samedi 3 mai 2014

« Quand la France respectera-t-elle les Africains… »

L. Keumayou
Louis Keumayou, président du Club de l’Information Africaine, revient sur la polémique entre la France et le Rwanda, mais également sur les relations entre Paris et ses anciennes colonies d’Afrique noire. 

Au moment où le Rwanda commémore le 20e anniversaire du génocide de 1994, la France a choisi de ne pas participer aux cérémonies. Elle devait y être représentée par Christiane Taubira, ministre de la Justice. À la suite d’une interview dans laquelle le président Paul Kagamé accuse la France d’avoir été complice et acteur de ce drame dans lequel près d’un million de Rwandais ont péri. Cette réaction épidermique aux propos du président Kagamé ne grandit pas la France. Et contribue, dans l’esprit des nouvelles générations d’Africains à entretenir cette image d’un ancien colon qui n’a jamais quitté ses habits de maître pour entamer un partenariat d’égal à égal avec les pays africains indépendants.
Sans vouloir prendre la défense de Paul Kagamé, qui n’en a pas besoin, il faut dire que la France et ses alliés tant au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies qu’en dehors (que l’on appelle pompeusement la communauté internationale) ont pris l’habitude, depuis la fin de la guerre froide, de s’impliquer lourdement et militairement dans les processus démocratiques des pays africains, en choisissant un camp contre l’autre. En le faisant, elle donne des coups et s’expose à en prendre. Le Rwanda n’en est qu’une illustration pratique. Pendant les négociations d’Arusha (entre juin 1992 et août 1993) dont le président Juvénal Habyarimana revenait quand son avion a été abattu avant le déclenchement du génocide en avril 1994, le gouvernement français aidait celui du Rwanda à combattre ses adversaires, dont le FPR de Paul Kagamé.
À la différence de la Côte d’Ivoire où le camp soutenu par la France officielle a gagné, c’est la rébellion conduite par Paul Kagamé qui l’a emporté au Rwanda. En Côte d’Ivoire le vainqueur Alassane Ouattara terrorise ceux que la communauté internationale l’a aidé à vaincre. La France ferme les yeux. Paul Kagamé terrorise ceux qui l’ont combattu hier et qu’il a vaincus. Tollé en France. Si la France veut se montrer juste dans sa critique de Paul Kagamé, elle devrait considérer qu’il s’agit d’abord d’un règlement de comptes entre un militaire et ses adversaires militaires d’hier.
Ce qu’elle tolère et encourage en Côte d’Ivoire, la France ne peut le condamner au Rwanda sans s’exposer au courroux des autorités en place. Elles sont au demeurant fondées de penser que cette même France, qui avait toujours nié sa responsabilité dans la tragédie des Juifs sur son sol lors de la seconde guerre mondiale avant de la reconnaître en 1995, soit plus de 50 ans après les faits, pourra bien un jour changer d’avis sur le rôle que son armée a joué au Rwanda en 1994. 

Le discours de la Baule

Le 20 juin 1990 le président français, François Mitterrand, prononce le fameux discours de la Baule lors de la 16e Conférence des chefs d’État d’Afrique et de France. Il demande à ses homologues africains d’accepter ce qui est devenu inéluctable : l’ouverture démocratique. L’on est à quatre ans de l’un des génocides les plus rapides du vingtième siècle : 800 000 victimes en moins de 3 mois. La jeunesse d’Afrique subsaharienne, bien avant le printemps arabe, a ouvert la saison de chasse des dictateurs.
La France ne commence à timidement écouter ces jeunes qu’au bout de 15 ans. La parenthèse est ouverte à Bamako (Mali), lors de la 23e Conférence des chefs d’État d’Afrique et de France. Tamoifo Nkom Marie, représentant la jeunesse africaine, y prononce un discours très applaudi. Auquel répondent les présidents français et africains réunis. La parenthèse est aussitôt fermée, pour ne plus jamais être ouverte.
L’Afrique d’aujourd’hui c’est plus de 60% de moins de 25 ans que la France ne voit pas, avec lesquels la France ne dialogue pas de façon formelle. Contre moins de 7% âgés entre 50 et 60 ans, avec lesquels elle multiplie les espaces de rencontre pour discuter de l’avenir de l’Afrique. L’Afrique en 2050 représentera 22% de la population active de notre planète, et l’Europe à peine 7%. La France se rend-t-elle seulement compte qu’elle ne parle de l’avenir de l’Afrique qu’avec ceux qui représentent le passé de ce continent de plus en plus jeune et de plus en plus ambitieux ?
Quand cette nouvelle génération a tendu la main à la France pour construire un espace démocratique sur son sol, elle lui a tourné le dos. Pire, elle l’a sacrifiée à l’autel de l’orthodoxie monétaire à travers la dévaluation du franc CFA subie en janvier 1994. Puis le coup de grâce lui a été asséné à travers les programmes d’ajustement structurel qui ont entraîné ces jeunes, diplômés ou pas, dans des situations de misère et de désespoir sans nom.
Si la situation d’austérité que traversent les économies européennes les plus fragiles depuis 2008 génère autant de dégâts et n’en finit plus de faire monter les extrêmes, imaginez ce que la mise sous coupe réglée des économies africaines a pu générer en un peu plus d’une génération. Encore une fois, la population africaine est jeune et n’a pas connu la période d’avant le déluge dont nous parlons ici. Elle n’a connu que l’austérité absolue. Cette jeunesse africaine n’attend pas de la France qu’elle lui parle d’un passé qu’elle n’a pas vécu. Elle veut des partenaires pour gagner aujourd’hui et demain. Autant elle n’a pas le temps de juger l’action passée de la France, autant la France l’insupporte lorsqu’elle n’a de cesse de juger ses dirigeants. Certains sont peut-être des dictateurs sanguinaires et corrompus, les Africains n’ont eu de cesse de le dire. Ils sont plus légitimes dans ce rôle que la France et des associations françaises dans celui de Robins des Bois des temps modernes. 

Les biens mal acquis

Robin des Bois prenait aux riches pour donner aux pauvres. C’était dans un royaume et le pouvoir judiciaire de l’époque n’était pas celui de nos sociétés actuelles. Avec le chemin démocratique parcouru en Afrique et en Europe, l’on peut considérer qu’il n’est plus indispensable de suivre les instructions du manuel de justice de Robin des Bois à la lettre. Or que constatons-nous dans cette affaire de biens mal acquis ? Une association de droit français qui n’était pas à l’origine de ce qui est devenu l’affaire des biens mal acquis se permet de déposer des plaintes contre des dirigeants africains en activité pour détournement et blanchiment d’argent public.
Les Africains qui s’étaient constitués partie civile sont écartés de l’affaire. Il n’empêche, les tribunaux français s’arrogent la compétence d’instruire ces plaintes. Elles sont instruites et certains biens saisis. Où étaient ces parangons de vertu auto-proclamés quand l’argent de ces Africains dont ils veulent aujourd’hui faire le bonheur malgré – et surtout sans – eux alimentaient par vagues généreuses et successives l’essor économique de la France au détriment des populations qui avaient – et ont toujours – un besoin vital de jouir de cet argent qui est, in fine, le leur ?
En attaquant la souveraineté des pays africains comme la France l’a fait en Côte d’Ivoire ou en Libye, les autorités françaises ont choisi leur camp. L’image que les jeunes Africains en France et en Afrique ont de la patrie dite des droits de l’homme est celle d’un pays qui viole la souveraineté de leurs pays (ou plus souvent du pays de leurs parents) à travers l’honneur piétiné de leurs dirigeants. Que penseraient les jeunes français si l’armée camerounaise ou algérienne attaquait ou soutenait l’attaque armée du Palais de l’Élysée ? Ou encore si une association étrangère décidait de faire saisir les biens de l’ambassade de France sur leurs sols en foulant au pied les règles internationales ? Faisait lancer un mandat d’arrêt international contre des autorités françaises en activité ?
L’histoire des relations entre la France et son ancien pré-carré africain est jalonnée de biens mal acquis qui semblent échapper à la vigilance de Sherpa et de l’initiative StAR (Stolen Asset Recovery Initiative) : les diamants de Bokassa, les propriétés de Bokassa ou du maréchal Mobutu… Mieux encore, le franc CFA et les comptes d’opération à la Banque de France des 15 pays africains qui l’utilisent. Ce franc CFA est un anachronisme et un boulet économiques par lesquels la France est la seule ancienne puissance coloniale à continuer de gérer son jardin africain comme au bon vieux temps des colonies.
La planète entière a salué l’élection d’un Noir : Barack Obama, à la présidence des Etats-Unis. Les Noirs de France aussi ont salué ce moment et rêvent tous d’un Obama français. C’est oublier que de 1947 à 1968, la France a eu Gaston Monnerville : élu guyanais noir, premier président du Conseil de la République, puis du Sénat et deuxième personnalité de la République après le chef de l’État. C’était à un moment où le mouvement pour les droits civiques aux Etats-Unis était encore à ses balbutiements. Au moment où le premier président noir des Etats-Unis termine son second mandat à la tête du pays, la France n’a que le sport et le divertissement à proposer à ses Noirs. Qu’il s’agisse de ceux de l’outre-Mer ou de ceux qui sont d’ascendance africaine plus récente. Le nouveau gouvernement de mi-mandat de François Hollande vient d’être constitué. 

Pas de place pour les Noirs et les Arabes

À la suite d’élections municipales dont l’un des faits majeurs est la défaite historique du Parti socialiste français, François Hollande a voulu donner un nouvel élan à sa présidence. Il a demandé à un immigré espagnol né en Espagne et naturalisé français en 1982 de constituer un gouvernement de combat. Celui-ci a constitué une équipe gouvernementale sans un(e) seul(e) Noir(e) naturalisé(e), comme lui, dans les années 1980. Et il n’y en a pas plus dans la liste des 14 secrétaires d’État qui a suivi.
Tout se passe comme si les jeunesses africaines en France doivent comprendre que leur seule représentativité est dans le sport et le divertissement autorisé et reconnu comme tel. Si vous voulez savoir ce que ça fait de ne pas se sentir représenté dans son pays de choix et d’être constamment indigné par l’irrespect de son pays de choix envers son pays d’origine ou le pays d’origine de ses parents, mettez-vous dans la peau des Noirs de France. 

Du kärcher à droite et à gauche ?

La droite UMP voulait les nettoyer au kärcher. Il est pour l’instant difficile de savoir ce que le PS (qui concentre encore entre ses mains plus de la moitié des pouvoirs en France, y compris celui de jeter un voile sur ses Noirs ultra-marins et ces Noirs naturalisés français qu’elle ne saurait voir) compte en faire. Ces Noirs-là aussi veulent être l’avant-garde. En France et en Afrique. À force de les combattre là-bas, et de les ignorer ici, les autorités françaises se fabriquent un adversaire qu’elles devront bien affronter un jour.
Pour le meilleur ou pour le pire. Si elles persistent dans la voie du discours de Dakar ou de celui sur les bienfaits de la colonisation, voire sur celui des bienfaits de l’opération Turquoise au Rwanda en 1994, ce sera pour le pire. Le prix à payer pour éviter ce choc dévastateur tient en une attitude : le respect mutuel. 

Louis Keumayou, président du Club de l’Information Africaine 

 
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Source : afriqueactualite.com 14 avril 2014

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