Le trait commun à de nombreux pays africains francophones est de s’être inspirés
du système présidentialiste à la française, issu de la Ve République.
Dans un livre décapant, publié il y a deux décennies mais d’une étonnante
actualité, feu Jean-François Revel dresse un portrait sans concession de l’«
absolutisme inefficace » de la République française. 20 ans plus tard, la leçon
vaut toujours et elle devrait être rendue obligatoire à lire pour tous les
étudiants de première année de droit, et notamment en Afrique où le «
présidentialisme » fait des ravages en empêchant une véritable démocratie
responsable d’émerger.
Morceaux
choisis.
Revel
critique à l’époque François Mitterrand dans ses excès lors de sa présidence
mais en impute la responsabilité non pas à l'homme, mais à l'institution de la
Ve République, dont la constitution instaure une « Présidentocratie
» (p. 15). Or, « une bonne constitution
démocratique est celle où chaque pouvoir peut remplir la mission que lui
assigne les textes, et où, par voie de conséquence, aucun pouvoir ne peut
outrepasser les limites que lui fixe la loi, sans se voir arrêter aussitôt dans
cette transgression par d'infranchissables obstacles juridiques et pratiques ».
« La présidence ne fonctionne pas et
empêche le reste de fonctionner ». Ainsi, « l'Assemblée nationale, le
seul lieu en France où l'on ne débatte jamais des grands problèmes nationaux »
(p 17), à la différence de l’Angleterre par exemple. « S'il n'en va pas ainsi en France, c'est que le seul véritable
détenteur du pouvoir y est le président, et que le président n'est pas
responsable devant le Parlement. »
« Sans contre-pouvoir constitutionnel, le
président réagit aux forces extérieures aux institutions : les médias et la rue
».
Il
y a un « vice organique de la
constitution de la Ve République, c'est un hybride du système
parlementaire et du système présidentiel » quand « il faudrait un choix clair entre la logique parlementaire et la
logique présidentielle ». « Une bonne
constitution et celle-là où l'exécutif issu du choix des électeurs peut remplir
sa mission tout en restant soumis à un contrôle. La constitution et mauvaise
quand le contrôle peut devenir envahissant au point de paralyser l'exécutif, ou
bien quand l'exécutif peut devenir omnipotent au point d'anéantir le contrôle »
(p. 22)
Quant
au gouvernement, il « est, en théorie,
responsable devant le Parlement, et tient de lui son mandat. En fait, il n'en
est rien », puisqu’« en France, ce
n'est pas l'assemblée, c'est le président de la république qui confère
l'investiture au Premier ministre » (p. 25) « Déjà dépouillée en fait sinon en droit de l'initiative des lois,
l'Assemblée française a été en outre privée de l'autre prérogative fondamentale
des chambres en système parlementaire : conférer au gouvernement l'autorité en
vertu de laquelle il gère les affaires du pays et la lui retirer le cas échéant
». (p. 26) Et si le Parlement ne sert à rien, « le premier ministre vit dans la servitude, il ne jouit d'aucune
autorité, juste une autorité déléguée qu'il reçoit du président » (p. 27).
« En effet les ministres doivent leur
nomination au président et non pas au premier ministre. Ils peuvent craindre
une instabilité du fait des humeurs présidentielles ce qui fragilise l'exécutif
d'autant qu'ils sont recrutés toujours davantage parmi les amis personnels du
chef de l'État »
(p. 28).
« Dans le jargon pseudo constitutionnel
fixé par la routine du régime, on dit que le premier ministre sert de fusible
au président. Le recours habituel à cette métaphore équivaut à reconnaître que
nous ne sommes pas en démocratie. En effet, la démocratie, c'est la responsabilité.
Or, parler de fusible, c'est avouer qu'on s'installe dans une duplicité où
celui qui décide réellement n'est pas responsable et où celui qui est tenu pour
responsable n'est pas celui qui décide » (p. 35).
« Nous vivons donc nan pas sous une
dyarchie, mais bien sous une monarchie hypocrite, ou le monarque, tout en
exerçant seul le pouvoir, peut toujours décliner les responsabilités qui en
découlent, parce qu'il a sous lui un premier ministre qui, sans être
indépendant, a cependant les apparences de l'indépendance et n'est pas non plus
complètement un exécutant »
(p. 37). Ainsi, quand une décision fonctionne, le président peut en revendiquer
la paternité ; quand elle échoue il l'attribue au gouvernement. Et même la
cohabitation empêche le premier ministre de faire son travail.
On
pourrait croire que cet extrême pouvoir présidentiel permet l'efficacité mais
en fait il n'en est rien : le despotisme éclairé est relativement rare. « Une bonne constitution non seulement
associe le contrôle à l'efficacité sans sacrifier l'un à l'autre, mais encore
elle garantit l'efficacité parce qu'il y a contrôle. » (p. 42)
Il
faut donc limiter les dérives monarchiques et renforcer la démocratie mais
c'est assez difficile puisque « il n'est
guère dans la nature d'un pouvoir de se limiter » (p. 43)
D’où
la dérive absolutiste, sorte de « monarchie présidentielle ». Le pouvoir se
concentre à l'Élysée. Ce sont les liens avec le président qui permette le
recrutement dans la haute administration. Pire, « lorsque le premier ministre est de son camp, le président finit par
le traiter en ennemi soit parce qu'il le trouve trop indépendant, soit parce
qu'il le trouve trop obéissant. Dans le premier cas, il lui en veut de ses
succès, dans le second de ses échecs. Lorsque le premier ministre est du camp
opposé au sien, le président peut s'opposer à lui de façon ouverte,
transformant alors la guerre froide en guerre chaude. Dans les deux hypothèses
il l'empêche de gouverner, sans pour autant gouverner lui-même. Car
l'irresponsabilité présidentielle est la grande maladie du régime. Et c'est une
maladie contagieuse, qui se répand du haut en bas de l'appareil d'État (...)
L'efficacité d'un pouvoir est d'autant plus limitée que son irresponsabilité
est illimitée ». (p. 51)
« La monarchie présidentielle entraîne la
désagrégation de la décision, de l'exécution et de la responsabilité. Personne
n'a jamais ni pouvoir ni responsabilité, sauf le monarque, dont les domestiques
se bornent à interpréter les intentions à leurs risques et périls ». Et tout cela « ruine la thèse selon laquelle la très grande continuité est quasi
invulnérabilité de l'exécutif présidentiel entraînerait un fonctionnement de
l'État plus efficace et mieux organisé que celui du système parlementaire.
C'est le contraire qui se produit ». (p. 55)
Dans
cette « Présidentocratie », c’est le Président qui nomme : « Non seulement tout provient de l’Élysée, mais aussi le gouvernement
se subdivise selon les barrières de castes qui séparent les favoris du
président des autres ministres. Les premiers seuls ont du pouvoir, les autres
n’ont que des consignes. Il en va de même dans la haute fonction publique, pour
les présidences des services publics et des sociétés nationalisées, pour
l’audiovisuel public, les grands corps d’État et les établissements à statut
spécial » (p. 86). Ce système fait émerger une « kleptocratie des prébendes
». Cette absence de responsabilisation génère ainsi une fâcheuse tendance à la
dépense publique incontrôlée, pour tout dire, au gaspillage. Ainsi « le cogito étatique est cartésien : "je
dépense donc je suis" » (p. 103).
Elle
transforme par ailleurs le président en communiquant : « le président, étant irresponsable, n’a pas à subir les conséquences
de ses échecs, ni à réparer ses actes ; il peut se contenter "d’expliquer
à la radio et à la télévision" qu’il n’y est pour rien et que leur
véritable provenance est naturellement extérieure à sa politique » (p113).
Cette
présidence est incapacitante au-delà du gouvernement : en fait tous les
prétendants au trône sont terrorisés par la possibilité d’indisposer le maître
actuel et de voir leur ambition annihilée. «
Ainsi se perdent les plus beaux talents » et « ainsi s’explique le paradoxe d’un exécutif stable et fort qui,
pourtant ne parvient pas à bien gouverner » (p. 120)
Dans
ce système le pouvoir judiciaire n’est, en toute logique, pas indépendant. La
justice se fait bien souvent en haut lieu. D’où l’explosion de la corruption.
Quant
au soi-disant « domaine réservé », la politique étrangère, il n’est qu’un «
ogre bouffe-tout » (p.133), une « tradition » de la Vème, mentionné nulle part
dans la constitution, ce qui achève de prouver que cette dernière n’est pas
bonne.
Revel
peut conclure son ouvrage en rappelant qu’il manque une condition fondamentale
à la constitution de la République française pour que l’homme d’État fasse bien
son travail. Cette condition, c’est précisément la démocratie. (p152)
en maraude
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des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source : LibreAfrique.org 05
avril 2013
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