H.-C. Sama Damalan |
Ancien ministre de la
Communication et ex-porte-parole de la junte militaire (1999 à 2000) de feu le
Général robert Guéi, le Colonel-major Henri-César Sama Damalan, aujourd’hui à
la retraite, vit sa retraite à Fresco depuis décembre 2013.
Notre voie : Trois ans après la prise du pouvoir par
Alassane Dramane Ouattara dans les conditions que l’on sait, pensez-vous que la
réconciliation nationale est véritablement sur les rails ?
Henri-César Sama : nous avons besoin de nous parler. La fracture sociale
est très grande. Cela se constate dans les familles, les villages, les villes.
Il est important d’éviter les extrémismes et surtout d’éviter d’élargir le
fossé de cette fracture sociale. Il faut que les ivoiriens se parlent sans
animosité, sans extrémisme.
La Cdvr a-t-elle été à la hauteur des attentes des
Ivoiriens ? A savoir réconcilier tous les fils et les filles de ce pays ?
Je ne connais pas les objectifs assignés à la Cdvr. Je ne connais pas son
cahier des charges. Mais, je constate sur le terrain que les choses ne semblent
pas bouger. La fracture sociale est toujours visible.
Selon vous, pourquoi ?
Cette commission est-elle prête à aller chercher les causes profondes de la
crise ivoirienne ? Je comprends pourquoi le Fpi parle d’Etats généraux de la
république. Il faut remonter jusqu’en 1999, peut-être au-delà. Il faut voir
tous les maux qui minent la Côte d’Ivoire depuis un certain temps. Pourquoi y
a-t-il eu un soulèvement dans l’armée en 1990 ? Pourquoi y a-t-il eu le
problème des Zinzins et Bahinfoué, l’ivoirité ? Toutes ces questions doivent
être passées au peigne fin. Tant qu’on ne diagnostique pas le mal, il sera
difficile d’apporter des remèdes à cette fracture sociale. Le rôle de la Cdvr,
c’est de chercher les raisons profondes de cette fracture sociale. On a
l’impression qu’elle surfe sur ses missions. Peut-être que le mode de
désignation des personnes qui constitue cette commission pose problème !
Charles Konan Banny est un homme politique. Il joue sa carrière politique.
Peut-être que la société civile est mieux indiquée pour mener une telle
opération. Il y a des réflexions à mener. Dans beaucoup de pays, des réflexions
ont été menées, des missions ont été confiées à des religieux. L’on peut penser
que certains religieux jettent un discrédit sur leur religion par leur propre
comportement. Ils sèment le doute dans l’esprit des uns et des autres. Dans une
telle situation, la société civile devrait être la mieux indiquée pour mener
une telle opération.
Récemment, le ministre de l’intérieur, Hamed Bakayoko,
a déclaré que la recomposition de la Commission électorale indépendante (CEI)
demandée par l’opposition et la société civile n’est pas à négocier…
Nous gagnerons à mettre balle à terre. Ce sont les compositions des
commissions électorales qui ont souvent posé problème. Si une commission
électorale est vraiment indépendante, il ne devrait pas y avoir de discussions,
de débats. Si les élections sont contestées, c’est qu’il y a problème ! Il vaut
mieux résoudre le contentieux maintenant au lieu de le résoudre plus tard en
pleine crise.
Pensez-vous que la réconciliation peut se faire sans
les exilés politiques, les prisonniers politiques ?
Humainement, c’est difficile de voir des frères en exil ou en prison. Je
connais l’exil. Je sais ce que cela coûte. Il est souhaitable que des mesures
soient prises par le gouvernement afin de permettre aux uns et aux autres de
rentrer dans leur pays. Il faut que tous les ivoiriens se parlent pour trouver
un remède au mal qui ronge notre pays. Aucun ivoirien ne doit être emprisonné
ou en exil pour ses convictions politiques.
Voyez-vous Laurent Gbagbo, détenu à La Haye, comme un
catalyseur de la réconciliation nationale, s’il recouvre la liberté ?
Au regard des dernières échéances électorales, même si nous tenons compte
des résultats dit certifiés par l’ONU, les voix qui ont été attribuées à
Laurent Gbagbo sont énormes. Cela veut dire que Laurent Gbagbo compte
énormément dans le paysage politique ivoirien. Sociologiquement,
sentimentalement, politiquement, c’est un personnage qui compte dans le
processus de réconciliation nationale. Et sa présence en Côte d’Ivoire devrait
booster le processus de réconciliation nationale. Les marches et débats
organisés pour lui dans le monde entier, ces milliers d’ivoiriens se réclamant
de lui, tout cela ne doit pas être ignoré. Sa libération ne pourra que
décrisper l’atmosphère. Je ne pense pas que Laurent Gbagbo constituera un
danger s’il est libéré, mais plutôt un catalyseur de la réconciliation
nationale.
Pour vous, la question du débat sur le vainqueur de
l’élection présidentielle de 2010 doit être close ou doit être relancée pour
rétablir la vérité historique afin d’aller à la réconciliation ?
Je ne juge pas. Je ne suis pas celui-là qui était à la CEI ou au conseil
constitutionnel. De par ma position, je constate qu’aujourd’hui, il y a un
président qui dirige la Côte d’Ivoire. Nous continuons avec lui. Je suis un
légaliste. Je respecte la constitution. Mais j’ai été un peu choqué qu’un
président d’un conseil constitutionnel dise et se dédise à la fois.
Comment jugez-vous aujourd’hui l’armée ivoirienne ?
Une armée respectée et respectable, c’est une armée qui ne forme pas ses
militaires sur le tas. Mais dans de grandes écoles militaires avec des
équipements didactiques de qualité et où les instructeurs sont à la hauteur des
tâches qui leurs ont été confiées. La théorie seule ne suffit pas. La Côte d’Ivoire
a des officiers qui ont été bien formés dans de grandes écoles militaires et
qui sont capables de redorer le blason de l’armée ivoirienne. Il faut leur
faire confiance. Cela ne sert à rien de former 2000, 3000 gendarmes, 5000
policiers et les mettre dans la rue, alors qu’ils n’ont aucun pistolet, aucune
radio, aucun moyen de lutte contre l’insécurité. Ce n’est pas avec une matraque
que la police et la gendarmerie vont assurer la sécurité des biens et des
personnes. Autant les transformer en vigiles. Malheureusement, la Côte d’Ivoire
n’a pas son destin en main. L’embargo nous a été imposé par l’ONU.
Ces dozos et ces Frci sans matricule qui font la pluie
et le beau temps sur les routes, dans les villages, et qui se considèrent soit
comme des forces parallèles pro-Ouattara soit comme des soldats de l’armée,
représentent-ils une sérieuse menace ?
Les dozos n’ont rien à faire dans la vie politique ivoirienne ou dans la
sécurisation des biens et des personnes. C’est un devoir régalien de l’Etat de
sécuriser les populations et leurs biens. Ce n’est pas aux chasseurs
traditionnels de le faire même si on leur confère une certaine puissance
mystique d’assurer. L’Etat dispose de personnes pour assurer la sécurité. La
sécurité aux frontières c’est l’armée, à l’intérieur, c’est la police et la
gendarmerie.
Ce régime peut-il se débarrasser d’eux quand on sait
qu’ils ont aidé Ouattara à prendre le pouvoir par les armes ?
C’est difficile. Il faut éviter que le boucher ne soit blessé par son
propre couteau. Il faut que les forces dites impartiales, l’ONU, la CEDEAO,
l’union africaine viennent prêter main forte à ce régime pour régler ce
problème. La solution passe nécessairement par le désarmement. Leur présence
sur nos routes et dans les villages est un danger qui plane sur la tête des uns
et des autres.
Pourquoi Alassane Ouattara n’arrive-t-il pas à mettre
de l’ordre dans son armée ?
La résolution de ce problème ne devrait pas être politique. Il y a des
enjeux économiques et sociaux. Est-ce que l’intégration de tous ces miliciens,
tous ces ex-combattants, tous ces dozos au sein de l’armée ne grèverait-il pas
le budget de l’Etat ? Vous n’ignorez pas que nous sommes dans une période de
récession économique où les sous de l’Etat sont comptés. Il y a un problème
budgétaire qui va se poser. Deuxièmement, il y a un problème social. Que
deviennent-ils, ces gens-là à qui on a demandé de venir prêter main forte à une
rébellion armée ou au pouvoir qui est en place ? Ils savent manipuler les
armes. Si leur problème n’est pas résolu, cela constitue un danger pour ce
pouvoir-là. Il faut l’implication de l’ONU comme cela s’est fait dans d’autres
pays.
Il faut donc, selon vous, désarmer toutes ces forces
parallèles qui constituent autant un danger pour le pouvoir que pour les
populations ?
Il n’y a pas d’autres solutions que de les désarmer. Force doit être à la
loi. Ceux qui doivent tenir des armes sont des personnes désignées par la loi
pour les tenir. Ce sont les gendarmes, les policiers et les militaires au
regard des textes qui régissent notre pays.
Pour beaucoup d’Ivoiriens, votre nom rappelle le coup
d’Etat de 1999. Selon vous, faut-il
rapidement fermer cette parenthèse ou bien vous êtes de ceux qui estiment que
ce coup d’Etat était nécessaire ?
C’est vrai qu’il y a eu des dérapages. Il y a eu des soubresauts par ci par
là avec la brigade rouge. Nous avons péché à l’élection présidentielle. Nous
n’avons pas pu maitriser cette élection. Le CNSP était traversé par plusieurs
courants. RDR, FPI, PDCI. Le PDCI a voulu récupérer le Général Robert Guéi. Il
y avait aussi des courants tribaux. Le Général Robert Guéi n’avait pas
véritablement pris la mesure de la mission qui était la sienne. 10 mois, cela
ne suffisait pas pour arriver à abattre tout le travail nécessaire dans un pays
au bord de l’effondrement. Mais tout n’a pas été négatif. Le Gal Robert Guéi a
donné à la Côte d’Ivoire, une constitution. Nous avons payé la dette ivoirienne
qui était de 18 milliards FCFA à l’union européenne… Je n’ai aucun regret. Si
cette expérience m’était encore donnée, je n’hésiterais pas à la refaire.
Quel temps aurait-il fallu à la junte militaire pour
remettre la Côte d’Ivoire sur les rails ?
Il aurait fallu le temps qu’il aurait fallu pour aller à la reconstruction
d’un Etat fort. Parce que depuis 1995, l’Etat n’existait plus.
De nombreuses langues continuent de croire que le
Comité national de salut public (CNPS) n’avait pas les mains libres parce que
vous auriez été installés provisoirement par Alassane Ouattara…
Chacun a son appréciation. Des gens ont vu dans les propos du dernier
discours du président Bédié en 1999, une attaque virulente contre l’opposition.
Notamment, contre le président Alassane Ouattara. Pour eux, le coup d’Etat ne
pouvait être que l’œuvre du président Ouattara. Qui, non plus, n’a pas aidé la
population à se départir de cette idée, lorsqu’il a qualifié ce coup d’Etat de
révolution des œillets.
La mort du Général Robert Guéi, chef de l’ex-junte,
demeure toujours un mystère…
Il m’est difficile d’en parler. Je n’étais pas en Côte d’Ivoire au moment
où ce triste évènement s’est produit. J’ai appris sa mort sur Rfi. Je l’ai
appris en même temps que tous les Ivoiriens. Le 19 septembre 2002, j’étais à
l’aéroport de Moscou en partance pour Paris. Les circonstances de sa mort me
sont inconnues. Je pense que la justice ivoirienne est assez outillée pour
mener des investigations et apporter un éclairage sur sa mort. C’est un dossier
que je ne maitrise pas.
Après la défaite du Général Robert Guéi à la
présidentielle de 2000, avez-vous été surpris des crises armées de 2002 et de
2010 ?
C’était prévisible. Le CNSP n’avait pas résolu tous les problèmes. Sous la
pression de la communauté internationale, on est allé aux élections. Il y a eu
des tentatives de réconciliation par le forum national de la réconciliation
initié par le président Laurent Gbagbo. Mais les plaies étaient béantes. Les
gens n’avaient pas banni en eux l’esprit de revanche et de suffisance dans leur
propos.
Pouvait-on éviter par exemple la crise de 2010 ?
Oui, s’il y avait eu le désarmement. On ne fait pas des élections pour
l’extérieur mais pour nous-mêmes. Nous avons cédé à la pression de la
communauté internationale. Nous savions très bien que ces élections étaient
porteuses de conflit. Tant que le pays était divisé, on ne pouvait pas aller
aux élections. Il y avait un semblant de dialogue. La réalité, c’est que le
pays était divisé.
Comment avez-vous vécu la crise postélectorale de 2010
?
J’ai connu l’exil. Je suis rentré d’exil le 5 avril 2011 et j’ai réintégré
l’armée. Mes maisons ont été pillées, mon compte gelé. Mes enfants ont aussi
connu l’exil et ont perdu leurs emplois. Il y a quelques jours, mes maisons
occupées par les FRCI ont été libérées, mon compte dégelé. Ce sont les
conséquences d’un choix. Si c’était à recommencer, je n’hésiterais pas. Je les
assume sans esprit de revanche. Jusqu’au 31 décembre 2013, j’étais un
militaire. Je ne faisais qu’obéir aux ordres. Le rôle d’un militaire, c’est
d’obéir aux ordres et non de décider ce qu’il doit faire ou non. Depuis le 31
décembre 2013, je suis à la retraite.
Avez-vous été contraint à aller à la retraite ?
Non ! Pas du tout ! Je suis entré à la marine, le 1er septembre 1979. Cela
fait plus de 34 ans de service. Il faut laisser la place aux plus jeunes. Les
hautes fonctions que j’ai occupées sous le CNSP et sous Laurent Gbagbo m’ont
éloigné de mes enfants et petits-enfants. Il est temps que je me consacre à ma
famille. Ce n’est pas parce que je suis contre tel ou tel individu ou un
régime.
Certains de vos frères d’armes en exil n’ont pas
apprécié votre retour d’exil. Ils ont évoqué une trahison…
Il y a eu d’abord ma volonté personnelle de rentrer au pays et celle du
régime qui a dépêché une mission au Ghana pour discuter pendant trois jours
avec les militaires. Nous étions un certain nombre qui avions décidé de rentrer
au pays. Ce n’est pas une trahison.
Le retraité Colonel-major César Sama milite-t-il au
sein d’un parti politique ?
Je n’ai pas de carte de militant d’un parti politique. Je ne compte pas en
prendre. Mais je suis fondamentalement de gauche.
Vous vivez votre retraite à Fresco, votre village. La
politique, c’est terminé ?
Pendant 10 ans, ça a été difficile d’avoir un temps à moi, un temps à
consacrer à ma famille. Je suis fatigué, je veux me reposer. Je n’ai aucune
envie d’être membre du conseil municipal de Fresco ou membre du conseil
régional du Gboklè ou nommé à un autre poste que ce soit. Cependant, j’ai de
bons rapports avec les fils et filles de Fresco, les cadres de la région dont
le ministre Alain Lobognon et le président du conseil régional, Philippe Légré.
En tant que membre de la mutuelle de développement de Fresco, j’apporte ma
contribution au développement de mon village.
Interview réalisée à Fresco par Charles BÉDÉ
Titre riginal : « Coup d’état de 1999, rébellion, Guéi, Bédié,
Ouattara, Gbagbo, réconciliation …: Henri-César Sama rompt le silence »
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