Dédié à feues Awa Fadiga et Mandjara Ouattara
Francisco Goya Saturne dévorant un de ses enfants |
Rasséréné par ses maîtres
étrangers, l'ogre se fit docile et devint berger, drapé d'attributs lui
conférant grandeur et considération. En effet, ses adorateurs locaux et ses
maîtres étrangers – qui espéraient en tirer de grands profits – pavoisèrent et
le déclarèrent le messie de la terre d'Eburnie. L'ogre se mit alors à parcourir
le monde, flatté par la magnificence des soins dont on l'entourait et de son
nouveau rôle.
Mais un ogre n'est pas un
humain et n'en connaît point les usages. A chacun de ses pas, son lourd
appareillage qui fit tant d'effroi ne changea point et ne rassura point. Des
villages et des camps de réfugiés furent incendiés. Ceux qui avaient trouvé
refuge dans les cités voisines de son domaine furent traqués par ses adorateurs
et ramenés pour lui servir de jouets dans son cirque morbide. Ils mouraient
comme des mouches. L'amour et la joie avaient fui Eburnie. L'ogre festoyait,
solitaire ; et ses maîtres nourriciers – à croire leur profond silence – en
étaient contents et fiers.
Le temps passa. Les
victimes belles et grasses vinrent à manquer. A ses pieds ne demeuraient plus
que des adoratrices belles et tendres. Ah ! fit-il. Que la nature est généreuse
et ingrate à la fois ! De la chair tendre et fraîche que l'on destine à des
lits que ma taille m'interdit. Mon Dieu, quelle infamie ! Quelle profonde
blessure infligez-vous à mon âme !
L'ogre plein d'appétit,
outrepassant ses promesses, d'un œil non point rageur mais séducteur, se pencha
et attirant vers lui les âmes conquises, se mit à les dévorer les unes après
les autres dans le silence béat de ses maîtres européens, qui ne savaient plus
s'il fallait l'applaudir ou le maudire, l'abattre ou le caresser davantage.
Ce n'est pas une entreprise
aisée que d'être un éleveur d'ogres. Difficile de savoir jusqu'où peut le mener
son innocence animale. Mais quand on élève des monstres, il faut s'attendre à
ce qu'ils se comportent comme tels. Les bruits de frayeur de ses proies
ordinaires devraient être pour le maître des alarmes. Car il n'est pas sûr que
l'on puisse bâtir sa fortune sur une terre dévastée et sans amour.
Raphaël ADJOBI, Délégué général AIRD-France, le 29/05/2014
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Source: CIVOX. NET 2 Juin 2014
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