte d'Ivoire et qui
subiraient la même procédure ?
La troisième
question : si les soldats français devaient ouvrir le feu sur des Ivoiriens
pour un problème de politique intérieure ivoirienne, ce serait une abominable
image pour la France, un recul de 50 ans, époque de la canonnière de la
colonisation. Au XXIème siècle, ne serait-ce pas vraiment une régression du
point de vue historique ?
Ces trois
questions ont suscité une colère extrêmement violente de Madame Alliot-Marie et
cela m'a beaucoup étonné de la part d'un ministre qui se présente comme étant
de tradition gaulliste.
Le fait pour la
France de s'identifier à la position américaine, qui est anti Gbagbo, parce
qu'ils n'ont jamais pu conquérir les marchés de Côte d'Ivoire, ce n'est pas une
position gaulliste. La position gaulliste, c'est d'abord le respect des pays et
de leur indépendance. Ensuite, nous ne sommes pas des supplétifs des Américains
dans la politique mondiale. J'ai été frappé par cette réaction passionnelle.
J'ai eu l'occasion de passer une note au premier ministre François Fillon en
lui disant que l'intérêt de la France et la morale en politique voulaient que
nous laissions les pays de l'Union africaine s'occuper de la Côte d'Ivoire et
que ce n'était certainement pas à l'ancienne colonie d’imposer son point de
vue. Le premier ministre partage tout-à-fait cette approche du problème
ivoirien.
Selon certaines indiscrétions émanant de vos collègues, Michèle Alliot-Marie, en privé, aurait des doutes sur la sincérité du scrutin annoncé par l'ONU… Qu'en pensez-vous ?
Notre problème,
ce n'est pas d'être pro Gbagbo ou pro Ouattara… Nous nous interrogeons tous en
commission des affaires étrangères et je peux dire que l'opinion majoritaire,
de tous ceux qui s'intéressent au problème, est de dire qu'il y avait d’un côté
une commission soi-disant indépendante, qui était sous le contrôle des
Américains, en tout cas sous le contrôle des opposants au président Gbagbo et,
de l’autre, un Conseil constitutionnel dont on dit que ce sont des amis de
Monsieur Gbagbo, mais c'est quand même le Conseil constitutionnel… Par
conséquent, je connais le nord de la Côte d'Ivoire qui est entre les mains de
chefs de guerre qui pratiquent, comme chacun sait, le racket sur le coton et le
diamant, et il était impossible aux populations qui sont sous leur tutelle de
voter autrement que ce qu'elles ont voté. Donc, le problème de la légalité
discutable dans le Nord est un réel problème.
Nous avons reçu des témoignages précis d'assesseurs
représentant le candidat Gbagbo qui ont dû quitter le bureau de vote à 9 heures
du matin parce qu'on les menaçait avec une kalachnikov…
Oui, au sein de
la commission indépendante aussi, il y avait deux assesseurs représentant le
candidat Gbagbo, contre dix, et ils ont aussi fait l'objet de menaces. Par
conséquent, les conclusions de la commission indépendante posent vraiment un
problème. Mais je n'en veux pas à Michèle Alliot-Marie. C'est une femme pour
laquelle j'ai de l'amitié et une certaine admiration. Ce qui m'inquiète plutôt,
c'est qu'elle incarne une tradition gaulliste et, si son attitude l'amenait à
soutenir aveuglément le point de vue américain et à ne pas respecter la réalité
du scrutin pour des raisons qui m'échappent, eh bien, je dis que son image en
pâtirait.
Comment analysez-vous l'influence des médias sur ce
dossier ? Il n'y a aucune explication précise sur le fond de l'affaire, on
n’entend aucun discours contradictoire, mais une dialectique de guerre et de
diabolisation…
Les médias
agissent de la même façon dans tous les domaines. Tout le monde a hurlé contre
Éric Woerth en le qualifiant d’escroc, de voleur, de menteur, de truqueur, de
profiteur… Aujourd'hui, plus personne n'en parle. Lorsqu'ils s'apercevront tous
qu’ils se sont trompés, il y en a pas un qui aura l'honnêteté de le dire. Il y
aura une petite ligne disant que Monsieur Woerth n'était finalement pas
concerné par les problèmes sur lesquels il était critiqué. J'ai connu cela à
propos de l'affaire irakienne : ils se sont déchaînés contre nous pendant dix
jours ! Le procureur général et les juges ont conclu que l'accusation de
collusion avec une puissance étrangère pour intenter aux intérêts fondamentaux
de la France était une affaire purement ubuesque et sans fondement. Nous avons
été totalement relaxés et nous avons eu droit à trois lignes dans les journaux…
Regardez, toute la presse s'est déchaînée sur le problème des retraites. A
l'étranger, certains pensaient que la France était sens dessus dessous et que
c'était la révolution dans la rue… Tout le monde nous interrogeait sur le
désordre de la société française et plus personne ne parle des retraites
aujourd'hui ! Dans la presse française, tout le monde va dans le même sens et,
lorsqu'ils feront marche arrière, on va passer à autre chose…
Alors, faisons un peu de prospective, car chaque
opération de désinformation qui a été entreprise a des conséquences sur une
décennie. La conséquence de la première guerre du Golfe a été l'émergence de
l'islamisme radical et des attentats du 11 septembre 2001…
C’est vrai…
C’est vrai…
La deuxième guerre a entraîné le massacre des
chrétiens d'Irak et d'Orient, qui doivent fuir leurs pays respectifs…
Oui…
Alors, quelles seront les conséquences de cette
affaire ivoirienne ?
J'ai dit à
Michèle Alliot-Marie que si nous continuons dans cette voie, les Français
seront tous remplacés par les Chinois, les Brésiliens, les Indiens, et la
France disparaîtra de l'Afrique. C'est très dommage. J'ai aidé le président
Sarkozy à être élu, je soutiens son action réformatrice très méritante en
France, mais je ne peux pas suivre une politique mondiale lorsqu'elle met en
cause l'influence et la crédibilité de la France dans un continent, surtout
l'Afrique, qui est le continent d'avenir. En 2050, l'Afrique sera plus peuplée
que la Chine. C'est un continent en pleine expansion économique, qui est en
train de s'organiser, dont les ressources sont considérables, et c'est vraiment
un continent d'avenir. La France risque de se couper pendant longtemps d'un
pays d'avenir. Si cela s'amplifiait, ce serait une grave régression.
Propos recueillis par Yannick Urrien - KERNEWS 29 décembre 2010
Titre original : « Les langues
se délient a l'UMP sur la crise ivoirienne »
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compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne
».
Source : La voix
du peuple (Congo)
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