lundi 2 juin 2014

L'ogre nourri par la France dévore ses enfants en terre d'Eburnie

Dédié à feues Awa Fadiga et Mandjara Ouattara

Francisco Goya
Saturne dévorant un de ses enfants
 Tapi dans l'ombre, nourri par des mains étrangères, la bête fut patiemment et longuement engraissée. Quand enfin elle surgit dans toute la splendeur de sa laideur, balayant tout sur son passage avec devant elle les flammes ardentes venues des confins de l'Europe ténébreuse, la foule éburnéenne se mit à trembler d'effroi, croyant sa dernière heure arrivée.
Rasséréné par ses maîtres étrangers, l'ogre se fit docile et devint berger, drapé d'attributs lui conférant grandeur et considération. En effet, ses adorateurs locaux et ses maîtres étrangers – qui espéraient en tirer de grands profits – pavoisèrent et le déclarèrent le messie de la terre d'Eburnie. L'ogre se mit alors à parcourir le monde, flatté par la magnificence des soins dont on l'entourait et de son nouveau rôle.
Mais un ogre n'est pas un humain et n'en connaît point les usages. A chacun de ses pas, son lourd appareillage qui fit tant d'effroi ne changea point et ne rassura point. Des villages et des camps de réfugiés furent incendiés. Ceux qui avaient trouvé refuge dans les cités voisines de son domaine furent traqués par ses adorateurs et ramenés pour lui servir de jouets dans son cirque morbide. Ils mouraient comme des mouches. L'amour et la joie avaient fui Eburnie. L'ogre festoyait, solitaire ; et ses maîtres nourriciers – à croire leur profond silence – en étaient contents et fiers.
Le temps passa. Les victimes belles et grasses vinrent à manquer. A ses pieds ne demeuraient plus que des adoratrices belles et tendres. Ah ! fit-il. Que la nature est généreuse et ingrate à la fois ! De la chair tendre et fraîche que l'on destine à des lits que ma taille m'interdit. Mon Dieu, quelle infamie ! Quelle profonde blessure infligez-vous à mon âme !
L'ogre plein d'appétit, outrepassant ses promesses, d'un œil non point rageur mais séducteur, se pencha et attirant vers lui les âmes conquises, se mit à les dévorer les unes après les autres dans le silence béat de ses maîtres européens, qui ne savaient plus s'il fallait l'applaudir ou le maudire, l'abattre ou le caresser davantage.
Ce n'est pas une entreprise aisée que d'être un éleveur d'ogres. Difficile de savoir jusqu'où peut le mener son innocence animale. Mais quand on élève des monstres, il faut s'attendre à ce qu'ils se comportent comme tels. Les bruits de frayeur de ses proies ordinaires devraient être pour le maître des alarmes. Car il n'est pas sûr que l'on puisse bâtir sa fortune sur une terre dévastée et sans amour.

Raphaël ADJOBI, Délégué général AIRD-France, le 29/05/2014

 
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Source: CIVOX. NET 2 Juin 2014

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