QUAND LA FRANCE ET L’ONU FONT PERDRE KIDAL AU MALI
Par Saouti
Labass Haïdara
(L’Indépendant 26 mai 2014)
Par milliers, les Maliens de tous bords politiques
et de la société civile ont alterné, ces jours-ci, sit-in et marches pour exprimer
leur colère contre la France et la MINUSMA, accusées de conduire le « processus
politique » de règlement de la crise au nord du Mali à l’avantage exclusif des
groupes armés, le MNLA en particulier.
Saouti Labass Haïdara |
Organisation
déclarée « terroriste » sous le régime Amadou Toumani Touré, à l’origine de
tous les malheurs qui ont frappé le Mali ces trois dernières années (occupation
narco-jihadiste, coup d’Etat militaire, dégradation de la situation socio-économique,
mise sous tutelle internationale) le MNLA avait quasi disparu à la veille de
l’intervention des forces spéciales françaises en janvier 2013.
Son
« petit millier de combattants » (Alain Juppé dixit) avait été décimé dans les
affrontements sanglants pour le partage des trois régions septentrionales à
l’issue desquels le MUJAO a conquis Gao, AQMI a fait main basse sur Tombouctou,
Ançar Dine s’est imposé à Kidal. Les rares survivants du groupuscule
séparatiste s’étaient réfugiés en Mauritanie où ils étaient réduits à vendre
leur fusil pour se nourrir.
L’Opération
Serval et les résolutions du Conseil de Sécurité invitant le Mali à « engager
des négociations crédibles avec les groupes armés qui se dissocieront des
organisations terroristes » telles qu’AQMI et le MUJAO, vont donner une seconde
vie au MNLA et même l’ériger en acteur majeur, incontournable dans le règlement
de la crise au nord.
L’armée
malienne d’abord interdite d’entrer à Kidal et finalement représentée
symboliquement par 200 militaires cantonnés, le MNLA devient le maitre absolu dans
la ville. Ayant rejeté toute idée de désarmement et de cantonnement de ses
éléments avant la signature d’un accord de paix globale et définitive dont il
s’emploie par des manœuvres dilatoires à éloigner la perspective, il fait la
loi, renforce ses rangs par l’adjonction massive de jeunes désœuvrés,
transforme Kidal en un gigantesque dépôt d’armes, de munitions et d’explosifs.
Conséquence
: il est devenu en seulement quinze mois une force armée redoutable, en tout
cas assez puissante pour mettre en échec une expédition composée de plusieurs
centaines de soldats maliens. A propos, où se trouvaient les militaires
français et les casques bleus de l’ONU lorsque les hommes du MNLA se sont
emparés, le samedi 17 mai, du gouvernorat de Kidal et pris en otage le personnel
administratif qui s’y trouvait, déclenchant les hostilités qui feront sur le
champ une quarantaine de morts et, quatre jours plus tard, une tuerie
effroyable au sein des FAMA dont le vrai bilan est entouré de la plus totale
discrétion ?
S’ils
avaient fait montre de la fermeté nécessaire face au MNLA pour le dissuader de
son acte de provocation, on aurait sûrement épargné plusieurs dizaines de vies
humaines. Mais force est de constater qu’ils ont laissé faire, probablement
parce qu’ils savaient d’avance qui aurait le dessus.
Le
MNLA n’est pas devenu seulement une force armée nombreuse et bien équipée. Il
s’est doté aussi d’une diplomatie qui lui a permis d’être reçu à la Cour royale
du Maroc, en Italie et en Russie après ses destinations habituelles que sont
Alger, Nouakchott, Paris et Bruxelles. En somme, il a acquis une certaine
visibilité internationale. Qui lui a ouvert ces portes ? Qui finance ces
déplacements ? Sûrement pas les pauvres populations de Kidal qui ne se sont
jamais du reste reconnues dans ses activités criminelles dirigées contre
l’unité, la paix et la stabilité du Mali.
La
principale mission assignée à la MINUSMA par la résolution 2100 du 25 avril
2013 adoptée par le Conseil de sécurité est de « stabiliser la situation dans
les principales agglomérations et contribuer au rétablissement de l’autorité de
l’Etat dans tout le Mali ». A cet égard, elle doit « écarter les menaces et
prendre activement des dispositions afin d’empêcher le retour d’éléments armés
dans ces zones ».
Des
informations crédibles ont régulièrement fait état du retour des chefs de
guerre dans les régions du nord. On n’a pas connaissance que l’un d’eux a été
arrêté.
La
MINUSMA doit aussi s’impliquer aux côtés des autorités maliennes, dans « le
désarmement, la démobilisation, la réintégration des ex-combattants et le
démantèlement des milices et des groupes d’autodéfense ».
A ce
jour, aucun dialogue n’a pu se nouer entre Bamako et les groupes armés autour
de ces questions par la faute, nous l’avons vu, du MNLA. Quant aux milices et
groupes d’autodéfense, ils n’ont jamais autant prospéré qu’à l’heure actuelle
et les affrontements interethniques, singulièrement entre Touareg et Peuls,
n’ont jamais été aussi fréquents et meurtriers que dans les temps qui courent.
La
MINUSMA est censée aider les autorités et les populations du nord à instaurer «
un dialogue national sans exclusive » en vue de favoriser la réconciliation.
Mais quand des ministres arrivent à Kidal pour amorcer ce dialogue, ils sont
accueillis par une foule hostile qui les insulte et les caillasse. L’avion de
la MINUSMA à bord duquel avait pris place l’ancien premier ministre, Oumar
Tatam Ly, a même été empêché d’atterrir à l’aéroport de Kidal parce que des
manifestants surexcités avaient envahi la piste. Comment cela a-t-il été
possible avec des soldats de la même MINUSMA présents sur les lieux ? Si le but
était de prouver que « le peuple de l’Azawad » ne veut pas de la présence du
chef de gouvernement d’un pays envahisseur, c’est réussi.
C’est
cet affront que l’actuel premier ministre, Moussa Mara, a voulu laver en se
rendant à son tour dans la capitale des Ifoghas et en tenant à ce que sa
rencontre avec les administrateurs kidalois ait lieu au gouvernorat, symbole de
l’Etat malien dans la cité et non au siège local de la MINUSMA, en territoire
de l’ONU en somme.
Ce
déplacement en soi ne peut lui être reproché. Toutes les résolutions de l’ONU
reconnaissent Kidal comme partie intégrante du Mali : Mara a fauté seulement
pour n’avoir pas pris des mesures d’accompagnement d’ordre politique, en dépit
du caractère purement « technique » de la visite.
Autre
volet de sa mission sur lequel la MINUSMA n’a jusqu’ici pas brillé : elle doit
« concourir à arrêter et traduire en justice les auteurs des crimes de guerre
et des crimes contre l’humanité commis au Mali… ». Des responsables politiques
se sont fait le devoir d’interpeller les membres du Conseil de sécurité, lors
de leur récent séjour dans notre pays, sur les manquements dont ils font preuve
sur cette question.
L’un
d’entre eux leur a lancé : « Les gens que vous devez arrêter et envoyer à la
Cour pénale internationale (CPI) sont devenus vos interlocuteurs pour le
dialogue. Dans le même temps, les terroristes sont en train d’infiltrer les
rangs des groupes armés pour être intégrés dans les forces de défense et de
sécurité maliennes. Le réveil demain, risque d’être cauchemardesque ».
L’excès
de complaisance à l’égard du MNLA et le système de protection créé à son profit
ont fait perdre Kidal au Mali. Cette perte a été ressentie par tous ceux qui se
sentent une âme malienne comme une blessure profonde, en même temps qu’une
trahison dans la mesure où elle a été l’œuvre de partenaires qui ont pour
mission de préserver l’intégrité territoriale de notre pays. D’où la colère
compréhensible des milliers de nos compatriotes qui étaient dans la rue, la
semaine écoulée.
La France
et l’ONU doivent en tirer les justes leçons pour éviter un dérapage plus
douloureux.
Source : maliweb.net 28 mai 2014
dc
Par Bagara Z. Coulibaly*
(L’Inter de Bamako
26 mai 2014)
Kidal, la cité des pauvres, a toujours été
problématique dans sa gestion administrative et politique depuis la nuit des
temps.
Le
Mali a besoin de son histoire pour se reconstruire et de sa géographie pour se
développer. Mais hélas, combien de Maliens connaissent ce grand Mali ? Combien
de Maliens se sont-ils servis de ce Mali pour faire fortune et se hisser à un
niveau de considération sociale élevé ?
L’intelligentsia
a-t-elle démissionné ? Durant toute la crise, l’élite politique et
intellectuelle ne s’est pas manifestée pour mettre les choses à leur place. Le
tribunal de l’Histoire va les juger pour leur silence coupable et leur
irresponsabilité face aux attentes du peuple.
Les grands
hommes sont toujours cités pour illustrer les faits. Les Maliens de cette
époque vantaient ceux qui sont morts pour leur bravoure. Les repères et valeurs
sociales ont volé en éclats et les fondamentaux s’effritent tous les jours même
dans les familles supposées être la première cellule familiale. Ceux en charge
de l’éducation ont-ils le sens de l’éducation et la vocation d’éduquer en bon
chef de famille aujourd’hui ?
Hier,
on préférait la mort à la honte ; aujourd’hui, c’est le contraire qui se passe.
La
déroute de l’armée malienne est à la une. Quelles en sont les véritables causes
? Il s’agit de dégager la responsabilité de tous les acteurs dans cette défaite
de l’armée malienne. En mars 2012, on a tous compris que le Mali n’avait pas
d’armée. Deux ans après, le pays en dispose-t-il ?
Les
Maliens savent-ils réellement l’état de leur armée ? Une veillée d’armes
s’impose à chaque Malien au cours de laquelle une véritable évaluation sera
faite par les pouvoirs publics et le peuple.
1.
Depuis la chute des 3 villes en mars 2012, que reste-t-il de la situation de
nos hommes, de nos armes, du moral, du renseignement des soldats maliens et du
commandement ?
2.
En mars 2014, quels sont les efforts qui ont été déployés pour la
reconstruction de cette armée en effectif, en matériel, en renseignement, en
investissement ?
3.
Combien de nos francs ont été utilisés pour cela ?
4.
Enfin, quel bilan de toutes les pertes de 2012 à 2014 : soldats tués,
véhicules emportés, matériels militaires récupérés par le MNLA et ses alliés. Cette
vérité cruelle doit être annoncée par le gouvernement malien pour amorcer un
nouveau départ pour notre armée qui reste encore politisée dans beaucoup
de ses maillons.
5.
Les marches de soutien, les meetings, les settings, les déclarations sont-ils
la solution du problème malien ? Les parties sont-elles sincères les unes
envers les autres ? La communauté internationale fait-elle un jeu franc avec
toutes les parties ? Les insuffisances des différents accords ont-elles fait
l’objet de discussion entre les parties ?
6.
Qui sont les groupes armés et leurs alliés ? Quelle est la cause de cette
rébellion ?
Il
faut informer le peuple malien sur tous ses détails avec des données
statistiques fiables et vérifiables.
Si
le gouvernement veut utiliser la force pour résoudre définitivement cette
crise, dispose-t-il des moyens humains, financiers et militaires pour y
arriver. Le peuple doit le soutenir. Mais ceux qui crient tous les jours
ont-ils réellement contribué à l’effort de crise. Beaucoup de Maliens ont
profité de cette crise multidimensionnelle du Sud comme au Nord. Il faut savoir
raison garder.
Chaque
Malien doit tirer les leçons de ce qui s’est passé en évitant d’accuser, en
apportant son soutien aux autorités pour une résolution de cette crise
dont le bilan est lourd et qui compromet tous les efforts de
développement. L’éducation est la première mesure : éduquer ou périr !
Cela est une exigence pour nous tous.
Le
Réseau des historiens et géographes du Mali, qui a alerté toutes les
institutions de la République, en appelle au sens de responsabilité de tous les
Maliens dans un souci de reconstruction et de cohésion sociale.
(*) - Président du Réseau des
historiens et géographes du Mali.
Source : maliweb.net 28 mai 2014
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire