mardi 26 mai 2015

Notre hommage à un autre résistant burkinabè trop tôt disparu


N. Tiendrebéogo
Norbert Tiendrebéogo, l’un des opposants historiques au régime fantoche de Blaise Compaoré, est décédé dans la soirée du 22 mai, à l’hôpital Yalgado Ouédraogo de Ouagadougou. Il a été inhumé ce mardi 26 mai, jour de l'exhumation de Thomas Sankara, journée doublement sacrée donc pour les sankaristes.
Né le 28 septembre 1955 à Ouagadougou, Norbert Tiendrebéogo était banquier de formation et de profession.
Président du Front des forces sociales (FFS), de tendance sankariste, il a joué un rôle capital dans l’histoire politique du Burkina Faso. Dès le lendemain de la Révolution du 4 août 1983, alors qu’il était déjà employé de l’Union révolutionnaire des banques (UREBA), il s’était engagé dans les Comités de défense de la révolution (CDR) sous l’égide du capitaine Henri Zongo. Après l’assassinat de Thomas Sankara, suivi de ceux du commandant Lingani et du capitaine Zongo, comme bon nombre de ses camarades, Norbert Tiendrebéogo vécu un véritable enfer, mais cela n’entama pas son moral et il demeura fidèle à l’idéal sankariste. Il aimait à rappeler qu’il était le seul opposant qui, depuis 1987, n’a jamais été membre d’un gouvernement sous Blaise Compaoré.
En 2003, accusé de préparer un coup d’Etat contre le régime fantoche, il connut la prison. Libéré pour raisons de santé, il resta jusqu’à sa mort ce citoyen exemplaire, ce militant infatigable, cet opposant inflexible et désintéressé, cet homme par excellence réellement intègre, que tout son pays pleure aujourd’hui.
Nous partageons ce deuil. En guise d’hommage, nous publions l’interview que Norbert Tiendrebéogo donna au magazine en ligne Burkina24.Com, le 29 août 2013. Nos amis lecteurs y trouveront plus d’une prémonition aussi bien des glorieuses journées de 2014 que de leurs suites qui, malheureusement, ne promettent guère de l’être… Et ils comprendront que ce n’est pas la faute d’hommes – ni de femmes – tels que Norbert Tiendrebéogo.
 
La Rédaction

Norbert Michel Tiendrébéogo : « Le sankarisme reste une force au sein de l’opposition actuelle »
Burkina 24 (B24) : L’opposition burkinabè semble afficher en ce moment une union sacrée. C’est du moins ce que laisse penser la mobilisation autour du chef de file de l’opposition dans la lutte contre la mise en place du Sénat. Pour combien de temps selon vous ?
Norbert Michel Tiendrébéogo (NMT) : C’est une question assez difficile. J’ose espérer que cette union va durer. J’allais plutôt parler d’unité d’action d’ailleurs et je crois que pour une des rares fois, l’opposition a fait preuve d’intelligence. Les différents acteurs ont compris qu’il était mieux de se mettre tous derrière celui-là qui, à l’heure actuelle, est le chef de file de l’opposition, afin que nous puissions exiger et obtenir ce que notre peuple désire. C’est-à-dire le respect de la constitution et des règles du jeu démocratique. Si les Burkinabé ont le sentiment qu’ils vivent dans un pays où il n’y a pas d’inégalité, où il n’y a pas d’injustice, où on ne vous traite pas selon que vous soyez pauvre ou riche, je crois que notre pays va continuer de vivre en paix. Mais si par contre, certains, du fait qu’ils aient volé et que, aujourd’hui, ils se retrouvent riches ils pensent que c’est la fin du monde, alors là le pays risque d’imploser et ce que nos voisins ont connu, nous risquons de connaître le pire. Donc je voudrais saluer la bonne vision actuelle de l’ensemble des partis d’opposition.
B24 : Qu’est-ce qui explique fondamentalement cette unité d’action : les qualités personnelles du chef de file de l’opposition ou alors la convergence des objectifs du combat actuel ?
NMT : L’un n’exclut pas l’autre. Tout d’abord, il faut reconnaître à monsieur Zéphirin DIABRE cette capacité d’écoute et d’être disponible à tout moment vis-à-vis des autres chefs de partis, de même qu’il accepte très facilement de mêler les autres chefs de partis à toute action, à tout acte qu’il pose. Je crois que ça c’est très important. Cela fait que personne n’est gêné d’être avec lui et autour de lui. Deuxièmement, il est évident que les challenges du moment sont des challenges très sérieux, à savoir l’éventuelle modification de la constitution à travers son article 37 pour permettre à Blaise COMPAORE de rester président jusqu’à sa mort, à savoir la mise en place du Sénat qui, il est clair, serait un chemin pour faciliter cette modification-là. Je crois que différents acteurs ayant pris conscience de l’importance des enjeux, il était tout à fait normal qu’ils se fédèrent derrière le chef de file de l’opposition, qui, Dieu faisant bien les choses, était vraiment la bonne personne au bon endroit et au bon moment.
B24 : Même s’il prône le pragmatisme dans la lutte pour le changement, on n’oublie pas que le chef de file actuel de l’opposition est néolibéral. Pensez-vous que l’idéologie sankariste a encore un poids dans l’opposition actuelle ?
NMT : Mais bien-sûr ! Cela a toujours été le cas d’ailleurs ! Même en termes de représentativité, nonobstant la multitude de partis sankaristes, il faut reconnaître que le courant sankariste est très fort au Burkina Faso. Je n’ose pas dire qu’il constitue la principale force politique, mais il n’est loin de là ! Malheureusement, il y a des problèmes organisationnels et comme on l’a toujours dit, il y a des problèmes de leadership ; il y a des problèmes de comportement ; il y a pleins de soupçons qui pèsent sur les uns et les autres. Tout cela constitue des facteurs qui ne militent pas en faveur d’un regroupement organisationnel de l’ensemble de ces forces-là. Ceci dit, moi je pense que ceux qui sont pressés, qui ne peuvent pas voir la fin des choses, qu’on le veuille ou non, les sankaristes pourront un jour se mettre tous ensemble pour véritablement représenter ce que le peuple burkinabé attend d’eux.
B24 : Votre parti n’est plus à l’Assemblée et Me Bénewendé Sankara, un autre sankariste, a aussi perdu le chef de file de l’opposition. Est-ce que vous n’êtes pas en train de payer justement le prix de ne vous être pas unis tôt ?
NMT : Ce n’est pas faute d’avoir essayé. À l’occasion des élections, nous avons tenté d’aller ensemble avec deux autres partis mais nous n’avons pas réussi. Je ne peux pas jeter la pierre à l’un ou sur l’autre, mais toujours est-il que nous n’avons pas réussi et chacun devrait savoir tirer les conséquences.
B24 : Et quel avenir voyez-vous à cette idéologie ?
NMT : Vous voyez tous ces jeunes aujourd’hui, que ce soit ceux que parfois même on traite de « diaspos », ou nos enfants qui sont nés sur la terre du Faso, c’est une jeunesse éprise de liberté, c’est une jeunesse qui veut l’égalité et la justice. Et le président SANKARA n’a pas défendu autre chose que cela. C’est une jeunesse qui veut également de l’intégrité et surtout de l’intégrité dans notre pays. Or aujourd’hui qu’est-ce que l’on constate ? Tout le monde pratiquement devient voleur, devient détourneur et on n’en a cure. Je crois que si cette jeunesse se démarque de ces tares, il va de soi que de concert l’idéal sankariste ne fera qu’aller de l’avant et nous, nous avons espoir que demain sera meilleur qu’aujourd’hui.
B24 : Les manifestations contre le sénat ont mis à jour un autre acteur dans la lutte actuelle pour le changement. Pour exemple, il y a le mouvement « Balai citoyen » dont sûrement vous connaissez les leaders. Que pensez-vous de ce mouvement là et de ses leaders qui disent prendre ses distances avec les politiciens ?
NMT : Je crois que c’est une position sage de leur part. Ce sont des gens relativement jeunes, la quarantaine, mais ils ont eu la sagesse de ne pas se réfugier derrière l’étendard des partis politiques. C’est la preuve qu’ils peuvent aller loin et même très loin. Je les félicite donc et je les encourage à poursuivre. J’encourage d’ailleurs l’ensemble de la jeunesse à aller dans ce genre de mouvements parce que s’il n’y a pas dans la société civile des contrepoids de ce type, les partis politiques, qu’ils soient de l’opposition ou de la majorité, ne peuvent pas amener notre peuple vers le bonheur. J’invite donc véritablement la jeunesse à prendre d’assaut les rangs du « Balai citoyen » et d’autres mouvements sociaux qui viendraient à naître. C’est comme ça d’ailleurs que tous les grands pays démocratiques se sont bâtis, autour de pôles fédérateurs et je crois que le « Balai citoyen » est appelé à devenir un pôle fédérateur dans un avenir très proche.
B24 : Mais au fond, si ce mouvement gagne en notoriété et arrive à rassembler des gens, notamment les jeunes, n’est-ce pas parce que les politiciens ne sont toujours pas parvenus à créer le lien de confiance avec la jeunesse ?
NMT : C’est peut-être juste. Moi je le reconnais d’ailleurs : les partis politiques, surtout d’opposition, n’ont pas des comportements des plus dignes, et la majorité non plus. Elle est même plus sale que l’opposition. Lorsque le patron du parti au pouvoir sort publiquement pour dire que des opposants viennent émarger et prendre des enveloppes chez eux, ça veut dire que lui-même ne connaît pas la corruption ou feint de la méconnaître. Mais ça veut dire surtout que des opposants sont prêts à vendre leur âme pour parvenir. Mais parvenir à quoi ? Parce que jusque-là, je n’ai pas constaté un seul opposant qui soit allé prendre de l’argent avec le pouvoir et qui soit devenu véritablement une force politique dans ce pays-là. Est-ce que le chef de file actuel a pris de l’argent avec le pouvoir, je ne pense pas. Mais il n’empêche qu’il a su structurer son parti en un laps de temps relativement court. Moi je voudrais inviter tous les autres chefs de partis à prendre exemple sur lui. Nous autres essayons d’être intègres depuis des années. Nous n’avons pas les moyens de Monsieur Zéphirin DIABRE. Lui a évolué à l’international contrairement à nous autres. Mais je crois que c’est surtout parce qu’il voulait faire quelque chose de cohérent qu’il a su résister aux appels des sirènes.
B24 : Avec la dernière sortie médiatique du Président du Faso à propos des réformes politiques, qui suscite diverses interprétations, est-ce que la lutte contre le Sénat est gagnée selon vous ?
NMT : Nous restons vigilants. Nous avons une demande forte qui est qu’on laisse tomber cette histoire de Sénat. Nous ne pouvons pas présager de ce que le chef de l’Etat va faire. Nous n’allons pas supputer pour rien. Nous ne sommes pas l’homme de la rue. Nous sommes des responsables politiques et nous nous devons d’avoir des analyses conséquentes.
Nous savons quelle est notre position et nous attendons de voir qu’est-ce qu’il va prendre comme décision finale. Soit nous arrêtons la bataille, soit nous la menons plus loin. Ce qui est évident, nous n’allons pas laisser tomber cette question de sénat si le pouvoir continue d’avoir l’intention d’asseoir le Sénat pour que Blaise COMPAORE reste au pouvoir jusqu’à sa mort. 

Propos recueillis par Justin Yarga  

Source : http://burkina24.com/ 29 août 2013.

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