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Quatre mois
après les manifestations post-attentats, l'historien et démographe Emmanuel
Todd publie « Qui est Charlie ? ». Un livre réquisitoire contre une France
pétrie de bonne conscience, qui a fait sécession de son monde populaire.
Il reste
encore quelques écriteaux « Je suis Charlie » qui jaunissent aux murs des
rédactions. Sur les réseaux sociaux, des crayons à papier décorent encore çà et
là les profils Facebook. Quatre mois après les tueries de janvier, tout se
passe pourtant comme si rien ne s'était passé, comme si le réservoir de
l'indignation avait flambé d'un coup dans le noir de la nuit française, sans
laisser aucune empreinte. Ni nouveau pacte républicain, ni fraternité
régénérée, ni main tendue à une fraction de la jeunesse des quartiers
socialement et mentalement désorbitée. Une pure orgie émotionnelle, infertile
politiquement, et dont la seule efficacité tangible aura été de demeurer
aujourd'hui encore spectralement menaçante pour ceux qui refusèrent de «
marcher » – à tous les sens du terme.
C'est le moment
qu'a choisi l'historien et démographe Emmanuel Todd pour publier « Qui est Charlie
? » (Seuil), réquisitoire terrible contre la France de François Hollande. Un
texte écrit dans la fièvre, en trente jours à peine. Son angle d'attaque,
particulièrement original, consiste à observer l'origine régionale et
sociopolitique des manifestants du 11 janvier.
Une fois encore, Todd fait parler les cartes et les statistiques pour
comprendre, sous les bons sentiments brandis, la signification profonde de ce
qui restera comme le plus important rassemblement de l'histoire moderne du
pays. Et ce qu'il voit n'est pas destiné à plaire. Ce qu'il voit, c'est un
épisode de « fausse conscience » (Marx) d'une ampleur inouïe. Ce qu'il voit, ce
sont des millions de somnambules se précipiter derrière un président escorté
par tous les représentants de l'oligarchie mondiale, pour la défense du droit
inconditionnel à piétiner Mahomet, « personnage central d'un groupe faible et
discriminé ». Ce qu'il voit, c'est un mensonge d'unanimisme aussi, car, ce
jour-là, le monde populaire n'était pas Charlie, les jeunes de banlieue, qu'ils
fussent musulmans ou non, n'étaient pas Charlie, les ouvriers de province n'étaient
pas Charlie.
Après le
temps de la stupeur, celui du dégrisement. La charge de Todd est rude, mais :
d'un intérêt considérable pour le débat public. On pourrait bien sûr la
discuter de bout en bout. On pourrait notamment trouver très insouciants les
raccourcis par lesquels l'auteur ramène
tout l'enjeu des affaires dites de « caricatures » à des violences
idéologiques infligées à une religion minoritaire. On pourrait craindre aussi
que son approche des problèmes posés au pays par un islam conquérant ne pèche
par excès d'optimisme, lorsqu'il préconise des accommodements pragmatiques avec
la laïcité, dont l'acception française actuelle est à ses yeux trop rigoriste.
Reste
l'avertissement lancé à une France inégalitaire et autoritaire, en sécession
totale avec son peuple, mais n'hésitant pas, encore et toujours, à se parer des
oripeaux révolutionnaires d'hier et à se voir si belle dans la devise de ses
frontons républicains. Une France qui, ainsi, avance inexorablement vers
l'abîme.
A. L.
Vous avez refusé de réagir à chaud aux événements de
janvier. Seul un journal japonais avait fait part de votre méfiance par rapport
au mouvement « Je suis Charlie ». Pourquoi ce silence, qu'avez-vous craint
alors ?
Pour la première
fois de ma vie, j'ai eu le sentiment d'être confronté à une vague irrésistible face
à laquelle il ne servirait à rien de parler, et même face à laquelle ça pouvait
être dangereux de parler. Donc j'ai attendu. Et ce qui m'a probablement décidé
à faire ce livre, c'est la déformation professionnelle. Lorsque j'ai commencé à
voir la carte des manifestations du 11 janvier, leur distribution selon des
paramètres régionaux, socio-professionnels et religieux, j'ai eu la révélation
instantanée que les discours unanimistes étaient bidon. Je me suis mis à
écrire, mobilisant quarante années de recherche. Olivier Bétourné, le patron du Seuil, m'a dit de foncer.
Je l'ai écrit en trente jours secs, porté par une véritable exaspération.
Pourquoi porter un jugement aussi dur sur la réaction
de masse qui a suivi les attentats ? N'est-il pas permis de la voir simplement
comme l'expression d'une révolte face à l'horreur de ces crimes, voire aussi
comme un sursaut face au sentiment de délitement du corps collectif que chacun
ressent bien depuis des années ? Imaginez si rien ne s'était produit après, si
l'atonie avait été totale après des événements pareils, que n'aurait-on pas dit
!
On a voulu y voir un
salutaire sursaut collectif. Moi, j'y vois au contraire une perte de sang-froid
de la part du pays. Pour la première fois de ma vie là encore, je n'ai vraiment
pas été fier d'être Français. Dans tous les livres que j'avais jusque-là écrits
sur la France, il y avait une dimension patriotique. Même un livre comme « le
Destin des immigrés », je l'ai fait en 1994 pour répondre aux Anglo-Saxons qui
nous renvoyaient sans arrêt à la face le phénomène Le Pen. Je voulais leur dire
: mais regardez les taux de mariages mixtes en France ! J'ai toujours défendu
mon pays. Et là, pour la première fois, je me suis dit : si c'est en train de
devenir ça, la France, eh bien ce sera sans moi. Lorsqu'on se réunit à 4
millions pour dire que caricaturer la religion des autres est un droit absolu –
et même un devoir ! –, et lorsque ces autres sont les gens les plus faibles de
la société, on est parfaitement libre de penser qu'on est dans le bien, dans le
droit, qu'on est un grand pays formidable. Mais ce n'est pas le cas. Il faut
aller au-delà du mensonge, au-delà des bons sentiments et des histoires
merveilleuses que les gens se racontent sur eux-mêmes. Un simple coup d'œil à
de tels niveaux de mobilisation évoque une pure et simple imposture. Il y a
certainement une quantité innombrable de gens qui ne savaient pas ce qu'ils
faisaient là le 11 janvier. Mais nul n'est censé ignorer pour quoi il
manifeste, tout de même.
Qu'est-ce qui vous a à ce point troublé dans ces
manifestations monstres ?
A la suite des
travaux de Durkheim sur le suicide, ou de ceux de Max Weber, mon but, c'est de
faire comprendre aux gens les valeurs profondes qui les font agir et qui ne
sont généralement pas celles qu'ils imaginent. Quand on observe la carte des
manifestations, la première chose qui frappe, c'est ce que l'Insee appelle avec
élégance la prédominance des « cadres et
professions intellectuelles supérieures ». C'est elle qui permet de comprendre
l'importance qu'elles ont prise à Paris, Toulouse, Grenoble, etc. L'autre
variable qui, pour moi, d'une certaine manière, est encore plus importante
encore, c'est la surmobilisation des vieilles terres issues du catholicisme.
Là, il faut que je rappelle ma théorie des deux France, un modèle avec lequel
je fonctionne depuis longtemps déjà. D'un côté nous avons la vieille France
laïque et républicaine – le Bassin parisien, la façade méditerranéenne, etc. –,
la France qui a fait la Révolution en somme. De l'autre, il y a la France
périphérique : l'Ouest, une partie du
Massif central, la région Rhône-Alpes, la Lorraine, la Franche-Comté. Ce sont
les régions qui ont résisté à la Révolution et dans lesquelles l'imprégnation
catholique est restée très forte jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale. Quand on descend au niveau des structures familiales de ces zones,
que j'appelais « catholiques zombies» dans mon précédent livre « le Mystère
français », écrit avec Hervé Le Bras, on remarque une absence de valeurs d'égalité, notamment
entre frères et sœurs concernant l'héritage.
Eh bien, ce qui a
inspiré ma méfiance immédiate, c'est que le 11janvier, la mobilisation a été du
simple au double entre la France de tradition athée et révolutionnaire et cette
France périphérique, historiquement antirépublicaine. Ce sont les régions les
moins républicaines par le passé qui ont le plus manifesté pour la laïcité,
avouez qu'il y a là quelque chose d'étrange. En somme, les bastions
ex-catholiques sont les endroits où on a le plus milité pour le droit au
blasphème. Sion compare Marseille et Lyon, on voit même que l'intensité des
manifestations est du simple au double. Qu'on ne vienne pas me dire dans ces
conditions qu'il s'agit de la même laïcité que celle d'hier !
Tout le débat actuel sur la laïcité ne s'inscrit pas
dans la continuité des valeurs laïques, écrivez-vous en effet dans ce livre.
Les forces qui se réclament aujourd'hui le plus des valeurs laïques sont les
forces en réalité les moins républicaines. Comment en est-on arrivé à un tel
paradoxe ?
Ce que j'ai eu, au
fond, face à ces manifestations, c'est une sorte d'illumination concernant la
vraie nature du système social et politique français. C'est-à-dire pas du tout
une République prenant en compte toute la population, plutôt ce que j'appelle une
« néo-République » qui n'aspire à fédérer que sa moitié supérieure éduquée, les
classes moyennes et les gens âgés. Tous ceux-là forment un bloc hégémonique qui
a une incroyable puissance d'inertie et paralyse tout le système français. Il y
a là à l'œuvre une formidable dynamique d'exclusion: exclusion des électeurs du
FN – ce qui en termes sociologiques signifie aujourd'hui l'exclusion des
ouvriers – et exclusion des enfants d'immigrés, qui ne sont pas venus
manifester. La « néo-République » est cet objet sociopolitique étrange qui
continue à agiter les hochets grandioses de la liberté, de l'égalité, de la
fraternité qui ont rendu la France célèbre dans le monde, alors qu'en fait le
pays est devenu inégalitaire, ultraconservateur et fermé. En gros, la France
qui est aux commandes, c'est la France qui a été antidreyfusarde, catholique,
vichyste. Mais lorsqu'on le dit comme ça, les gens sont évidemment stupéfaits.
Votre livre est particulièrement cruel pour le PS,
dont vous faites aujourd'hui la principale incarnation de cette idéologie inégalitaire...
En effet, l'objet
politique nouveau et important dans l'histoire de France aujourd'hui, ce n'est
pas le Front national, c'est en réalité que le PS soit devenu la composante
principale de la gauche. A la veille des années 1960 et 1970, il n'en était
qu'une composante secondaire, très forte dans le Sud-Ouest, région d'héritier
unique qui ne croit pas à l'égalité. La montée en puissance du PS, cela a
signifié la prise de contrôle du pays par des régions sortant du catholicisme.
Notre illusion fondamentale, notre erreur à tous, ça a été alors de se dire que
c'était la gauche qui avait conquis les régions catholiques, au moment même où
c'étaient les régions catholiques qui faisaient en réalité la conquête de la
gauche. Il y a eu une subversion de ce qu'était la gauche française. Cette
dernière, aujourd'hui dominée par le PS, est en vérité tout à fait autre chose
que ce qu'elle prétend être. C'est une gauche qui n'adhère pas aux valeurs
égalitaires, et qui n'est pas claire sur la question de l'homme universel, au
contraire de la vieille gauche républicaine communiste ou radicalsocialiste.
Il faut voir les choses en face : l'agent le plus actif et le plus stable des
politiques économiques qui nous ont menés au chômage de masse actuel, c'est
tout de même le PS. Le franc fort, la marche forcée à l'euro, toute cette
création idéologique extrêmement originale s'est faite sous Mitterrand,
traînant Giscard derrière lui comme un
bateleur. Le niveau de bonne conscience de ce pays est devenu littéralement
insupportable. La France actuelle se gargarise de bons sentiments. Mais la
réalité de ce pays, c'est que c'est peut-être la seule des sociétés les plus
développées européennes qui accepte de vivre avec 10% de chômage, en massacrant
son monde ouvrier et en excluant massivement les jeunes, à commencer par ceux
qui sont d'origine maghrébine. Le PS avait jusqu' à encore récemment réussi à
faire passer l'idée qu'il était le défenseur naturel des enfants d'immigrés. Il
est en fait la force Politique
principale qui les condamne à la mort
sociale.
En quoi François Hollande est-il, comme vous
l'écrivez, l'apothéose de ce « catholicisme zombie » qui s'était politiquement
incarné en 1992 dans le moment Maastricht et s'est aujourd'hui réinvesti dans
I'« esprit du janvier » ?
On voit souvent ce
président comme l'incarnation de l'univers torride du conseil général de la
Corrèze [rires]. On pense que sa capacité à ne rien faire, à ne prendre aucune
décision, est un produit dérivé du radical-socialisme. Mais en fait, François
Hollande est un catholique zombie typique, avec un père catholique d'extrême
droite et une mère catholique de gauche. Et, d'ailleurs, Manuel Valls lui-même
vient de Catalogne, province de famille souche différentialiste, et, qui plus
est, lui aussi vient d'un milieu catholique catalan parmi les plus durs. A cet
égard, Hollande aura eu un rôle historique : celui de révéler que la gauche
pouvait se concilier avec les structures les plus inégalitaires, prouvant par
là même que le système politique français est totalement détraqué. On pour
rait bien sûr me reprocher d'évoquer les origines de ces gens, et moi-même
d'ailleurs, je ne devrais pas avoir à faire ma généalogie personnelle, celle
d'une famille juive mélangée à des origines bretonnes et anglaises. Mais il est
désormais impératif de le faire, parce que si on renvoie tout le temps les
musulmans à leur origine, on doit renvoyer tout le monde à son origine. C'est
un acte de justice.
Vous considérez que l'islam ne compromet nullement en
France le ciment républicain et ne pose pas de problème particulier aux
sociétés occidentales. Ne peut-on toutefois penser que la vigueur d'une
religion, quelle qu'elle soit, lorsqu'elle vient percuter un vieux pays dévitalisé
métaphysiquement comme la France, pose au contraire certains problèmes
spécifiques ?
Tout le monde est
dans une logique d'anxiété par rapport à l'islam. Le point de départ du livre,
c'est justement de renverser la perspective : d'apercevoir que c'est la France
des classes moyennes centristes qui est en état de crise religieuse, qui a été
ébranlée par la disparition ultime de toutes ses croyances, qui est dans un
état de vide métaphysique abyssal et joue donc un jeu tout à fait pervers avec
les musulmans pour se trouver des boucs émissaires. Or c'est dans cette
ambiance de reflux inexorable du religieux que la France se découvre d'un seul
coup obsédée par les symboliques religieuses. Tout est religieux désormais.
Mais tout est religieux parce que la religion s'éclipse, et parce que rien ne
l'a supplantée. Le sous-titre de votre livre est : « Sociologie d'une crise
religieuse ». A tort, ce dernier peut donner le sentiment que vous prenez au
sérieux les histoires de « choc des civilisations », d'affrontement entre bloc
occidental et bloc musulman qui fournissent une grille d'interprétation à la
fois facile et tendancieuse depuis les
années 2000...
On doit prendre la
religion au sérieux, surtout quand elle disparaît Je suis totalement sceptique
sur le plan religieux, mais il n'a jamais été prouvé qu'une société pouvait
vivre sans croyance. Or la réalité de la société française aujourd'hui, c'est
quoi ? Une société dominée par des classes moyennes qui ne croient plus à rien,
qui ne savent plus où elles vont, qui se sont seulement lancés dans la construction
d'un euro qui ne mène nulle part. Tout l'objet du livre est de ne pas tomber
dans le panneau manifeste du problème. Ainsi, ce qui m'inquiète n'est pas tant
la poignée de déséquilibrés mentaux qui se réclament de l'islam pour commettre
des crimes que les raisons pour lesquelles, en janvier dernier, une société est
devenue totalement hystérique jusqu'à aller convoquer des gamins de 8 ans dans
des commissariats de police. On entend vraiment dire n'importe quoi au sujet
des musulmans de France. Ceux-ci sont
tout sauf un bloc. Ils sont au contraire fragmentés par des niveaux de croyance
très différents, des nationalités très différentes et on y observe des taux de mariages
mixtes extrêmement élevés. Ils sont souvent beaucoup plus assimilés de par
leurs unions matrimoniales que les intellectuels néo-réactionnaires comme Eric
Zemmour ou Alain Finkielkraut qui les ciblent constamment.
La vraie question aujourd'hui pour la France,
écrivez-vous, ce n'est pas le droit ou non à la caricature, c'est la « montée
de l'antisémitisme dans les banlieues ». Pour expliquer ce renouveau de la
haine antijuive, vous mettez en cause la politique économique menée depuis des
décennies, qui, en fragilisant les jeunes musulmans, aurait à nouveau livré les
juifs à la vindicte nationale...
Pour le moment,
anxiétés religieuse et économique mises à part, ça ne va pas trop mal pour les
classes moyennes françaises qui tiennent le pays... On lance les minorités les
unes contre les autres, c'est génial, c'est du billard ! Les ouvriers « de
souche » marginalisés et maltraités s'en prennent aux milieux populaires
arabes, les jeunes Maghrébins s'en prennent aux juifs et réciproquement, et pendant
ce temps rien ne se passe, le système reste intact. Vous voyez que je ne fais pas
dans l'angélisme : l'antisémitisme des banlieues doit être accepté comme un
fait nouveau et indiscutable. Ce que je ne peux pas accepter cependant, c'est
l'idée qui est en train de s'installer selon laquelle l'islam, par nature, serait
particulièrement dangereux pour les juifs. Il n'existe qu'un continent où les
juifs aient été massacrés en masse : c'est l'Europe. D'ailleurs, l'une des choses
que je reproche fondamentalement à la manifestation charliste, c'est d'avoir
considéré que la tuerie de l'Hyper-Cacher était secondaire par rapport au
problème de crayons à papier et de caricatures. Quant à ce nouvel antisémitisme
issu des banlieues, je maintiens que je suis incapable de dire là-dedans ce qui
vient de la tradition égalitaire républicaine française et ce qui vient
spécifiquement de l'islam. Les deux se conjuguent probablement. Mais j'attends
de pied ferme, après la percée de l'islamophobie, le retour de l'antisémitisme
dans les classes moyennes catholiques zombies.
Il y a tout de même une pointe d'optimisme certain
dans ce livre, c'est le moment où vous expliquez qu'un islam de France lui-même
devenu zombie pourrait contribuer à un rééquilibrage positif de notre culture
politique. Autrement dit, que la culture musulmane pourrait participer au
rétablissement d'une véritable culture républicaine en France... Il y a peu de
chances que vous soyez entendu sur ce point.
Peut-être est-ce
excessif. Mais en fait je m'en suis tenu à deux scénarios dans ce livre : le
scénario de la confrontation hystérique avec l'islam et le scénario de
l'accommodement. Or la confrontation, c'est 100% de chances de désastre pour la
France. Donc là c'est une question de règle de vie fondamentale : si tu as le
choix entre la mort et l'incertitude, tu choisis l'incertitude, c'est tout.
Alors oui, je plaide pour qu'on les laisse tranquilles, les musulmans de
France. Qu'on ne leur fasse pas le coup qu'on a fait aux juifs dans les années
1930 en les mettant tous dans le même sac, sous la même catégorie sémantique,
quel que soit leur degré d'assimilation, quel que soit ce qu'ils étaient
vraiment en tant qu'êtres humains. Qu'on arrête de forcer les musulmans à se
penser musulmans. Qu'on en finisse avec cette nouvelle religion démente que
j'appelle le « laïcisme radical », et qui est pour moi la vraie menace.
Propos recueillis
par Aude Lancelin
(*) - Historien et démographe, Emmanuel Todd vient
de publier « Qui est Charlie ? ».
Source : L’OBS 30 avril 2015
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