Au terme de la 99ème Assemblée plénière
de notre Conférence, tenue à Abengourou, nous avons adressé un message à la
nation. Dans ce message, nous avons fait une analyse de la situation qui
prévaut dans notre pays, la Côte d’Ivoire, en vue de proposer une voie de sortie
susceptible de consolider la paix.
Dans cette nouvelle adresse, nous
souhaitons, une fois encore, partager avec vous, nos compatriotes, le souci de
la construction d’une société ivoirienne toujours plus fraternelle et ouverte à
tous, respectueuse de la dignité et des droits de la personne humaine et
préoccupée d’établir entre tous les citoyens des liens d’amitié, de confiance
et de respect mutuel. En effet, il est de la mission de l’Église de s’engager à promouvoir en son sein et
dans la société, une culture soucieuse de la primauté du droit (cf.
Africae Munus 81). Pour ce faire, vos Pères, les Archevêques et Évêques
de Côte d’Ivoire, vous rappellent à nouveau les conditions d’une vraie
réconciliation, pour des élections apaisées. Cela nécessite tout d’abord que
l’on fasse brièvement l’état de la situation actuelle.
I - SITUATION ACTUELLE
Au sortir de la crise née des dernières
élections, les nouvelles autorités du pays, conscientes de la fracture sociale,
ont opté pour la réconciliation des fils et des filles du pays. Aussi
avaient-elles mis en place la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR),
dont la mission principale consistait à ramener la paix et la concorde entre
les différentes composantes de la société ivoirienne. Cette mission serait
vaine sans le désarmement. C’est pourquoi les autorités compétentes ont procédé
à la création d’un organe chargé de désarmer les ex-belligérants et de les
réinsérer dans le tissu social.
Ainsi l’on a vu le retour progressif à
la vie civile de plusieurs ex-combattants qui, aujourd’hui, après une formation
reçue dans les centres d’apprentissage, mènent une activité génératrice de
revenus.
Parmi les actions réalisées par le
pouvoir, il faut relever le procès d’un grand nombre de détenus de la crise
post-électorale, le retour au pays de certains exilés et le dégel des avoirs de
certains concitoyens. Toutes ces actions visaient sûrement à ramener la
confiance et la concorde perdues entre les fils et les filles de notre pays.
Cependant malgré toutes ces actions
menées en si peu de temps, force est de constater que beaucoup reste à faire.
En effet, la CDVR qui avait si bien commencé et qui
suscitait beaucoup d’espoir chez les populations, est arrivé au terme de son mandat sans avoir
relevé le défi de la Réconciliation. A vrai dire, les
rancœurs, les tensions, les frustrations, les traumatismes et la pratique du
rattrapage ethnique sont toujours présents dans notre pays. Le pouvoir et
l’opposition continuent de se défier. L’on reste toujours arc-bouté à son appartenance
régionale, tribale ou ethnique. Par ailleurs le problème foncier reste
entier dans certaines régions.
Aujourd’hui, cette commission s’est vue
remplacée par une autre structure
appelée à parachever le travail déjà entrepris, cette fois-ci, en insistant
sur l’indemnisation des victimes.
Par ailleurs le front social en
ébullition ces derniers temps nous inquiète tous. Aussi les archevêques et
évêques encouragent – ils les uns et les autres à créer les conditions d’une
réconciliation vraie.
II - LES CONDITIONS D’UNE VRAIE RÉCONCILIATION
Une vraie réconciliation, dans notre
contexte actuel, nécessite un certain nombre de conditions dont, entre autres :
la rencontre entre les leaders politiques, l’unité au sein de chaque parti
politique, le désarmement, la vérité, une justice équitable et le pardon.
1. Rencontre et dialogue entre les leaders politiques
« Si ton frère a quelque chose contre
toi… va d’abord te réconcilier avec lui et viens… » (Mt 5,23-24). Une vraie
réconciliation exige une rencontre entre les belligérants d’hier. C’est
pourquoi nous souhaitons vivement que tous les leaders politiques se
rencontrent et fassent la paix.
2. Unité au sein de chaque parti politique
Nous invitons les partis politiques à
œuvrer à l’unité et à la paix en leur propre sein pour contribuer ainsi à la
réconciliation du pays.
3. Désarmement
Nous encourageons la poursuite et
l’achèvement effectif du processus de désarmement, condition indispensable pour
des élections apaisées.
4. Vérité
Il est évident qu’on ne peut pas arriver
à une vraie réconciliation dans le mensonge. C’est pourquoi, chacun devra reconnaître sa responsabilité
dans les crises successives qui ont secoué notre pays. En
effet, trop de mensonges ont été semés dans la vie socio-politique de notre
nation. L’heure est venue de sortir courageusement de cette culture de mensonge
pour accéder à la vérité.
5. Justice équitable
Dans la crise ivoirienne, des crimes
ont été commis dans les deux camps. Une justice équitable devrait juger les
coupables de l’un et l’autre camp.
6. Pardon
Sans le pardon demandé et reçu, il n’y
a pas de réconciliation authentique. Nous invitons donc les bourreaux de l’un et l’autre camps à regretter
leurs torts, à en demander pardon avec la ferme résolution de ne
plus recommencer. Quant aux victimes, elles devront faire un effort de pardon
et de dépassement.
III - BÂTIR UNE CÔTE D’IVOIRE RÉCONCILIÉE ET PROSPÈRE
A ce stade de notre propos, nous
voulons nous adresser aux différents acteurs de la vie socio-politique de notre
pays.
Aux leaders Politiques
Vous vous présentez comme des
éveilleurs de conscience et des modèles de citoyens. A ce titre, vous êtes
appelés à être les repères et les guides des militants de vos partis
politiques. Pour cela, vous devrez incarner vous-mêmes les valeurs humaines et
démocratiques que vous prônez dans vos projets de société et programmes de
gouvernement. Dans vos discours et comportements, vous veillerez à ne mépriser personne et à n’insulter personne.
L’autre candidat n’est qu’un adversaire politique et non un ennemi. Aussi
doit-il être traité avec courtoisie.
Quels que soient les résultats des
votes des prochaines élections, vous devrez placer l’intérêt supérieur de la
nation au-dessus de toute autre considération ; vous ferez montre de grandeur
d’âme pour ne pas considérer la victoire comme une occasion de domination et la
défaite comme une déchéance humaine. Dans cette dynamique, le vainqueur devra
tendre la main aux vaincus qui accepteront en toute humilité et honnêteté de
collaborer à l’unique construction du pays. Au regard de l’histoire récente de
notre pays où beaucoup de jeunes
par dizaines ont été sacrifiés sur l’autel des ambitions politiques partisanes,
nous vous recommandons vivement de vous abstenir de les impliquer dans vos aventures idéologiques meurtrières.
Aux militants
Vous constituez la base et la force des
partis politiques. Mais en même temps, sans le vouloir, vous pouvez en être la
faiblesse. Par votre propre faute, à travers l’usage de la violence, le refus de la contradiction, le tribalisme, l’ethnicisme
et le fanatisme religieux, vos partis peuvent perdre en crédibilité. Au
contraire, vous devez faire preuve de tolérance en acceptant le droit à la
différence d’opinion et en traitant avec bienveillance vos adversaires, à
défaut de les aimer. Dans la manifestation légitime de votre joie, en cas de
victoire de votre candidat, vous ne devez ni provoquer ni humilier les
perdants. Victoires et défaites ne doivent pas être des occasions pour poser
des actes de vandalisme qui contredisent l’esprit civique (descentes dans les
rues, pillages, incendies, meurtres, viols, etc.).
Aux journalistes
Pour permettre à la Côte d’Ivoire de
vivre des élections sereines et apaisées, il s’impose d’une part que vous
évitiez d’écrire des articles incendiaires de nature à mettre le feu aux
poudres et à compromettre la paix fragile qui pointe à l’horizon. Il est impératif d’autre part que l’équité soit respectée dans l’accès de
chaque candidat aux médias d’Etat.
Aux jeunes
L’avenir d’un pays repose sur sa
jeunesse. A ce sujet, l’Eglise a raison lorsqu’elle affirme que « la jeunesse
n’est pas seulement le présent mais surtout l’avenir de l’humanité » (Ecclesia
in Africa, n°93). Nous le savons tous, vous les jeunes, vous constituez une
force.
Tout en vous félicitant pour votre
générosité à répondre aux appels qui vous sont adressés, nous vous invitons à
beaucoup de vigilance et à plus de maturité dans vos engagements politiques et
idéologiques. Vous ne devrez pas vous laisser manipuler et instrumentaliser par
les hommes politiques. Refusez
systématiquement le faux martyre qui ne servirait qu’à la
gloire d’un individu se souciant peu ou même pas de votre véritable avenir.
Rejetez également tout acte qui serait de nature à détruire aussi bien les
acquis que le pays lui-même.
Aux autorités religieuses
Nous, autorités religieuses, sommes les
guides et les éclaireurs des consciences des hommes, des femmes et des
communautés au nom de la foi en Dieu. A ce titre, nous ne devrions pas avoir
peur de dire la vérité qui s’impose et qui seule libère. Pour y parvenir, nous,
autorités religieuses, préserverons notre liberté vis-à-vis des leaders des
partis politiques, des pressions et des logiques ethniques. Nous devons avoir
le courage de dénoncer ouvertement les pratiques occultes liées aux élections
qui, hélas !, vont quelquefois jusqu’aux sacrifices humains. Dans nos
diverses interventions, nous rappellerons aux leaders politiques le vrai sens
de leur engagement qui est d’abord et essentiellement un service de la
communauté. Il n’est nullement un moyen d’enrichissement individuel et rapide,
encore moins la recherche d’une gloire personnelle ou d’une revanche sur des
adversaires.
CONCLUSION
Nous ne saurions terminer cette adresse
sans vous inviter à tracer les sillons d’une réconciliation vraie pour le
retour d’une paix durable en Côte d’Ivoire. Ainsi les fils et filles de ce pays
pourront se mettre ensemble pour construire une société plus digne et plus
fraternelle. Puisse la Vierge Marie, Notre-Dame de la Paix, nous accompagner
toujours dans nos efforts pour bâtir la patrie de la vraie fraternité.
Fait à Taabo dans le diocèse
d’Agboville, le 10 mai 2015
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des
documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à
l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec
l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par
leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des
causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
LA CONFÉRENCE DES ÉVÊQUES & LA CONARIV
COMMUNIQUÉ
Le mercredi 25 mars 2015, Mgr Paul
Siméon Ahouanan Djro, Archevêque métropolitain de Bouaké, a été nommé président
de la Commission Nationale pour la Réconciliation et l’Indemnisation des
victimes (CONARIV).
Les archevêques et évêques de Côte
d’Ivoire tiennent à informer les membres du clergé, les religieux, les religieuses
et les fidèles laïcs, qu’ils n’ont été associés ni de près ni de loin par leur
confrère à cet engagement. C’est pourquoi, dans l’esprit du Canon 285 du Code
de Droit Canonique de 1983*, ils tiennent à préciser qu’ils ne sont pas
comptables des actes qu’il posera dans l’exercice de sa nouvelle charge à la
tête de la CONARIV.
Fait à Taabo, le 10 mai 2015
(*) – Que dit le canon 285 ?
§ 1. Les clercs s’abstiendront absolument de tout
ce qui ne convient pas à leur état, selon les dispositions du droit
particulier.
§ 2. Les clercs éviteront ce qui, tout en restant
correct, est cependant étranger à l’état clérical.
§ 3. Il est interdit aux clercs de remplir les
charges publiques qui comportent une participation à l’exercice du pouvoir
civil.
§ 4. Sans la permission de leur
Ordinaire, les clercs ne géreront pas des biens appartenant à des laïcs ni des
charges séculières comportant l’obligation de rendre des comptes ; il leur
est défendu de se porter garant, même sur leurs biens personnels, sans avoir
consulté leur Ordinaire propre ; de même, ils s’abstiendront de signer des
effets de commerce par lesquels ils assumeraient l’obligation de verser de
l’argent sans motif défini.
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