Entretien
avec Cristina Duarte, ministre des Finances et du Plan du Cap-Vert,
candidate à la présidence de la Banque
africaine de développement (BAD).
Quelle serait la première mesure que
vous prendriez si vous étiez nommée présidente de la BAD ?
La BAD est
une organisation complexe, en ce sens qu’elle est à la fois une banque de
développement et une banque d’investissement. Elle a une mission très
importante en Afrique. Dans ce contexte, la première préoccupation du président
est de mobiliser l’organisation en tant que telle – en tant que banque de
développement et en tant que banque d’investissement – autour d’un
objectif et d’une vision.
Pour se
faire, il faut commencer par écouter toutes les parties prenantes de la BAD, à
tous les niveaux, en particulier le personnel de la banque. Il faut avoir, en
priorité, le souci de créer un environnement de dialogue, d’analyse interne, de
collaboration. Je dirais même de « complicité positive », pour
promouvoir un sentiment de fierté d’appartenir à la Banque et de servir
l’Afrique.
Quelle est la meilleure raison de voter
pour vous ?
Il y a
quelques jours, on m’a posé cette question et, pour plaisanter, j’ai répondu
que j’étais « une personne très sympathique ». Plus sérieusement, je
mettrais en avant ma manière d’exercer le leadership. Comme ministre des Finances,
je l’ai exercé d’une manière ferme, mais en même temps participative. Je l’ai
exercé avec conviction, en mobilisant et motivant toute l’équipe du ministère.
J’ai eu l’opportunité d’exercer cette autorité en dialoguant avec tous, mais en
maintenant le cap sur la vision.
Qu’est-ce qu’il faut changer dans le
« logiciel » de la BAD pour que l’Afrique décolle durablement ?
Pour moi,
l’Afrique a déjà décollé. La question, est, en effet, plutôt celle du soutien
de ce décollage. L’Afrique a réussi son envol grâce à une combinaison de
facteurs externes et internes. Ces derniers sont les plus importants : de
plus en plus, les gouvernements africains ont des pratiques de bonne
gouvernance. Dans ce contexte, la responsabilité première du décollage de
l’Afrique, ou du soutien de ce décollage, relève avant tout des Africains. Et
particulièrement, des gouvernements africains élus démocratiquement.
Pouvez-vous citer un exemple concret où
la BAD a entrepris ce que les autres banques n’ont pas fait, et répondu ainsi
aux besoins spécifiques de l’Afrique ?
La BAD a joué
un rôle de catalyseur, un rôle lubrificateur du décollage que nous venons
d’évoquer. Elle a mis en œuvre une perspective africaine du développement de
l’Afrique. Cela est important : en mettant à l’ordre du jour cette
perspective africaine du développement de l’Afrique, la BAD contribue de plus
en plus à un sentiment d’appropriation, du côté des gouvernements africains,
mais aussi du côté des sociétés africaines. Je peux vous donner l’exemple du
Cap-Vert. Dès le début, la BAD a respecté la vision du gouvernement, ses
priorités et l’a aidé à ne pas rater ses rendez-vous. Dans ce type de
collaboration, on mesure l’importance de la perspective africaine du
développement de l’Afrique. Grâce à la BAD, le Cap-Vert n’a pas manqué cette
opportunité de son développement. Et je peux vous confirmer, comme ministre des
Finances, que la BAD a été l’unique institution financière à l’avoir
fait !
L’Afrique va voir émerger des dizaines
de nouveaux milliardaires ces prochaines années. Faut-il une taxe spéciale
milliardaire pour financer le développement du continent ?
Non, je pense
que la question n’est pas aussi simple. Instaurer une taxe spéciale n’est pas
la solution. Il faut agir du côté de la politique fiscale, et du côté du
financement du développement du continent. Au plan de la politique fiscale,
comme vous le savez, il faut une approche intégrée, qui ne soit pas seulement
fondée sur une approche isolée.
Au plan de la
mobilisation des financements pour le développement, je pense que la réponse ou
la solution doit être structurée. La BAD doit appuyer les gouvernements
africains afin de créer et consolider des institutions pour
« retenir » la richesse produite en Afrique. En tenant compte des
études de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), le continent perd,
chaque année, 50 milliards de dollars. Je pense que la première étape dans
la mobilisation des ressources, c’est de tout faire pour ne pas perdre cet
argent : en renforçant les institutions, les systèmes financiers et en
renforçant l’intermédiation financière en Afrique.
Deuxièmement,
pour mobiliser les ressources pour le financement de l’Afrique, il faut faire
appel au secteur privé africain qui doit être convaincu que l’Afrique
représente, aujourd’hui, le meilleur endroit au monde et la meilleure zone
géographique pour investir.
Comment faire exister vos propres idées
et priorités tandis que la stratégie décennale 2013-2022 est en cours
d’exécution ?
Je suis
gouverneur de la BAD depuis 2006. En tant que tel, j’ai participé à cette
stratégie et je l’ai validée. Cela veut dire que, pour le prochain président,
la feuille de route constitue un bon point de départ. Je m’identifie avec cette
stratégie, et je suis d’accord sur les grandes lignes ; il n’est pas
nécessaire d’en mettre une autre sur la table. Il s’agit plutôt de voir
comment, rapidement, transformer cette stratégie, déjà prête, en termes de plan
d’actions. Le prochain président, avec cette stratégie, a toutes les conditions
pour le faire. Comme on dit en anglais, hit
on the ground… Il faut commencer à mettre en place un plan d’actions en
accord avec la vision que j’ai présentée à la BAD. Et ne pas se dire qu’on va
repenser cette stratégie.
Comptez-vous maintenir la logique de
décentralisation ? Les 44 bureaux coûtent très cher et leur autonomie est
très limitée : tout doit remonter au siège pour validation !
Je suis tout
à fait consciente que le processus de décentralisation en cours n’a pas que des
points positifs. J’ai entendu des critiques internes de ce processus de
décentralisation, mais aussi quelques critiques externes. Sur ce sujet de la
décentralisation, le prochain président doit mettre en place une évaluation de
ce processus. Pas pour l’éliminer – la décentralisation a été une bonne
décision – mais pour l’améliorer, pour la rendre plus efficace. Pour en faire
un instrument qui permette de faire beaucoup plus avec moins de ressources. Et
consolider ainsi la soutenabilité de la banque.
La BAD est certes une banque africaine,
mais le poids des actionnaires non africains est souvent décisif, y compris
dans le choix du président. Cela ne vous dérange-t-il pas ?
La BAD a été
créée pour servir le développement de l’Afrique. Celle-ci doit avoir toujours
une perspective africaine. Le plus important réside dans ce que la BAD
fait : elle existe pour servir le continent en supportant la croissance
économique et la réduction de la pauvreté. La BAD se doit d’aider les pays
africains à aller au-delà de la gestion de la pauvreté. Où réside le problème
de son actionnariat, si la Banque mobilise de plus en plus tous les pays, toutes
les organisations du monde, autour de ces objectifs-là ? Je ne vois pas où
est le problème. Il nous faut néanmoins rappeler que la BAD ne peut pas être
transformée au gré du processus d’ajustement de la géopolitique mondiale. La
géopolitique mondiale doit rester à sa place. Et la BAD doit se concentrer sur
son cœur de métier : servir l’Afrique.
La BAD a la
réputation d’être très lente entre le dépôt des dossiers et le décaissement. Comment accélérer les procédures
afin d’éviter que d’autres institutions (Chine, Turquie, Brésil, etc.) ne
viennent la concurrencer ?
Il ne faut
pas regarder ces nouveaux partenariats avec peur. Et dans notre mission au
service de l’Afrique que je viens d’évoquer, si nous réussissons à mobiliser
davantage la Chine, la Turquie, le Brésil, le Japon, la France, les Etats-Unis,
c’est mieux pour l’Afrique ! Il n’y a pas de doute, la BAD a un problème
d’efficacité organisationnelle. C’est pour cela que, dans mon programme, je
défends de manière très claire – et je pense, aussi, très responsable – que le
prochain président doit avoir le profil d’une personne ayant la capacité
d’imposer des réformes nécessaires pour rendre l’institution plus efficace,
mais aussi pour consolider la soutenabilité de la banque. Je pense
qu’aujourd’hui la BAD est, à nouveau, dans une période qui a besoin de réformes
nécessaires pour rendre l’organisation plus efficace, en respectant sa
stabilité, et en consolidant sa soutenabilité.
Quelle est la femme ou l’homme vivant ou
historique qui vous inspire le plus ?
Ceux qui
m’inspirent le plus, ce sont la femme et l’homme africains. Par exemple, ceux
qui ont réussi à survivre à Ebola, à la malaria. La femme et l’homme africains
qui vivent dans les camps de réfugiés. La femme et l’homme africains qui ont
réussi à survivre aux attaques terroristes. La femme et l’homme africains qui
n’ont pas eu la chance d’aller à l’école ou d’accéder à la santé et qui placent
leurs espoirs dans la prochaine génération. C’est cette dimension qui
m’inspire.
Propos recueillis par Hichem Ben Yaïche
Source : Le
Monde 12 mai 2015
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