N. Tiendrebéogo |
Norbert Tiendrebéogo, l’un
des opposants historiques au régime fantoche de Blaise Compaoré, est décédé
dans la soirée du 22 mai, à l’hôpital Yalgado Ouédraogo de Ouagadougou. Il a été inhumé ce mardi 26 mai, jour de l'exhumation de Thomas Sankara, journée doublement sacrée donc pour les sankaristes.
Né le 28 septembre 1955 à Ouagadougou, Norbert Tiendrebéogo était banquier
de formation et de profession.
Président
du Front des forces sociales (FFS), de tendance sankariste, il a joué un
rôle capital dans l’histoire politique du Burkina Faso. Dès le lendemain de la Révolution
du 4 août 1983, alors qu’il était déjà employé de l’Union révolutionnaire des
banques (UREBA), il s’était engagé dans les Comités de défense de la révolution
(CDR) sous l’égide du capitaine Henri Zongo. Après l’assassinat de Thomas Sankara,
suivi de ceux du commandant Lingani et du capitaine Zongo, comme bon nombre de
ses camarades, Norbert Tiendrebéogo
vécu un véritable enfer, mais cela n’entama pas son moral et il demeura fidèle
à l’idéal sankariste. Il aimait à rappeler qu’il était le seul opposant qui,
depuis 1987, n’a jamais été membre d’un gouvernement sous Blaise Compaoré.
En 2003, accusé de préparer un coup d’Etat contre
le régime fantoche, il connut la prison. Libéré pour raisons de santé, il resta
jusqu’à sa mort ce citoyen exemplaire, ce militant infatigable, cet opposant
inflexible et désintéressé, cet homme par excellence réellement intègre, que
tout son pays pleure aujourd’hui.
Nous partageons ce deuil. En guise d’hommage, nous
publions l’interview que Norbert Tiendrebéogo
donna au magazine en ligne Burkina24.Com,
le 29 août 2013. Nos amis lecteurs y trouveront plus d’une prémonition aussi
bien des glorieuses journées de 2014 que de leurs suites qui, malheureusement, ne
promettent guère de l’être… Et ils comprendront que ce n’est pas la faute d’hommes
– ni de femmes – tels que Norbert Tiendrebéogo.
La Rédaction
Norbert
Michel Tiendrébéogo : « Le sankarisme reste une force au sein de
l’opposition actuelle »
Burkina 24 (B24) : L’opposition burkinabè semble
afficher en ce moment une union sacrée. C’est du moins ce que laisse penser la
mobilisation autour du chef de file de l’opposition dans la lutte contre la
mise en place du Sénat. Pour combien de temps selon vous ?
Norbert
Michel Tiendrébéogo (NMT) : C’est une question assez difficile. J’ose espérer que cette union va
durer. J’allais plutôt parler d’unité d’action d’ailleurs et je crois que pour
une des rares fois, l’opposition a fait preuve d’intelligence. Les différents
acteurs ont compris qu’il était mieux de se mettre tous derrière celui-là qui,
à l’heure actuelle, est le chef de file de l’opposition, afin que nous
puissions exiger et obtenir ce que notre peuple désire. C’est-à-dire le respect
de la constitution et des règles du jeu démocratique. Si les Burkinabé ont le
sentiment qu’ils vivent dans un pays où il n’y a pas d’inégalité, où il n’y a
pas d’injustice, où on ne vous traite pas selon que vous soyez pauvre ou riche,
je crois que notre pays va continuer de vivre en paix. Mais si par contre,
certains, du fait qu’ils aient volé et que, aujourd’hui, ils se retrouvent
riches ils pensent que c’est la fin du monde, alors là le pays risque
d’imploser et ce que nos voisins ont connu, nous risquons de connaître le pire.
Donc je voudrais saluer la bonne vision actuelle de l’ensemble des partis
d’opposition.
B24 :
Qu’est-ce qui explique fondamentalement cette unité d’action : les
qualités personnelles du chef de file de l’opposition ou alors la convergence
des objectifs du combat actuel ?
NMT : L’un n’exclut pas l’autre. Tout
d’abord, il faut reconnaître à monsieur Zéphirin DIABRE cette capacité d’écoute
et d’être disponible à tout moment vis-à-vis des autres chefs de partis, de
même qu’il accepte très facilement de mêler les autres chefs de partis à toute
action, à tout acte qu’il pose. Je crois que ça c’est très important. Cela fait
que personne n’est gêné d’être avec lui et autour de lui. Deuxièmement, il est
évident que les challenges du moment sont des challenges très sérieux, à savoir
l’éventuelle modification de la constitution à travers son article 37 pour
permettre à Blaise COMPAORE de rester président jusqu’à sa mort, à savoir la
mise en place du Sénat qui, il est clair, serait un chemin pour faciliter cette
modification-là. Je crois que différents acteurs ayant pris conscience de
l’importance des enjeux, il était tout à fait normal qu’ils se fédèrent
derrière le chef de file de l’opposition, qui, Dieu faisant bien les choses,
était vraiment la bonne personne au bon endroit et au bon moment.
B24 :
Même s’il prône le pragmatisme dans la lutte pour le changement, on n’oublie
pas que le chef de file actuel de l’opposition est néolibéral. Pensez-vous que
l’idéologie sankariste a encore un poids dans l’opposition actuelle ?
NMT : Mais bien-sûr ! Cela a
toujours été le cas d’ailleurs ! Même en termes de représentativité,
nonobstant la multitude de partis sankaristes, il faut reconnaître que le
courant sankariste est très fort au Burkina Faso. Je n’ose pas dire qu’il
constitue la principale force politique, mais il n’est loin de là !
Malheureusement, il y a des problèmes organisationnels et comme on l’a toujours
dit, il y a des problèmes de leadership ; il y a des problèmes de
comportement ; il y a pleins de soupçons qui pèsent sur les uns et les
autres. Tout cela constitue des facteurs qui ne militent pas en faveur d’un
regroupement organisationnel de l’ensemble de ces forces-là. Ceci dit, moi je
pense que ceux qui sont pressés, qui ne peuvent pas voir la fin des choses,
qu’on le veuille ou non, les sankaristes pourront un jour se mettre tous
ensemble pour véritablement représenter ce que le peuple burkinabé attend
d’eux.
B24 :
Votre parti n’est plus à l’Assemblée et Me Bénewendé Sankara, un autre
sankariste, a aussi perdu le chef de file de l’opposition. Est-ce que vous
n’êtes pas en train de payer justement le prix de ne vous être pas unis
tôt ?
NMT : Ce n’est pas faute d’avoir
essayé. À l’occasion des élections, nous avons tenté d’aller ensemble avec deux
autres partis mais nous n’avons pas réussi. Je ne peux pas jeter la pierre à l’un
ou sur l’autre, mais toujours est-il que nous n’avons pas réussi et chacun
devrait savoir tirer les conséquences.
B24 :
Et quel avenir voyez-vous à cette idéologie ?
NMT : Vous voyez tous ces jeunes
aujourd’hui, que ce soit ceux que parfois même on traite de « diaspos »,
ou nos enfants qui sont nés sur la terre du Faso, c’est une jeunesse éprise de
liberté, c’est une jeunesse qui veut l’égalité et la justice. Et le président
SANKARA n’a pas défendu autre chose que cela. C’est une jeunesse qui veut
également de l’intégrité et surtout de l’intégrité dans notre pays. Or
aujourd’hui qu’est-ce que l’on constate ? Tout le monde pratiquement
devient voleur, devient détourneur et on n’en a cure. Je crois que si cette
jeunesse se démarque de ces tares, il va de soi que de concert l’idéal
sankariste ne fera qu’aller de l’avant et nous, nous avons espoir que demain
sera meilleur qu’aujourd’hui.
B24 :
Les manifestations contre le sénat ont mis à jour un autre acteur dans la lutte
actuelle pour le changement. Pour exemple, il y a le mouvement « Balai
citoyen » dont sûrement vous connaissez les leaders. Que pensez-vous de ce
mouvement là et de ses leaders qui disent prendre ses distances avec les
politiciens ?
NMT : Je crois que c’est une position
sage de leur part. Ce sont des gens relativement jeunes, la quarantaine, mais
ils ont eu la sagesse de ne pas se réfugier derrière l’étendard des partis
politiques. C’est la preuve qu’ils peuvent aller loin et même très loin. Je les
félicite donc et je les encourage à poursuivre. J’encourage d’ailleurs
l’ensemble de la jeunesse à aller dans ce genre de mouvements parce que s’il
n’y a pas dans la société civile des contrepoids de ce type, les partis
politiques, qu’ils soient de l’opposition ou de la majorité, ne peuvent pas
amener notre peuple vers le bonheur. J’invite donc véritablement la jeunesse à
prendre d’assaut les rangs du « Balai citoyen » et d’autres
mouvements sociaux qui viendraient à naître. C’est comme ça d’ailleurs que tous
les grands pays démocratiques se sont bâtis, autour de pôles fédérateurs et je
crois que le « Balai citoyen » est appelé à devenir un pôle
fédérateur dans un avenir très proche.
B24 :
Mais au fond, si ce mouvement gagne en notoriété et arrive à rassembler des
gens, notamment les jeunes, n’est-ce pas parce que les politiciens ne sont toujours
pas parvenus à créer le lien de confiance avec la jeunesse ?
NMT : C’est peut-être juste. Moi je le
reconnais d’ailleurs : les partis politiques, surtout d’opposition, n’ont
pas des comportements des plus dignes, et la majorité non plus. Elle est même
plus sale que l’opposition. Lorsque le patron du parti au pouvoir sort
publiquement pour dire que des opposants viennent émarger et prendre des
enveloppes chez eux, ça veut dire que lui-même ne connaît pas la corruption ou
feint de la méconnaître. Mais ça veut dire surtout que des opposants sont prêts
à vendre leur âme pour parvenir. Mais parvenir à quoi ? Parce que
jusque-là, je n’ai pas constaté un seul opposant qui soit allé prendre de
l’argent avec le pouvoir et qui soit devenu véritablement une force politique
dans ce pays-là. Est-ce que le chef de file actuel a pris de l’argent avec le
pouvoir, je ne pense pas. Mais il n’empêche qu’il a su structurer son parti en
un laps de temps relativement court. Moi je voudrais inviter tous les autres
chefs de partis à prendre exemple sur lui. Nous autres essayons d’être intègres
depuis des années. Nous n’avons pas les moyens de Monsieur Zéphirin DIABRE. Lui
a évolué à l’international contrairement à nous autres. Mais je crois que c’est
surtout parce qu’il voulait faire quelque chose de cohérent qu’il a su résister
aux appels des sirènes.
B24 :
Avec la dernière sortie médiatique du Président du Faso à propos des réformes
politiques, qui suscite diverses interprétations, est-ce que la lutte contre le
Sénat est gagnée selon vous ?
NMT : Nous restons vigilants. Nous
avons une demande forte qui est qu’on laisse tomber cette histoire de Sénat.
Nous ne pouvons pas présager de ce que le chef de l’Etat va faire. Nous
n’allons pas supputer pour rien. Nous ne sommes pas l’homme de la rue. Nous
sommes des responsables politiques et nous nous devons d’avoir des analyses
conséquentes.
Nous savons
quelle est notre position et nous attendons de voir qu’est-ce qu’il va prendre
comme décision finale. Soit nous arrêtons la bataille, soit nous la menons plus
loin. Ce qui est évident, nous n’allons pas laisser tomber cette question de
sénat si le pouvoir continue d’avoir l’intention d’asseoir le Sénat pour que
Blaise COMPAORE reste au pouvoir jusqu’à sa mort.
Propos recueillis par Justin Yarga
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