Le juge Salifou Nébié |
Interview de Moussa Stéphane Sory, secrétaire général du Syndicat
autonome des magistrats du Burkina à propos de l’assassinat du juge Salifou
Nébié, membre du Conseil constitutionnel (extrait).
Samedi 24
mai 2014, le corps sans vie du magistrat de grade exceptionnel, membre du
Conseil constitutionnel, Salifou Nébié a été découvert sur la route
départementale n° 39 (route de Saponé). La tragique nouvelle s’est aussitôt
répandue comme une traînée de poudre. Depuis on se perd en
conjectures sur les circonstances dans lesquelles le grand juge a trouvé la
mort ainsi que sur le mobile du crime ; chacun y va de son
commentaire. Quelques jours plus tard, le procureur général près la
Cour d’appel de Ouagadougou déclara qu’il s’agissait bel et bien d’un homicide
volontaire. Dans un contexte politique de plus en plus tendu, marqué par le
débat autour d’un projet de référendum pour réviser l’article 37 de la
Constitution voulu par le pouvoir mais rejeté avec force par l’opposition
unanime ainsi que par une large majorité de l’opinion nationale, il était impossible
qu’on ne soupçonne pas un lien de cause à effet entre la situation politique
actuelle et ce crime, d’autant plus que le Conseil constitutionnel pourrait avoir
son mot à dire sur cette affaire qui divise la classe politique. Par qui et
pourquoi le juge Nébié a-t-il été tué ? Pourquoi tant de lenteur, de
négligences et d’amateurisme dans la conduite de cette enquête ? Dans cet
entretien exclusif qu’il a accordé à L’Observateur
paalga le lundi 2 juin 2014, sans rien affirmer, le secrétaire général du
Syndicat autonome des magistrats du Burkina fait part de ses interrogations,
ses doutes et ses craintes face à l’apparente indifférence du pouvoir vis-à-vis
d’un crime atroce dont la victime est l’un des plus hauts magistrats du pays.
Ayant été parmi les premiers à vous y rendre, pouvez-vous nous présenter la
scène du meurtre ?
• J’ai
personnellement été informé de la mort du juge Nébié aux environs de 20h-21h.
On m’a laissé penser qu’il est décédé par suite d’accident. Je me suis
immédiatement transporté sur les lieux en compagnie de trois autres camarades.
Dans nos têtes, on y allait pour constater un accident. Mais une fois sur les
lieux, nous avons été émus de constater que les choses telles qu’elles se
présentaient n’avaient rien à voir avec un accident ordinaire de la
circulation. Le véhicule était garé à environ 200 mètres du corps au
bas-côté droit de la chaussée sans aucune trace de collision avec un arbre ou
avec une personne. Les vitres côté chauffeur étaient légèrement abaissées
et une des vitres arrières également.
Quand on
constate la manière dont le véhicule était stationné, on se rend compte
que le chauffeur a tenté à un moment donné de quitter la chaussée, mais n’a pu
le faire, et le véhicule est revenu à reculons puisqu’on voyait des traces de
pneus. Plus loin derrière où le corps se trouvait, on a vu quelques
indices. Une des lentilles des lunettes était sortie du cadre et la monture
droite tordue. Le défunt était couché sur la nuque avec les yeux tuméfiés, ce
qui laisse penser que les yeux ont été crevés puisque du sang en coulait. Voilà
grosso modo comment se présentait la scène du crime.
Où en est-on exactement avec cette affaire d’autopsie ?
• C’est
votre organe qui a été le premier à donner l’information sur cette
autopsie. On nous a laissé entendre qu’il n’y avait pas de kit pour le
faire. Tout le monde en était surpris.
Personnellement,
j’ai été choqué de savoir qu’on ne disposait pas du matériel élémentaire pour
effectuer une telle opération. Si j’ai bien suivi le procureur général
près la Cour d’appel de Ouagadougou, il nous a laissé entendre qu’ils ont
plutôt pratiqué une IRM. Je ne sais pas ce que c’est exactement. Mais il semble
que c’est une sorte de scanner et que courant cette semaine, un médecin légiste
français viendrait pratiquer une autopsie avec son kit. Mais je ne sais pas
s’il est déjà là.
Avez-vous déjà les résultats de l’IRM ?
• Je ne
crois pas que les résultats aient été communiqués. Mais quand on écoute le
procureur général, à partir de cette IRM, il n’y a plus l’ombre d’aucun
doute qu’il s’agit d’un crime et non d’un accident ordinaire. Je crois que
c’est le message qu’il a voulu véhiculer. Nous attendons de voir ce que
viendra dire le légiste français.
Pour le profane, quelle différence faites-vous entre meurtre et
assassinat ?
• Le
meurtre, tout comme l’assassinat, est appelé homicide volontaire. En
termes simples, l’assassinat est le grand frère du meurtre. Si vous voulez,
l’assassinat, c’est le meurtre plus des circonstances aggravantes. Les
circonstances aggravantes ne sont rien d’autres que la préméditation ou le
guet-apens.
Les auditions se poursuivent. Combien de personnes ont été jusque-là
entendues dans cette affaire ? Ces personnes sont-elles de l’entourage
familial ou professionnel du juge ?
• A ce que
je sache, les enquêtes sont entourées de secrets et ce n’est pas évident que
l’on communique beaucoup autour. J’ai suivi sur RFI et lu dans la presse que
Germain Nama, du journal l’Evénement, un des amis du juge Nébié,
avait été entendu. Un membre de la famille l’a été également. Mais je ne
saurais vous dire le nombre exact de personnes déjà entendues. Seuls les
enquêteurs pourraient vous donner ces informations.
A l’étape actuelle de l’évolution des enquêtes, quelle thèse privilégie le
SAMAB ?
• Avant que
le procureur général n’intervienne sur les antennes de la RTB, j’étais déjà
convaincu qu’il s’agissait d’un crime bien planifié, bien prémédité et bien
exécuté. Il n’y a aucun doute. Maintenant qui en sont les auteurs, à qui
profite le crime ? Ça c’est la grande interrogation qui reste. D’ailleurs
c’est pour cela que nous demandons aux collègues d’accélérer les choses afin
que l’on ne perde pas davantage d’indices.
[…]
Le juge Nébié avait un garde du corps, mais le jour de sa mort son
ange gardien n’était pas avec lui. Qu’en dites-vous ?
•
Effectivement il bénéficiait de la protection d’un agent de police qui le
suivait tous les jours et surtout dans ses déplacements. Le juge Nébié
entretenait d’ailleurs de très bons rapports avec ce dernier. Il n’y avait pas
de rapport de supérieur à subordonné entre les deux hommes. L’agent de sécurité
considérait d’ailleurs le juge comme son père. C’est pour vous dire qu’ils
entretenaient d’excellentes relations. Quand son garde du corps est arrivé sur
les lieux du crime, il n’en revenait pas. Il pleurait à chaudes larmes. Mais
pourquoi ils n’étaient pas ensemble ce jour, vraiment je ne saurais répondre
à cette question. Le juge s’est rendu chez son ami Germain Nama sans son
garde du corps. Peut-être qu’il s’était dit qu’il ne passerait pas beaucoup
de temps chez son ami et qu’il n’avait pas vraiment besoin de lui, je n’en sais
vraiment rien.
Certaines personnes privilégient déjà un mobile politique dans la mort du
juge. Avec les derniers développements, notamment la sortie du procureur
général, cette piste se précise-t-elle ?
• Piste
politique ou pas, seules les enquêtes pourraient nous fixer. Nous souhaitons
tous avoir une réponse claire à la question. Beaucoup disent qu’il était très
proche de Roch Marc Christian Kaboré avec qui il entretenait de bonnes
relations. D’aucuns disent qu’il avait aussi de très bonnes relations avec
certains ministres du gouvernement. Alors je ne sais pas maintenant en quoi
être proche d’un homme politique peut constituer un danger. Dans notre statut,
il est clair et net qu’il nous est défendu de faire la politique. Mais il
ne nous est pas interdit d’avoir des amis politiques.
Le juge
Nébié avait-il des relations qui pourraient nuire à certaines personnes, c’est
une question qu’on peut se poser.
Malheureusement
je n’ai jamais eu la chance d’aborder ces questions avec lui. Mais partout, on
pense que derrière ce crime se cache un mobile politique. Les enquêteurs
pourraient mettre l’accent sur cet aspect et auditionner même des hommes
politiques.
Le SAMAB a affirmé que le juge Nébié n’avait pas peur d’exprimer clairement
ses opinions. S’agissait-il d’opinions politiques ou juridiques ?
• Pour moi
c’est juridique, lorsque vous échangiez avec Nébié, s’il n’était pas
d’accord avec vous, il vous le disait. Plusieurs fois nous avons échangé sur
des sujets juridiques liés à notre syndicat, et lorsque vous exprimiez un point
de vue qu’il ne partageait pas, il vous donnait sa vision et sa lecture de la
chose. Pour ce qui est de la politique, c’est bizarre, mais on n’en parlait pas
trop ; donc je pense que c’est juridique, du reste, certains de ses
collègues au niveau du Conseil constitutionnel le disent également.
Mais parfois, c’est difficile de séparer la politique du droit : par
exemple en ce qui concerne la révision de l’article 37, son ami Nama a
dit qu’il était contre l’organisation d’un référendum et la révision de cet
article qui est une question de droit. Vous, en tant que son camarade, quelle
était sa position ?
• Je vous
dis qu’on n’en a jamais parlé. C’est après sa mort que j’ai su qu’il était
fermement opposé à la révision de l’article 37. Une semaine avant sa mort,
j’étais avec lui, nous avons discuté de tout sauf de politique, et la seule
question qui peut s’apparenter à une question politique que nous avons
abordée, c’était le retrait des passeports diplomatiques à certaines
personnalités. Pour lui il ne fallait pas en faire un problème.
Dans le débat actuel concernant la révision de l’article 37 ou
l’organisation d’un éventuel référendum, en quoi un juge constitutionnel
peut-il faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre ?
Sur ces
questions, chacun a sa position au sein du Conseil. Je n’y ai jamais siégé,
mais je sais comment ça fonctionne, car c’est à l’image des juridictions
auxquelles nous appartenons. C’est une Cour. Lorsqu’ils reçoivent un dossier,
il y a des délibérés et chacun donne son point de vue, ses arguments à tour de
rôle ; est-ce qu’un homme peut influencer les autres ? C’est bien
possible, mais je pense que cela devrait l’être par la force de ses arguments
juridiques.
L’une des missions du Conseil Constitutionnel est de contrôler la
conformité des lois avec la Constitution. Les décisions sont-elles prises à la
majorité ou à l’unanimité ?
• A ce que
je sache, c’est à la majorité.
Par qui M. Nébié a-t-il été nommé quand on sait que le chef de l’Etat
dispose d’un quota de trois noms, le président de l’Assemblée nationale, de
trois et le ministre de la Justice, de trois ?
• Sous
réserve de vérification, j’ai ouï dire juste après sa mort, qu’il aurait été
nommé par le président de l’Assemblée nationale (NDLR : en son temps Roch
Marc Christian Kaboré). Ces choses-là, on n’en parlait pas. On ne pouvait pas
s’attendre à sa mort de cette façon, c’est seulement maintenant qu’on
s’intéresse à ces questions qui, du reste, sont très importantes.
Dans votre déclaration publiée dans notre édition du lundi 2 juin, vous
dénonciez l’absence de communiqué officiel du gouvernement et du Conseil
Constitutionnel. Comment le SAMAB interprète-t-il cela ?
• J’avoue
que j’ai été choqué de constater qu’un haut magistrat qui exerce dans une
institution est mort de cette façon sans que le gouvernement fasse un simple
communiqué. Je dis bien un simple communiqué là-dessus. Je ne peux pas
comprendre cela. Franchement pour moi, ça devrait aller de soi. Ce n’est pas
compliqué, et c’est tellement banal. S’agit-il d’une omission ou d’un effet de
panique ? Je n’en sais rien, mais pire le communiqué du Conseil
constitutionnel a paru le même jour que le nôtre dans la presse. Ont-ils eu
vent de notre réaction par personne interposée avant de se décider ?
Toujours dans cette déclaration, vous regrettiez la dissipation progressive
de preuves causée par les hésitations et les balbutiements dans la conduite de
cette affaire. Avec toutes ces difficultés, la manifestation de la vérité
peut-elle encore se faire ?
• Oui c’est
encore possible. Ça dépend de la bonne volonté des enquêteurs. Il
faudrait que ceux qui sont chargés de l’enquête acceptent d’aller plus loin, de
braver tous les obstacles pour arriver à l’éclatement de la vérité. Ledit jour,
la scène du crime a totalement été polluée. Tout le monde y avait accès.
Normalement lorsqu’il y a un crime de ce genre, les enquêteurs doivent
pouvoir fixer un certain périmètre auquel personne ne doit avoir accès ;
malheureusement ce jour-là, tout le monde y avait accès parce qu’au départ
les gens ont été trompés. Les gendarmes ont cru qu’il s’agissait d’un accident
ordinaire de la circulation, donc ils n’ont pas jugé opportun de délimiter le
champ d’accès. De même, les gendarmes ont-ils directement eu accès à la voiture
de Nébié ? Tout ça aurait pu faire disparaître des empreintes qu’on aurait
pu relever si d’autres personnes n’avaient pas eu accès au véhicule. En plus,
une forte pluie est tombée ce jour, nettoyant tout à cause du grand retard
accusé par la police technique et scientifique qui est venue bien longtemps
après l’appel du procureur. Donc c’est sûr que les choses seront difficiles
mais pas impossibles. Je me dis qu’avec un peu de volonté, on pourrait y
arriver. Il faudra aussi mettre l’accent sur le relevé des appels téléphoniques
parce que, comme Germain Nama (NDLR : l’une des dernières personnes à
avoir vu Salifou Nébié avant sa mort) l’a dit, ce jour-là, il a curieusement
reçu beaucoup d’appels, donc il faut explorer toutes ces pistes pour que la
vérité puisse éclater.
Que compte faire le SAMAB pour la manifestation de la vérité ici et
maintenant ?
• Comme on a
annoncé la couleur avec la déclaration, le procureur général a fait une
deuxième sortie à la télévision nationale, alors nous gardons espoir que ce
qu’il a dit pourrait se réaliser cette semaine parce qu’il a fait savoir aux
téléspectateurs que le médecin légiste français pourrait arriver cette
semaine, et nous attendons sa venue.
Nous, de
notre côté, on n’aura pas de répit tant que la lumière ne sera pas faite sur ce
crime ignoble. Ce n’est pas parce que ce sont nos collègues que nous allons les
caresser dans le sens du poil s’ils traînent dans le traitement de ce
dossier ! Si les choses ne se déroulent pas comme il se doit, nous
n’allons pas hésiter à leur envoyer des flèches, car il ne s’agit pas d’une
question de camaraderie, de pitié ou de collègues. Non ! Nous croyons que
nous avons à défendre des principes, et nous allons les défendre jusqu’au bout.
Dans les jours à venir, si les choses ne bougent pas, nous allons nous réunir
et entrevoir des actions. Du reste, nous attendons son inhumation et je demande
à tous les camarades, à travers les colonnes de votre journal, de rester
mobilisés pour qu’on puisse entreprendre une action forte le jour des obsèques.
Nébié était
avant tout un magistrat avant d’être militant d’un syndicat. Il serait donc
Moussa Stéphane Sory |
souhaitable que tous les syndicats de la magistrature, tous les acteurs de la
justice qu’ils soient avocats, notaires, huissiers de justice, greffiers,
que toute la grande famille de la justice se mobilise pour accompagner Nébié
dans sa dernière demeure et que tous se conforment au mot d’ordre qui va
suivre.
Propos recueillis par Jean Stéphane Ouédraogo & Ebou Mireille Bayala
Source : L’Observateur Paalga
03 Juin 2014
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