dimanche 10 mai 2015

10 mai… commémorer l’abolition de l’esclavage. Mais l’esclavage, c’était quoi ?


Pour s’en faire une idée, rien de tel que l’écoute de la parole de ceux qui sont nés dedans. En voici quelques-uns, recueillis dans l’ouvrage de James Mellon intitulé « Paroles d’esclaves. Les jours du fouet »[1].


MARCHÉS AUX ENCHÈRES D'ESCLAVES,
ÉLEVAGE FORCÉ, VIOL ET FUGITIFS

DANIEL DOWD
J'ai vu vendre des esclaves. Je vois encore cette vieille estrade maintenant. Ma cousine Eliza était une bien jolie fille, vraiment mignonne. Son maître était son père. Quand les filles de la grande maison recevaient leurs galants, ils demandaient : « Qui est cette jolie fille ? » Alors on a décidé de se débarrasser d'elle tout de suite.
Le jour où on l'a vendue, on s'en souviendra tou­jours. On l'a déshabillée pour la mettre aux enchères et l'examiner. Je n'avais pas le droit de faire partie de la foule. J'étais étendu sous un figuier. L'homme qui a acheté Eliza était de New York. Les Noirs avaient gagné assez d'argent pour l'acheter eux-mêmes, mais les Blancs ne permettraient pas que ça arrive. Un des hommes qui faisaient l'enchère était métis. Il faisait toujours des offres sur les jolies filles de couleur et les achetait pour son propre usage. Il demanda à l'homme de New York : « Qu'est-ce que vous allez en faire quand vous l'aurez ? » L'homme de New York a dit : « Ça ne vous regarde pas, mais vous n'avez pas assez d'argent pour l'acheter. »
Quand l'homme de New York a fini par l'acheter, il a dit : « Eliza, tu es libre maintenant. » Elle est partie pour New York avec lui. Pendant qu'on l'exhibait, Maman et Eliza pleuraient toutes les deux, et Maître leur a dit de fermer leur gueule, sinon il allait leur faire sauter la cervelle.
WILLIS COFER
Pendant ces enchères, on mettait le nègre sur 1 balance et on le pesait, puis on commençait à faire des offres. S'il était jeune et fort, les enchères commençaient autour de cent cinquante dollars et l'offre la plus élevée avait le nègre. Une jeune femme bien saine rap­portait facilement deux mille dollars, parce que tous les maîtres voulaient voir venir beaucoup d'enfants forts et sains tout le temps. Les charpentiers, les maçons et les forgerons rapportaient de bons prix, de trois mille à cinq mille dollars quelquefois. Un nègre qui n'était plus qu'un bon ouvrier agricole ne rapportait pas plus que deux cents dollars.
STEPHEN WILLIAMS
Ça faisait pas longtemps qu'on était dans La Nou­velle-Orléans quand M. Abram est tombé malade et meurt et on nous a emmenés au marché pour nous vendre. Je me souviens que je devais avoir six ou sept ans à l'époque.
C'était le commandant Long le propriétaire du mar­ché où on nous a mis, et je pense qu'on nous a gardés là une semaine avant qu'on a vendu ma sœur Mary.
Un matin, notre famille est groupée ensemble dans un coin de la cour, loin des autres, et voilà que le com­mandant Long arrive, son nerf de bœuf à la main, avec un autre homme. Il force Mary de se lever et il dit à l'homme qui est avec lui : « Voilà la fille que vous vou­lez comme nourrice. »
Maman supplie le commandant Long de ne pas nous séparer et elle nous a serrés contre elle, Mary et Jane et moi. Le commandant et l'homme avec lui parlent ensemble un moment, puis ils reviennent vers nous et le commandant a arraché Mary de Maman et lui et l'autre homme l'ont prise. On l'a pas revue jusqu'après la Liberté.
Bon sang de bon sang, les gens qui sont pas passés par l'esclavage savent pas ce que c'était. Je parie qu'il devait y avoir trois cents personnes dans cette cour de marché, et la poussière et l'odeur étaient affreuses, affreuses. J'étais encore un gamin comme je vous l'ai dit, mais je me rappelle de l'endroit comme si c'était hier - des maris séparés de leurs femmes et des enfants séparés de leurs mères. En ce temps-là, pour un mar­chand, la vente d'un bébé ou d'un petit enfant en l'arrachant de sa mère n'avait pas plus d'importance que de séparer un veau d'une vache.
J'me rappelle que, la nuit après la vente de Mary, les Noirs se sont réunis dans la cour du marché pour faire la prière. Maman était très religieuse – très religieuse –, et si jamais une âme est allée au Paradis, c'est la sienne. Il semble que le commandant Long était parti ce soir-là, et Maman et d'autres gens se sont rassemblés pour prier ensemble. Ils ont pas chanté parce que ça aurait attiré l'attention et le commandant permettait pas les réunions. Mais quelqu'un avait vu les gens en train de prier et, le lendemain, le commandant savait. Alors, il est venu dans la cour avec son fouet et il a mis tout le monde ensemble. Il a dit : « Vous, les nègres qui avez prié hier soir, sortez des rangs. »
Personne n'est sorti, sauf Maman, parce que tout le monde avait peur de se faire fouetter. Le commandant a dit à Maman : « Tu es la seule qui as dit la vérité et je ne vais pas te fouetter parce que tu n'as pas menti. Je vais voir si je peux vous garder ensemble, toi et ton homme et tes autres enfants. » Maman est tombée à genoux et elle a remercié le Bon Dieu devant le com­mandant, et il l'a jamais touchée avec son fouet.
Il est revenu en très peu de temps et il nous dit de rassembler nos affaires et de le suivre. Nous ne savions pas où nous allions, mais n'importe où était meilleur que cette cour du marché. Juste pouvoir sortir de là était une bénédiction du Seigneur.
Le commandant a tenu parole et nous a vendus à M. Dan Sullivan, qui nous amène à Alexandria en char­rette.
JAMES MARTIN
On met les esclaves dans des boxes comme ceux qu'on utilise pour les bœufs – un homme et sa femme avec un enfant dans chaque bras. Et il y a un rideau, des fois juste un drap, devant le box, pour que les acquéreurs ne peuvent pas voir le « matériel » trop vite. Le contremaître se tient avec un grand fouet de cuir noir et un pistolet à la ceinture. De l'autre côté de la cour, il y a une grande estrade avec des marches.
Puis ils lèvent le rideau, et les acquéreurs se pressent tout autour. Ceux qui sont derrière peuvent pas voir, alors le contremaître fait sortir les esclaves sur l'estrade et il annonce l'âge de chacun et ses capacités. Il y a des gants blancs et un des acquéreurs prend une paire de gants et frotte son doigt sur les dents d'un des hommes et il dit : « Vous dites que ce mâle n'a que vingt ans ? Eh bien, il a les dents pourries ! Il a quarante ans ou alors je ne m'y connais pas ! » Alors ils baissent le prix sur ce mâle de mille dollars. Ils appellent les hommes « les mâles » et les femmes « les femelles ».
Quand les esclaves sont sur l'estrade, le contremaître crie : « Tom ou Jason, montre aux acquéreurs comment tu marches. » Puis les esclaves traversent l'estrade et les enchères commencent.
A ces enchères, le contremaître crie : « Eh, vous, les mâles et vous les femelles, rentrez dans votre trou. Sor­tez par ici. » Puis il les fait sautiller, il les fait trotter, il les fait sauter. « Combien, il crie, pour ce mâle ? Mille ? Onze cents ? Douze cents dollars ? » Puis les acquéreurs font des enchères selon la taille et le physique de l'esclave.
LU PERKINS
Je me rappelle quand on me mettait sur l'estrade pendant les enchères. Ils ont baissé ma robe jusqu'à la taille pour qu'on voie que j'ai pas le dos balafré et cin­glé. C'est pour montrer que t'es pas un nègre méchant.
BEN JOHNSON
On avait vendu mon frère Jim pour habiller la fille de la maîtresse pour son mariage. L'arbre existe tou­jours où je me tenais à les regarder vendre Jim. J'étais assis et j'ai pleuré et j'ai pleuré, surtout quand ils ont mis les chaînes sur lui pour l'amener. Et je me suis jamais senti si solitaire de toute ma vie. J'ai jamais eu des nouvelles de Jim depuis et je me demande mainte­nant, de temps en temps, s'il est toujours en vie.
MARY FERGUSON
Vers le milieu de la soirée, mon jeune maître est arrivé sur son cheval avec deux étranges hommes blancs dans un cabriolet. Ils attachent leurs chevaux et entrent dans la maison et j'ai peur. Puis un des étran­gers a dit : « Prends tes vêtements, Mary. Nous t'avons achetée à M. Shorter. » J'me suis mise à pleurer et à supplier M. Shorter de pas les laisser me prendre. Mais il a dit : « Oui, Mary, je t'ai vendue et tu dois aller avec eux. »
Alors ces hommes étranges, que j'ai jamais connu les noms, m'ont prise et m'ont mise dans le cabriolet et ils se sont mis en route avec moi qui hurlais de toutes mes forces en appelant ma maman. Puis ces hommes ont commencé à chanter très fort pour étouffer mes hurle­ments.
Nous sommes passés devant le champ même où Papa et toute ma famille travaillaient et j'ai crié aussi fort que j'ai pu tant que je les voyais : « Au revoir, Maman ! Au revoir, Maman ! » Mais elle m'a jamais entendue. Non, m'sieur, ces Blancs chantaient si fort que Maman pouvait pas m'entendre. Et elle pouvait pas me voir, parce qu'ils m'avaient poussée sur le plancher du cabriolet pour me cacher.
J'ai jamais revu ni entendu parler de ma maman et de mon papa et de mes frères et de mes sœurs, de ce jour-là jusqu'à celui-ci.
JAMES GREEN
Y avait plus d'esclaves qui naissaient que des qui mouraient. Le vieux maître veillait sur ça lui-même. Il élève les nègres aussi vite qu'il peut – comme du bétail –, parce que c'est de l'argent pour lui. Il choisit une femme pour chaque homme sur la plantation. Personne avait le droit de choisir lui-même qui il allait avoir pour femme. Tout c'qu'on avait comme cérémonie de mariage, c'était le doigt de Maître qui désignait qui était la femme de qui. Si une femme était pas assez féconde, elle devait travailler avec les hommes. Mais Maître essayait de se débarrasser d'une femme qui avait pas d'enfant. Il la vendait et disait à l'homme qui l'achetait qu'elle était une bonne affaire.
Mais les maris nègres n'étaient pas les seuls qui avaient des enfants. Les maîtres et les contremaîtres prennent toutes les filles noires qu'ils veulent. Une esclave a eu quatre enfants par le maître blanc, l'un après l'autre. Les enfants étaient marron, mais y en avait un qui était aussi blanc que vous. C'était un esclave tout d'même, et la négresse qui avait des enfants avec les hommes blancs n'était pas mieux trai­tée. Elle échappait pas plus au travail qu'les autres.
RICHARD CARRUTHERS
Quelquefois, les nègres, ils étaient tellement peu sûrs de qui était bien de leur famille qu'ils épousaient leur propre sœur ou leur frère. Quelquefois, quand un nègre épouse sa sœur, c'est comme ça qu'ils s'en aperçoivent. Une nuit, ils se mettent à parler. Elle dit : « Une fois, mon frère s'est battu et il a une horrible cicatrice au-dessus de son oreille gauche. Elle est longue et lisse et y a pas de poil qui pousse dessus. » Il dit : « Tu vois cette cicatrice au-dessus de mon oreille gauche ? Elle est longue et lisse et pas la moindre trace d'un poil. » Puis elle dit : « Que le Bon Dieu nous préserve, nous pauvres nègres ! Tu es mon frère ! » Ça arrive comme ça. Je l'ai vu plein de fois, et ça c'est la vérité vraie.
WESLEY BURRELL
Un garçonnet a été arraché à sa mère quand il était petit et, quand il était grand, on l'a vendu au même maître et marié à sa propre mère.
TEMPE PITTS
Je veux rien dire sur mes parents blancs mais, quel­quefois, je me demande pourquoi je suis roux alors que mon papa et ma maman sont noirs comme le goudron. Peut-être c'est parce que j'ai du sang blanc, mais je dis rien sur mes parents blancs, comme je vous l'ai dit.
CHARLIE ROBINSON
Vous n'avez aucune idée de la souffrance et du souci qu'un mulâtre doit subir tous ses quatre-vingt-quatre ans. Forcé de s'associer avec un côté, fier d'appartenir à l'autre. Aucun des deux n'aime la couleur de votre peau.
Je me suis joint à l'église méthodiste ici et j'y vais aussi souvent que je peux et, quand j'entends le prédi­cateur dire qu'il y aura pas de sexe au Paradis, j'espère et je prie qu'il y aura pas de différence de couleur, au Paradis.
JAMES GREEN
Un jour, voilà qu'il est vendredi. Le vendredi est mon jour de poisse et aussi mon jour de chance. Je jouais près de la maison et M. Williams arrive et il dit : « Délia, tu veux bien laisser Jim venir avec moi ? »­ « Bien, Maître », dit ma mère, et : « Jim, sois sage. »
Ça, c'était la dernière fois que j'ai entendu ma mère parler et que je l'ai vue. On descend jusque là où les maisons sont très rapprochées l'une de l'autre et, bien­tôt, on arrive au marché aux esclaves. J'en avais jamais vu avant et je savais pas ce que c'était. M. Williams me dit de monter sur l'estrade. Je fais ce qu'on me dit. Quand j'y suis, j'ai une drôle d'impression. D'une façon ou d'une autre, je sais ce qui se passait, mais je reste debout immobile. Quelques minutes après, ils m'ont dit de descendre et ils m'ont remis à un homme qui s'appe­lait John Pinchback.
Pinchback était mon nouveau maître. Il avait la danse de Saint-Guy. Semble qu'il aimait bien faire souf­frir les nègres pour compenser ses propres tortille­ments. C'était le plus grand démon de la terre.
Nous partons tout de suite pour le Texas. Mon maître habite là-bas sur une ferme, à Columbus. On m'a mis au travail quand je suis arrivé, sans me donner à man­ger. On m'a dit d'apporter l'eau pour le bétail.
Cette nuit-là, je décide de m'enfuir. Mais, le lende­main, on m'amène avec d'autres nouveaux esclaves pour regarder les chiens. Les chiens vivaient dans une jolie maison avec une barrière autour. Alors, on m'a choisi pour entraîner les chiens avec. On m'a dit que je devais jouer le rôle d'un esclave fugitif. Avant de com­mencer, ils m'ont dit de courir où je voulais et, après que j'avais fait huit kilomètres, de grimper dans un arbre. Je savais pas ce que ça voulait dire, mais un des contremaîtres m'a expliqué plutôt gentiment que ça voulait dire monter aussi haut dans un arbre que je pouvais, si je ne voulais pas me faire arracher les jambes de mon corps. Alors, je cours les huit kilo­mètres et je grimpe dans un arbre très haut où les branches deviennent petites.
Je reste assis là pendant un bon moment. Puis je vois les chiens venir. Ils avaient la tête baissée, ils regar­daient pas où ils allaient. Quand ils arrivent en bas de mon arbre, ils s'arrêtent et courent autour. Puis ils lèvent la tête et me voient et se mettent à aboyer. Après ça, j'ai jamais pensé à m'échapper et je crois qu'aucun esclave s'est jamais échappé du Texas, en dépit de toutes les histoires que racontent les nègres.
GABE EMMANUEL
Ho, ho ! Seigneur, j'suis en train d'me rappeler une fois quand le gros vieux chien d'chasse, qui attrapait les nègres fugitifs, est mort d'convulsions. Le contremaître nous dit qu'on va devoir enterrer ce chien et que nous autres nègres avons intérêt à être très tristes quand on vient à ces funérailles.
Et est-ce que les nègres ont été tristes sur la pitoyable mort d'ce pauvre chien qui les avait chassés partout dans la région ? Ils étaient tous là en train d'pleurer et d'se lamenter et, de temps à autre, i's'mettaient un peu d'eau sur les yeux, pour faire semblant de pleurer des larmes très, très amères.
« Pauvre vieux chien, il est bien mort et peut plus nous attraper. Pauvre, pauvre chien. Amen ! Amen ! Que le Seigneur nous préserve ! »
ANONYME
Je me souviens qu'une fois, quand l'un des Blancs est mort, le vieux oncle Albert est tombé par terre et pleurait. Mais, quand il a vu que personne regardait, il a failli mourir de rire.
EDWARD LYCURGAS
J'ai rencontré beaucoup de fugitifs. Certains allaient au Nord pour se battre pour la liberté de leur peuple. D'autres s'échappaient simplement parce qu'ils pouvaient. Beaucoup n'avaient aucune idée où ils allaient et disaient qu'ils avaient eu de bons maîtres. Mais, surtout, ils avaient tous la forte intention de voir ce que c'était que de posséder son propre corps.
WILLIAM COLBERT
Bien sûr que j'me rappelle d'la période de l'escla­vage. Comment est-ce que je pourrais oublier ? On peut s'asseoir sur le fauteuil à bascule, si vous voulez écouter quelque chose sur les vieux jours, parce que c'est sûr que j'peux en parler.
J'm'appelle William Colbert et j'viens d'la Géorgie. J'suis né en 1844 sur la plantation de mon maître à Fort Valley. Mon maître s'appelait Jim Hodison. Pendant une certaine période, il possédait cent soixante-cinq nègres.
Non, m'sieur. il était pas bon pour aucun d'nous Tous les nègres dans les environs avaient horreur qu’il les achète, parce qu'il était si méchant ! Quand il était trop fatigué pour nous fouetter, il le f'sait faire par le contremaître, qui était encore plus méchant que lu : Mais, m'sieur, les gens de l'époque étaient pareils au gens d'aujourd'hui. Y en avait des bons et de méchants. Il se trouve que moi j'appartenais à u méchant.
J'me rappelle un jour que mon frère January s'e fait attraper parce qu'il rendait visite à une fille sur plantation voisine. Il avait un passe mais il avait dépassé l’heure d'rentrer. Eh bien, m'sieur, quand maître a appris qu'il était une heure en retard, il est devenu aussi furieux qu'un essaim d'abeilles. Alors, quand mon frère January est rentré à la maison, le maître a décroché son long fouet qui était pour les mules, et il a attaché January à un pin. Il lui a enlevé sa chemise, et il a dit : « Maintenant mon nègre, je vais te donner du bon sens. »
Avec ces mots, il s'est mis à faire danser les lanières. January était grand et beau. C'était le plus beau nègre que j'avais jamais vu. Il avait que quatre ans de plus que moi et, quand Maître a commencé à le battre, January a pas dit mot. Le maître devenait de plus en plus furieux parce qu'il pouvait pas faire hurler January.
« Qu'est-ce qui te prend, mon nègre ?, il a dit. Ça fait pas mal ? » January ne disait rien, toujours rien, et le maître a continué à le battre jusqu'à ce qu'il y avait des petits ruisseaux de sang qui coulaient sur la poitrine d'mon frère. Mais il a jamais crié. Ses lèvres tremblaient, et son corps aussi, mais il a jamais ouvert la bouche et, pendant tout c'temps-là, j'étais assis sur les marches d'la maison d'mes parents en train d'pleurer. Les nègres étaient rassemblés tout autour et y en avait qui suppor­taient pas. Ils ont dû rentrer dans leur cabane. Après un certain temps, January en pouvait plus. Il a chuchoté d'une voix rauque : « Maître, Maître, ayez pitié d'ce pauvre nègre ! »
Puis y a eu la guerre. Ces Yankees sont arrivés et ils ont cueilli les fruits sur les arbres pour les manger. Ils ont mangé du jambon et du maïs, mais ils ont jamais mis le feu aux maisons. Il me semble qu'ils sont restés juste assez de temps pour avoir plein à manger, parce qu'ils sont partis en deux ou trois jours et on les a jamais revus depuis.
Les trois fils de Maître sont partis à la guerre, mais pas un seul est jamais revenu. Tous ses enfants ont été tués. Maître, il avait perdu tout son argent et la maison a bientôt commencé à tomber en ruines. Nous autres nègres, on est partis l'un après l'autre et, la dernière fois que j'ai vu notre plantation, j'étais debout sur la colline. Je l'ai regardée pour la dernière fois à travers une haie de pins et elle semblait si solitaire. Je voyais qu'une personne – le maître. Il était assis sur une chaise en osier dans le jardin, et son regard s'étendait sur un p'tit champ d'coton et d'maïs. Il y avait quatre croix dans le cimetière sur la pelouse d'à côté. C'est là qu'il était assis. La quatrième croix, c'était pour sa femme.
J'ai perdu ma compagne aussi, il y a trente-sept ans, et, depuis ce temps, je continue à vivre comme Maître : tout seul.
 

LES JOURS DU FOUET

WILLIAM COLEMAN
Un jour, un des esclaves aidait Maîtresse dans la cour et il s'est approché trop près d'elle en courant et il l'a cognée légèrement. Elle n'y a pas prêté attention, mais Maître l'a vu. Il l'a laissé continuer et finir ce qu'il fai­sait et puis il a appelé ce pauvre Noir et l'a emmené dans le pré, lui a attaché les mains, a jeté l'autre bout de la corde par-dessus une branche d'arbre et a tiré les mains de ce Noir très haut à tel point que le Noir était obligé de se mettre sur la pointe des pieds. Le maître l'a déshabillé et l'a fouetté avec ce fouet à lanières jusqu'à ce que ce Noir était trempé de sang. Alors il a laissé ce pauvre Noir attaché là tout le reste du jour et toute la nuit.
Quand Maître a détaché le Noir, il ne pouvait pas se tenir debout ou baisser les bras. Mais cela n'a pas empêché le maître de le fouetter à nouveau, puisqu'il pensait que le Noir faisait semblant, mais il s'est rendu compte que non. Puis le maître a dit à une vieille Noire qu'il avait sur la plantation de travailler sur lui pour le masser jusqu'à ce qu'il pouvait bouger un peu. Mon enfant, c'était un des Noirs les plus malades qu'on a jamais vus après cela. Pendant plus d'une semaine, le maître pensait qu'il allait mourir mais la vieille Noire a continué à travailler sur lui jusqu'à ce qu'il s'en sorte. Maître a dû le tuer après cela, parce qu'il était devenu hors la loi. Il était arrivé au point où il refusait de tra­vailler et Maître le fouettait tout le temps et il répon­dait à Maître carrément.
Ensuite, Maître a vendu ce Noir à un autre homme et ce nouveau maître l'a emmené aux champs en pen­sant qu'il travaillerait, mais non, monsieur! Il a tout simplement posé sa bêche et il a laissé ce nouveau maître pour retourner chez l'autre en disant que, si jamais il avait l'occasion, il allait tuer son ancien maître. Maître a dû rendre l'argent à cet homme. Puis il a vendu cet esclave à quelqu'un d'autre qui vivait dans un autre Etat et, dès qu'il l'avait lâché, eh bien, il a quitté ce nouveau maître pour retourner chez lui. Maître a dû rendre l'argent à cet homme aussi comme celui-ci n'arrivait pas à garder ce Noir. Il avait dû venir le chercher trois ou quatre fois.
Le vieux maître a fini par avoir peur de cet esclave et il l'a mis aux fers. Bien entendu, il devait lui détacher les mains dans la journée pour qu'il puisse travailler, mais il n'enlevait jamais les chaînes de ses jambes. La nuit, il était enfermé dans ses quartiers. Ceci dit, nous étions tous enfermés la nuit.
Puis un jour, Maître faisait travaillait ce Noir et il ne le surveillait pas et il est allé montrer quelque chose aux autres esclaves, tournant le dos à l'autre Noir. Et ce Noir pensait que c'était l'occasion, alors il s'est jeté sur le dos du maître, le forçant par terre et essayant de l'étrangler et de l'empêcher de prendre son fusil, tout à la fois. Mais, avec ses pieds attachés, il arrivait pas. Quelques-uns parmi nous sont venus en courant pour le séparer de Maître mais il nous a chassés parce qu'il voulait pas nous tirer dessus quand enfin il mettrait la main sur son fusil, ce qu'il a fait enfin et il a tiré sur le Noir. C'est sûr qu'il n'a pas aimé tirer sur un de ses propres esclaves parce que c'était de la propriété valable à cette époque, mais il a dû tuer celui-là. Il a tout simplement entraîné le corps de ce Noir pour le jeter dans un tas de broussailles. Il l'a même pas enterré. Non, monsieur, il a dit qu'il valait même pas un enterrement.
ELLEN CRAGIN
Ma mère, elle ne travaillait pas aux champs. Elle tra­vaillait à un métier à tisser. Elle travaillait si longtemps et si souvent qu'une fois elle s'est endormie devant le métier à tisser. Le fils de son maître l'a vue et il l'a dit à sa mère. Sa mère lui a dit de prendre un fouet et de l'utiliser sur ma mère. Il a pris un bâton et il est venu. Il a battu ma mère jusqu'à ce qu'elle se soit réveillée. Quand elle s'est réveillée, elle a pris une perche du métier à tisser et l'a battu presque à mort avec. Il a hurlé : « Ne me bats plus et je ne te laisserai pas fouet­ter. » Elle a dit : « Je vais te tuer. Tu as été nourri de mes propres seins noirs et te voilà venu pour me battre. » Et, quand elle l'a laissé, il n'était plus capable de marcher.
JOHN FINNELY
Avant que je travaillais dans les champs, j'étais jamais fouetté sauf pour une chose. Mon maître m'utili­sait pour la chasse et pour soutenir le fusil. Quand il doit tirer loin je me baisse et je mets les mains sur les genoux et Maître met son fusil sur mon dos pour bien viser. Ce qu'il tue, je vais le chercher et je le ramène, et je porte le gibier pour lui.
Tout ça est pas si mal, mais quand Maître tire sur les canards et je dois aller les chercher, ça me donne des soucis. La première fois qu'il me dit d'aller dans l'étang, ça me fait peur, terrible peur. J'enlève la che­mise et le pantalon, mais je reste là. Je mets le pied dans l'eau, en avant, en arrière, en avant, en arrière. Maître commence à se fâcher. Il dit : « Rentre là-dedans et ramène ce canard. » Je dis : « Oui, m'sieur, Maître. » Mais je rentre pas dans l'eau avant que Maître me donne quelques coups. Je pouvais jamais m'habituer à être le chien de chasse et à ramener les canards.
KATHERINE EPPES
Ma maman, elle travaillait dans la grande maison à filer et à faire la nourrice des gosses blancs. Ils l'appe­laient tous « Mammy ». Je me souviens d'une chose comme si c'était hier. Maîtresse Sarah est allée à Mospolis [Demopolis] pour rendre visite à sa sœur et, pen­dant qu'elle était partie, le contremaître qui s'appelait Allen a fouetté ma maman dans le dos jusqu'à ce que le sang coulait.
Quand Maîtresse Sarah est revenue et qu'elle a appris ce qui s'est passé, c'était la Blanche la plus enra­gée que j'ai jamais vue. Elle a fait venir le contremaître et elle a dit : « Allen, qu'est-ce que ça veut dire de fouetter Mammy ? Vous savez bien que je ne vous per­mets pas de faire la leçon à mes domestiques. » Elle a baissé sa robe de ses épaules et se tenait là comme un soldat avec ses épaules brillant blanc comme une ban­quise. « Je préfère voir ces marques sur mes propres épaules que de les voir sur celles de Mammy. Cela ne me ferait pas plus souffrir. » Puis elle dit : « Allen, ame­nez votre famille et allez-vous-en de chez moi. Soyez partis avant le coucher du soleil. » Alors il est parti. C'était qu'un petit Blanc, de toute façon.
ROBERT FARMER
Maître Teed Sharp Jr avait dit qu'il allait faire tra­vailler mon frère Peter autant que ma sœur. C'était une jeune fille mais déjà grande, puis elle était solide et forte. Peter ne pouvait pas la suivre. Il n'était pas encore assez grand, ni assez fort. Il le serait devenu plus tard, mais il n'avait pas fini de grandir et ma sœur, si. Chaque fois que Peter prenait du retard sur ma sœur, Teed le sortait des rangs, l'attachait à un tronc d'arbre avec une sangle en cuir, reculait et puis il lui fouettait le dos, de haut en bas. Il lui fendait la peau avec chaque coup et le sang en coulait. La dernière fois que Teed l'avait détaché, Peter est allé vers ma sœur lui deman­der un torchon. Elle pensait qu'il voulait simplement essuyer le sang sur sa figure et dans ses yeux mais, quand elle le lui a donné, il est tombé mort en travers des rangées de pommes de terre.
ROBERT FARMER
Maître John était un bien bon maître et on avait plein à manger et à s'habiller et personne se faisait jamais fouetter. Maître John disait que, s'il avait un nègre qui méritait d'être fouetté, il s'en débarrasserait vite parce qu'un mauvais nègre c'est exactement comme une patate pourrie dans un sac de bonnes – ça gâte tout le reste.
MME THOMAS JOHNS
Mon mari m'a dit qu'il y avait une famille nommée Gullendin qui traitait bien durement leurs nègres. Il a dit que la vieille Mme Gullendin prenait une aiguille, l'enfonçait dans la lèvre inférieure d'une de leurs négresses et l'épinglait sur le devant de sa robe. La négresse se baladait toute la journée la tête baissée comme ça, en bavant. La vieille Mme Gullendin lui a fait ça beaucoup de fois. Il y avait des nœuds dans sa lèvre, là où l'aiguille avait été enfoncée. Pour ma part, je n'aurais jamais pu supporter ça sans devenir folle.
ROBERT BURNS
Mon maître mettait des esclaves en taule pour les fouetter le lendemain matin. Il limitait toujours les coups de fouet à cinq cents. Après les avoir fouettés, il leur frottait le dos avec du poivre et du sel à l'endroit des coups, puis les mettait devant le feu jusqu'à ce que la peau se couvrait de cloques, puis il prenait le chat et lui faisait griffer les cloques pour les faire éclater.
FOSTER WEATHERBY
Certains maîtres étaient bons pour leurs esclaves et d'autres étaient cruels, tout comme certains gens trai­tent leurs chevaux et leurs mules – il y en a qui les aiment et les traitent bien et d'autres qui le font pas.
ANNIE HAWKINS
J'ai jamais eu de Blancs qui étaient bons pour moi. On travaillait comme des chiens et on avait la moitié de ce qu'on avait besoin pour manger et on nous fouettait pour un rien. Nos journées étaient une constante misère. Je connais beaucoup de nègres qui étaient des esclaves et avaient du bon temps mais nous, jamais. Ça paraît dur que j'arrive pas à dire quelque chose de gen­til sur mes Blancs, mais c'est sûr que je peux pas.
Le vieux maître était saoul tout le temps. Je suppose que c'est la raison pour laquelle il était si méchant. Qu'est-ce qu'on le détestait ! Il s'est tué à force de boire et je me rappelle que notre vieille maîtresse nous a fait venir le regarder dans son cercueil. Nous sommes passés devant, lentement, et, par hasard, j'ai levé les yeux et surpris le regard de ma sœur et, toutes les deux, on s'est mises à rire, naturellement. Pourquoi pas ? Nous étions contentes qu'il était mort. C'est bien qu'on a pu rire un peu, car Maîtresse nous a prises dehors et nous a battues avec un manche de balai. Mais elle ne nous a pas fait regretter notre rire.
DELIA GARLIC
Les gens pouvaient entendre les horribles coups de fouet à des kilomètres. C'était un terrible côté de l'exis­tence.
SARAH DOUGLAS
Ma vieille maîtresse, quand elle m'a fouettée pour la dernière fois, elle m'a attachée à un arbre et – oh, mon Dieu ! – comme elle m'a bien fouettée ce jour-là ! C'est la pire punition que j'ai jamais reçue dans ma vie. J'ai pleuré, je me suis tordue et j'ai hurlé jusqu'à ce que je ne pouvais plus. J'étais comme morte et elle n'arrêtait pas. J'arrête de pleurer et je lui ai dit : « Vieille Maî­tresse, si j'étais vous et vous étiez moi, je ne vous bat­trais pas comme ça. » Ça a touché le cœur de Vieille Maîtresse et elle m'a lâchée et elle n'a plus jamais eu le courage de me fouetter.
ANONYME
Ma vieille maîtresse est tombée malade et je l'éventais avec une brosse pour chasser les mouches. Je la frappais partout sur le visage. Quelquefois, je faisais semblant de dormir et je lui frappais la figure. Elle était si malade, elle pouvait pas dormir beaucoup et pouvait pas parler et, quand le vieux maître venait dans la mai­son, elle essayait de lui dire ce que je faisais mais il pensait qu'elle voulait dire simplement que je m'endor­mais. Puis il me disait de sortir dans la cour pour me réveiller. Elle arrivait pas à lui dire que je l'avais frap­pée. J'ai bien fait du mal à cette femme. Elle était si méchante avec moi.
Eh bien, elle est morte et tous les esclaves sont entrés dans la maison en train de hurler et de pleurer et de cacher leurs yeux de leurs mains. Comme ils criaient ! Dès qu'ils sortaient de la maison, ils disaient : « Vieille foutue salope, elle est bien descendue en Enfer. »
HENRY CHEATHAM
La vieille maîtresse avait un surveillant nègre et lui, c’était le diable le plus méchant qui a jamais vécu sur la terre verte de notre Seigneur. J’me suis promis que quand je serais grand, j'allais tuer ce nègre si c'était la dernière chose que j'ai faite. Plein de fois, je l'ai vu battre ma maman et, un jour, je l'ai vu battre ma tante qui était enceinte et, cet homme, il a creusé un trou et il l'a mise par terre avec son ventre dedans et il l'a battue et il l'a battue pendant une demi-heure jusqu'à ce que le bébé sorte, là, dans le trou.
ANONYME
Le vieux maître avait un surveillant qui faisait ses rondes pour fouetter les nègres tous les matins même quand ils avaient rien fait. Il s'est approché de mon père un jour et il a dit : « Bob, je vais te fouetter ce matin.» Papa a dit : « J'ai rien fait. » Et il a dit : « Je sais. Je vais te fouetter pour t'éviter de rien faire. » Et il l'a fouetté avec ce fouet de cuir – vous savez, ça vous enlevait le sang avec chaque coup si on te frappait assez fort. Papa était en train de couper le coton et, alors, il a levé sa bêche et l'a baissée sur la tête de cet homme et lui a ouvert le crâne. Oui, m'sieur, ça l'a tué. Mais, à cette époque-là, ils mettaient pas les gens de couleur en prison et donc, quand Charlie Merrill, le marchand d'esclaves, est passé, ils lui ont vendu mon papa et il l'a emporté avec lui jusque dans le Mississippi. Merrill achetait tout le temps – il vendait et achetait des nègres comme des porcs.
SQUIREIRVIN
J'ai jamais vu de prison avant qu'on avait déclaré la paix. Pendant l'esclavage, toutes les prisons étaient pour les Blancs. Il y a jamais eu de gens de ma couleur mis dans aucune prison. Pas de temps pour qu'ils res­tent en taule. Ils devaient travailler. Quand ils faisaient du mal, on les fouettait et on les relâchait.
HENRY BANNER
Si un bon nègre tuait un surveillant blanc, on lui fai­sait rien. S'il était un mauvais nègre, ils le vendaient. Ils élevaient les nègres pour les vendre ; ils ne voulaient pas les perdre. C'était tout comme si une mule tuait un homme.
ANONYME
Mon maître avait un tonneau percé de clous et il vous mettait dedans quand il n'avait rien d'autre de méchant à vous faire. Il vous mettait dans ce tonneau et le faisait rouler le long d'une pente. Quand vous arri­viez en bas, vous étiez en mauvais état, mais il s'en fichait. Des fois, il roulait le tonneau jusque dans la rivière et noyait ses esclaves.
CALLIE ELDER
Si un esclave tuait un autre esclave, Maître Billy ordonnait au contremaître d'attacher le mort à son meurtrier et celui-ci devait traîner ce cadavre avec lui jusqu'à sa propre mort. Les assassins ne vivaient pas longtemps à traîner les morts. Ça les effrayait purement à mort.
JOHN FINNELY
Les combats de nègres sont plus pour le plaisir des Blancs, mais nous autres nègres on avait le droit de les voir. Les maîtres des différentes plantations mettaient leurs nègres par deux suivant leur taille et puis ils pariaient sur eux.
Maître Finnely a un nègre qui pèse environ soixante-dix kilos et celui-là était bon lutteur. Ce nègre était rapide comme un chat et fort pour sa taille et aimait bien se battre. Ce nègre gagne vite le combat. Personne dure longtemps avec lui. Eh bien, après un temps, il y a un nouveau nègre qui arrive dans le coin et il y a eu un rude combat. Je l'ai vu, celui-là.
Le combat a lieu la nuit à la lumière de torches de pin. Une enceinte est faite par les gens qui se tiennent dans un cercle et les nègres entrent dans ce cercle. Ils se battent sans repos jusqu'à ce qu'un des deux abandonne ou n'en peut plus. Ils peuvent faire ce qu'ils veulent avec leurs mains, la tête et leurs dents. Ouais, c'est ça – rien est interdit sauf le couteau et les massues.
Eh bien, monsieur, ces deux nègres entrent dans le ring. Tom – c'est le nègre de Maître –, il commence vite comme il fait d'habitude mais l'autre nègre commence aussi rapidement et ça surprend Tom. C'est la première fois qu'un nègre est aussi rapide que lui. Quand ils se heurtent, c'est comme deux taureaux. Ça fait « Vlan ! » à chaque fois. Puis c'est frapper, coups de pieds, mordre, cogner, n'importe où et n'importe comment pour vaincre l'autre. D'abord, un est sur l'autre en train de frapper ; puis c'est l'autre qui est au-dessus, l'autre qui est en dessous. Celui en dessous mord et donne des coups de genoux ou n'importe quoi qu'il peut faire. C'est comme ça que ça se passe pendant une demi-heure. Les deux sont bien fatigués et ils ralentissent, mais ils continuent à lutter. C'est vraiment ni l'un ni l'autre qui a l'avantage.
Finalement, cet autre nègre donne un coup de genou au ventre de Tom et un coup de poing à la gueule en même temps. Voilà que Tom tombe et l'autre nègre lui saute dessus avec ses deux pieds puis il le coince entre ses jambes et commence à le battre des deux côtés de sa tête – droite, gauche, droite, gauche, droite. Voilà Tom étendu par terre qui résistait pas du tout. Tout le monde dit : « Tom a rencontré son égal et il est fini. » Les deux saignent terrible. Eh bien, ce nègre se décon­tracte pour respirer ou quelque chose et puis Tom, en un éclair, le repousse soudain et se remet sur pieds. Avant que l'autre pouvait se mettre debout aussi, Tom lui donne un coup de pied dans le ventre et encore et encore. L'autre nègre se met à trembler dans le corps et son maître dit : « Suffit ! » Autant que je sache, c'est le plus près que Tom a été à une défaite.
Ils ont peut-être trouvé quelqu'un, mais j'en sais rien parce que je suis devenu un esclave fugitif peu de temps après ce combat.
LEWIS WALLACE
Pendant les jours de l'esclavage, j'appartenais à M. Armstrong Flowers. J'étais garçon de cour et la famille Flowers était riche et possédait un tas d'esclaves. Mais Maître Flowers est mort d'une crise de whisky. C'était un très brave homme jusqu'à ce qu'une de ces crises arrive. Alors il était horrible. Il nous menait dur jusqu'à nous crever presque et il attrapait la vieille maîtresse par les cheveux et la traînait le long de la véranda.
Nous les nègres on avait si peur qu'on en perdait le bon sens. Quelquefois, il pensait qu'il avait vu le Diable et il nous envoyait le chercher. Il criait : « Creusez un trou profond pour le Diable ! » Quand on voyait que Maître ne regardait pas, on criait : « Le voilà là-bas, Maître ! Le voilà là-bas ! Le Diable est sorti et il court ! » Et on lui montrait du doigt très, très loin, comme ça il lâchait les cheveux de Maîtresse et descen­dait de la véranda. Alors il disait, effrayé : « Aidez-moi à l'attraper, les gars ! Aidez-moi à l'attraper ! » Puis on commençait tous à courir après un diable qui n'était pas là et on courait tout autour de la cour.
Des fois, il tombait comme s'il était complètement épuisé et un jour il est mort d'une de ces crises de whisky.
JAKE DAWKINS
Le vieux maître aimait jouer de la musique et danser et c'était une chose qu'il permettait à ses nègres de faire. On s'amusait bien, jusqu'à ce qu'il allait se saou­ler et dire au contremaître de fouetter tout le monde.

[1] - Le Seuil, 1991.

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