mardi 3 juin 2014

Les Dozos, une milice criminelle

UNE INSECURITÉ PERSISTANTE ALIMENTÉE PAR LES DOZOS
Zakaria Koné est à la fois un officier supérieur FRCI
et un grand dignitaire dozo
Les faibles progrès accomplis dans le cadre de l’enquête sur l’attaque de Nahibly dans le courant de l’année écoulée alimentent le climat d’impunité persistante dans la région et ne font qu’encourager la perpétration de nouvelles violations et atteintes aux droits humains à l’Ouest, notamment par les milices Dozos.
Les Dozos, issus d’une puissante confrérie de chasseurs présente dans plusieurs pays de la sous-région, ont été progressivement impliqués dans le conflit ivoirien au cours de ces dix dernières années. Ils ont notamment assuré la sécurité des populations notamment dioulas qui faisaient régulièrement l’objet de menaces et d’attaques de la part des forces de sécurité et de milices loyales à l’ancien président Laurent Gbagbo. Ces chasseurs traditionnels, constitués en milice, ont régulièrement combattu aux côtés des Forces nouvelles (qui contrôlaient la moitié nord du pays depuis la tentative de coup d’État de 2002). Ils ont commis notamment lors de la crise post-électorale de 2011, de graves atteintes aux droits humains y compris des homicides délibérés qui ont ciblé des personnes souvent uniquement en raison de leur appartenance ethnique. 
Le ministre de l'Intérieur Hamed Bakayoko
haranguant les dozo
Depuis l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara, les Dozos ont pris une importance considérable, notamment dans l’ouest du pays où certains de leurs éléments rançonnent les populations et procèdent à des arrestations arbitraires en assumant un rôle autoproclamé de maintien de l’ordre.
Si les Dozos disposent d’une structure de commandement propre, l’État exerce néanmoins sur eux un certain contrôle. Amnesty International a recueilli des informations confirmant l’existence d’une étroite coopération et coordination entre les Dozos et les FRCI (notamment dans le cadre de nombreuses opérations conjointes). Par ailleurs, les Dozos reçoivent une assistance de la part des autorités sous forme d’équipements et d’armes.
Amnesty International a exhorté les autorités ivoiriennes à mettre un terme au rôle de maintien de l’ordre joué par les Dozos notamment aux barrages et aux postes de contrôle et à s’assurer que tous les combattants dozos responsables d’atteintes aux droits humains soient traduits en justice. Le 5 juin 2012, le gouvernement ivoirien a publié une circulaire interministérielle à ce sujet précisant : « [À] partir du 30 juin 2012, toute personne n’appartenant pas aux Forces armées ou à la Police Nationale et prise en flagrant délit de contrôle routier sera interpellée et, le cas échéant, fera l’objet de poursuites judiciaires ».
Cependant, à la connaissance d’Amnesty International aucune mesure n’a été prise pour faire appliquer cette circulaire.
En février 2013, Amnesty International a rencontré des responsables du ministre de l’Intérieur à Abidjan. Les fonctionnaires ont déclaré à la délégation d’Amnesty International qu’un « Projet de recensement des Dozos » avait été lancé afin d’assurer le passage des Dozos sous l’autorité des sous-préfets, et afin que leurs armes soient enregistrées et confisquées.
Cependant, malgré ces engagements officiels, la situation sur le terrain demeure inchangée, et les miliciens dozos continuent à jouer un rôle de force de sécurité et à commettre des atteintes aux droits humains dans la région de Duékoué, alimentant ainsi un sentiment d’insécurité parmi les populations globalement considérées comme des partisans de Laurent Gbagbo. Les délégués d’Amnesty International ont pu évaluer ce climat de peur, en mars 2013, lorsqu’ils ont rencontré la mère d’Alain Téhé, qui a « disparu » après avoir été enlevé de l’hôpital de Duékoué par des soldats des FRCI, le 20 juillet 2012. Cette femme vit maintenant dans la clandestinité. Elle a quitté son village et a déménagé dans un autre lieu où les délégués l’ont rencontrée. Depuis la « disparition » de son fils, elle avait clairement exprimé sa volonté de faire pression pour que des enquêtes soient menées sur le sort réservé à son enfant.
Elle avait rempli une déclaration confirmant l’identité de son fils après que le corps de celui-ci eut été retiré d’un puits le 11 octobre 2012. Elle a continué de faire pression sur les autorités afin d’obtenir des réponses. Cependant, peu de temps après, des amis et des voisins lui ont rapporté que des inconnus rôdaient dans son village et posaient des questions sur elle et sur ses déplacements. Elle se cache depuis novembre 2012 et a peur pour sa sécurité.
Les délégués d’Amnesty International ont aussi interrogé un grand nombre d’individus d’ethnie guérée, dans des villages de la région de Duékoué. Ceux-ci leur ont dit avoir encore peur de retourner dans leurs champs se situant à moins de trois ou cinq kilomètres de villes ou de villages. Ils ont fait état de la présence de patrouilles régulières et du maintien de barrages tenus par des Dozos. Ils ont indiqué avoir été harcelés, menacés, et parfois battus, par des membres de la milice des Dozos qui leur dérobent régulièrement de l’argent. Les victimes de ces actes ne signalent pas ces incidents aux autorités locales de peur que cela ne les expose à d’autres dangers.
Un habitant a dit à la délégation d’Amnesty International, en mars 2013 : « Les Dozos contrôlent même des zones très éloignées du village et ils ne nous laissent pas retourner dans nos champs. Mon fils a été battu, il y a deux semaines, quand il a essayé de retourner sur notre champ. Nous ne sommes pas retournés sur nos champs depuis l’an dernier. Ils lui ont dit qu’il n’avait pas intérêt à revenir. On ne peut pas faire confiance aux FRCI pour nous aider, parce qu’ils sont tous amis entre eux. Et la police ne fait rien ici. »
Au cours des deux dernières années, Amnesty International a souligné ,à plusieurs reprises, que les Dozos ne devaient jouer aucun rôle, qu’il soit officiel ou non, dans le maintien de l’ordre et de la sécurité, à moins que cela ne soit clairement établi dans la loi, au sein d’un cadre légal bien précis établissant leurs pouvoirs et leurs responsabilités. Amnesty International demeure préoccupée par le fait que les Dozos qui se seraient rendus responsables d’atteintes aux droits humains par le passé n’ont toujours pas été inculpés ni jugés.
Ce climat d’insécurité est également présent à Abidjan.
Amnesty International s’inquiète ainsi des menaces dont les membres d’Amnesty International Côte d’Ivoire ont été victimes dans la capitale économique du pays. Le 27 février 2013, le lendemain de la conférence de presse, organisée par Amnesty International à Abidjan, pour le lancement du rapport, La loi des vainqueurs, un groupe de quatre hommes armés s’est présenté devant les bureaux d’Amnesty International Côte d’Ivoire aux environs de 18 heures. Ce jour-là, le bureau avait fermé à 15 heures, il n’y avait donc personne sur place. Un témoin, qui a vu ces hommes a déclaré que ceux-ci avaient violemment frappé à la porte d’entrée du bureau. Ils ne sont partis qu’après un certain temps. Un témoin a informé les forces de maintien de la paix de l’ONU de la venue de ces hommes. Amnesty International a aussi informé les fonctionnaires du bureau du ministre de l’Intérieur. Les membres des forces de maintien de la paix de l’ONUCI et la police nationale ivoirienne ont effectué des visites et des patrouilles dans le bureau, le 28 février. Les hommes armés ne sont pas revenus. Amnesty International s’inquiète du fait que cet incident puisse avoir un lien avec le lancement du rapport le jour précédent.  

Extrait du Rapport d'Amnesty International sur la Côte d'Ivoire, publié le 29 juillet 2013, intitulé « Côte d'Ivoire : C'est comme si rien ne s'était passé ici ». Un an après l'attaque du camp de Nahibly, la justice se fait toujours attendre. 

 
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Source : CIVOX. NET 1er Août 2013

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