Toute
démocratie repose sur quatre colonnes ; il s’agit des quatre pouvoirs distincts
et indépendants qui ne doivent avoir pour feuille de route que la Constitution
dont s’est dotée la nation, en vue de la paix sociale. Les quatre pouvoirs sont
le pouvoir exécutif soumis, en quelque sorte, aux décisions du peuple adoptées
par leurs représentants (les députés) qui constituent le pouvoir législatif. Le
pouvoir judiciaire doit, quant à lui, rendre la justice conformément à cette
maxime : « Tous les citoyens sont égaux devant la Loi ». Le quatrième pouvoir
est la liberté de la presse qui encourage dans tout pays démocratique la
liberté d’opinion et d’expression, la libre communication. La pierre angulaire
de la liberté d’expression est la protection des sources d’information des
journalistes. A partir de ces principes fondamentaux, chaque année, Reporters
sans frontières établit un classement mondial des pays dits démocratiques.
Dans
les récents classements mondiaux la France occupe la 44e position
sur 178 pays, les États-Unis la 20e. En 2013, la Côte d’Ivoire a
occupé la 96e place sur 179 pays, dans un paysage politique où les
opposants croupissent, paradoxalement, dans les prisons. Pour comprendre les
raisons pour lesquelles la France et les États-Unis, deux « grandes démocraties
», occupent ces rangs peu honorables, il nous faut simplement mettre en
évidence le lien entre la presse de ces pays et les groupes de pression qui les
financent, dont l’État en France, car l’argent est le nerf de la guerre. De
nombreux journalistes ne sont pas libres d’exprimer leurs opinions, d’informer
correctement le peuple. Pour passer entre les mailles du filet de Reporters
sans frontières et faire croire, aux yeux du monde, que la liberté de presse
est respectée dans leur pays, de nombreuses nations dont la France et la Côte
d’Ivoire utilisent cette arme redoutable qu’est la propagande, l’art développé par Edward Bernays,
dont le but est de manipuler l’opinion dans un univers démocratique. Les
nouvelles, les faits politiques, sont présentés de manière partisane au monde.
Cet art est appelé « la fabrique du consentement », il vous enseigne comment
manipuler les foules, l’opinion en démocratie.
G.-A. Kieffer |
Bernays a réussi, grâce à ses méthodes peu orthodoxies, à
corrompre les grandes démocraties. L’une des méthodes abjectes fut, par
exemple, l’assassinat de Kieffer en Côte d’Ivoire, utilisé comme un cheval de
bataille de l’Élysée, pour faire du président Laurent Gbagbo un chef d’État peu
fréquentable. Après l’avoir arrêté et déporté à la Haye, les véritables
coupables de l’assassinat de Kieffer restent introuvables sous Alassane
Ouattara. Kieffer et la jeune Lepage ont en commun leur volonté de faire
éclater la vérité, de combattre donc la propagande politique. Si Kieffer
enquêtait sur la filière cacao qui a ses ramifications en France, Lepage avait
fini par s’installer dans le Sud-Soudan pour couvrir les faits que les autres
journalistes, agents de la propagande, ignoraient volontairement. Le parcours
de cette jeune française anticonformiste est élogieux. Dans un article que le
Figaro lui consacre, nous pouvons lire : « Camille
Lepage voulait aller là où personne n’allait ». Son témoignage est
bouleversant : « Je ne peux accepter que des tragédies humaines soient tues simplement
parce que personne ne peut faire d’argent grâce à elles ». Le
mot-clé est lâché ; le mot argent à l’origine des tragédies humaines en
Afrique.
C. Lepage |
Originaire
d’Angers, diplômée de l’université Southampton Solent en Angleterre, cette
jeune fille française morte dans la fleur de l’âge, à 26 ans, avait choisi de
s’orienter vers le journalisme indépendant, parce qu’elle s’était rendue compte
que la communication libre, l’information correcte au public est pratiquement
impossible au sein des grands groupes de presse où se pratique avec dextérité
l’art de Bernays. Il nous faut relever, à ce niveau, un aspect important de la
politique française en Afrique : les opérations militaires françaises durant
les crises que traversent la Côte d’Ivoire, la Centrafrique, etc…, ne sont pas
couvertes comme en Syrie, en Palestine, en Afghanistan et en Ukraine. Au Rwanda
des documents furent même brûlés par des diplomates français. L’armée française
est l’une des armées au monde qui assassine sans que les faits ne soient
couverts par la presse étrangère. Les journalistes, ou les français qui
flairent une piste qui met en cause cette politique étrangère disparaissent
aussitôt dans des conditions étranges.
P. Rémon |
Après
son passage à l’émission ivoirienne : « Raison d’État », Philippe Rémon, un ressortissant français, professeur
agrégé de sciences industrielles à l’Institut national polytechnique Houphouët-Boigny
de Yamoussoukro, fut l’objet de menaces. Tué durant l’avancée sur Abidjan des
soldats français et des groupes armés à la solde d’Alassane Ouattara, cet homme
semble être ignoré par la France parce qu’il soutenait que son pays n’informait
pas correctement ses citoyens sur la crise ivoirienne. A une interview réalisée
par Kouassi Maurice et Bamba Mafoumgbé, il tint ces propos : « Je suis
scandalisé que des pays comme la France et les USA, pour lesquels la
Constitution est une loi sacro-sainte, qui n’accepteront pas qu’on touche une
virgule de celle-ci, se permettent de se livrer à des déclarations et des actes
qui foulent aux pieds la Constitution ivoirienne. Alors qu’à partir du moment
où les résultats de l’élection présidentielle ont été proclamés dans les
conditions requises par le Conseil Constitutionnel, personne n’a le droit de
contester cette décision irrévocable. Et je dis que la France et les USA se
comportent comme des États voyous ».
A ce
témoignage sur la crise ivoirienne s’ajoute celui tardif du député UMP Didier
Julia sur Ivoirebusiness.net : « J’ai eu l’occasion […] de poser trois questions à
Madame Alliot-Marie, ministre des Affaires étrangères. Ma première question
était de savoir pourquoi la France s’engage-t-elle au premier plan dans un
problème de politique intérieur qui concerne la Côte d’Ivoire. La deuxième
question pourquoi le gouvernement français envisage-t-il de prendre des mesures
de rétorsion à l’égard de l’entourage du président sortant de Côte d’Ivoire qui
serait à Paris, en leur retirant leurs visas et leurs passeports […] La troisième
question : si les soldats français devaient ouvrir le feu sur des Ivoiriens
pour un problème de politique intérieure ivoirienne, ce serait une abominable
image pour la France. Un recul de cinquante ans […] Au XXIe siècle,
ne serait-ce pas vraiment une régression du point de vue historique ? Notre
problème, ce n’est pas d’être pro-Gbagbo ou pro-Ouattara […]. Je connais le
Nord de la Côte d’Ivoire qui est entre les mains des chefs de guerre qui
pratiquent, comme chacun sait, le racket sur le coton et le diamant […]. Donc
le problème de la légalité discutable dans le Nord est un réel problème […]
j’ai dit que si nous continuons dans cette voie, les Français seront tous
remplacés par les Chinois, les Brésiliens, les Indiens, et la France
disparaîtra de l’Afrique […] ».
Ainsi, en février 2011, à l’initiative de ce dernier, trois députés français
décidèrent de se rendre à leur frais en Côte d’Ivoire pour rencontrer les
acteurs de la crise mais ils furent bloqués par Nicolas Sarkozy, qui les
empêcha de sortir de la France.
Le
témoignage et le courage des Kieffer, Lepage et Philippe Rémon,
ainsi que leur assassinat, invitent les démocrates ivoiriens à comprendre qu’il
y a encore en France des hommes de bon sens, contrairement à ces Français qui
ont perdu la raison face au racket d’or et de diamant dans notre pays, prêts à
vendre même en France, pour un peu de dollars, l’air qu’il respire, en
rejetant, par exemple, la politique des écologistes, même s’ils savent qu’ils
seront condamnés à mourir asphyxiés. Nous nous inclinons devant les dépouilles
de ces valeureux Français tombés après avoir interpellé les autorités d’une
France loin d’être démocratique. La crise ivoirienne a démontré que l’exécutif
français s’est toujours fourvoyé dans les méandres des intérêts politiques, en
prônant dans notre pays l’usage de la force et non le bien fondé des valeurs
démocratiques.
Que
dire de la liberté de la presse, ce quatrième pouvoir, qui a connu une profonde
mutation pour devenir simplement de la propagande, du marketing politique ?
Quelle analyse pourrait-on aussi faire, dans un tel contexte politique, du film ivoirien « Run » classé à Cannes
dans la catégorie « un certain regard » ? Nous nous limiterons à deux questions
fondamentales que se pose toute critique objective des œuvres de l’esprit : « Qui est le
commanditaire du film "Run" ? Quel est son contexte historique ? »
Selon
l’AIP, « le film intitulé "Run" a en effet été coproduit par le ministère de la
Culture et de la Francophonie grâce au Fonds de soutien à l’industrie
cinématographique (FONSIC) et a été réalisé par l’Ivoirien Philippe Lacôte ».
L’œuvre étant coproduite, nous avons pratiquement deux commanditaires : le
réalisateur et le régime d’Abidjan, d’Alassane Ouattara. Le contexte historique
est la crise ivoirienne que nous n’avons pas encore traversée. Le fait que le
régime d’Abidjan soit aussi le commanditaire de ce film qui concilie fiction et
faits historiques nous invite à nous demander objectivement, si cette œuvre
s’inscrit dans la liberté d’expression et d’opinion ou dans le contexte de la
propagande de Bernays, pour manipuler l’opinion nationale et internationale. Quant
au contexte historique, nous considérons en effet qu’après l’intervention de
l’armée française dans la politique intérieure de notre pays, la Côte d’Ivoire
a reculé de 50 ans environ, selon les propos du député français Didier Julia.
L’œuvre de Michel Lacôte, au-delà de sa qualité artistique, devient forcément,
dans de telles conditions, une interprétation partisane de la crise ivoirienne,
et s’expose logiquement à des critiques acerbes, puisqu’elle court le risque de
tronquer la mémoire collective pour satisfaire son principal commanditaire : le
régime d’Abidjan.
En
février 1944 les nazis qui avaient occupé Paris imprimèrent des affiches rouges
pour faire passer, aux yeux de l’opinion nationale et internationale, les
résistants français pour des violents, des criminels. Cette affiche, qui était
une œuvre d’art s’inscrivait en fait dans la propagande nazie. La Côte
d’Ivoire dont la Constitution est bafouée, comme celle de la France à l’époque
du gouvernement de Vichy, voit à Cannes un film sur la « violence politique »
des partisans de Gbagbo, violence dont on ignore les origines puisque le film part
d’une fiction. Quand nous savons que les partisans de Gbagbo luttent toujours
pour la légalité constitutionnelle dans leur pays, nous nous demandons quelles
sont les intentions du commanditaire principal du film ivoirien « Run »
qui a déporté à la Haye le président Gbagbo.
A vous d’en juger en toute
objectivité.
Isaac Pierre Bangoret (écrivain)
Titre original : "Camille Lepage, Kieffer, le film appelé "Run"
et la Démocratie française".
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de
provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre
ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou
l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu
informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des
mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source : eburnienews.net 19 mai 2014
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