Y.M. Sawadogo |
Les langues se délient. Après
l’exhumation des restes du président Thomas Sankara et de ses douze compagnons
d’infortune, des révélations sur les événements de la nuit du 15 octobre 1987
commencent à sortir au grand jour. Les derniers déballages sont ceux de
l’ancien député sankariste, Yamba Malick Sawadogo, aujourd’hui militant du
Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Dans cet entretien accordé à la radio
allemande Deutsche Welle, il révèle comment il a participé à l’enterrement de
Thomas Sankara et de ses compagnons.
Yamba Malick Sawadogo, vous êtes un homme politique
burkinabè, ancien député à l’Assemblée nationale, ancien membre du parlement
panafricain. Vous faisiez partie des tout-premiers acteurs de la révolution
sous Thomas Sankara. Vous avez contribué à la mise en place des Comités de
défense de la Révolution (CDR). Que retenez-vous du président Thomas Sankara ?
Yamba Malick Sawadogo : Thomas Sankara, malgré ses
hautes études, son rang militaire, son rang politique, est resté égal à
lui-même. Il a essayé d’imprimer cela sur le plan national. Il voulait que les
Burkinabè comptent plus sur leurs propres moyens d’où son slogan : « Consommons
ce que nous produisons et produisons ce que nous consommons ». C’est cela
l’homme Thomas Sankara.
Vous avez fait allusion à ses hautes études, est-ce
qu’il est allé étudier hors du Burkina ?
Oui. Il a étudié hors du Burkina. Avec son assassin, à
savoir Blaise Compaoré, ils sont allés ensemble au Maroc pour les études.
Vous avez insinué que Blaise Compaoré, président
renversé en octobre, est l’assassin de Thomas
Sankara. Mais on n’a pas encore la preuve…
Oui mais à qui profite le crime ? C’est ce qu’on est
en train de demander à la Justice de confirmer.
Mais pourquoi a-t-il été assassiné ?
Personnellement, j’ai constaté que le 15 octobre 1987
avait débuté le 4 aout 1983. Ce jour-là, Blaise Compaoré est venu de Pô avec
ses commandos pour faire le coup. En son temps, il avait voulu, poussé par ses
camarades, prendre les rênes de la Nation alors qu’il n’était pas connu. Il lui
fallait donc se mettre sous l’ombre de Thomas pour se faire connaitre et
nourrir ses ambitions. Il a été soutenu dans ce projet par l’extérieur,
notamment l’Occident. Quand je parle du soutien de l’extérieur, puisqu’il
n’était rien à l’époque, il est passé par d’autres chefs d’Etat africains dont
celui de la Côte d’Ivoire en son temps.
Félix Houphouët-Boigny ?
C’est connu. Il s’agit bien de Félix Houphouët-Boigny
qui était d’ailleurs son beau puisque son épouse est de la Côte d’Ivoire. Et
c’est l’une des raisons pour lesquelles, il réside en Côte d’Ivoire depuis sa
chute.
On parle aussi de l’ex-dirigeant libérien, Charles
Taylor…
Charles Taylor faisait partie des bras armés de
Blaise. Mais après l’assassinat de Thomas Sankara, Blaise était devenu le Zorro
de l’Afrique de l’Ouest. Il a créé des crises dans plusieurs pays africains
dont le Libéria, la Sierra Léone, le Togo, le Niger, etc.
La famille de Thomas Sankara doute que les restes
issus de la tombe qu’on lui attribue ne lui appartiennent pas. Est-ce qu’il y a
du suspens à ce niveau ?
Je n’ai pas encore appris que la famille doute que les
restes ne lui appartiennent pas parce qu’à ce jour l’expertise n’a pas encore
livré ses résultats.
Vous faisiez partie de ceux qui avaient été sollicités
pour faire cet enterrement…
Oui. J’étais un prisonnier et on est venu nous faire
sortir pour faire l’enterrement. Nous ne
savions pas de quoi il s’agissait.
Nous y sommes donc allés et malheureusement nous nous sommes rendu compte que
c’était lui, mais nous n’avions pas le choix. Si j’évitais de l’évoquer dans la
presse, c’est parce que j’attendais de faire une déposition auprès d’un juge
avant ma mort. Je l’ai fait le 13 mai dernier devant le juge d’instruction. Je
me suis déchargé un peu mais pour respecter le secret de l’instruction, il y a
certaines choses que je souhaitais toujours garder jusqu’au jugement.
Vous avez dit qu’on est venu nous faire sortir. De qui
s’agit-il ?
C’était le régisseur de la Maison d’arrêt et de
Correction de Ouagadougou (MACO). A l’époque c’était le Sergent-chef Tapsoba
Karim.
Vous étiez au nombre de combien ?
Nous étions 20 corvéables, 2 chauffeurs et le
régisseur. Nous étions au total 23 personnes au cimetière.
N’y avait-il pas quelqu’un d’autre avec vous au
cimetière ?
Non. Nous étions au nombre de 23 personnes.
Dans quel état étaient les corps ?
Ils étaient tous identifiables. J’ai entendu des gens
dire que certains corps étaient déchiquetés, mais c’est faux. Les corps étaient
intacts et tous étaient identifiables.
Avez-vous formellement reconnu le corps de Thomas
Sankara ?
Bien sûr. Même à l’heure où je vous parle, je revois
l’image comme si c’était hier. (Un silence) ! Je revois l’image de Sankara.
Confirmez-vous qu’il a été effectivement enterré dans
la tombe qui portait son nom ?
Oui. Puisque nous avons disposé les tombes de manière
à pouvoir les reconnaitre après. La première tombe était celle de Thomas
Sankara. Et les autres ont été enterrés après.
Mais à votre avis, qu’adviendrait-il s’il s’avérait
que ce n’était pas la tombe de Sankara ?
J’ai toujours dit que je sais qu’il a été enterré
là-bas, mais je ne peux pas dire qu’il est toujours là-bas. Nous l’avons
enterré sous le couvre-feu et nous sommes repartis sous le couvre-feu. Ce qui
s’est passé ensuite, je n’en sais rien.
Lorsqu’on aura la confirmation que c’est lui,
pensez-vous qu’il y aura une suite judiciaire ?
C’est la suite judiciaire que nous voulons et que nous
attendons depuis 27 ans. C’est l’objet de notre combat durant tout ce temps.
Nous nous battons afin qu’on sache qui l’a tué et pourquoi il a été tué. C’est
quand même un minimum.
Retranscrit par Jacques Théodore Balima (Deutsche
Welle, Lefaso.net)
Notre source :
IvoireBusiness 1er Juin
2015
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire