Alors que
François Hollande, le flagorneur des despotes dorés d’Arabie, prétend être allé
à Cuba pour y donner des leçons de droit-de-l’hommisme, Salim Lamrani, docteur
ès Etudes Ibériques et Latino-américaines et spécialiste des relations entre
Cuba et les États-Unis, explique ici pourquoi ce sont les sanctions économiques
des États-Unis, et pas de prétendues atteintes aux droits de l’homme, qui constituent
le principal obstacle au développement de Cuba.
Panneaux
contre le blocus de Cuba,
La Havane, 2009.
(Photo
: STR/AFP)
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Les premières sanctions économiques
ont été imposées à Cuba en 1960 par l’administration républicaine de Dwight D.
Eisenhower, officiellement en raison du processus de nationalisations entrepris
par le gouvernement révolutionnaire de Fidel Castro. En 1962, le gouvernement
démocrate de John F. Kennedy a appliqué des sanctions économiques totales
contre l’île. L’impact a été terrible. Les Etats-Unis ont en effet toujours
constitué le marché naturel de Cuba. En 1959, 73% des exportations se faisaient
vers le voisin du Nord et 70% des importations provenaient de ce territoire.
Désormais, Cuba ne peut rien
importer ou exporter aux Etats-Unis. Depuis 2000, suite aux pressions du lobby
agricole étasunien qui cherchait de nouveaux marchés pour ses excédents, La
Havane est autorisée à acheter certaines matières premières alimentaires, à des
conditions draconiennes.
La rhétorique diplomatique pour
justifier le durcissement de cet état de siège économique a évoluée au fil des
ans. Entre 1960 et 1990, les Etats-Unis ont d’abord évoqué le cas des
expropriations de ses entreprises pour justifier leur politique hostile
vis-à-vis de La Havane. Ensuite, Washington a évoqué tour à tour l’alliance
avec l’Union soviétique, le soutien aux guérillas latino-américaines en lutte
contre les dictatures militaires et l’intervention cubaine en Afrique pour
aider les anciennes colonies portugaises à obtenir leur indépendance et à la
défendre.
En 1991, suite à l’effondrement du bloc soviétique, les Etats-Unis, au lieu de
normaliser les relations avec Cuba, ont au contraire choisi d’accroitre les
sanctions en invoquant la nécessité de rétablir la démocratie et le respect des
droits de l’homme. En 1992, sous l’administration Bush Sr., le Congrès des
Etats-Unis a adopté la loi Torricelli qui accroit les sanctions contre la
population cubaine et leur donne un caractère extraterritorial, c’est-à-dire
contraire à la législation internationale. Le droit international interdit à
toute loi nationale d’être extraterritoriale, c’est-à-dire de s’appliquer
au-delà des frontières du pays. Ainsi, la loi française ne peut pas s’appliquer
en Allemagne. La législation brésilienne ne peut pas s’appliquer en Argentine.
Néanmoins, la loi Torricelli s’applique pour tous les pays du monde. Ainsi,
depuis 1992, toute embarcation étrangère – quelle que soit sa provenance –
accostant à un port cubain se voit interdire l’entrée aux Etats-Unis pendant
six mois. Les entreprises maritimes opérant dans la région privilégient le
commerce avec les Etats-Unis, premier marché mondial. Cuba, qui dépend
essentiellement du transport maritime en raison de son insularité, doit payer
un prix bien supérieur à celui du marché pour convaincre les transporteurs
internationaux de livrer de la marchandise sur l’île. La loi Torricelli prévoit
également des sanctions pour les pays qui apportent une assistance à Cuba.
Ainsi, si la France ou le Brésil octroient une aide de 100 millions de dollars
à l’île, les États-Unis diminuent leur aide à ces nations à hauteur du même
montant.
En 1996, l’administration Clinton a adopté la loi
Helms-Burton qui est à la fois extraterritoriale et rétroactive, c’est-à-dire qu’elle s’applique
pour des faits survenus avant l’adoption de la législation, ce qui est
contraire au droit international. Le droit international interdit à toute
législation d’avoir un caractère rétroactif. Par exemple, en France, depuis le
1er janvier 2008, il est interdit de fumer dans les restaurants. Néanmoins, un
fumeur qui aurait consommé une cigarette le 31 décembre 2007 lors d’un repas ne
peut être sanctionné pour cela, car la loi ne peut pas être rétroactive. La loi
Helms-Burton sanctionne toute entreprise étrangère qui s’installerait sur les
propriétés nationalisées appartenant à des personnes qui, au moment de
l’étatisation, disposaient de la nationalité cubaine, violant ainsi le droit
international. La loi Helms-Burton viole également le droit étasunien qui
stipule que les poursuites judiciaires auprès de tribunaux ne sont possibles
que si la personne lésée par un processus de nationalisations est citoyen
étasunien lors de l’expropriation et que celle-ci s’est déroulée en violation
au droit international public. Or, aucune de ces deux conditions n’est remplie.
Elle a pour effet de dissuader de nombreux investisseurs de s’installer à Cuba
par crainte d’être poursuivis par la justice étasunienne et elle se révèle très
efficace.
En 2004, l’administration Bush Jr. a créé la Commission
d’assistance à une Cuba libre,
qui a imposé de nouvelles sanctions contre Cuba. Cette Commission a notamment
fortement limité les voyages. Tous les habitants des Etats-Unis peuvent se
rendre dans leur pays d’origine autant de fois qu’ils le souhaitent, sauf les
Cubains. En effet, entre 2004 et 2009, les Cubains des Etats-Unis n’ont pu se
rendre dans l’île que 14 jours tous les trois ans, dans le meilleur des cas, à
condition d’obtenir une autorisation du Département du Trésor. Pour pouvoir
voyager, il fallait démontrer qu’au moins un membre de la famille vivait
toujours à Cuba. Néanmoins, l’administration Bush a redéfini le concept de la
famille, qui s’est exclusivement appliqué aux Cubains. Ainsi, les cousins,
neveux, oncles et autres parents proches ne faisaient plus partie de la
famille. Seuls les grands-parents, parents, frères et sœurs, enfants et époux
faisaient partie de l’entité familiale, selon la nouvelle définition. Par
exemple, un Cubain résidant aux États-Unis ne pouvait pas rendre visite à sa
tante à Cuba, ni envoyer une aide financière à son cousin. Les Cubains ayant pu
remplir toutes les conditions pour se rendre dans leur pays d’origine, en plus
de devoir limiter leur séjour à deux semaines, ne devaient pas dépenser plus de
50 dollars par jour sur place. Les citoyens ou résidants étasuniens peuvent
envoyer une aide financière à leur famille restée au pays, sans limite de
montant, sauf les Cubains qui ne pouvaient pas envoyer plus de 100 dollars par
mois entre 2004 et 2009. Néanmoins, si un Cubain de Floride souhaitait envoyer
de l’argent à sa mère – membre direct de la famille selon la nouvelle
définition – qui vivait à La Havane, cela devenait impossible si celle-ci
militait au sein du Parti communiste.
En 2006, la Commission d’assistance à une Cuba libre a
adopté un nouveau rapport accroissant les restrictions contre Cuba. Dans le but de limiter la
coopération médicale cubaine avec le reste du Monde, les Etats-Unis interdisent
toute exportation d’appareils médicaux à des pays tiers « destinés à être
utilisés dans des programmes à grande échelle [pour] des patients
étrangers », alors que la majeure partie de la technologie médicale
mondiale est d’origine étasunienne.
En raison de l’application
extraterritoriale des sanctions économiques, un fabriquant d’automobiles
japonais, allemand, coréen ou autre, qui souhaiterait commercialiser ses
produits sur le marché étasunien, doit démontrer au Département du Trésor que
ses voitures ne contiennent pas un gramme de nickel cubain. De la même manière,
un pâtissier français qui désirerait investir le premier marché économique
mondial doit prouver à cette même entité que sa production ne contient pas un
gramme de sucre cubain. Ainsi, le caractère extraterritorial des sanctions
limite fortement le commerce international de Cuba avec le reste du monde.
Parfois, l’application de ces
sanctions prend une tournure moins rationnelle. Ainsi, tout touriste étasunien
qui consommerait un cigare cubain ou un verre de rhum Havana Club lors d’un
voyage à l’étranger, en France, au Brésil ou au Japon, risque une amende d’un million
de dollars et dix années de prison. Le Département du Trésor est clair à ce
sujet : « On se demande souvent si les citoyens américains peuvent
légalement acquérir des biens cubains, y compris du tabac ou des boissons
alcoolisées, dans un pays tiers pour leur consommation personnelle en dehors
des Etats-Unis. La réponse est non ». De la même manière, un Cubain vivant
en France ne peut théoriquement pas manger un hamburger à Mc Donald’s.
Les sanctions économiques ont un
impact dramatique dans le domaine de la santé. En effet, près de 80% des
brevets déposés dans le secteur médical sont du fait des multinationales
pharmaceutiques étasuniennes et de leurs filiales, et Cuba ne peut pas y avoir
accès. Le Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations unies souligne
que « les restrictions imposées par l’embargo ont contribué à priver Cuba
d’un accès vital aux médicaments, aux nouvelles technologies médicales et
scientifiques ».
Les touristes étasuniens peuvent se
rendre en voyage en Chine, principal rival économique et politique des
Etats-Unis, au Vietnam, pays contre lequel Washington a été plus de quinze ans
en guerre, ou en Corée du Nord, qui possède l’arme nucléaire et qui menace d’en
faire usage, mais pas à Cuba qui, dans son histoire, n’a jamais attaqué les
Etats-Unis. Tout citoyen étasunien qui violerait cette interdiction risque une
peine pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison et 1 million de dollars d’amende.
Suite aux sollicitations de Max
Baucus, sénateur du Montana, le Département du Trésor a informé avoir réalisé,
entre 1990 et 2004, quatre-vingt-treize investigations en rapport avec le
terrorisme international. Dans le même temps, il en a effectué 10 683
« pour empêcher les Nord-américains d’exercer leur droit de voyager à Cuba ».
Dans un rapport, le Bureau de
responsabilité gouvernementale des États-Unis (United States Government Accountability Office – GAO) note
que les services douaniers (Customs
and Border Protection – CBP) de Miami ont réalisé des inspections
« secondaires » sur 20% des passagers en provenance de Cuba afin de
vérifier que ces derniers n’importaient pas de cigares, de l’alcool ou des
produits pharmaceutiques de l’île. En revanche, la moyenne a été de 3%
seulement pour les autres voyageurs. Selon le GAO, cette focalisation sur Cuba
« réduit l’aptitude des services douaniers à mener sa mission qui consiste
à empêcher les terroristes, les criminels et les autres étrangers indésirables
d’entrer dans le pays ».
Les anciens présidents James Carter
et William Clinton ont exprimé à plusieurs reprises leur opposition à la
politique de Washington. « Je n’ai eu de cesse de demander à la fois
publiquement et en privé la fin de notre blocus économique contre le peuple
cubain, la levée de toutes les restrictions financières, commerciales et de voyage »,
a déclaré Carter après son second voyage à Cuba en mars 2011. Pour Clinton, la
politique de sanctions « absurde » s’est soldée par un « échec
total ».
La Chambre de commerce des
États-Unis, représentant le monde des affaires et les plus importantes
multinationales du pays, a également fait part de son opposition au maintien
des sanctions économiques.
Le New York Times a condamné « un
anachronisme de la guerre froide ». Le Washington
Post, pourtant d’obédience conservatrice, se montre le plus virulent
à l’égard de la politique cubaine de Washington : « La politique des
Etats-Unis à l’égard de Cuba est un échec […]. Rien n’a changé, excepté le fait
que notre embargo nous rend plus ridicule et impuissant que jamais ».
Selon un sondage réalisé par CNN le
10 avril 2009, 64% des citoyens étasuniens s’opposent aux sanctions économiques
contre Cuba. Selon l’entreprise Orbitz Worldwide, l’une des deux plus
importantes agences de voyages sur Internet, 67% des habitants des États-Unis
souhaitent se rendre en vacances à Cuba et 72% pensent que « le tourisme à
Cuba aurait un impact positif sur la vie quotidienne du peuple cubain ».
Plus de 70% des Cubains sont nés
sous cet état de siège économique. En 2014, lors de la réunion annuelle de
l’Assemblée générale des Nations unies, 188 pays sur 192 ont condamné pour la
23ème fois consécutive les sanctions économiques imposées à Cuba.
Salim Lamrani
Source : Humanite.fr 10 Mai 2015
POUR ALLER PLUS LOIN
Salim
Lamrani, État de siège. Les sanctions
économiques des Etats-Unis contre Cuba, Paris, Éditions
Estrella, 2011.
Salim
Lamrani, The Economic
War against Cuba, New York, Monthly Review Press, 2013.
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