lundi 10 février 2014

SAVIMBI & CO : LE RETOUR ?

Tombée en disgrâce sur les bords de la lagune Ebrié à l’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo, l’ex-rébellion angolaise de feu Jonas Savimbi est en passe de refleurir sous le
J. Savimbi au temps de sa splendeur
régime Ouattara. C’est La Lettre du continent qui livre l’information dans son édition N°675 du 29 janvier 2014. « Secrétaire général de l’Unita et fils aîné de l’ancien leader de la rébellion angolaise Jonas Savimbi, Rafael Savimbi mobilise les hommes d’affaires angolais proches de l’ancienne rébellion pour monter un projet de construction d’une cimenterie à Korhogo ou Ferkessédougou, dans le nord de la Côte d’Ivoire », révèle d’entrée la publication. Avant de préciser : « Après un entre- tien en décembre (2013, ndlr) à Abidjan avec le ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, Rafael Savimbi a dépêché mi-janvier en Côte d’Ivoire son bras droit Luis Kequn pour poursuivre les négociations avec les autorités ». Avec un investissement de 15 milliards fcfa comme le souligne La Lettre du continent, ce projet porté par des cadres de l’ex-rébellion armée angolaise pourrait démarrer effectivement durant cette année 2014, a-t-on appris, de sources proches du régime Ouattara.
Ce retour en grâce de l’ex-rébellion angolaise pourrait être source d’inquiétude dans les relations entre l’Angola et la Côte d’Ivoire. La rébellion angolaise utilisait Abidjan comme l’une de ses places fortes en Afrique sous le régime d’Houphouët-Boigny qui en était d’ailleurs perçu comme un des principaux parrains. Son représentant en Afrique de l’Ouest, Kakumba Marques et tous les membres de l’Unita bénéficiaient du passeport ivoirien. Le chef rebelle Jonas Savimbi était reçu comme un chef d’Etat en Côte d’Ivoire et des journalistes ivoiriens étaient régulièrement reçus à Huambo, fief de Jonas Savimbi, où certains étaient cadeautés de pépites de diamant.
Evidemment les relations entre Abidjan et le régime angolais  d’Edouard Dos Santos étaient très exécrables. La Côte d’Ivoire figurait sur la liste des pays ennemis de l’Angola. Quelques mois après son élection à la tête de la Côte d’Ivoire en octobre 2000, Laurent Gbagbo s’est
Le cadavre de Savimbi montré à la presse
engagé dans la normalisation des relations entre notre pays et l’Angola. Lors d’une visite mémorable à Luanda en 2001, le président Gbagbo avait déclaré que la Côte d’Ivoire refusait de servir de base-arrière à la déstabilisation d’un autre pays. Dès lors, il avait mis fin à tous les privilèges accordés par les précédents régimes aux rebelles de l’Unita. Entre autres, il avait retiré tous les passeports ivoiriens aux représentants de l’Unita qui en usaient pour parcourir le monde. Il n’a pas fallu longtemps pour que la rébellion angolaise prenne fin avec la mort de son leader historique, Jonas Savimbi. Et les relations entre la Côte d’Ivoire et l’Angola se sont naturellement améliorées. Elles étaient si excellentes que le régime Gbagbo avait ouvert le capital de la Société ivoirienne de raffinage (SIR) à la société nationale angolaise de pétrole. L’Angola étant l’un des plus grands producteurs de pétrole en Afrique. La chute de Laurent Gbagbo sonne-t-elle la remise en cause de cette politique de rapprochement ? Assistons-nous au retour en force de l’ex-rébellion angolaise avec le retour au pouvoir des « héritiers » de Félix Houphouët-Boigny ?
 

Didier Depry - Notre Voie 3 février 2014

Titre original : « Business et politique : L’ex-rébellion angolaise renaît sous Ouattara » 


 
en maraude dans le web
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
 

Source : CIVOX. NET 4 Février 2014 

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POUR ALLER PLUS LOIN
 
Les affaires de Jonas Savimbi et de son « Unita » sont loin d’être familières au commun des Ivoiriens, et pour cause ! Aussi cette analyse très juste mais un peu laconique de Didier Dépry nous a semblé une excellente occasion de dévoiler, grâce à deux documents puisés directement à la source même, le vrai sens et le véritable caractère des liens étroits que l’aventurier angolais entretenait avec Houphouët et son entourage.
En réalité, ce n’était pas avec Houphouët ou la Côte d’Ivoire que Savimbi entretenait d’excellentes et lucratives relations, mais avec la France, à travers ses succursales burkinabè et ivoirienne notamment, qui lui servaient de couverture. Quand Savimbi dit d’Houphouët : « c'est lui qui est venu vers moi et non l'inverse » (voir annexe 1), il faut bien saisir l’insinuation … En somme, les choses se sont passées avec lui comme avec le Belgo-Congolais Moise Tschombe ou le Nigérian Odumegwu Ojukwu : leur « génie » fut d’abord découvert par les Français, qui, pour l’exploiter à leur profit sans trop s’exposer à quelque retour de manivelle diplomatique, les firent « adopter » par leurs « masques africains » attitrés : Houphouët, Bongo, et d’autres. C’est ce que confirment les confidences du chef barbouze Alexandre de Marenches à la journaliste Christine Ockrent (voir annexe 2).
Comprenez-vous maintenant qui était vraiment Houphouët, à quoi il servait et ce que signifie l’expression « l’homme de la France en Afrique » que tous les auteurs sérieux associent à son nom ?  

La Rédaction  

ANNEXES 1 

Jonas Savimbi : « Moi, maquisard de la paix »
 
M. Savimbi, avant de séjourner en Côte d'Ivoire, vous étiez au Maroc et au Burkina Faso. Peut-on connaître les raisons de ce périple africain ?
Nous sommes venus demander aux pays africains de nous soutenir dans nos efforts de paix et de réconciliation nationale. Sa Majesté le Roi Hassan II du Maroc a toujours porté un intérêt particulier au problème angolais. Quant au Burkina Faso, que je visitais pour la première fois, j'ai été surpris de voir que le peuple burkinabé s'intéresse aussi à mon pays et à la paix en général. L'objectif majeur de ma tournée est donc de mobiliser les pays africains pour qu'ils suivent de très près le processus de paix en Angola mais aussi pour les rassurer quant à notre détermination à ne plus retourner à la situation de guerre. Le non-respect des précédents accords de paix a en effet rendu sceptique nombre d'observateurs. Notre rôle est de leur donner la garantie que le peuple angolais est fatigué de la guerre et surtout que les dirigeants politiques de tous bords se sont ressaisis.

Avez-vous eu le sentiment, lors de votre tournée, que les Chefs d'Etat des pays visités ont été sensibles à votre message ?
Il y a une réelle volonté des pays africains de voir les conflits armés prendre fin sur le continent. Ils nous encouragent dans la voie de l'apaisement dans notre pays et en Afrique, à aller de l'avant.

Malgré votre volonté et celle du Président Dos Santos, de ramener la paix en Angola, des combats sont signalés par moments sur le terrain. Comment expliquer ce décalage entre les discours et la réalité ?
Je tiens à dire que le cessez-le-feu est pratiquement respecté sur l'ensemble du territoire. Vous savez, après trente ans de guerre, il est évident qu'il y a des individus qui peuvent ne pas être d'accord avec le processus en cours. Mais en ce qui concerne les parties prenantes, c'est-à-dire le gouvernement et l'Unita que je dirige, il n'y a pas de violation du cessez-le-feu. Les Nations Unies nous ont d'ailleurs félicités pour notre bonne volonté. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour qu'il y ait un silence total des armes.

Autre problème : le retard observé dans les opérations de désarmement et de cantonnement de vos forces. A quoi ces difficultés sont-elles dues ?
Je crois que les gens ne posent pas réellement les problèmes comme ils se présentent. Il n'y a pas que le cantonnement des troupes de l'Unita. Il y a aussi celui des forces militaires actuelles. Ceci, pour faire le tri entre ceux qui feront partie de la nouvelle armée nationale et ceux qui vont être démobilisés. Simultanément, la police d'intervention rapide du gouvernement va être cantonnée et désarmée pour être équipée comme une police et non pas comme une armée de terre. De même, les mercenaires sud-africains qui se trouvent de l'autre côté, et non plus du nôtre (ils ont changé de camp), devraient aussi retourner chez eux. Enfin, il faudrait que le gouvernement puisse faire reculer ses forces des positions avancées qu'elles occupent aujourd'hui vers les zones de casernement habituelles. Nous sommes en train de faire ce travail. Et si nous avons connu au départ un certain retard c'est parce que les Nations Unies devaient mettre en place la logistique pour ce cantonnement.

Vous avez été, pendant longtemps considéré comme l'étendard contre l'avancée du communisme en Afrique. Pour l'ancien Président américain Ronald Reagan, vous étiez «le champion de la lutte contre le communisme» sur le continent. Depuis quelques années, vous avez été lâché par vos amis d'hier les Etats-Unis en tête. Vous considérez-vous comme une victime de l'ingratitude de l'Occident ?
Je ne le pense pas. S'il n'y avait pas de raisons réelles de combattre le communisme nous-mêmes, nous ne nous serions pas porté volontaire dans ce combat. Il y avait, en Angola, une forte présence cubaine estimée à environ 50.000 hommes. Nous considérions cela comme du néo-colonialisme, car si nous avions combattu pendant quinze ans contre le colonisateur portugais, ce n'était pas pour se retrouver sous une autre domination étrangère. Les Américains et d'autres pays occidentaux nous ont donc aidé à combattre ceux que nous avions déjà décidé de combattre. Mais quand il y a eu la fin de la guerre froide, leurs intérêts leur commandaient de ne plus nous soutenir. D'autres pays africains ont eu la même attitude. Je n'en suis pas frustré. Aujourd'hui nous devons nous adapter à la nouvelle donne et à l'environnement international marqué par l'absence de confrontation entre les deux blocs. Il nous appartient maintenant de gérer la situation et faire passer un message susceptible de recueillir leurs consentement et appui. Cela dit, il faut rendre hommage à des amis qui se sont tenus à nos côtés des années durant et qui n'ont jamais reculé dans la défense de notre cause. Parmi ces pays figurent la Côte d'Ivoire, le Togo, le Maroc, le Zaïre... le plus important me concernant est que je n'ai jamais perdu de vue qu'un jour il y aurait la paix en Angola et que nous serions appelé à participer à l'effort de construction de la paix...

Pourquoi avoir mené cette longue lutte qui a endeuillé nombre de familles angolaises ?
Vous savez, quand nous étions jeunes, nos parents ne cessaient de nous rappeler que les colonisateurs portugais devaient quitter le pays. Nous avons grandi dans cette philosophie de libération. Nous étions donc comme poussés par l'histoire de notre temps pour participer à cette lutte pour la dignité de notre peuple. Nous ne pouvions pas reculer. Mais aujourd’hui c’est différent...

Vous êtes devenu un maquisard de la paix...
Aujourd'hui oui, avant l'on me traitait de maquisard de la guerre.

Vous êtes considéré comme l'un des fils spirituels de feu le Président Houphouët-Boigny. Peut-on savoir ce qui a conforté l'affection que le Premier Chef d'Etat ivoirien vous portait ?
Je me considère tout simplement comme un homme privilégié. J'ai connu le Président Houphouët tout à fait par hasard, il y a de longues années, à l'époque de la lutte de libération nationale... C'est un grand homme, un homme d'expérience et de connaissances. Je suis un privilégié parce que c'est lui qui est venu vers moi et non l'inverse, parce qu'il disait que je suis un homme sérieux. Il m'a toujours prodigué des conseils, soutenu et n'a cessé de défendre la cause de l'Unita. C'est difficile d'expliquer pourquoi il m'a adopté. Disons que c'est un miracle. Aujourd'hui, nous n'avons pas oublié ses enseignements, nous n'avons pas oublié sa philosophie profondément humaine et africaine... Houphouët était un intellectuel, un bâtisseur mais avant tout un Africain avec tout ce que cela sous-entend. J'ai simplement eu la chance d'être choisi par le Président Houphouët alors qu'il y avait d'autres dirigeants en Angola comme Agostinho Neto, Pinto de Andrade, Holden Robert, Quinpinda... Dieu lui a dit : « C'est lui ». Comme je crois en Dieu, je ne peux expliquer le choix d'Houphouët que par rapport à la parole de Dieu.

Pourtant vous n'étiez pas présent à ses obsèques à Yamoussoukro...
Vous savez, j'ai été tellement chagriné de ne pouvoir faire le déplacement de la Côte d'Ivoire à cette occasion car j'avais d'énormes problèmes en Angola et je ne pouvais pas sortir du territoire national. Croyez-moi, j'en ai beaucoup souffert.

Quel regard posez-vous sur la situation politique actuelle en Côte d'Ivoire ?
Je crois que vous avez eu la chance de grandir dans un pays qui s'est libéré de la colonisation sans-violence. C'est important. La Côte d'Ivoire a donc eu tout le loisir de se construire dans la paix, l'entente et le dialogue. Et les bâtisseurs de ce pays ont créé des institutions pour faire de la Côte d'Ivoire un véritable Etat de droit. Il faut aujourd'hui, à la tête du pays, un président pour continuer l'œuvre du grand homme qu'était Houphouët-Boigny. Vous avez les balises, les instruments juridiques pour réussir, dans la paix, cette transition. Je suis confiant malgré les opinions divergentes, qui existaient même du vivant d'Houphouët. J'espère que toutes les filles et tous les fils de ce pays pourront se comporter en accord avec la culture ivoirienne. Il ne faudrait pas commencer maintenant avec la violence, en détruisant l'héritage de tout le monde. Le Président Houphouët a bâti ce pays mais c'est pour des générations. Je suis sûr que, quelles que soient les divergences actuelles, les dirigeants actuels, du pouvoir et de l'opposition, vont pouvoir trouver un terrain d'entente pour continuer la tâche la plus difficile : la construction économique. Celle-ci ne peut se faire que dans la paix et la stabilité. 

Interview réalisée par Eugène Kadet
Source : Fraternité Matin 11 octobre 1995 

ANNEXES 2 

Retour sur les intrigues de la France en Angola : 

S’il est un pays africain qui ne s’embarrasse pas de fioriture et d’entourloupettes diplomatiques pour soutenir la Côte d’Ivoire, c’est bien le pays du Président Eduardo Dos Santos. Pour comprendre le sens de l’engagement de l’Angola aux côtés de la Côte d’Ivoire, nous vous invitons à lire attentivement cette autre partie de la magnifique interview d’Alexandre de Marenches, patron du contre-espionnage français de 1970 à 1981. Vous y trouverez des choses incroyables et des mots de tendresse à l’endroit d’un sanguinaire à vous couper le souffle. Vous comprendrez pourquoi, comme Guillaume Soro aujourd’hui, Jonas Savimbi narguait le pouvoir de Luanda. La France dévoile ses propres secrets et crimes sur le continent africain et nous nous ferons le devoir de vous les faire lire car, à la suite de Marenches, vous aurez Foccart…

 
DOCUMENT
 
O. — En Angola, avez-vous maintenu le contact ou même l’assistance à Savimbi malgré les consignes de l’Elysée ?
M. — Cette période a été difficile. Le Président Giscard d’Estaing m’a dit : « Êtes-vous sûr que Savimbi ait des chances? Peut-on compter sur lui ? Croyez-vous qu’il ait un avenir ? » Je lui ai expliqué qu’il avait avec lui, contre les métis qui tenaient la capitale, Luanda, l’ensemble de la population noire angolaise authentiquement africaine. Savimbi est un vrai Noir et un véritable Africain, alors que la bourgeoisie communiste de Luanda est composée en général de métis. C’est un élément important à connaître pour aujourd’hui et pour le futur.
Comme en Afghanistan, si les Soviétiques et leurs comparses tiennent les villes, une bonne partie du reste du pays est libre. Il appartient à Savimbi. Aucun Cubain, aucun Allemand de l’Est, ni leurs patrons soviétiques ne s’y risquent, sans des colonnes puissamment armées.
Un jour, le Président m’a dit : « Ah ! Mais l’Angola, c’est loin. » Et je lui ai dit avec un petit sourire : « Oui, mais ça se rapproche. » J’ai beaucoup insisté sur la dimension du personnage de Savimbi et aussi sur l’importance stratégique d’une zone qui, comme la Namibie voisine, représente un intérêt majeur pour des matières premières et aussi pour Walvis Bay, la fameuse baie en eau profonde que convoite la marine de guerre soviétique. Le Président Giscard d’Estaing m’a demandé si j’étais bien sûr que Savimbi et ses partisans avaient saboté le chemin de fer de Benguela, qui transporte vers Lobito, le grand port angolais sur l’Atlantique, les minerais zaïrois. L’ambassadeur de France à Luanda, qui ne sortait jamais de la capitale de l’Angola, faute d’autorisation, lui avait affirmé le contraire. J’ai vu le président hésitant, aussi décidai-je de lui apporter une preuve indiscutable. Je me suis dit, comme Mao, qu’une image vaut dix mille mots. J’ai donc envoyé un de mes officiers sur le terrain, par la bande de Caprivi, cette bande de terre très mince au Sud de l’Angola. Mon admirable représentant, chargé de prendre les photos convaincantes, a remonté une grande partie de l’Angola à pied dans la brousse pendant trois mois. Il a fait près de deux mille kilomètres à pied — aller et retour — pour prendre des photos puisque le Président de la République devait être convaincu. Les photos qu’il m’a rapportées montrent des hommes de Savimbi le long de la voie ferrée du Benguela Railroad, en train de poser des explosifs pour faire sauter les rails et détruire les ponts. Quand cet officier remarquable est revenu par la même route, c’est-à-dire à pied, il m’a raconté qu’il avait été repéré par des avions et des hélicoptères cubains et attaqué plusieurs fois, lui et son escorte.
Ce qui m’a prouvé que Savimbi était bien le chef du pays, c’est que, partout, mon officier a été hébergé et nourri par les populations locales et les différentes tribus. Par-delà des ethnies, Savimbi est le chef naturel, le vrai chef de l’Angola, comme de Gaulle était celui de la France qui ne voulait pas se soumettre.
Je suis allé présenter au Président de la République les photos qui montraient les ponts et le chemin de fer détruits.
O. — Il a été convaincu ?
M. — Il a bien voulu les regarder. A la sortie de l’Elysée, j’espérais l’avoir convaincu. Il a pourtant pris la responsabilité pour ne pas déplaire aux Soviétiques de faire cesser l’aide de la France à Savimbi.
O. — Les États-Unis ont, au même moment, officiellement suspendu leur soutien aux mouvements qui luttaient contre le régime de Luanda. Pourtant, l’aide que vous prodiguiez ouvertement ou officiellement à Savimbi devait être coordonnée, j’imagine, entre vos Services et les Services américains ?
M. — Non, pas du tout! Sur le terrain, nous opérions seuls.
O. — A ce moment-là, Kissinger, le secrétaire d’Etat américain, était sûrement de votre avis ?
M. — Nous étions, en effet, du même avis.
O. — Et il s’est fait violemment contester par le Congrès.
M. — Un des grands drames de ces dernières années, c’est que les Services secrets américains étaient tellement ouverts à n’importe qui que, souvent, ils m’ont recommandé eux-mêmes : « Surtout ne nous dites rien, parce que nous sommes incapables de garder un secret. Vous le liriez le lendemain dans le Washington Post ou le New York Times. » C’est ainsi que Jonas Savimbi a été abandonné pendant longtemps aussi bien par l’Europe que par les États-Unis. Cet homme est un géant de l’histoire, non seulement un géant physique, mais un géant intellectuel et moral. Il venait de temps en temps me voir en Europe ou au Maroc. J’envoyais un avion le chercher. C’était assez compliqué. Je ne voulais pas qu’il soit repéré en passant les frontières mais, enfin, c’était de la routine. Il m’avait dit une fois : « Ah ! Je ne pourrai jamais vous montrer la situation sur place, quel dommage ! » Je lui avais répondu : « Vous savez, il ne faut pas me dire des choses de ce genre parce que vous excitez ma curiosité. Comme les taureaux ou les grenouilles quand ils voient un chiffon rouge, j’ai envie de sauter. » Je suis donc allé lui rendre visite un jour dans son maquis de l’Angola, dans l’un de ses P.C. opérationnels, au Sud, secrètement, bien sûr. De ma vie, je n’ai vu un tel charisme ! Ses hommes, qui étaient dans un état de dénuement incroyable, le regardaient comme une divinité. L’emprise morale, psychologique que cet homme peut avoir sur ces pauvres hères en guenilles est extraordinaire.
O. — Au-delà du simple défi, pourquoi prendre le risque d’aller ainsi sur le terrain ?
M. — D’abord pour montrer au président Savimbi et aux braves qui se battaient autour de lui qu’au moins un pays occidental, européen celui-là, la France en l’occurrence, s’intéressait à eux jusqu’au point de venir leur rendre visite. Ensuite, parce qu’il est essentiel, pour un patron, de passer le premier dans des endroits difficiles. Cela aide ensuite à dire aux autres : « Allez-y ! »
O. — Vous aviez demandé l’autorisation du Président Giscard d’Estaing pour cette expédition ?
M. — Non. Je considère que ce genre de choses faisait partie de mon travail quotidien.
O. — Autrement dit, le Directeur général du Sdece a disparu pendant plusieurs jours ?
M. — Il disparaissait beaucoup et souvent.
O. — Sans que le chef de l’État sût nécessairement où le trouver ?
M. — Sans que le chef de l’État eût ce problème supplémentaire.
O. — Mais admettons qu’il vous cherchât ?
M. — Eh bien, en admettant qu’il me cherchât, il ne m’aurait pas trouvé sur-le-champ. Mais on lui aurait expliqué que j’étais en mission. Voilà.
O. — Pourquoi êtes-vous allé sur le terrain en Angola et non en Afghanistan ?
M. — Parce que nous ne pouvions pas tout faire ! La France est un pays de premier plan, non l’un des deux géants. Notre spécialité a toujours été l’Afrique. Il est relativement simple d’aller en Angola. L’Angola avait comme chef de sa résistance un seul homme, et non pas dix ou vingt chefs de tribus qu’il aurait fallu rencontrer. Si j’avais rendu visite à un chef de la, résistance afghane, les autres auraient été vexés ou furieux.
J’éprouve une admiration et une affection sans bornes pour Savimbi. S’il survit, il sera un jour le Président de ce pays plus vaste que la France et aux possibilités en tous genres, humaines, minières, agricoles, exceptionnelles. Je crois servir la France et l’Europe en disant que, si l’on regarde la carte de l’Afrique, on remarquera que nous pourrions, avec un Angola libre, disposer d’une zone à influence culturelle française extrêmement forte et qui irait pratiquement de Tanger, du détroit de Gibraltar, jusqu’à la frontière sud de l’Angola et de la Namibie. Une grande partie de l’Afrique occidentale serait plus ou moins de culture française.
C’est le côté culturel qui compte. Prenez l’exemple de l’Espagne et du Portugal. A l’époque de Charles Quint, on disait que le soleil ne se couchait jamais sur son Empire. Les Italiens n’ont plus de colonies, comme on disait autrefois. Le Portugal, aujourd’hui, représente cent trente à cent trente-cinq millions de personnes. Un Portugais peut aller au Brésil: ils ont une sorte de citoyenneté commune. Un Brésilien au Portugal est chez lui. Et ne parlons pas de l’Hispanidad. L’Hispanidad représente trois cents à trois cent cinquante millions de gens qui parlent l’espagnol et qui sont donc de culture espagnole.
Si un jour — et c’est hélas en train de se faire — si le français, la langue française disparaît d’une grande partie des pays traditionnels où nous étions fortement implantés, elle entraînera dans sa chute la culture française, c’est-à-dire le rôle de la France.
O. — Quel genre d’assistance avez-vous prodigué à Savimbi? Des armes, des vivres ?
M. — Je me souviens, par exemple, d’une opération. Cent trente tonnes de fournitures venant de Chine populaire sont arrivées dans un pays africain de la côte atlantique, où nous les avons conditionnées en paquets de quinze, vingt kilos, pour qu’on puisse les porter sur la tête dans les sentiers de la brousse. Un travail de fourmi. Nous les avons acheminés jusqu’au port de Pointe-Noire, au Congo. De là, nous avons organisé leur transport, par porteurs, jusque dans la zone de Savimbi.
O. — Qui avait acheté les fournitures à la Chine ?
M. — C’était un arrangement. Les Chinois s’intéressent à l’Afrique, en particulier quand il s’agit de contrer les Russes.
O. — Cette assistance à Savimbi était-elle coordonnée à l’époque, entre vous et les Sud-Africains ?
M. — Non. Pour aider Savimbi, il fallait à un certain moment pouvoir passer par l’Afrique du Sud. C’est tout. Il n’y avait pas tellement de voies d’accès vers l’Angola de Savimbi. Il fallait soit traverser le Zaïre soit l’Atlantique, ce qui était dur, en raison de la barre. Il n’est pas facile d’aborder sur la côte. Il fallait ou le consentement des Sud-Africains, ou qu’ils acceptent de regarder de l’autre côté. Je m’y suis employé.

(Extrait de «Dans le secret des Princes», Christine Ockrent/Marenches)
 
Source : Le Temps 5 janvier 2011
 

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