« Ceux qui se sont rendus coupables de
changements anticonstitutionnels doivent être frappés d’inéligibilité politique
pendant 5 ans ». C’est un extrait de « La Charte africaine de la
démocratie, des élections et de la gouvernance », rappelée par le
constitutionaliste Luc Marius Ibriga lors du meeting de la Coordination des organisations
de la société civile, le samedi 7 février dernier à Ouagadougou. Cette sortie a
suscité des applaudissements nourris au sein des manifestants mobilisés à la
place de la Révolution, qui souhaitent voir appliquer « ici et
maintenant » cette loi au Burkina Faso. Elle a été,
en revanche, fustigée par 8 partis politiques affiliés à l’ancienne majorité
présidentielle et au Front républicain dont le CDP, l’UNDD, l’ADF-RDA, l’UPR,
les Verts du Burkina. Ces partis ont dénoncé, dans une déclaration commune
publiée dans la presse, les propos de l’actuel Contrôleur général d’Etat,
qu’ils considèrent comme une « manœuvre
d’intoxication de l’opinion nationale et internationale ». Faux, rétorque Luc
Marius Ibriga qui nous a accordé une interview le mardi 10 février 2015, à
Ouagadougou. Ce fut aussi l’occasion d’évoquer avec lui d’autres sujets
d’actualité liés à la vie politique
nationale.
Le président Luc Marius Ibriga |
Le Pays : Quel bilan
pouvez-vous dresser après plus de 2 mois à la tête de l’Autorité supérieure de
Contrôle d’Etat (ASCE) ?
Luc
Marius Ibriga : Le temps passé à la tête de l’ASCE m’a permis de connaître
l’institution et de pouvoir, avec les contrôleurs d’Etat, lancer un certain
nombre d’investigations pour faire le point sur certains éléments de la gestion
du régime défunt. Cela nous a permis aussi de constater que sur ce plan, il y a
un certain nombre de nécessités qui s’imposent pour assurer non seulement un
contrôle efficace dans nos administrations, mais aussi booster le contrôle
externe de l’ASCE. Le problème est que nous sommes dans un pays où nous avons
une inspection qui n’a pas encore de statut. Et dans laquelle les inspecteurs
techniques sont des personnes qui sont soit mises au placard, soit considérées
comme des personnes âgées, proches de la retraite, que l’on met à l’inspection
technique pour attendre la retraite. Ce faisant, le contrôle interne ne
peut pas être efficace dans ce domaine, dans la mesure où ces personnes sont en
plus nommées par le ministre alors qu’elles doivent contrôler le ministre. Ce
n’est donc pas un système qui peut conduire à un contrôle efficace. Ce constat
nous amène à devoir nous impliquer dans la mise en place d’un statut de
l’inspection qui soit cohérent, et à construire une architecture du contrôle
qui soit cohérente, dans la mesure où l’ASCE a pour fonction la coordination
des corps de contrôle. Et de ce point de vue, il faudrait qu’il y ait une
synergie d’actions entre l’ASCE et ses inspections techniques qui doivent avoir
des ressources humaines de qualité pour l’inspection, et que des gens qui vont
dans l’inspection puissent faire carrière. Parce qu’aujourd’hui, si vous allez
dans l’inspection, après c’est vous qui êtes la brebis galeuse, puisque vous
êtes regardé par les autres comme celui qui va fouiner pour aller dire des choses.
On parlera de vous comme de celui qui « remue la merde ».
Cela fait que beaucoup vivent l’inspection comme étant une sorte de punition et
non pas un moyen de faire en sorte que les biens publics soient utilisés de la
manière la plus efficiente. Il faut corriger tout cela et adapter l’ASCE aux
évolutions qui vont venir. Et notamment la loi anti-corruption qui va donner à
l’ASCE un certain nombre de nouvelles prérogatives qu’il faut prendre en compte
dans la loi et les textes concernant l’ASCE.
On assiste, ces derniers
temps, à une reprise des activités de l’ex-parti au pouvoir et ses alliés.
Qu’est-ce que cela vous inspire ?
La
reprise des activités de l’ex-parti au pouvoir n’est pas quelque chose de
mauvais en soi. Ce n’est pas le contenu pour l’instant qui pose problème.
Aujourd’hui, il nous apparaît que ces personnes ne regrettent rien. Il suffit
de lire le papier qui a été publié dans la presse pour comprendre que ces
partis considèrent que tout ce qu’ils ont fait était parfaitement légal. Et,
donc, ils ne se reprochent rien. Voilà pourquoi je pose la question de savoir
pourquoi, au lendemain du 31 octobre 2014, ils ont demandé pardon si ce qu’ils
ont fait était tout à fait légal, n’était pas contraire à la légalité
constitutionnelle ? C’est ce message qui est dangereux. Cela montre, une
fois de plus, que ces gens n’ont pas le respect de la parole donnée. S’ils
avaient fait acte de contrition, ils auraient compris que ce qu’ils avaient
fait avant leur projet, et le fait d’enfermer les députés pour aller voter,
etc., c’est quelque chose d’ignoble, de déshonorant pour une démocratie. Mais
ces gens considèrent qu’ils n’ont rien fait de mal. Ils ont demandé pardon
parce qu’ils considéraient qu’ils avaient failli, qu’ils avaient fauté.
Certains d’entre eux affirment clairement qu’ils travaillent pour le retour du
président Compaoré. Alors, est-ce que nous allons rester dans l’impunité ?
Par exemple, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, toutes les personnes qui
ont collaboré avec les Nazis, est-ce que ces personnalités n’ont pas été
frappées d’indignité ? Est-ce que ces personnes n’ont pas été
poursuivies ? Tout récemment, dans les années 1980, Papon, en France, qui
a été un collaborateur, qui s’est camouflé dans l’administration, qui a même
occupé de grands postes, a été jugé, quand bien même il était vieux. Donc, que
l’on ne vienne pas nous sonner la sirène de l’exclusion. L’inclusion ne veut
pas dire impunité. Il y a des règles qui sont claires. L’article 166 est clair.
L’atteinte à la Constitution est le crime le plus grave contre le peuple. Il
faut que ces personnes comprennent que ce n’est pas le CDP. Jamais, nous
n’avons sorti de notre bouche, la dissolution du CDP. Jamais, nous n’avons dit
que ceux-là doivent être frappés d’inéligibilité, sur la base du droit, des
actes qu’ils ont posés. Nous n’avons jamais parlé de dissolution du CDP, ni
d’aucun parti.
Le Front républicain a
réagi à la demande de la société civile et de certains acteurs politiques,
d’arrêter et de juger Blaise Compaoré. Ces derniers demandent que des
poursuites soient engagées contre ceux qui ont commis des fautes dans leur
gestion. Quel commentaire en faites-vous ?
Si
le Burkina Faso en est arrivé là, c’est [dû à] l’accumulation de deux graves
fautes : une absence de démocratie sociale, dans la mesure où on a pillé
les richesses du pays. On s’est accaparé des biens du pays. On a trafiqué, on a
fait des marchés et les rapports de l’ASCE sont là. Ce n’est pas quelque chose
que l’on invente. Ce sont des choses qui sont là. Pourquoi les dossiers qui
étaient en justice, sous leur gouvernance, n’ont-ils jamais été jugés ? Le
Premier ministre Luc Adolphe Tiao était sorti pour dire à plusieurs reprises
que l’on allait juger certains dossiers dans les jours et les mois à venir.
Mais ces dossiers sont toujours là. Rien n’a été fait. On a dormi sur ces
dossiers. C’est la gestion économique qui a conduit à une exaspération, à un
appauvrissement de plus en plus grand de la population. Ensuite, c’est la
gestion politique qui nous a conduits là où nous sommes. Dans la mesure où l’on
veut gérer un Etat dans l’intérêt d’un clan. Ce n’est pas moi qui le dis. On
n’a qu’à reprendre la lettre pastorale des Evêques. La gestion clanique de
l’Etat. Quand des Evêques en arrivent à utiliser ces mots, c’est que nous
sommes véritablement dans une réalité patente. A ce niveau, si la faute
politique qu’ils ont commise est avérée, il faut bien qu’ils répondent sur le
plan politique. Et il y a des textes qui le disent. Ce n’est pas nous qui
l’inventons. Mais si l’on ne veut pas avoir la bonne lecture, on peut se donner
l’idée de ne pas avoir la bonne lecture. Ils disent qu’ils sont partie prenante
à la Charte de la transition, qu’ils veulent participer à la transition ;
or, la transition est régie par la Charte. Ce qui est inscrit dans la Charte de
la transition est que tous ceux qui ont fait partie du dernier gouvernement,
qui ont soutenu ouvertement la révision de l’article 37, ne peuvent pas
participer aux structures de la transition. Mais ce qu’ils doivent comprendre,
c’est que c’est parce que c’est une faute grave qu’ils ne peuvent pas
participer au succès de la transition. Mais ceux qui n’ont pas soutenu
ouvertement cette révision peuvent y participer.
Vous dites que les
personnes qui ont participé au dernier gouvernement de Blaise Compaoré, ne
peuvent pas participer aux structures de la transition. Est-ce le cas pour les
prochaines élections ?
Pourquoi
celui qui est frappé d’inéligibilité au moment de la transition, va-t-il
pouvoir, de façon impunie, participer à des élections comme si rien ne
s’était passé ? Pourquoi l’on permet à d’autres de le faire ? C’est
parce que ceux-là n’ont pas soutenu ouvertement la révision de l’article 37,
qu’ils peuvent participer. Cela veut dire qu’ils n’ont pas commis de faute. Il
ne faut pas que nous allions dans le même sens que la gestion de Blaise
Compaoré, à savoir l’impunité. Non. Il faut qu’il y ait une leçon pour
l’avenir. Et que les uns et les autres, parce qu’ils ont posé des actes,
acceptent d’assumer la responsabilité de leurs actes. Si on est un homme
conscient, quand on pose un acte, on doit être prêt à en assumer la
responsabilité. Or, on veut fuir la responsabilité et dire que l’on demande
pardon, de façon hypocrite. Pourquoi la communauté internationale, quand elle
est venue, a-t-elle bien considéré cette situation ? Mais ce qu’il y a,
c’est qu’il faut qu’ils comprennent qu’il n’est pas possible que l’on continue
dans l’impunité. Il faut bien que les gens rendent compte de leurs actes,
c'est-à-dire que ces personnes sachent que ce qu’elles ont fait n’était pas
bien. Quand on envoie des gens à la MACO parce qu’ils ont posé des actes
répréhensibles, c’est pour que ces gens ne recommencent plus. Sinon, disons à
Blaise Compaoré ou à François Compaoré de revenir au Burkina Faso et de prendre
part aux élections. N’ont-ils rien fait ? Ont-ils bien géré le pays ?
N’ont-ils rien pillé ? Ont-ils utilisé l’argent normalement ?
Pourquoi ces gens ont-ils fui si véritablement ils n’avaient rien à se
reprocher ?
En clair, voulez-vous dire
qu’ils ne doivent pas prendre part aux prochaines élections ?
Je
dis que les leaders de ces partis politiques ne doivent pas prendre part aux
échéances électorales. Leurs militants de base, oui. Ceux qui n’ont pas
ouvertement soutenu le projet de modification de l’article 37 et c’est clair.
Il y a des gens qui ont signé la charte (j’ai la charte ici). Je vois par
exemple dans la charte (ndlr : il la brandit), autres partis politiques,
Monsieur Dabo Amadou. Il a signé la charte au nom de ces partis, il est du CDP.
Mais il a été accepté. Pourquoi ont-ils mis Monsieur Léonce Koné à la tête ?
C’est parce qu’il n’avait pas ouvertement soutenu la modification de l’article
37. Mais aujourd’hui, on revient et l’on veut que l’on considère qu’il n’y a
rien eu et qu’ils peuvent tranquillement prendre part aux élections ?
Mais concrètement, est-ce
qu’il sera réellement possible d’empêcher les dignitaires du régime de Blaise
Compaoré de se présenter aux élections, vu l’état d’esprit d’inclusion prôné par
la charte de la Transition ?
Concrètement,
il faut appliquer le droit. C’est tout. Pour moi, il faut appliquer le droit.
Et le droit, c’est d’appliquer la Charte africaine de la démocratie, des
élections et de la gouvernance. Il est possible d’utiliser d’autres moyens
comme la loi électorale. Cette loi qui est en train d’être revue, peut stipuler
que tous ceux qui ont ouvertement soutenu le projet de modification
constitutionnel comme le dit la charte, soient frappés d’inéligibilité pour 5
ans. Ils reviendront en 2020 pour participer aux élections. Comme eux-mêmes
avaient prévu que c’était 5 ans renouvelables 2 fois. Et certains nous avaient
dit que c’était une alternance générationnelle, qu’on reviendrait dans 15 ans
quand Blaise serait fatigué, pour voir.
Dans la déclaration publiée
dans la presse, le Front républicain vous accuse de sortir souvent de votre
rôle. Il estime que votre titre de Contrôleur général d’Etat devrait vous
imposer un certain devoir de réserve. Qu’en pensez-vous ?
Il
faudrait d’abord balayer devant sa porte avant de chercher à enlever la poutre
qui est dans l’œil du voisin. Je vais prendre l’exemple des personnes qui
étaient tenues au devoir de réserve et qui étaient au Stade du 4-Août pour
faire campagne pour la révision de l’article 37. Quand vous prenez le président
du Conseil économique et social, c’est une institution de la République. Mais
ce monsieur (ndlr : Paramanga Ernest Yonly) a pris la parole au Stade du
4-Août, aux côtés du CDP. Voilà quelqu’un qui était tenu au devoir de réserve.
Les présidents d’institution de l’époque participaient aux meetings du CDP.
Pour ma part, en tant que société civile, ce que je dis, c’est la défense des
intérêts du plus grand nombre. Mon rôle au niveau de l’ASCE, c’est de défendre
le bien public, de ne pas permettre que la gouvernance gangrenée qu’ils avaient
établie, revienne. Et là, je suis dans mon rôle. Quand on dit « devoir de
réserve », c’est quoi ? Je dois me taire et laisser des gens dévoyer
la vision du peuple, raconter des sornettes au peuple ? non ! Si l’on
veut la transparence, il faut sanctionner au besoin ceux qui sont fautifs dans
l’administration. Ceux qui ont mal géré, il faut les sanctionner. Or, eux ils
ont créé un système de laxisme qui fait qu’aujourd’hui, dans notre administration,
personne n’est sanctionné. Personne n’a le courage de sanctionner. Et on a
installé la médiocrité dans notre administration. Et donc, est-ce que ces
personnes sont qualifiées pour donner des leçons aujourd’hui ? Elles qui
considéraient que le pouvoir leur appartenait, qu’elles pouvaient faire tout ce
qu’elles voulaient. Quand j’interviens, je dis clairement à quel titre je le
fais. Il y a des règles et nous les appliquons. Mais mes opinions, de grâce,
que l’on me laisse les exprimer. A la Place de la Révolution, j’y étais au nom
de la société civile. C’est comme ça que l’on fait et que l’on travestit les
choses. Quand on m’a annoncé comme étant le coordonnateur de la société civile
ayant participé à la rédaction de la charte, on ne m’avait pas présenté en tant
que Contrôleur d’Etat. Je ne prenais pas la parole à ce titre. De ce point de
vue, je n’ai pas d’état d’âme par rapport à cela. Aujourd’hui, certains savent
qu’il y a des devoirs de réserve, mais ils n’avaient pas ce sens de devoir de
réserve, dans la mesure où l’on voyait même des présidents d’institution qui
devaient être dans la réserve, aller s’asseoir avec les partis politiques quand
ils organisaient leurs manifestations.
L’ancienne majorité et ses
alliés estiment que ceux qui s’appuient sur l’article 23 de la Charte africaine
pour demander la dissolution du CDP font une mauvaise interprétation de la loi.
Que répondez-vous ?
Une
fois encore, je persiste et je signe. Nulle part, il n’a été demandé la
dissolution du CDP. Le problème, c’est la question de la sanction. Si le CDP,
en tant que parti politique, s’est fourvoyé, est-ce que cela veut dire que le
CDP ne peut pas être sanctionné ? Je vous prends toujours l’exemple de
l’histoire. Pourquoi, en Europe, on refuse que des partis politiques se créent
pour professer l’idéologie nazie ? Si on doit considérer que chacun est libre
de faire ce qu’il veut, c’est parce qu’on considère que ce parti a été porteur
de projets qui ne vont pas dans le sens de la bonne marche de la société. Mais,
pour ma part, ce n’est pas la question du parti qui importe. Le CDP a des
militants ; ses militants ont été complètement entraînés dans une course
sans issue, qui a abouti à ce que l’on a connu. Certains ont récusé la démarche
du parti, mais la direction du parti a pris des positions. En matière de
responsabilité pénale des associations, c’est comme ça. Quand une association
commet un impair, puisque l’association est une personne morale qu’on ne peut
attraper, ce sont ses dirigeants que l’on attrape, que l’on sanctionne.
L’article 10, alinéa 2 de la Charte africaine dont l’interprétation est
malheureuse, dit ceci : « Les Etats parties doivent
s’assurer que le processus d’amendement ou de révision de leur Constitution
repose sur un consensus national comportant, le cas échéant, le recours au
référendum ». Cela veut dire que le consensus est préalable au
référendum. Et je lis dans la déclaration publiée, que l’article 10 a été mal
interprété. Je demanderais à ces personnes de refaire l’examen de l’article 10,
alinéa 2 ; ils comprendront que c’est le consensus d’abord et le
référendum pour confirmer le consensus. Et eux, ils veulent nous dire non, on
fait le référendum d’abord, qui vaut consensus. Véritablement, c’est grave.
Ensuite, passons à l’article 23 que nous avions à plusieurs reprises souligné
pour les différentes parties. C’est l’explication de ce que c’est qu’un
changement anticonstitutionnel. On dit que « les Etats parties
conviennent que l’utilisation, entre autres, des moyens ci-après pour accéder
ou se maintenir au pouvoir, constitue un changement anticonstitutionnel du
gouvernement et est passible de sanctions appropriées de la part de l’Union
africaine. Tout coup d’Etat contre un pouvoir démocratiquement élu, toute
intervention de mercenaires pour renverser un gouvernement démocratiquement
élu, toute intervention de groupes dissidents armés ou de mouvements rebelles
pour renverser un gouvernement démocratiquement élu. Tout refus par un
gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti ou au candidat vainqueur
à l’issue des élections libres, justes et régulières. Tout amendement ou toute
révision de la Constitution ou des instruments juridiques qui portent atteinte
au principe de l’alternance démocratique », c’est la charte
africaine qui le dit. On ne peut pas nous dire que la révision qu’on voulait
faire, permettrait l’alternance, non ! Pourquoi, au moment où l’alternance
devait survenir, a-t-on eu besoin de réviser la Constitution ? C’est parce
que Blaise Compaoré ne pouvait plus se présenter, qu’il a voulu réviser la
Constitution pour se maintenir au pouvoir. S’il nous avait dit, nous révisons
la Constitution mais je ne suis pas candidat, pas de problème. Mais là, on nous
a dit que Blaise Compaoré va avoir maintenant 15 ans de plus. C’est une
atteinte à l’alternance, ce n’est pas la peine de vouloir chipoter pour dire
non, on permettait l’alternance en faisant un mandat de 2 ans. Non ! La Constitution
a été révisée avant. On a dit non, Blaise Compaoré avait déjà eu son mandat,
les compteurs sont mis à zéro, erreur du Conseil constitutionnel qui laissait
déjà entrevoir qu’on allait vouloir réviser ensuite. 2005, les Burkinabè ont
dit non, mais en 2015, c’est fini, on ne doit plus pouvoir modifier. C’est la
loyauté, c’est ça le respect de la parole donnée. Mais ces gens ne connaissent
rien en matière de loyauté, c’est de la fourberie ; c’est-à-dire, seuls
leurs intérêts comptent, l’intérêt du Burkina Faso, ils n’en ont cure. Et là,
c’était une atteinte à l’alternance, et l’article 25 dont nous parlons pose le
principe que « les auteurs de changement
anticonstitutionnel du gouvernement ne doivent ni participer aux élections
organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper des postes
de responsabilité dans les institutions politiques de leur Etat ».
Ce n’est pas nous qui le disons. Aujourd’hui, ils vont nous dire, oui mais nous
n’avons pas révisé. Mais ils n’ont pas révisé pourquoi ? Parce qu’ils ont
posé l’acte le plus important qui est ce projet de loi qui est sorti du Conseil
des ministres adopté pour réviser. Et ces députés que l’on a parqués à l’hôtel comme
des animaux, pour suivre et voter la loi ? L’article 25 alinéa 4 indique
que les auteurs de changement anticonstitutionnel ne doivent ni participer aux
élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper
des postes. Ces auteurs peuvent être traduits devant les juridictions
compétentes de l’Union africaine.
Mais est-ce que c’est ce
qui sera fait ?
C’est
le droit qui le dit. Ils peuvent, on n’a pas dit qu’ils doivent. Au niveau de
l’alinéa 4, on a dit, les gens ne doivent pas participer aux élections. On
ne dit même pas qu’il faut qu’ils soient jugés avant de ne pas pouvoir
participer. On dit : ne doit ni participer aux élections organisées pour
la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper des postes de responsabilité
dans les institutions politiques de l’Etat.
Les partis de l’ancienne
majorité et leurs alliés ont marqué leur opposition ferme à la dissolution du
CDP, l’inéligibilité de certains dignitaires et leur éventuelle traduction
devant des juridictions. Que répondez-vous à cela ?
Je
vous ai lu les dispositions de la Charte africaine, ce n’est pas moi qui le
dis. Si le peuple n’avait pas stoppé net cette forfaiture, Blaise Compaoré se
serait maintenu au pouvoir. L’article dit que « les
Etats parties conviennent que l’utilisation, entre autres, des moyens ci-après
pour accéder ou se maintenir au pouvoir constitue un changement
anticonstitutionnel du gouvernement et est passible de sanctions appropriées de
la part de l’Union africaine ». Et dans l’alinéa 5, tout
amendement par un gouvernement en place ou toute révision des Constitutions ou
des instruments juridiques, qui portent atteinte aux principes de l’alternance
démocratique. Qu’ils n’aillent pas aujourd’hui nous dire que ce qu’ils allaient
faire ne portait pas atteinte à l’alternance démocratique. Et pourquoi avait-on
besoin de réviser l’article 37 puisque le CDP n’était pas interdit de présenter
un autre candidat que Blaise Compaoré ? Donc, le but était de maintenir au
pouvoir Blaise Compaoré, en empêchant la survenue de l’alternance, alors que le
CDP pouvait choisir un autre candidat. Aujourd’hui, ils cherchent un candidat
alors qu’il n’y a pas longtemps, ils disaient que seul Blaise Compaoré pouvait
être candidat. Pourquoi ne vont-ils pas le chercher pour qu’il vienne être
candidat aux élections à venir ? C’est parce qu’ils savent que
politiquement, ça ne pourrait pas se faire.
D’aucuns estiment que le
candidat du CDP en 2015 pourrait être le général Gilbert Diendéré. Quelle
appréciation faites-vous de son éventuelle candidature ?
Je
ne peux pas trancher à la place du CDP. Ce qui est clair pour moi, c’est que
nous avons trop souffert des régimes militaires et qu’il faut véritablement que
le Burkina Faso s’engage dans une gouvernance civilo-civile. On voit
aujourd’hui beaucoup de militaires qui s’agitent pour être président du Faso
comme si les civils au Burkina Faso étaient incapables de gouverner. Il faut
que nous retournions à la République, à une gestion démocratique des choses. Il
faut que les militaires retournent à la caserne. Il faut que nous ayons une
armée républicaine et si nous avons une armée républicaine, tous les problèmes
que nous avons actuellement, RSP ou autres, n’existeront pas. La preuve, quand
vous prenez le Sénégal, il a une armée républicaine qui ne s’invite pas dans
les questions politiques. Et c’est cela qu’il faut reconstruire au Burkina
Faso.
Sur la question du RSP, le
CDP et l’ancienne majorité proposent que tout projet tendant à engager une
réforme globale du statut et des missions du RSP, soit différé pour que la
réforme soit conduite par les institutions qui seront démocratiquement
désignées au terme de la transition. Qu’en dites-vous ?
Cela
prouve que ces personnes ne sont pas des démocrates. Dans une démocratie
républicaine, on n’a pas besoin d’une garde prétorienne. Dans toutes les
démocraties du monde, ou est-ce que vous trouvez une garde prétorienne ?
Est-ce que le président français a une garde prétorienne ? Est-ce que
Barak Obama a une garde prétorienne ? C’est dans les dictatures et les
régimes autocratiques que l’on a des gardes prétoriennes. D’ailleurs, ces
messieurs semblent oublier l’histoire du Burkina Faso. La Commission d’enquête
indépendante, après l’assassinat de Norbert Zongo, la première chose qu’ils ont
demandée, c’était la dissolution du RSP. Le rapport du Collège de sages a bien
souligné la dissolution du RSP. Les revendications qui étaient posées après un
certain nombre d’agissements d’éléments du RSP, c’était que cette garde-là soit
dissoute. Demandez aux étudiants, ils peuvent vous parler des exactions du RSP.
Aujourd’hui, si nous voulons construire une démocratie, nous ne pouvons pas
accepter qu’il y ait une garde prétorienne, c’est contraire à toutes les
règles. C’est la gendarmerie qui assure la sécurité des autorités et on ne voit
pas pourquoi on va mettre 2000 personnes pour s’occuper de la sécurité d’une
seule personne. On nous dit qu’ils sont envoyés pour des missions, etc. Jusqu’à
présent, nous n’avons pas connaissance des hauts faits d’armes du RSP, en
dehors des situations dans lesquelles il est associé à des crimes de sang. On
n’a pas besoin d’attendre un gouvernement légitime. Ceux qui ont fait
l’insurrection demandent cela. On ne peut pas dire que l’on est dans la
transition et dire en même temps, non, dans la transition là, vous ne devez
rien faire. Donc, les réformes qui seront faites pendant la transition, on ne
doit pas les faire ? La Commission de réconciliation nationale des
réformes, on ne doit pas la mettre en place. On a bien dit que la
réconciliation, c’est vérité, justice et réconciliation. Nous n’allons pas
faire des choses escamotées comme au temps de Blaise Compaoré où on a fait une
journée de pardon où personne n’avoue rien et on dit qu’on s’est pardonné. Il
faut que ces messieurs soient conséquents avec eux-mêmes. S’ils sont partants
pour la transition, ils n’ont qu’à bien lire la Charte de la transition pour
savoir qu’il y a des réformes qui vont être faites, que la Charte africaine de
la démocratie, des élections, a été constitutionnalisée au Burkina Faso. Et
donc, elle fait partie du droit positif burkinabè. De ce fait, la commission
des réformes va traiter des points politiques, constitutionnels et autres. Elle
va traiter des questions de la loi électorale, de la gestion des droits
publics, de l’information. Pour cela, si tout doit être différé pour attendre
un gouvernement légitime, nous disons non ! Nous l’avons dit aux
présidents qui étaient venus ici, notamment, Macky Sall qui voulait qu’on fasse
une transition de 6 mois pour aller aux élections. Nous lui avons dit
non ! La transition doit permettre de corriger les impairs du système
Compaoré, pour que demain ne soit plus comme ce qui s’est passé.
Par rapport aux reproches
qui ont été faits, les responsables du CDP et leurs alliés estiment que ceux
qui s’attaquent à eux redoutent en réalité d’affronter les suffrages ?
Qu’en dites-vous ?
(Rire)… (Rires
aux éclats). Quand on marche dans la nuit et qu’on a peur, on se met à siffler
pour se donner du courage. Ce que je veux dire à ce niveau, ce n’est pas que
l’on fait une chasse aux sorcières. Ce que je demande, c’est l’application pure
et simple de la règle de droit. Nous sommes dans un Etat de droit et il faut
appliquer les règles de droit, un point c’est tout. Maintenant, dire que c’est
parce qu’on a peur d’eux, c’est comme si on disait à la sortie de la Seconde
Guerre mondiale, que les collaborateurs sont encore importants, que c’est parce
qu’on a peur d’eux qu’on les bannit, que c’est pour cela qu’on les a frappés
d’indignité et d’inéligibilité. Ils ont commis une faute, la sanction va
tomber. Quand, dans nos commissariats, le petit délinquant qui a pris le
porte-monnaie de quelqu’un, qu’on a attrapé, est mis au violon, est-ce parce
qu’on a peur de lui ? C’est parce qu’il a commis une faute et qu’il doit
être sanctionné pour cela. L’inéligibilité, ça existe dans le code électoral.
Ceux qui sont pris pour fraude électorale parce qu’ils ont commis une faute,
sont frappés d’inéligibilité. Ceux qui ont commis un certain nombre d’actes
sont frappés d’indignité nationale parce qu’ils ne peuvent être ni éligibles,
ni électeurs ; ça existe. Et là, il y a des gens qui ont commis une faute.
Ils ont attenté à la Constitution. Ils vont nous dire non, on n’a pas attenté
puisqu’on n’a pas pu réviser. Mais le problème, c’est qu’ils ont posé l’acte et
ils ont été pris en flagrant délit. Le flagrant délit, c’est quand quelqu’un
veut commettre quelque chose ou bien qu’il est prêt à le commettre et on le
prend sur le fait. Et vous savez que quand quelqu’un est pris en flagrant
délit, la procédure judicaire est abrégée. Parce que l’on a tous les éléments
de preuve. Ici, c’est le cas. Sinon, le peuple ne serait pas sorti en octobre
dernier. Pourquoi, quand bien même le peuple a élu des personnes et que le
règlement de cette assemblée dit que le peuple a le droit d’assister aux
séances de l’Assemblée nationale, barricade-t-on cette assemblée, enferme-t-on
des députés, paye-t-on des gens pour qu’ils changent d’avis ? Vous pensez
que ça c’est digne et que ça peut rester comme cela ? Pour montrer à nos
jeunes générations qu’on doit aller se vendre, se prostituer pour un poste ou
de l’argent ? Non ! Il faut que l’on comprenne que ces actes-là sont
indignes et pour cela, ces gens doivent assumer leurs responsabilités, leurs
actes et donc être sanctionnés. Le CDP lui-même aura un candidat et il y aura
d’autres candidats du CDP. C’est de cette façon que les jeunes comprendront
qu’ils ne doivent pas faire comme leurs aînés.
Vous avez dit qu’ils
doivent être frappés d’inéligibilité et vous dites encore que le CDP doit avoir
un candidat ? Expliquez-nous davantage.
Non,
je parle de ceux qui ont ouvertement participé au dernier gouvernement de
Blaise Compaoré et de ceux qui ont ouvertement soutenu la révision de l’article
37. C’est dit dans la charte. Le CDP a des militants et ces derniers ont le
droit de participer aux élections. Ce n’est pas le parti, mais ceux qui ont
ouvertement soutenu, comme les Hermann Yaméogo, Toussaint Abel Coulibaly et
autres. Tous ces gens qui sont sortis nous expliquer que « c’est
ça que l’on va faire. Que vous le vouliez ou non, on va faire ça, on va réviser
et alors ? »
Et Djibrill Bassolé par
exemple dont la candidature est probable ?
Il
fait aussi partie du dernier gouvernement de Blaise Compaoré. Par conséquent,
il est concerné, il est aussi frappé d’inéligibilité. Ça c’est clair comme de
l’eau de roche.
Que pensez-vous de la
présence de Blaise Compaoré en Côte d’Ivoire ?
Je
pense que les Etats ont des intérêts, les Etats n’ont pas d’amis. C’est une
réalité. La Côte d’Ivoire ne peut pas limiter sa coopération avec le Burkina
Faso, par le simple fait de la relation que son président a avec le président
Compaoré, parce qu’il y a trop d’intérêts qui lient nos deux pays. En droit
international, c’est clair. Quand on vous donne le statut de réfugié, vous êtes
tenu à la réserve. Et si le Burkina Faso arrive à donner des éléments qui
prouvent que Blaise Compaoré, depuis le territoire ivoirien, travaille à
déstabiliser la transition, il va porter la question devant les autorités
internationales. Et la Côte d’Ivoire devra prendre ses responsabilités. Mais pour
l’instant, tant que Blaise Compaoré profite de sa retraite dans sa
belle-famille, il n’y a pas de problème. Ce pour quoi les Burkinabè peuvent
avoir raison, c’est de dire s’il a bien géré ou pas. Et nous avions dit au
niveau du Front de résistance citoyenne, aujourd’hui Front de refondation
citoyenne, qu’il faut lancer un mandat d’arrêt contre Blaise Compaoré. Il faut
qu’il réponde de ses actes. De la même manière que ceux qui sont restés à
Ouagadougou, beaucoup doivent répondre. Si on a fui, c’est qu’on se reproche
quelque chose. S’il n’est pas resté, c’est parce que Blaise Compaoré savait
qu’il était vomi par le peuple burkinabè. Pourquoi son frère François et le
président de l’Assemblée nationale ne sont-ils pas restés au Burkina
Faso ? C’est parce qu’ils savaient qu’ils cristallisaient l’exaspération
du peuple burkinabè. Et ces messieurs du CDP doivent comprendre, une fois pour
toutes, qu’ils sont assez grands pour se prendre en charge eux-mêmes et ne pas
être là à s’infantiliser encore, après cette leçon de l’histoire. La transition
n’est aucunement assise sur la haine. Si c’était le cas, certains qui,
aujourd’hui parlent, n’existeraient plus. Personne d’entre eux n’a été
incarcéré. On les a gardés à la gendarmerie pour leur sécurité. Aujourd’hui, ils
circulent dans la ville sans être agressés. Cela veut dire que nous ne sommes
pas dans une logique de haine, mais nous n’accepterons pas l’impunité.
Source : Le Pays
(Burkina Faso) 13 février 2015.
[*] Juriste,
enseignant-chercheur spécialisé en Droit public et en Droit communautaire,
actuel président de l'Autorité supérieur du contrôle de l'Etat (ASCE) du
Burkina Faso.
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