A une série
noire de l’humiliation et de la destruction des régimes résistants, une
transmission souterraine oppose, dans l’opinion panafricaine, la saga et le
mythe de grandes figures, qui à travers l’Histoire globale de la domination,
incarnent les possibles d’un autre monde à venir. Une par génération ? Si je
n’ai pas connu le calvaire de Lumumba, j’ai pu rencontrer – trop brièvement,
Thomas Sankara trois mois avant son assassinat. Comment ne pas voir que
l’arrestation, la déportation, le procès du président Laurent Gbagbo à la Haye
est en train de se constituer en martyrologe et de le faire succéder
symboliquement au dernier grand héros transnational, Nelson Mandela ?
De même faut-il
conceptualiser encore les formes de ce « pouvoir blanc » (quelle que soit la
couleur de celui qui l’exerce… et Franz Fanon reste ici – sur les « peaux
noires et masques blancs » – à lire et à relire !) à la fois médiatique et
humanitaire, judiciaire et armé qui a un moment donné se coalise contre « l’homme
à abattre ». Si la « guerre idéologique » est selon Gramsci le préalable à la
victoire politique, c’est donc cette construction, après la résistance à la
doxa, au consensus de médias aux ordres, que l’on peut proposer.
N’est-ce pas, à
l’heure où nous écrivons, ce qui résulte déjà de la reconnaissance du FPI par
l’ANC, Laurent Akoun représentant la nouvelle icône de la résistance anticoloniale,
et dans le pays de Mandela, le combat des démocrates ivoiriens devant ses pairs
de tout le continent ?
Un certain
mimétisme avec les formes de mobilisation pour Mandela a déjà commencé :
marches, pétitions, iconographie… L’éloignement avec toute collaboration avec
la xénophobie de l’extrême droite, avec la démission mollétiste de la « gauche
de gouvernement », et avec l’esprit de ressentiment primaire permettront seuls
les alliances transnationales voire transcontinentales qui renouent avec la
tradition anticoloniale de la gauche africaine et française.
La dimension
panafricaine semble en effet fondamentale : si le combat judiciaire a besoin de
spécialistes des arènes judiciaires, une défense de rupture, plus politique,
est peut-être plus porteuse à terme ; fragile et contestée, la Cpi est d’autant
plus sensible à la bataille de l’opinion qu’elle est justement accusée de
participer à cette séculaire « guerre à l’Afrique » et à elle seule. Libérer
Laurent Gbagbo serait pour elle une occasion inespérée de se refaire une
virginité tiers-mondiste, dont elle a bien besoin !
A ce stade du
combat politico-médiatique, panafricanisme et conversion de la communauté afro-américaine
sont des axes encore peu explorés. Pendant ce temps, la discussion continue, à
Paris, avec la gauche modérée (principalement le PS) pour rompre avec le
consensus de politique étrangère où l’a piégé le sarkozysme botté et casqué.
DE LA DESHUMANISATION VIOLENTE A LA REDEMPTION POLITIQUE
La lutte dans le champ médiatique a commencé, au fond, depuis 2000 ! Journaux, blogs quelques ouvrages commencent à peine à rompre le consensus officiel ; médias et humanitaires sont en fait divisés, et nombre de journaux parisiens d’influence sont tenus par de pseudo « spécialistes » qui se sont déshonorés en avril, écrivant dans la duplicité vénale et la mauvaise foi : que l’on pense aux articles ouattaristes de Libération ou de l’Express, diffamatoires par ailleurs envers les intellectuels ou journalistes critiques !
On assiste par
contre, depuis la déportation de Laurent Gbagbo à la Haye, à une étonnante
inversion iconique. Selon le politologue Bertrand Badie, l’humiliation et la
diabolisation des adversaires de l’Empire sont les conditions nécessaires à la
violence armée et à leur chute.
Au texte et à
l’information réfléchie s’oppose l’image traumatisante, volontairement diffusée
en boucle.
Le 11 avril,
Forces spéciales françaises et caméras de combat sont intimement liés, révélant
la spectacularisation des relations internationales au grand jour ; au-delà
déportation et exil intérieur des résistants, manipulations des opinions
publiques fonctionnent bien avec le montage des « rébellions » et la subversion
des institutions internationales : les parallèles historiques de l’ère
coloniale et des « coups tordus » de la Françafrique permettent d’y repérer la
marque des « services » d’agit-prop – comme ils disent – et même de distinguer
les processus et lieux de prise de décision.
Mais ce
processus de déshumanisation peut s’inverser, et une image chasse l’autre ; la
présence récente de Laurent Gbagbo au tribunal de la Haye juge les faiseurs,
les psychopathes occidentaux, les truqueurs des médias, bien plus que lui-même.
Les images honteuses de l’hôtel du Golf (l’hôtel Rwanda ou « hôtel des
massacres » est bien le lieu fondateur, symbolique du sarko-ouattarisme)
s’effacent devant le calme discours de celui qui est au moins pour la moitié du
pays le président légitime du pays – et pour nombre de démocrates
internationaux une victime politique – en attendant le procès, qui sera
certainement pour lui une formidable tribune internationale.
Dans une
dialectique très hégélienne, en demandant la libération immédiate du prisonnier
politique le plus célèbre de la planète, Laurent Gbagbo, c’est notre rapport à
la construction impériale et à l’arbitraire colonial que nous remettons en
question. Pour eux comme pour nous, c’est du même coup de notre libération, comme
sujets non aliénés, dont il s’agit – aussi.
Michel Galy
EN MARAUDE DANS LE WEB
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crise ivoirienne ».
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