samedi 10 mai 2014

Quand, fidèle écho des pires colonialistes français, Houphouët prêchait la tolérance vis-à-vis de l’apartheid et traitait l'ANC d’« organisation déstabilisatrice »…

Conciliabule...
Chirac, Houphouët et Foccart à Yamoussoukro
A l’occasion des élections législatives remportées haut la main par l’ANC, retour sur ce que le glorieux fantoche confiait, en 1986, au journaliste Robert Lacontre du Figaro. 

 
Le vieux sage de l'Afrique est formel :
• C'est Moscou qui sème le trouble. C'est précisément parce qu'il y a des progrès pour éliminer l'apartheid que le Kremlin cherche à tout faire exploser.
• Les sanctions économiques des Occidentaux sont une erreur tactique. A la vérité, personne n'en veut.
• La seule solution pour faire pression sur Pretoria, c'est le dialogue.
 
Il est difficile de rester serein au milieu de cette marée de désinformation dès qu'il se passe quelque chose en Afrique du Sud. A commencer par M. Fabius pris en flagrant délit de mensonge.
En effet, comment croire qu'il n'est pas parfaitement au courant du rôle que jouent dans cette orchestration les taupes russes et les agents d'influence de Moscou. Pourrait-il souhaiter que l'Afrique du Sud explose pour devenir une base soviétique comme l'Ethiopie, le Sud-Yémen et la moitié de l'Angola ?
Soyons clair :
1. L'apartheid est infâme, inique. Il a été créé par l'histoire comme beaucoup d'autres choses infâmes et iniques. Il doit disparaître.
2. L'apartheid existe ailleurs. Croyez-vous que les Soviétiques ont supprimé le pass ? Que les quatre-vingts millions de musulmans de l'U.R.S.S. et les autres minorités non russes peuvent habiter tout tranquillement en Moscovie ?
3. Faut-il croire qu'une ingérence caractérisée dans les affaires intérieures sud-africaines (les ingérences sont condamnées par l'O.N.U.) puisse ne pas compliquer le problème, durcir la position des plus durs et finalement jouer dans le sens contraire, au moment même où on percevait les premiers signes positifs de cette trop lente évolution ?
4. Reste que l'apartheid est une arme de choix pour ceux qui veulent détruire nos sociétés libres et libérales. Elle permet avant tout de camoufler les vrais problèmes géopolitiques. L'objectif soviétique est pourtant clair : utiliser tous les mouvements « touche pas à mon pote » pour semer le trouble, faire exploser le régime actuel et porter au pouvoir les agents de Moscou.
5. En ce qui concerne notre pays, il serait privé immédiatement de l'uranium sud-africain qui sert à notre force de frappe nucléaire et à nos centrales atomiques, ainsi que des matières premières dites stratégiques et du charbon. C'est pourquoi les prises de position de cette France boiteuse, mi-socialo-marxiste, mi-libéralo-dirigiste, semblent particulièrement illogiques. En effet, elle est encore à l'avant-garde de ceux qui réclament des sanctions économiques contre Pretoria et de ceux qui continuent à vouloir donner aux autres des leçons de morale.
Nous sommes allés interroger à ce sujet le vieux sage de l'Afrique, Félix Houphouët-Boigny, qui n'a pas l'habitude de mâcher ses mots.
 
Robert Lacontre - Le Figaro Magazine 21 juin 1986
 
 
Le Figaro-Magazine. Que pensez-vous, monsieur le Président, de la situation actuelle en Afrique du Sud ?
Félix Houphouët-Boigny. II y a toujours eu des différends entre les hommes. Il n'y a pas trois façons de les régler, mais deux : le recours à la force ou le recours à la négociation, c'est-à-dire au dialogue. Le dialogue, pour nous, n'est pas l'arme des faibles, au contraire. Si par malheur le dialogue ne permet pas de faire l'économie d'une guerre, alors celle-ci peut durer cent ans. Le recours à la force ne donnera rien. Il faut dialoguer. Quand je l'ai dit dès 1965, l’O.U.A. m'a condamné à l'unanimité. Vingt ans plus tard, rien n'est résolu. Le sang a coulé, la haine s'installe. En cela, je rejoins Gandhi. Quand on croit à une vérité, il faut s'accrocher désespérément à cette vérité tant qu'il n'est pas prouvé que vous avez tort. Comment peut-on dire que vouloir la paix par le dialogue, c'est aller contre la vérité ? Rien ne peut résister au travail de la constance. L’eau qui tombe goutte à goutte perce toujours le plus dur rocher. 

Croyez-vous à une possible évolution ?
II est évident que Blancs et Noirs d'Afrique du Sud se trouvent confrontés à des problèmes difficiles. Les Etats-Unis eux aussi ont connu pendant trente ans (sic !) la discrimination raciale. Or, ces jours-ci, je viens de recevoir plus de trois cent cinquante maires de toutes les villes du monde et, parmi eux, les maires noirs de nombreuses grandes villes américaines. Qui aurait pu croire cela il y a quelques années ? 

Les sanctions économiques sont-elles la meilleure façon de faire pression sur le gouvernement sud-africain ?
II serait bon que le monde se penche sur ce problème avec réalisme. Les Blancs ont peur d'être rejetés à la mer. Les sanctions contre l'Afrique du Sud ne font qu'envenimer le problème. Il y a déjà un progrès : l'apartheid s'effrite. C'est une réalité. Botha, qui est un modéré, est obligé de se battre. Dernièrement, il a eu du mal à prononcer un discours. Il s'est fait conspuer par la foule, pas par les Noirs, mais par les Blancs. Il y a des « faucons » parce qu'ils ont peur, et cette grande peur est soigneusement entretenue par les Soviétiques. Je ne crois pas à l'efficacité des sanctions. Ce ne sont que des mots. Il faut que l'on soit sincère. Connaissez-vous des Occidentaux, à commencer par les Etats-Unis, qui souhaiteraient voir l’influence communiste s'installer au Cap ? Jamais. Si on ne vous le dit pas, je le sais et je vous le dis. Je n'y crois pas. Si cette formule n'arrive à rien, alors je proposerai quelque chose... Personne en Afrique n'est favorable à ces sanctions. On en parle du bout des lèvres. En outre, de telles mesures frappent surtout les pays africains limitrophes de l'Afrique du Sud. 

On parle de relations diplomatiques possibles entre la Côte d'Ivoire et l'Afrique du Sud.
On verra plus tard... 

Ne serait-ce pas faire l'autruche que de ne parler que de l'apartheid en Afrique du Sud ?
Évidemment. L'apartheid existe partout. En particulier dans les pays arabes où les minorités noires sont brimées, opprimées et même persécutées, ainsi que dans certains pays sub-sahariens où sévit le système des castes (et l'Inde ?). Ce système fait que des sous-hommes, les forgerons, les bijoutiers, les cordonniers, ne peuvent pas marier leurs fils, même diplômés d'université, à des femmes dites nobles. Il faut prendre les hommes tels qu'ils sont et non pas tels que nous voudrions qu'ils soient... Il faut donc balayer devant nos propres cases. 

Et Mandela ?
Dans les pays sous-développés il y a de nombreux prisonniers politiques. Est-ce que vous en connaissez beaucoup qui auraient laissé Mandela bénéficier de vingt ans de survie ? 

L'A.N.C. est-il une organisation anti-apartheid ?
C'est une organisation déstabilisatrice. Les Russes emploient tous les moyens qui leur semblent bons pour déclencher le désordre et entretenir la pauvreté. Les hommes heureux se détournent toujours du communisme. 

Comment expliquez-vous que deux millions de Noirs des pays marxistes limitrophes se sont réfugiés au pays de l'apartheid ?
La misère. Il y a même plus de 300.000 de nos frères qui travaillent en Afrique du Sud pour survivre. 

L'apartheid nuit-il au développement de l'Afrique ?
II est évident que nous dénonçons l'apartheid. Cela nous révolte. Mais ce n'est pas le problème majeur de l'Afrique. Le problème majeur, c'est le développement. Vous me demandez si l'apartheid retarde le développement, je vous réponds : non ! Il faut le combattre par le dialogue. Il faut savoir que, sans le communisme, on aurait déjà trouvé une solution. 

Propos recueillis par Robert Lacontre
Titre original : « Afrique du Sud : une interview exclusive de Félix Houphouët-Boigny sur l’apartheid » 

 
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Source : Le Figaro Magazine 21 juin 1986

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