vendredi 22 mai 2015

La « communauté internationale », c’est quoi ce machin ?

Employé à tort et à travers par les dirigeants et les médias lors de conflits ou de catastrophes, le terme « communauté internationale » n'est bien souvent qu'une coquille vide sur laquelle les Etats s'appuient pour justifier leurs actions.  

François Hollande « continue de regretter » que la communauté internationale ne soit pas intervenue militairement en Syrie... La communauté internationale devait « prendre ses responsabilités » en Libye...  Hollande et Obama ont souhaité  « une mobilisation accrue de la communauté internationale » pour lutter contre Ebola. Hollande demande à la communauté internationale d'agir en Centrafrique...  A Tunis, François Hollande appelle la communauté internationale à « unir ses forces » contre le terrorisme...  La France assure le Niger de sa solidarité et appelle la communauté internationale à poursuivre sa mobilisation dans la lutte contre Boko Haram. « Communauté internationale », Hollande fait un usage immodéré de cette locution qui culmine au sommet du hit-parade diplomatique en ce début de siècle et qui est reprise à tout bout de champ par le chœur médiatique. Sarkozy l'avait abondamment utilisée pour justifier ses interventions en Libye et en Côte d'Ivoire, Chirac, lui, en faisait un usage plus circonspect, tout comme Mitterrand. 
Mais qu'est-ce que ça veut dire ?
On imagine un sketch de Coluche sur le sujet. « Communauté », on voit ce que c'est, un groupe de personnes jouissant d'un patrimoine commun. Elle peut être d'agglomération, nationale, européenne, ou même mondiale, c'est-à-dire avec des frontières définies, la France, l'Europe, le monde. « International », ça définit les interactions entre plusieurs nations, mais lesquelles ? Quand on accole les deux mots, on obtient donc une communauté dont les frontières ne sont pas précisées. On peut alors imaginer qu'elles sont infinies.  C'est là que naît la supercherie. Le concept peut alors flotter au-dessus de nos têtes comme un ectoplasme, un gentil monstre destiné à effrayer les mauvais gouvernants. Mais qui a décidé qu'ils n'étaient pas bons ? La « communauté internationale » ! Ah bon !
La définition de Chomsky
Pour y voir plus clair, appelons au secours le linguiste et philosophe américain Noam Chomsky. Il n'y va pas par quatre chemins : « Ce qu’on appelle la communauté internationale aux Etats-Unis, c’est le gouvernement américain et tous ceux qui sont d’accord avec sa politique. » Et « l’Occident, c’est les Etats-Unis et tous les pays suiveurs », ajoute-t-il.  « Dès que vous lisez quelque chose d'anonyme, écrivait-il en 2010, il faut se méfier. Si vous lisez dans la presse que l'Iran défie la communauté internationale, demandez-vous qui est la communauté internationale ? L'Inde est opposée aux sanctions. Le Brésil est opposé aux sanctions. Le Mouvement des pays Non-Alignés est opposé aux sanctions et l'a toujours été depuis des années. Alors qui est la communauté internationale ? »
Si on suit Chomsky, cette communauté n'a donc rien d'internationale. Elle désigne le plus souvent de façon approximative des Etats membres de l'ONU, qui siègent en permanence au Conseil de sécurité. Les Etats-Unis, bien sûr, mais aussi la France et la Grande-Bretagne. Quand la Chine ou la Russie s'opposent à eux, on parle alors de « division de la communauté internationale ». Dans le cas de l'intervention en Libye en 2011, ce sont Sarkozy et Cameron qui ont joué le rôle leader. En Côte d'Ivoire, en 2011, c'est la France, ex-puissance coloniale toujours régnante dans son (ex) pré-carré de l'Afrique de l'Ouest, qui a agi seule, au nom de la communauté internationale; pour chasser Gbagbo.
Comment ça marche ?
Pour être totalement légitime, la « communauté internationale » a besoin de l'aval des Nations-Unies. Une formalité puisque ce sont les membres permanents qui y font la pluie et le beau temps. Elle peut actionner, si nécessaire, la Cour Pénale Internationale, son bras judiciaire, tellement international que la moitié de l'humanité (Chine, Inde, Russie, etc...) n'y adhère pas. Elle peut aussi invoquer les droits de l'homme et ses défenseurs autoproclamés. Quand toutes ces conditions sont réunies, le bon peuple n'a plus qu'à applaudir et le rouleau compresseur médiatique n'a plus qu'à se mettre en marche et se prosterner devant ladite « communauté internationale. »
Un exemple concret
Prenons la Côte d'Ivoire (il y en a d'autres). Un président, Laurent Gbagbo, élu par surprise en 2000, au grand dam de Jacques Chirac. Une rébellion, venue du Burkina-Faso en 2002. Comme par hasard ! Le président de ce pays, Blaise Compaoré, est le gendarme de la France dans ce coin d'Afrique. On découvre alors des escadrons de la mort chez Gbagbo (dont on n'entend plus parler aujourd'hui). Chirac envoie l'armée française pour séparer les belligérants, attendant que le président ivoirien tombe comme un fruit mûr. Mais il résiste. Arrive alors Sarkozy et l'élection présidentielle de 2010. Gbagbo se proclame vainqueur mais la « communauté internationale » décide que Ouattara a gagné. Elle publie un résultat global, sans donner aucun détail (on attend toujours un décompte précis). Le battu demande un recomptage des voix qui ne lui est pas accordé. S'ensuit une crise postélectorale qui fait au moins 3000 morts, dont la moitié est attribué au camp de Ouattara. Seuls les partisans de Gbagbo sont jugés aujourd'hui. Qu'en disent la communauté et la justice internationales ?
 

 
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Source : MondAfrique

(*) Journaliste indépendant, membre de la rédaction d’un grand quotidien “Le Parisien” pendant vingt ans (culture, politique étrangère). Auteur de nombreux reportages en Afrique de l’Ouest. Et de plusieurs livres dont “Fantômes d’Ivoire” et “Chroniques de Guerre”

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