lundi 16 juin 2014

Le bêtisier ultralibéral et xénophile

Aujourd’hui, la palme à Mamadou Koulibaly pour cette audacieuse affirmation : « La terre de Côte d’Ivoire, il faut la rendre à son propriétaire et ce propriétaire n’est rien d’autre que le propriétaire coutumier, qu’il soit ivoirien ou étranger ».
(D’après L. Barro - L’intelligent d’Abidjan 8 mai 2014) 

NOTRE COMMENTAIRE 

Ainsi donc, pour Mamadou Koulibaly, il y aurait en Côte d’Ivoire des étrangers « propriétaires coutumiers » ! Et dire que ce type est un économiste donc, quelque part, un juriste ; que c’est un homme d’Etat puisqu’il a été membre du gouvernement et même président du corps législatif… Mais a-t-il réellement été tout cela ou, mes chers compatriotes, avons-nous seulement rêvé qu’il l’était ?
 
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Je n’oublierai jamais un incident qui faillit me brouiller avec mon frère aîné lors de l’un de mes rares retours dans mon village natal depuis que je le quittai, au tout début des années 1940, pour la ville voisine où j’allais commencer l’école. C’était pendant l’été 2002… Je connaissais déjà Mamadou Koulibaly pour avoir lu son maître-livre, « Le libéralisme Nouveau départ pour l’Afrique noire » – préfacé par Jacques Garello, son gourou –, et le moins qu’on puisse dire c’est que je ne pensais pas beaucoup de bien de l’auteur ni du personnage. C’était l’époque où le sémillant professeur d’économie inondait la presse FPI de sa prose aussi abondante que vide de réelle substance. Un matin, je trouvai mon grand frère en train de lire Le Nouvel Horizon, un hebdomadaire « bleu » aujourd’hui disparu, consacré presque tout entier cette semaine-là à un article fleuve de l’éminent théoricien de la vacuité… J’eus un réflexe idiot : « En voilà un qui gagnerait beaucoup à se taire ! », dis-je en m’adressant à moi-même, mais tout haut ou presque, de sorte que mon frère ne pouvait pas ne pas m’avoir entendu… Oh ce regard réprobateur qu’il me lança ! Notre langue possède un mot bref, qui se prononce sur un ton impérieux, et qui sert à faire ravaler à l’insolent ce qu’il vient d’oser dire publiquement : Swê !… Mon frère ne prononça pas le mot, mais je le lus dans son regard. Je compris que de son point de vue je venais de commettre un sacrilège, et je le regrettai aussitôt.

A vrai dire, ce que j’ai regretté, ce n’était pas d’avoir dit ce que je pensais de Mamadou Koulibaly, mais d’avoir fait de la peine à mon frère en « piétinant » son idole. Quant à Mamadou Koulibaly, à partir de ce jour-là, je l’ai détesté encore plus pour toutes les dupes qu’il avait déjà faites et pour toutes celles qu’il continuerait de faire ; et, surtout, pour avoir failli me brouiller avec mon grand frère…

Remarquez, aujourd’hui, depuis qu’a commencé sa dégringolade civique et qu'il n’en finit plus de choir, j’en suis à me demander si ce type n’est pas bien plus à plaindre qu’à blâmer. 


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Tout de même… Des étrangers propriétaires terriens coutumiers ! Et de quelle coutume s’agirait-il alors ? La leur, celle qu’ils auraient donc transportée avec eux depuis leur pays d’origine ? Ou bien celle des naturels de telle région de Côte d’Ivoire où ils se seraient installés ? Et, dans l’un ou l’autre cas, de quel statut, ou de quelle légitimité, ces étrangers pourraient-ils se prévaloir ?
Et, à supposer que cela puisse exister, quelles en seraient les conséquences pour leurs « hôtes » ou leurs « tuteurs », comme on a malheureusement pris l’habitude de désigner les autochtones qu’on spoliait ainsi avec la complicité d'une administration fantoche ? En fait, des étrangers « propriétaires coutumiers » ne sauraient être légitimes qu’à une seule condition : c’est que les autochtones sur les terres desquels ils se seraient établis cessent, eux, de l’être. Car il ne peut pas y avoir deux souverains pour un même territoire. C’est le principe qui fonde le droit de conquête. L’étranger capable de s’arroger la propriété d’un territoire donné au détriment des autochtones, cela s’appelle non pas un « propriétaire coutumier », mais un conquérant.
« Conquérant » ! Ce mot me rappelle le fameux discours de feu Lamine Diabaté à Odienné un jour de 1995, et spécialement ce moment extraordinaire où il s’écriait : « Nos grands-pères n’ont pas eu peur de prendre cette région avec les fusils et la poudre. Nous ne voulons plus de ces gens parce que le PDCI nous manque de respect, nous méprise et ne nous considère pas. Ils nous ont traités comme des animaux. Parce que nous votions pour Houphouët, ils nous ont pris pour des ignorants. Ils ont organisé une campagne de dénigrement : ils ont injurié Alassane, son père, sa mère et nous. Mais ils ne nous connaissent pas. Parce que c’est avec des fusils et des balles que nos grands-parents ont conquis cette terre. Ils ne nous font pas peur. Ils ont dit que nous ne serions plus rien dans ce pays. Ensuite ils ont renvoyé 267 de nos cadres. Ils ne veulent plus entendre l’appel du Muezzin de la mosquée pour la prière. Ils ne veulent pas de l’Islam et des musulmans ».
Il est certes vrai qu’un certain nombre de nos compatriotes, notamment ceux qui ont leurs racines dans les régions septentrionales, descendent de gens que les Français avaient armés et entraînés en vue de s’en faire une armée d’invasion, mais de là à parler de ces gens-là comme si c’étaient eux qui ont conquis les territoires qui furent réunis en 1893 sous l’appellation de « colonie de la Côte d’Ivoire », et comme s’ils les avaient conquis pour eux-mêmes et de leur propre initiative, c’est tout de même aller un peu loin dans la mauvaise foi ou dans la bêtise !
Il suffit de lire Magne, Binger, Mangin ou Baratier pour comprendre que, dans cette histoire et aux yeux des véritables conquérants, les Français, tous les peuples aujourd’hui réunis à l’intérieur des frontières de l’État de Côte d’Ivoire étaient logés à la même enseigne, et que depuis que les Français ont évincé Ahmadou, Ba Bemba, Samory Touré et d’autres, aucun de ces peuples n’a pris le pays d'un autre « avec les fusils et la poudre ». Encore cette affaire des Ahmadou, Ba Bemba et Samory Touré, c’était entre gens du nord, entre musulmans… Et en plus ça n’avait rien à voir avec l’immense majorité des peuples actuels de la Côte d’Ivoire, qu’ils soient enracinés au nord, à l’est, au sud, au centre ou à l’ouest ; et qu’ils soient musulmans ou autre chose… Cela doit être dit haut et fort, afin que nul ne puisse plus jamais se laisser aller à raconter que sa légitimité à se dire Ivoirien et à jouir des droits et libertés attachés à cette qualité relève de quelque chose comme un droit de conquête.
Cela dit, dans chacune de nos régions, les seules personnes qui peuvent légitimement se considérer comme propriétaires terriens sont les autochtones, c’est-à-dire ceux qui y ont toutes leurs tombes, et ce en vertu du droit des gens. Du moins, tant que les codes fonciers continueront d’être considérés par leurs propres auteurs comme des chiffons de papier impossibles à mettre en pratique, il doit en être ainsi, sinon c’est la porte ouverte à toutes les spoliations et aux conflits qu’elles généreront fatalement.
Par « droit des gens » j’entends, ici, l’ensemble des coutumes de nos différents peuples originels. Ces coutumes sont toujours en vigueur, toujours respectées dans toutes nos régions. En 1998, lors de la campagne de préparation de notre dernier code foncier, adopté par les députés mais qui attend toujours d’être mis en application, il est apparu que, s’agissant de la propriété de la terre, la règle était la même partout quoique découlant partout de coutumes particulières : « la terre est prêtée mais pas vendue » ! (Voir annexes)
On s’attendrait donc à ce qu’un homme politique qui se respecte et qui respecte ses concitoyens raisonne non pas à partir de ses préjugés doctrinaux – surtout quand ces préjugés sont si évidemment inspirés par des gens qui ne nous ont jamais voulu du bien –, mais en tenant scrupuleusement compte de la volonté unanime et clairement exprimée des Ivoiriens. Mais je ne veux pas ici avoir l’air d’accuser le seul président de LIDER. Car on pourrait en dire autant de toutes nos gloires politiques en remontant même très loin dans notre jeune histoire nationale. Beaucoup n’ont été, beaucoup encore ne sont, que les perroquets d’idéologues occidentaux dont le métier est semble-t-il de penser à notre place.
« La terre de Côte d’Ivoire, il faut la rendre à son propriétaire et ce propriétaire n’est rien d’autre que le propriétaire coutumier, qu’il soit ivoirien ou étranger »… j’imagine que cet audacieux oxymoron koulibalyen a rempli de joie tous ceux qui, depuis 1998, nous accablent du grief de xénophobie parce que, justement inquiets du constant grignotage de notre souveraineté et de nos droits naturels les plus élémentaires par toutes sortes de gens venus d’ailleurs – un ailleurs qui ne se limite pas aux seuls pays situés juste de l’autre côté de nos frontières mais s’étend bien au-delà, jusqu’à l’Europe et jusqu’au Levant –, avec la bénédiction de la soi-disant « communauté internationale », nous avons voulu y mettre un terme par une loi foncière destinée à nous protéger, sans la moindre volonté de nuire à nos hôtes tant qu’ils ne prétendent pas légiférer à notre place, chez nous ! 

Marcel Amondji 

 
ANNEXES
 
1. Les populations de Korhogo & le code foncier
LA TERRE EST PRÊTÉE MAIS PAS VENDUE
Fraternité Matin 4 août 1998
 
Malgré la grande migration des populations à travers le pays, malgré l'avancée démographique, malgré la pression accrue au niveau de l'occupation des terres, malgré ses performances agricoles reconnues de tous, le développement de la Côte d'Ivoire ne repose pas encore sur une législation foncière digne de ce nom. Les récents événements survenus dans les régions de l'Ouest et du Sud-Ouest ont amené le gouvernement à se pencher sur le problème foncier rural. Il vient, à ce sujet, de déposer un projet de loi sur la table de l'Assemblée nationale.
C'est donc pour informer les populations et recueillir leurs préoccupations en vue d'un meilleur débat sur ce projet qu'une délégation de parlementaires […] a rencontré, le 28 juillet, au centre culturel de Korhogo, les populations des départements de Korhogo et de Ferké. Pour orienter les débats après cette déclaration préliminaire, le parlementaire a invité son auditoire à répondre à cinq questions fondamentales : Qui est propriétaire de la terre en pays Sénoufo ? Comment se fait l'attribution ou la cession de la terre ? Dans quelles conditions se font-elles ? Y a-t-il des litiges fonciers et qui sont les protagonistes ? Les règles traditionnelles de règlement des litiges sont-elles respectées ?
[…]
Les peuples sénoufo sont unanimes. En matière de réglementation foncière, il y a le chef de canton ou le chef de village et les propriétaires terriens. Les premiers peuvent être propriétaires terriens aussi sans avoir la mainmise sur l'ensemble des terres qu'ils gèrent cependant. En cas d'attribution, le demandeur, à la demande du chef, choisit la portion qui lui convient et en informe le chef. Celui-ci convoque les notables et les propriétaires qui décident. En pays sénoufo, la terre est prêtée pour une durée illimitée pour qu'on y cultive du vivrier et non des cultures de rente (anacardiers, manguiers…), mais la terre n'est jamais vendue. Heureux pays sénoufo qui ne connaît pas de conflits fonciers entre allogènes et autochtones ! Les protagonistes sont des Sénoufo. Et les sources de conflits relevées sont : l'occupation abusive ou illicite des terres demandées ou la culture d'arbres fruitiers plutôt que du vivrier et le non-respect des réglementations traditionnelles en vigueur, car, avec le pouvoir de l'argent, certains nantis se sont appropriés des terres sans observer la tradition. C'est l'exemple de cet instituteur à la retraite, M. Soro Kolo Jules de la sous-préfecture de Dikodougou, qui se trouve aujourd'hui opposé à son expropriateur vivant en Arabie Saoudite. Mais, ont ajouté les intervenants, le règlement de ces litiges est surtout devenu difficile du fait de l'amoindrissement du pouvoir des chefs traditionnels. Leur suggestion : renforcer leur pouvoir.
[…]
 
2. Code foncier. Les populations aux parlementaires :
« ON NE VEND PAS LA TERRE CHEZ NOUS »
Fraternité Matin 5 août 1998
 
« On ne vend pas la terre chez nous, toutefois, nous la cédons gracieusement à quiconque en fait la demande et qui la met effectivement en valeur». Cette déclaration de Nanan Kouassi Kouamé, chef du village de Kami et porte-parole du collectif des chefs de villages de Yamoussoukro, est en substance ce que les populations des Régions des lacs ont tenu à dire à la mission parlementaire dans le cadre de la tournée sur la politique foncière.
Que ce soit à Yamoussoukro ou à Tiébissou, les populations ont tenu à dire au président Auguste Miremont et à ses collègues, que la terre, propriété des chefs de tribu ne pouvait souffrir de cession à titre onéreux. Tous les allogènes nationaux et étrangers qui ont reçu des terres et qui les ont mises en valeur, en deviennent de facto les propriétaires sans aucune contrepartie obligatoire.
Pour les populations, les conflits de terre, qui étaient auparavant résolus par les chefs coutumiers, se sont exacerbés par l'absence quasi-totale d'autorité reconnue par l'administration aux chefs. «Rendez aux chefs leur autorité et vous n'entendrez plus parler de conflit lié à la terre» ont souligné les populations.
Autre chose qui tient à cœur aux populations, l'immatriculation des parcelles qui permettra de préserver les droits acquis.
Concernant les Baoulé déplacés par la construction du barrage de Kossou, les populations se sont inquiétées du sort qui leur sera réservé s'ils devaient être expropriés par la nouvelle loi. N'ayant pas été suffisamment dédommagés par l'État, ils se retrouveraient sur la paille en quittant les zones où ils ont investi et leur énergie et leur argent.
Devant toutes ces préoccupations la délégation conduite par M. Auguste Miremont et comprenant le député FPI M. Tchimou Koutouan et d'autres députés PDCI a promis transmettre fidèlement les souhaits des populations afin que la synthèse qui sera faite à l'issue de la tournée permette l'élaboration d'un code foncier juste, qui préserve la paix sociale et qui renforce surtout la cohésion et l'unité nationale.
 
Alhouceine Sylla
 

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