Françafrique et larbinisme...
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Comment l’Afrique francophone se porte-t-elle
aujourd’hui ? Mal, très mal même, de notre point de vue. Elle ressemble, en
effet, à ce voyageur attaqué puis abandonné à demi mort par des bandits entre
Jérusalem et Jéricho dans la parabole du bon Samaritain (Luc 10, 29-37). Pour
le dire autrement, elle donne l’impression d’être condamnée à ne produire que
des rébellions, coups d’Etat et guerres dans la mesure où elle n’en a pas fini
avec les crises comme on l’a vu en 2013 avec les événements dramatiques du Mali
et de la Centrafrique. L’intervention de la France dans ces deux pays a-t-elle
été salutaire ? Hollande y est-il allé gratis pro Deo ? L’opération Sangaris étant
en cours en Centrafrique, il est trop tôt pour la juger. Le bilan de Serval au Mali
semble, lui, mitigé si on se réfère à une déclaration du sénégalais Amath
Dansokho. En effet, tout en reconnaissant que la France a stoppé « l’avancée des djihadistes, des forcenés
qui veulent imposer leur modèle de société par la mort et la violence », le président d’honneur du Parti de
l’indépendance et du travail (Pit) au Sénégal ne comprend pas que les autorités
françaises « protègent certains
groupes armés dans le nord du Mali » et se demande si l’objectif de cette protection n’est pas « la création d’un État croupion qui
permettrait l’exploitation des immenses ressources minières, énergétiques de
cette zone, au détriment du Mali».
Toute l’ambiguïté de la France est là : faire
croire qu’elle vole au secours de ses ex-colonies confrontées à des difficultés
alors que c’est elle-même qui y sème le désordre et la mort. Tout le monde
sait, par exemple, que c’est parce qu’elle a plongé la Libye dans le chaos que
des terroristes se sont installés dans le nord du Mali avec des armes
puissantes et dangereuses prises en Libye. Les autorités françaises semblent ne
pas être contentes aujourd’hui de Michel Djotodia. Mais qui a laissé les
rebelles de la Seleka prendre le pouvoir à Bangui ? Quand François Bozizé
demandait l’assistance de la France, Hollande n’avait-il pas refusé de bouger ?
D’ailleurs, qui avait aidé Bozizé à renverser en 2003, Ange-Félix Patassé démocratiquement
élu président de la république en 1993 ? Comme le dit une chanson du reggaeman ivoirien
Tiken Jah, « ils attisent le
feu, ils l’allument. Après, ils viennent jouer les pompiers ». Des pyromanes-pompiers : voilà ce qu’ont
toujours été les dirigeants français. À moins qu’ils fassent semblant, quelques
traîtres africains refusent de comprendre que c’est la France qui « fout la merde » dans nos pays au nom de la Françafrique. Pour
eux, ce sont les africains qu’il convient de blâmer car ils sont les seuls
responsables de cette situation. Mais pourquoi rejettent-ils toute la faute sur
leurs frères ? Pourquoi n’incriminent-ils jamais la France ? Pour une raison
aussi simple que dire bonjour : ils tiennent à préserver leurs petits intérêts
(le vin, le fromage et le visa français, le petit boulot dans telle ou telle
Pme française). Certes, les fils et filles de cette partie de l’Afrique ne sont
pas irréprochables. Leurs péchés sont, entre autres, la cupidité, l’incurie,
l’égoïsme, le tribalisme, le non-respect du bien commun, la corruption. Mais
l’objectivité et l’honnêteté commandent de dire aussi que l’Afrique de langue
française souffre plus et d’abord des hommes politiques français qui n’ont jamais
renoncé à piller – via Areva, Total, Elf, Bouygues, Bolloré,
Orange, France Télécom et d’autres entreprises – ses richesses
naturelles et à s’ingérer dans ses affaires intérieures.
Une ingérence que même certains analystes
occidentaux ne se privent plus de dénoncer. Ainsi, en est-il de Fabrice Tarrit,
président de l’ONG « Survie », quand il juge le sommet de l’Elysée
pour la paix et la sécurité en Afrique (6 et 7 décembre 2013) : « En 1998, lors d’un précédent sommet France-Afrique
sur la sécurité, la France avait annoncé vouloir changer de pratiques en
matière de coopération militaire. 15 ans plus tard, son armée est toujours bien
positionnée en Afrique et la plupart des dictateurs de l’époque sont toujours
en place. La France poursuit ses interventions militaires sans avoir dressé aucun
bilan de ces opérations ni de leur impact réel sur la paix et la démocratie dans
les pays concernés. Ce bilan serait, il est vrai, accablant ». Et Patrick Farbiaz, le porte-parole de « Sortir
du colonialisme », de renchérir : « Ce sommet intervient pendant la négociation d’une loi de programmation
militaire qui, dans le prolongement du Livre Blanc sur la Défense, prévoit le renforcement
de la capacité d’intervention des forces françaises sur le continent. On
assiste à une re-légitimation de l’ingérence militaire française qui s’appuie sur
une propagande autour d’opérations prétendument menées au nom des droits de
l’Homme, mais qui servent en vérité les intérêts français». Le candidat Hollande avait promis le changement
non seulement dans la manière de gouverner la France mais aussi dans les
relations entre la France et les pays africains. Environ deux ans après son
élection, peut-on penser que la Françafrique a été démantelée ? Le palais de l’Elysée
a-t-il une seule fois fermé ses portes aux dictateurs et sanguinaires qui sont
à la tête de nombreux pays africains ? Il est vrai que Kabila fut humilié par hollande
lors du XIVe somment de la Francophonie à Kinshasa (13-14 octobre 2012) mais
qu’en est-il d’Idriss Déby et de Blaise Compaoré ? La France a-t-elle arrêté de
les soutenir contre leurs peuples ? Non ! 75 cadres du congrès pour la
démocratie et le progrès (CDP) parmi lesquels Marc Roch Christian Kaboré, Salif
Diallo et Simon Compaoré ont claqué la porte du parti au pouvoir pour protester
contre la volonté du président burkinabè de modifier l’article 37 de la
constitution burkinabè, ce qui lui permettrait de briguer un cinquième mandat. Il
est peu probable que la France, habituée à venir en aide aux présidents qui
travaillent pour elle en Afrique, lâche celui qui gouverne le Burkina Faso depuis
1987 après l’assassinat de Thomas Sankara.
Selon le politologue français Michel Galy,
la France est intervenue militairement 50 fois en 50 ans en Afrique et elle est
le seul pays européen à continuer à contrôler et à manipuler ses ex-colonies,
54 ans après la proclamation des indépendances. Pour lui, « de telles interventions sont impensables,
par exemple, pour la Grande-Bretagne au Zimbabwe ou au Kenya». Michel Galy qui juge « inadmissibles 150 ans de domination militaire
et d’exploitation violente sous des formes diverses mais avec des résultats
similaires – maintien de dictatures ou de "démocratures" savamment instaurées,
entretenues, louangées»,
termine son article en plaçant François Hollande devant deux options : « s’inscrire dans cette continuité
anachronique ou aider les peuples africains à se libérer ». À notre avis, son pays devrait prendre le
second chemin car une nation est grande, non pas en infantilisant et en dominant
ad vitam aeternam, mais en étant fière et heureuse de voir les « enfants » qu’elle a mis au monde voler de leurs
propres ailes. La France le comprendra-t-elle ? Aura-t-elle un jour le courage
de rompre avec la Françafrique comme elle le promet chaque fois que le pouvoir s’apprête
à changer de main ? Il n’est pas certain qu’elle consente à passer des discours
aux actes, tant sa puissance dépend en grande partie du fric qu’elle retire
illégalement de l’Afrique depuis cinq décennies. Mais, quand on pense aux consciences
qui s’éveillent de plus en plus en Afrique et dans les diasporas, on peut se
demander si le système n’est pas en train de vivre ses derniers moments, si le
pays dirigé par Hollande n’est pas aujourd’hui « plus proche de l’Espagne ou de l’Italie
que du Royaume-Uni ou de l’Allemagne», si son déclin n’a pas commencé. Il appartient aux
panafricanistes et souverainistes comme à ceux qui sont attachés à la liberté
et à l’auto-détermination des peuples en Occident de faire tout ce qui est en
leur pouvoir pour accélérer ce déclin.
Fabien Mélédouman (enseignant)
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crise ivoirienne ».
Source : Notre Voie
27 juin 2014
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