mardi 6 mai 2014

La construction idéologique du « réalisme » houphouétiste ou le contentement du peu

Une contribution de Louis-Sévérin Anouma, économiste.  
Le "génie houphouétiste" n’a été que d’engager
des sommes pharaoniques à Yamoussoukro...
Après notre indépendance, certains ivoiriens se félicitaient de la transformation de leur pays sur le plan infrastructurel. Bon nombre, en comparaison avec les pays environnants, s’en gaudissaient et adoptaient un comportement suffisant. Avaient-ils cependant cherché à comprendre la logique qui sous tendait le développement de la Côte d’ivoire faisant d’elle une sorte de géant sous régional aux pieds d’argile ?
« Avez-vous visité nos voisins ? Nous au moins on a un peu ». Fallait-il donc se contenter de ce peu ou l’accroître et l’amener au stade de l’abondance ? Deux dynamiques opposées auxquelles se sont confrontées nos générations précédentes mais qui conservent tout leur intérêt d’autant plus que la notion du peu prête à équivoque.
Le peu au regard du moins que rien d’avant ou du chichement du voisin, tout en étant relatif, est générateur d’illusions tant ces termes sont synonymiques et représentatifs d’une situation intrinsèquement similaire.
Le contentement du peu ne peut donc sublimer. Il ne peut, tout au plus, qu’être un satisfécit à court terme. Il ne projette pas dans l’avenir.
Le contentement du peu n’édifie pas la société mais tend à la scléroser en maintenant sous le boisseau toute capacité émancipatrice. Aussi toute réflexion ou action visant à éclairer les concitoyens est-elle vite étouffée. Le contentement du peu est un cancer et il convient d’en éradiquer les résiliences sous toutes leurs formes.
Le contentement du peu et l’idéologie du « Grand chef »
L’attribut de Grand chef ou de toute vertu emblématique à un personnage voire à une personnalité politique, rime-t-il avec son bilan ? En principe ce qualificatif pompeux devrait s’examiner en termes de développement durable c'est-à-dire aux ressorts et dynamismes politiques, économiques et sociaux capables d’assurer un réel épanouissement aux générations suivantes.
Mais le contentement du peu ne serait-il pas, pour de bons nègres, de se satisfaire des miettes qui tombent de la table du riche.
Fier de sa condition, si l’esclave qui bénéficie de servitudes allégées se réjouit de la mansuétude de son maître, sa personnalité reste cependant liée à sa propre prise de conscience de sa situation ainsi que de celle de ses pairs.
Tel paraîtra mesquin et petit d’esprit en méprisant les autres ou en préservant jalousement ses acquis, tel autre apparaîtra responsable en permettant aux autres d’accéder à son niveau afin qu’ensemble ils puissent mettre un terme à la souffrance de leurs semblables.
Oui la Côte d’ivoire est en avance ? L’on était fier de se comparer au Togo, au Burkina et au Mali. Pourquoi ne pas nous comparer à la Corée ou à Singapour qui avaient en 1960, un niveau de développement semblable au notre ? Pourquoi alors le génie houphouétiste ne nous a-t-il pas engagés vers une dynamique plus audacieuse. En avait-il les moyens ? Etait-ce sa mission ?
Assurément non car engager la Cote d’Ivoire vers un réel développement n’était-il pas possible avec des hérauts de la colonisation.
Et toute réflexion faite, les colons après la phase de la répression, ouvraient celle de la collaboration (coopération) en laissant le soin aux potentats locaux de perpétuer l’état d’esprit de la dépendance.
C’est l’une des raisons pour lesquelles les régimes postcoloniaux étaient fantoches et ne subsistaient que grâce au soutien que leur apportait la France et nos Grand chefs bénéficiaient de toute l’attention des « blancs » aussi longtemps qu’ils excellaient de génie dans notre arrimage.
L’outrecuidance est à son comble quand certains, de génies novateurs, atteignent par la mystification, le stade de démiurges adulés par frénésie collective… Attention !!! Pas touche !!! Place aux contentés.
La perversité du contentement du peu
La conscience façonnée par une quarantaine d’années d’exaltation du Chef doté d’une intelligence exceptionnelle et d’une relative prospérité économique annihile les profiteurs du système de toute projection lumineuse, amnésiques qu’ils sont de la réalité historique de leur pays. Et certainement inconscients du fait que la structuration de notre économie était fonction des intérêts de la métropole et que la mise en valeur du territoire répondait à un objectif principal : l’approvisionnement de l’hexagone en matières premières indispensables.
Quoi de plus logique qu’après les indépendances, le développement des infrastructures, notamment routières, s’effectue en rapport avec celui des zones affectées aux cultures de rentes ? Que le déplacement à l’Ouest de la boucle du cacao entraine le développement de la côtière, du port de San Pedro, etc. ? Que le « V baoulé » ait peu bénéficié d’infrastructures car, excepté l’émigration vers les zones stratégiques, cette région ne présentait aucun intérêt pour les industries cacaoyères. Et qu’en dépit de toute logique économique, le génie houphouétiste n’a été que d’engager des sommes pharaoniques à Yamoussoukro.
C’est donc cette conscience étriquée du réalisme houphouétiste qui s’essaie ou s’évertue à rêver en prétendant, aujourd’hui plus qu’hier, avoir les moyens d’adopter une politique de rupture. Est-elle seulement ignorante qu’une telle option possède en son sein les germes de son non accomplissement ? Sait-elle qu’on ne reste pas dans les magnans pour les extirper ?
Stérile gesticulation intellectuelle car la Rupture c'est rompre avec les principes politique, économique et culturel qui sous-tendent l'assujettissement. Or l’houphouétisme nous y maintient. A l’horizon de l’émergence, tout ne serait-il pas diversion ?
En fait, ces adeptes d’une stratégie dépendantiste prônent la rupture en négociant une autre forme plus subtile de dépendance mais toute aussi infantilisante et toujours privative de libertés. Cela se traduit par ces doléances serviles : Bon maître pourrais-je obtenir quelques faveurs eu égard à mon comportement exemplaire ? Seriez-vous prêt à me permettre de souffler un tant soit peu pour mes bons et loyaux services ?
Doublement conscient que le développement est un projet idéologique et que les pays aujourd’hui émergents le sont au prix d’une profonde réflexion politique, l’Ivoirien imbu du panafricanisme touche, palpe l’houphouétisme au quotidien et digère mal sa propension à l’infantiliser. Il conçoit son avenir tout en s’interrogeant : Pourquoi se contenter du peu alors que plus d’audace, de rigueur et d’engagement conduiraient à un épanouissement certain.  

L.-S.ANOUMA

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