Mathias E. Owona Nguini
Photo: © CIN Archives |
« Votre
documentaire est une démarche idéologique propagandiste commanditée contre
Laurent Gbagbo. »
Gbagbo, le marxiste
Laurent Gbagbo est un homme
politique, un homme d’Etat, un universitaire ivoirien et un militant qui est né
en 1945. Il a fait ses études primaires et secondaires en Côte d’Ivoire. Il a fait
ses études supérieures au moins en partie en France et s’est spécialisé en
Histoire. Et par orientation morale et politique, il a beaucoup travaillé sur
des questions de décolonisation et sur les mouvements de libérations nationales.
Il a donc été effectivement un syndicaliste, un militant et homme politique dans
les années 1970 en Côte d’Ivoire dans le contexte extrêmement répressif du
régime Houphouët-Boigny. Ce régime qui, sous le couvercle du dialogue et de la
palabre, était à l’image des autres régimes africains autoritaires. Et Laurent
Gbagbo est en quelque sorte un récalcitrant parmi les militants. Il n’a cédé à
aucune tentative de séduction de Félix Houphouët-Boigny dans son gouvernement pour
le copter. Il a dû s’exiler en France où
il a épousé une Française avec qui il a eu son fils Michel. La première orientation
politique de Laurent Gbagbo est une orientation marxiste même à certaines
étapes, marxiste-léniniste.
Gbagbo, le patriote
Il revient en Côte d’Ivoire à
la fin des années 1980. Certains estiment que les Français ont fait un certain
jeu pour qu’il revienne et gêner Houphouët-Boigny. Dans ce que monsieur Saïd
Mbombo dit, il peut toujours se trouver des éléments vrais. Mais c’est dans une
trame biaisée. Ceci parce qu’on voit que c’est un documentaire porté à la
charge qui a été construit comme tel. On peut effectivement faire des reproches à Laurent Gbagbo en tant qu’homme d’Etat et
homme politique. Mais, pour bien comprendre la trajectoire politique de Laurent
Gbagbo en tant que dirigeant d’Etat, il faut la replacer dans un contexte. Et c’est
ce contexte qui nous permettra de comprendre que Laurent Gbagbo, quoiqu’on
dise, est un patriote, un panafricaniste et comprendre aussi les contradictions
auxquelles il a été confrontées dans l’action concrète en tant qu’homme d’Etat.
Parce que, évidemment, les tâches d’un homme politique d’opposition ne sont pas
les mêmes que celui d’un homme d’Etat. Surtout dans les structures politiques des
Etats d’Afrique qui sont pour la plupart des Etats autoritaires.
Gbagbo et l’houphouëtisme
En fait, s’il y a une seule
chose qui me semble vraie dans ce que Saïd Mbombo Penda dit, c’est que Laurent
Gbagbo a conservé une bonne partie de la gouvernance houphouëtiste. Et c’est ça
sa limite. C'est-à-dire qu’en réalité, vous ne pouvez pas critiquer la
gouvernance de Laurent Gbagbo en tant que président sans impliquer tous les
autres hommes politiques et partisans de la Côte d’Ivoire. Parce que Laurent
Gbagbo n’a jamais gouverné seul. Parce qu’en réalité, les éléments avec
lesquels Laurent Gbagbo gouverne sont issus du parti PDCI. Ce parti qui est d’ailleurs
resté le socle du système politique et institutionnel ivoirien. Laurent Gbagbo
a hérité des contraintes de la Côte d’Ivoire qui est un Etat phare dans le
dispositif de tutelle internationale de la France. Et ceci a été tout le
problème de Laurent Gbagbo parce que les Occidentaux ne l’ont jamais considéré
comme un homme du sérail françafricain. Ils estiment qu’il est arrivé au
pouvoir par hasard alors qu’il n’en avait pas voulu. Le problème qu’il a eu, c’est
qu’il a voulu créer des possibilités de dialogue avec les Français. Donc, il ne
faut pas avoir une lecture biaisée des événements pour en faire un quelconque
documentaire sur Laurent Gbagbo. Des événements qu’il faut lire dans un
contexte sans exclure les actes de ses alliés et de ses opposants. Vous ne
pouvez pas extraire Laurent Gbagbo de l’ensemble du système ivoirien pour en
faire une espèce de portrait. Un portrait qui serait isolé sur une logique de
diabolisation construite pour la légitimité et de blanchir l’actuel régime
ivoirien en place. La plus grande faute de Gbagbo de mon point de vue, c’est qu’il
a conservé les structures de la gouvernance houphouëtiste. C’est cette
gouvernance qui est à l’origine de tous les problèmes de la Côte d’Ivoire.
Gbagbo et l’ethnicité
J’ai entendu monsieur Saïd Mbombo
dire que Laurent Gbagbo a manipulé l’ethnicité et la religion. Je veux bien.
Mais quand vous connaissez le parcours de Laurent Gbagbo, s’il y a un homme
politique en Côte d’Ivoire qui est le moins porteur du discours de l’ethnicité,
c’est Laurent Gbagbo. Si cela a pu arriver, c’est dans le contexte créé par ses
adversaires de l’opposition. Laurent Gbagbo ne pouvait pas utiliser l’ethnicité
au départ. Si vous prenez son groupe ethnique, les Bétés, au sens strict
démographique, vous ne pouvez pas vous appuyer sur les Bétés pour prendre le
pouvoir parce qu’ils ne sont pas suffisamment nombreux. Une fois que Laurent
Gbagbo était au pouvoir, dans un contexte où les autres forces ont régionalisé
la lutte, il est un être humain comme un autre et a pu également s’appuyer sur
ce type de mode opératoire. En réalité, ceux qui sont responsables de l’ethnicisation
et l’instrumentalisation religieuse de la politique en Côte d’Ivoire sont : (1)
Félix Houphouët-Boigny, (2) Henri Konan Bédié, (3) Alassane Ouattara, (4)
Laurent Gbagbo et (5) le général Robert Gueï.
Monsieur Saïd Mbombo, j’ai
une affirmation que ce documentaire sur Laurent Gbagbo est une commande. Car la
manière dont vous argumentez montre que vous avez des informations toutes
cousues. Il n’y a pas de faits dans tout ce que vous racontez. Est-ce que vous
pouvez dire, à partir de Marcoussis, que Laurent Gbagbo a gouverné seul. Tous
les gouvernements ont toujours été composés de plusieurs partis. Après Affi N’guessan,
il n’y a plus eu de premier ministre du FPI. Il y a eu Seydou Diarra, Charles
Konan Banny, Guillaume Soro. Nombre de ces ministres étaient issus du RDR, du
PDCI. Donc, vous ne pouvez pas démentir que tous ces gouvernements ne sont pas
des gouvernements de coalition. Alors, pourquoi stigmatiser seulement l’anti-néocolonialisme
de Laurent Gbagbo et laisser celui des autres ? On est donc unanime que c’est
de la manipulation idéologique.
Gbagbo face aux coups d’Etat
Laurent Gbagbo arrive au
pouvoir en octobre 2000. Il ne se passe pas 3 mois, il y a une tentative de
coup d’Etat. Il ne se passe pas si 6 mois, il y en a une deuxième. Il ne se
passe pas 1 an et demi, il y en une troisième. Pensez-vous que tout cela ne
peut pas influencer le positionnement d’un leader politique ? Laurent Gbagbo a
donc agit sous contraintes. Il se retrouve prisonnier d’un système. Vous parlez
des bases militaires dont Laurent Gbagbo aurait pu demander le départ de la
Côte d’Ivoire. Il faut noter qu’il y a eu des accords. Quand en septembre 2002,
la crise qui a donné lieu au coup d’Etat arrive, Laurent Gbagbo demande l’application
des accords que la France refuse. Ceci n’est-il pas un fait ? Quand il y a les
affrontements de 2005 qui font monter la pression, les bases françaises étaient
déjà là. Si Laurent Gbagbo, même par instrumentalisation, n’avait pas eu une
culture de résistance, il n’aurait pas procédé comme il l’avait fait. Parce qu’il
a fait un bras de fer avec la France. Vous parlez du gré à gré. Mais c’est un
système mis en place par Félix Houphouët-Boigny. Alors, le documentaire de monsieur
Saïd Mbombo Penda est une pièce ultra partisante. Quelque chose qui n’a pas de sens
parce qu’on ne peut pas analyser un personnage historique s’il n’est pas dans
un contexte. Votre documentaire est une démarche idéologique propagandiste
commanditée contre Laurent Gbagbo. Nous sommes ici dans une entreprise où il s’agit
de détruire l’image de Laurent Gbagbo. Ceci est un élément de lutte politique.
Mathias Eric Owona Nguini
(Le
Journal du Cameroun 10/06/2014)
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de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec
notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou
l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu
informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des
mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source : Le Nouveau Courrier 19 Juin 2014
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