vendredi 15 mai 2015

INDÉBOULONNABLES

Outre Alassane Ouattara, je n’en connais vraiment que deux – précisément cet angélique procureur militaire dont il est question dans cet article du Quotidien d’Abidjan, et l’irremplaçable argentier Jacques Anouma, qui passa naguère comme en se jouant de la Direction financière d’Air France à celle de Renault et de là à la Direction financière de la présidence de la République de Côte d’Ivoire (2000-2010) –, mais rien n’interdit de penser qu’ils sont beaucoup plus nombreux, ces petits génies capables de prospérer sous tous les régimes dans des fonctions et des rôles dont, après coup, on se demande comment ils ont pu s’y maintenir sans états d’âme, ou comment ils ont pu y être tolérés, puisque de toute évidence ils ne partageaient pas – et c’est le moins qu’on puisse dire ! – les idées ni les objectifs des autorités sous lesquelles ils les ont exercés. Comment peut-on avoir été LE procureur militaire ou LE Directeur financier du régime de Laurent Gbagbo sans encourir, après la chute fracassante de ce dernier, ni sanctions de l’ONU ou de l’UE, ni exactions des FRCI, ni exil, ni emprisonnement ? Ces sortes de gens ont évidemment un secret. Un secret d’ailleurs très facile à deviner quand on connaît l’histoire de la Côte d’Ivoire « indépendante ». En effet, notre malheureuse patrie est sans doute le seul pays au monde où cette sorte de gens non seulement ne risquent jamais rien, mais peuvent même afficher avec assurance d’incroyables prétentions. Rappelez-vous avec quelle opiniâtreté Jacques Anouma batailla pour retrouver, au titre de la Côte d’Ivoire, son ancienne place au sommet de l’organisation du football mondial, comme s’il s’agissait de son patrimoine !
J. Anouma (1er plan, à Dte) avec L. Gbagbo
au stade Félix Houphouët-Boigny
le 14 novembre 2009.
(www.flickr.com)
 
Quelqu’un a dit un jour – je crois que c’est Abdoulaye Wade du temps qu’il était encore dans l’opposition – que « la Côte d’Ivoire [n’était] pas n’importe quel pays ». C’était un avertissement qu’il adressait aux opposants ivoiriens de l’époque, et tout particulièrement à Laurent Gbagbo auquel une popularité réelle quoique fort peu fondée avait passablement enflé les chevilles. Que voulait-il dire ? Dans la bouche de l’apôtre du « Sopi »,  qui promettait aux Sénégalais de changer la façon de faire la politique – en wolof, « sopi » veut dire changement – mais qui, une fois devenu khalife à la place d’Abdou Diouf, se gardera prudemment de tenir parole, cela voulait seulement dire : « si populaire que vous soyez, ne croyez surtout pas que dans un pays tel que la Côte d’Ivoire, cela suffira à vous conférer la capacité et le pouvoir de tout faire à votre guise quand vous serez au pouvoir ! ». Simple leçon de réalisme : « Vous pouvez toujours rêver, ce n’est pas défendu, mais ceux qui décideront en dernier ressort, ce n’est pas vous, mais… ».
Mais qui ? Pour le savoir, il suffisait de bien regarder. Dans le cabinet d’Houphouët, le chef de l’Etat en titre ; dans toutes les administrations centrales ; dans toutes les unités de l’armée – ou ce qui nous en tenait lieu – ; à la tête des établissements bancaires, du gros commerce, des grandes, moyennes et petites entreprises industrielles ; etc., qui commandaient ? Des Français… Français de souche, naturalisés ou « assimilés »… Encore ne s’agissait-il que de ceux qui agissaient à visage découvert… Car il y en avait beaucoup d’autres dont le grand public ne pouvait rien savoir, mais qui n’en étaient peut-être que plus malfaisants. Par exemple, ce Jean Mauricheau-Beaupré, dit « Monsieur Jean », qui couronna sa longue carrière de super barbouze françafricaine en mettant le feu au Liberia et à la Sierra Leone…
A part ces expatriés, il y avait aussi quelques « nationaux », qui jouaient auprès d’eux des rôles secondaires, ou qui leur servaient de masques ou de prête-nom lorsqu’il s’agissait de fonctions où un expatrié œuvrant à découvert aurait été trop voyant pour être réellement efficace. D’après leur parcours, des personnages comme Jacques Anouma et Ange Kessy correspondent bien à ce profil, et c’est évidemment ce qui fait qu’ils paraissent indéboulonnables. Que dis-je ? « ils paraissent »… En fait, les choses étant ce qu’elles sont, ils sont bel et bien indéboulonnables, eux et leurs semblables, et ils le resteront tant que persistera le système qui les a produits.
Conclusion : il est certainement juste et utile de dénoncer de tels personnages, mais il l'est encore plus d'en finir avec le système dont ils procèdent et sans lequel ils ne sont rien ! La Côte d'Ivoire gagnerait beaucoup à ce que tous ces Pichrocoles qui encombrent actuellement sa scène politique se souviennent un peu de l'avertissement d'Abdoulaye Wade.
 
Marcel Amondji
 
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ANGE KESSY
UN PROCUREUR A DOUBLE FACETTE
Sous Gbagbo, il accusait les pro-Ouattara
Sous Ouattara, il accuse les pro-Gbagbo 

Et revoilà Ange Kessy Kouamé, le procureur militaire. Après le procès de la honte qui a condamné à de lourdes peines d’emprisonnement l’ex-Première dame, Simone Gbagbo et ses co-accusés, le procureur militaire, Ange Kessy veut faire parler de lui en ressuscitant le dossier sur l’assassinat du général Robert Guéi, mort aux premières heures de l’éclatement de la rébellion armée le 19 septembre 2002.
Mais cette fois-ci avec des déclarations fracassantes à couper le souffle. Le 11 mars dernier, rendant les conclusions de son enquête, Ange Kessy a déclaré connaître les assassins du chef de l’ex-junte militaire. Il cite nommément l’ancien patron de la garde républicaine, le général Dogbo Blé et le capitaine Séka Séka, l’ex-aide de camp de l’ex Première dame Simone Ehivet Gbagbo. Il est même parvenu à la conclusion que le général a été tué de deux balles dans la tête par le capitaine Séka Séka.
Restituant les faits, Ange Kessy a fait savoir que « dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, le général Guéi a été informé par sa garde de l’attaque de la ville d’Abidjan par des individus armés. Il se réfugie à la Cathédrale St-Paul du Plateau. Peu de temps après son arrivée dans ce lieu de culte, une patrouille commandée par le général Dogbo Blé viendra l’en extraire et ce « malgré l’opposition d’un prêtre ». Ange Kessy ajoute que le général Guéi sera remis immédiatement à une autre patrouille dirigée par le capitaine Séka Séka, alors aide de camp de la Première dame Simone Gbagbo. « Ils se saisissent du général et prennent la direction de la Corniche », révèle le procureur militaire. Citant les enquêteurs, Ange Kessy poursuit : « Arrivé dans les environs de la Corniche, le capitaine Séka Séka fait descendre le général Guéi et malgré ses supplications, tire à bout portant, au moins deux balles dans la tête qui l’atteignent mortellement ». Il y a plusieurs zones d’ombre dans ces nouveaux développements du dossier de l’assassinat de Robert Guéi servis par Ange Kessy. Il ne souffle aucun mot sur le déroulement de l’enquête et ne précise pas non plus si oui ou non, il a fait l’autopsie des corps du général et de son épouse avant d’affirmer que Robert Guéi a été tué de deux balles dans la tête. Mais ce qui est surprenant c’est la nouvelle posture du procureur militaire et ses déclarations à l’emporte-pièce sur ces dossiers épineux de la crise qui ont varié et pris une autre tournure.
Ange Kessy
C’est comme si Ange Kessy, dont on se souvient des déclarations violentes sur les ex-rebelles aujourd’hui au le pouvoir, cherchait à plaire. Et pourtant sous Laurent Gbagbo, il était en première ligne dans la bataille contre la déstabilisation de la Côte d’Ivoire. Ses déclarations contre Guillaume Soro, le chef de l’ex-rébellion et ses hommes restent encore bien vivaces dans les esprits.
L’une de ses sorties musclées contre les ex-rebelles a été rapportée par le défunt confrère Le Front du 7 janvier 2005. « Excusez-moi, monsieur le président du tribunal, j’en ai gros sur le cœur contre le MPCI. Voici des gens qui détiennent des armes de façon illégale en Côte d’Ivoire. Ils arrivent dans une ville, et s’attaquent aux gendarmes. En outre, ils libèrent les prisonniers pour les enrôler après. Le MPCI a eu plusieurs démembrements. Il a créé le MJP à Man et le MPIGO à Danané, à l’ouest du pays. La méthode des combattants c’est d’attaquer les poudrières quand ils veulent prendre une ville. Ils parlent de démocratie. Est-ce que pour devenir président, on a besoin de prendre les armes ? », s’était révolté le commissaire du gouvernement, à l’occasion d’un procès organisé devant le tribunal militaire contre des éléments du MPCI, dont Koné Pinon aujourd’hui bombardé lieutenant de la gendarmerie alors que le même Ange Kessy avait requis contre lui la prison à vie. Il ne sera pas surprenant que ce procès sur l’assassinat du général Guéi qui s’annonce, soit la pâle copie conforme du procès en Assises des pro-Gbagbo. Parce que le procureur militaire, qui fait désormais valoir sa seconde facette après avoir vomi sur la première qu’il arborait fièrement, a déjà donné le verdict avant même le début du procès en identifiant clairement ses présumés coupables. 

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Source : Le Quotidien d'Abidjan 15 Mars 2015

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