vendredi 27 juin 2014

Accélérer le déclin de la Françafrique - Un devoir pour les souverainistes africains

 
Françafrique et larbinisme...
Comment l’Afrique francophone se porte-t-elle aujourd’hui ? Mal, très mal même, de notre point de vue. Elle ressemble, en effet, à ce voyageur attaqué puis abandonné à demi mort par des bandits entre Jérusalem et Jéricho dans la parabole du bon Samaritain (Luc 10, 29-37). Pour le dire autrement, elle donne l’impression d’être condamnée à ne produire que des rébellions, coups d’Etat et guerres dans la mesure où elle n’en a pas fini avec les crises comme on l’a vu en 2013 avec les événements dramatiques du Mali et de la Centrafrique. L’intervention de la France dans ces deux pays a-t-elle été salutaire ? Hollande y est-il allé gratis pro Deo ? L’opération Sangaris étant en cours en Centrafrique, il est trop tôt pour la juger. Le bilan de Serval au Mali semble, lui, mitigé si on se réfère à une déclaration du sénégalais Amath Dansokho. En effet, tout en reconnaissant que la France a stoppé « l’avancée des djihadistes, des forcenés qui veulent imposer leur modèle de société par la mort et la violence », le président d’honneur du Parti de l’indépendance et du travail (Pit) au Sénégal ne comprend pas que les autorités françaises « protègent certains groupes armés dans le nord du Mali » et se demande si l’objectif de cette protection n’est pas « la création d’un État croupion qui permettrait l’exploitation des immenses ressources minières, énergétiques de cette zone, au détriment  du Mali».
Toute l’ambiguïté de la France est là : faire croire qu’elle vole au secours de ses ex-colonies confrontées à des difficultés alors que c’est elle-même qui y sème le désordre et la mort. Tout le monde sait, par exemple, que c’est parce qu’elle a plongé la Libye dans le chaos que des terroristes se sont installés dans le nord du Mali avec des armes puissantes et dangereuses prises en Libye. Les autorités françaises semblent ne pas être contentes aujourd’hui de Michel Djotodia. Mais qui a laissé les rebelles de la Seleka prendre le pouvoir à Bangui ? Quand François Bozizé demandait l’assistance de la France, Hollande n’avait-il pas refusé de bouger ? D’ailleurs, qui avait aidé Bozizé à renverser en 2003, Ange-Félix Patassé démocratiquement élu président de la république en 1993 ? Comme le dit une chanson du reggaeman ivoirien Tiken Jah, « ils attisent le feu, ils l’allument. Après, ils viennent jouer les pompiers ». Des pyromanes-pompiers : voilà ce qu’ont toujours été les dirigeants français. À moins qu’ils fassent semblant, quelques traîtres africains refusent de comprendre que c’est la France qui « fout la merde » dans nos pays au nom de la Françafrique. Pour eux, ce sont les africains qu’il convient de blâmer car ils sont les seuls responsables de cette situation. Mais pourquoi rejettent-ils toute la faute sur leurs frères ? Pourquoi n’incriminent-ils jamais la France ? Pour une raison aussi simple que dire bonjour : ils tiennent à préserver leurs petits intérêts (le vin, le fromage et le visa français, le petit boulot dans telle ou telle Pme française). Certes, les fils et filles de cette partie de l’Afrique ne sont pas irréprochables. Leurs péchés sont, entre autres, la cupidité, l’incurie, l’égoïsme, le tribalisme, le non-respect du bien commun, la corruption. Mais l’objectivité et l’honnêteté commandent de dire aussi que l’Afrique de langue française souffre plus et d’abord des hommes politiques français qui n’ont jamais renoncé à piller via Areva, Total, Elf, Bouygues, Bolloré, Orange, France Télécom et d’autres entreprises ses richesses naturelles et à s’ingérer dans ses affaires intérieures.
Une ingérence que même certains analystes occidentaux ne se privent plus de dénoncer. Ainsi, en est-il de Fabrice Tarrit, président de l’ONG « Survie », quand il juge le sommet de l’Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique (6 et 7 décembre 2013) : « En 1998, lors d’un précédent sommet France-Afrique sur la sécurité, la France avait annoncé vouloir changer de pratiques en matière de coopération militaire. 15 ans plus tard, son armée est toujours bien positionnée en Afrique et la plupart des dictateurs de l’époque sont toujours en place. La France poursuit ses interventions militaires sans avoir dressé aucun bilan de ces opérations ni de leur impact réel sur la paix et la démocratie dans les pays concernés. Ce bilan serait, il est vrai, accablant ». Et Patrick Farbiaz, le porte-parole de « Sortir du colonialisme », de renchérir : « Ce sommet intervient pendant la négociation d’une loi de programmation militaire qui, dans le prolongement du Livre Blanc sur la Défense, prévoit le renforcement de la capacité d’intervention des forces françaises sur le continent. On assiste à une re-légitimation de l’ingérence militaire française qui s’appuie sur une propagande autour d’opérations prétendument menées au nom des droits de l’Homme, mais qui servent en vérité les intérêts français». Le candidat Hollande avait promis le changement non seulement dans la manière de gouverner la France mais aussi dans les relations entre la France et les pays africains. Environ deux ans après son élection, peut-on penser que la Françafrique a été démantelée ? Le palais de l’Elysée a-t-il une seule fois fermé ses portes aux dictateurs et sanguinaires qui sont à la tête de nombreux pays africains ? Il est vrai que Kabila fut humilié par hollande lors du XIVe somment de la Francophonie à Kinshasa (13-14 octobre 2012) mais qu’en est-il d’Idriss Déby et de Blaise Compaoré ? La France a-t-elle arrêté de les soutenir contre leurs peuples ? Non ! 75 cadres du congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) parmi lesquels Marc Roch Christian Kaboré, Salif Diallo et Simon Compaoré ont claqué la porte du parti au pouvoir pour protester contre la volonté du président burkinabè de modifier l’article 37 de la constitution burkinabè, ce qui lui permettrait de briguer un cinquième mandat. Il est peu probable que la France, habituée à venir en aide aux présidents qui travaillent pour elle en Afrique, lâche celui qui gouverne le Burkina Faso depuis 1987 après l’assassinat de Thomas Sankara.
Selon le politologue français Michel Galy, la France est intervenue militairement 50 fois en 50 ans en Afrique et elle est le seul pays européen à continuer à contrôler et à manipuler ses ex-colonies, 54 ans après la proclamation des indépendances. Pour lui, « de telles interventions sont impensables, par exemple, pour la Grande-Bretagne au Zimbabwe ou au Kenya». Michel Galy qui juge « inadmissibles 150 ans de domination militaire et d’exploitation violente sous des formes diverses mais avec des résultats similaires – maintien de dictatures ou de "démocratures" savamment instaurées, entretenues, louangées», termine son article en plaçant François Hollande devant deux options : « s’inscrire dans cette continuité anachronique ou aider les peuples africains à se libérer ». À notre avis, son pays devrait prendre le second chemin car une nation est grande, non pas en infantilisant et en dominant ad vitam aeternam, mais en étant fière et heureuse de voir les « enfants » qu’elle a mis au monde voler de leurs propres ailes. La France le comprendra-t-elle ? Aura-t-elle un jour le courage de rompre avec la Françafrique comme elle le promet chaque fois que le pouvoir s’apprête à changer de main ? Il n’est pas certain qu’elle consente à passer des discours aux actes, tant sa puissance dépend en grande partie du fric qu’elle retire illégalement de l’Afrique depuis cinq décennies. Mais, quand on pense aux consciences qui s’éveillent de plus en plus en Afrique et dans les diasporas, on peut se demander si le système n’est pas en train de vivre ses derniers moments, si le pays dirigé par Hollande n’est pas aujourd’hui « plus proche de l’Espagne ou de l’Italie que du Royaume-Uni ou de l’Allemagne», si son déclin n’a pas commencé. Il appartient aux panafricanistes et souverainistes comme à ceux qui sont attachés à la liberté et à l’auto-détermination des peuples en Occident de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour accélérer ce déclin. 

Fabien Mélédouman (enseignant) 

 
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
 
Source : Notre Voie 27 juin 2014

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire