Tombée en disgrâce sur les bords de la lagune
Ebrié à l’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo, l’ex-rébellion angolaise de feu
Jonas Savimbi est en passe de refleurir sous le
régime Ouattara. C’est La Lettre du continent qui livre
l’information dans son édition N°675 du 29 janvier 2014. « Secrétaire général de l’Unita et fils aîné de l’ancien leader de la
rébellion angolaise Jonas Savimbi, Rafael Savimbi mobilise les hommes
d’affaires angolais proches de l’ancienne rébellion pour monter un projet de
construction d’une cimenterie à Korhogo ou Ferkessédougou, dans le nord de la
Côte d’Ivoire », révèle d’entrée la publication. Avant de préciser : « Après un entre- tien en décembre (2013,
ndlr) à Abidjan avec le ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, Rafael Savimbi
a dépêché mi-janvier en Côte d’Ivoire son bras droit Luis Kequn pour poursuivre
les négociations avec les autorités ». Avec un investissement de 15
milliards fcfa comme le souligne La
Lettre du continent, ce projet porté par des cadres de l’ex-rébellion armée
angolaise pourrait démarrer effectivement durant cette année 2014, a-t-on
appris, de sources proches du régime Ouattara.
J. Savimbi au temps de sa splendeur |
Ce retour en grâce de l’ex-rébellion
angolaise pourrait être source d’inquiétude dans les relations entre l’Angola
et la Côte d’Ivoire. La
rébellion angolaise utilisait Abidjan comme l’une de ses places fortes en
Afrique sous le régime d’Houphouët-Boigny qui en était d’ailleurs perçu comme
un des principaux parrains. Son représentant en Afrique de l’Ouest, Kakumba
Marques et tous les membres de l’Unita bénéficiaient du passeport ivoirien. Le
chef rebelle Jonas Savimbi était reçu comme un chef d’Etat en Côte d’Ivoire et
des journalistes ivoiriens étaient régulièrement reçus à Huambo, fief de Jonas
Savimbi, où certains étaient cadeautés de pépites de diamant.
Evidemment les relations entre Abidjan et le
régime angolais d’Edouard Dos Santos étaient très exécrables. La Côte
d’Ivoire figurait sur la liste des pays ennemis de l’Angola. Quelques mois
après son élection à la tête de la Côte d’Ivoire en octobre 2000, Laurent
Gbagbo s’est
engagé dans la normalisation des relations entre notre pays et
l’Angola. Lors d’une
visite mémorable à Luanda en 2001, le président Gbagbo avait déclaré que la
Côte d’Ivoire refusait de servir de base-arrière à la déstabilisation d’un
autre pays. Dès lors, il
avait mis fin à tous les privilèges accordés par les précédents régimes aux
rebelles de l’Unita. Entre autres, il avait retiré tous les passeports ivoiriens aux représentants
de l’Unita qui en usaient pour parcourir le monde. Il n’a pas fallu
longtemps pour que la rébellion angolaise prenne fin avec la mort de son leader
historique, Jonas Savimbi. Et les relations entre la Côte d’Ivoire et l’Angola
se sont naturellement améliorées. Elles étaient si excellentes que le régime
Gbagbo avait ouvert le capital de la Société ivoirienne de raffinage (SIR) à la
société nationale angolaise de pétrole. L’Angola étant l’un des plus grands
producteurs de pétrole en Afrique. La chute de Laurent Gbagbo sonne-t-elle la
remise en cause de cette politique de rapprochement ? Assistons-nous au
retour en force de l’ex-rébellion angolaise avec le retour au pouvoir des «
héritiers » de Félix Houphouët-Boigny ?
Le cadavre de Savimbi montré à la presse |
Didier Depry - Notre Voie 3 février 2014
Titre original : « Business et politique :
L’ex-rébellion angolaise renaît sous Ouattara »
en maraude
dans le web
Sous cette rubrique, nous vous
proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas
nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en
rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et
aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
Source : CIVOX. NET 4 Février 2014
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POUR ALLER PLUS LOIN
Les affaires de Jonas Savimbi et de son « Unita »
sont loin d’être familières au commun des Ivoiriens, et pour cause ! Aussi
cette analyse très juste mais un peu laconique de Didier Dépry nous a semblé
une excellente occasion de dévoiler, grâce à deux documents puisés directement
à la source même, le vrai sens et le véritable caractère des liens étroits que
l’aventurier angolais entretenait avec Houphouët et son entourage.
En réalité, ce n’était pas avec Houphouët ou la
Côte d’Ivoire que Savimbi entretenait d’excellentes et lucratives relations,
mais avec la France, à travers ses succursales burkinabè et ivoirienne notamment,
qui lui servaient de couverture. Quand Savimbi dit d’Houphouët : « c'est lui qui est venu vers moi et non l'inverse » (voir annexe 1), il faut bien saisir l’insinuation … En somme, les
choses se sont passées avec lui comme avec le Belgo-Congolais Moise Tschombe ou
le Nigérian Odumegwu Ojukwu : leur « génie » fut d’abord
découvert par les Français, qui, pour l’exploiter à leur profit sans trop s’exposer
à quelque retour de manivelle diplomatique, les firent « adopter »
par leurs « masques africains » attitrés : Houphouët, Bongo, et d’autres.
C’est ce que confirment les confidences du chef barbouze Alexandre de Marenches
à la journaliste Christine Ockrent (voir annexe 2).
Comprenez-vous
maintenant qui était vraiment Houphouët, à quoi il servait et ce que signifie l’expression
« l’homme de la France en Afrique » que tous les auteurs sérieux associent
à son nom ?
La Rédaction
ANNEXES 1
Jonas Savimbi : « Moi, maquisard de la paix »
Nous sommes venus demander aux pays africains de nous soutenir dans nos
efforts de paix et de réconciliation nationale. Sa Majesté le Roi Hassan II du
Maroc a toujours porté un intérêt particulier au problème angolais. Quant au
Burkina Faso, que je visitais pour la première fois, j'ai été surpris de voir
que le peuple burkinabé s'intéresse aussi à mon pays et à la paix en général.
L'objectif majeur de ma tournée est donc de mobiliser les pays africains pour
qu'ils suivent de très près le processus de paix en Angola mais aussi pour les
rassurer quant à notre détermination à ne plus retourner à la situation de guerre.
Le non-respect des précédents accords de paix a en effet rendu sceptique nombre
d'observateurs. Notre rôle est de leur donner la garantie que le peuple
angolais est fatigué de la guerre et surtout que les dirigeants politiques de
tous bords se sont ressaisis.
Avez-vous
eu le sentiment, lors de votre tournée, que les Chefs d'Etat des pays visités
ont été sensibles à votre message ?
Il y a une réelle volonté des pays africains de voir les conflits armés
prendre fin sur le continent. Ils nous encouragent dans la voie de l'apaisement
dans notre pays et en Afrique, à aller de l'avant.
Malgré
votre volonté et celle du Président Dos Santos, de ramener la paix en Angola,
des combats sont signalés par moments sur le terrain. Comment expliquer ce
décalage entre les discours et la réalité ?
Je tiens à dire que le cessez-le-feu est pratiquement respecté sur
l'ensemble du territoire. Vous savez, après trente ans de guerre, il est
évident qu'il y a des individus qui peuvent ne pas être d'accord avec le
processus en cours. Mais en ce qui concerne les parties prenantes, c'est-à-dire
le gouvernement et l'Unita que je dirige, il n'y a pas de violation du
cessez-le-feu. Les Nations Unies nous ont d'ailleurs félicités pour notre bonne
volonté. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour qu'il y ait un
silence total des armes.
Autre
problème : le retard observé dans les opérations de désarmement et de
cantonnement de vos forces. A quoi ces difficultés sont-elles dues ?
Je crois que les gens ne posent pas réellement les problèmes comme ils
se présentent. Il n'y a pas que le cantonnement des troupes de l'Unita. Il y a
aussi celui des forces militaires actuelles. Ceci, pour faire le tri entre ceux
qui feront partie de la nouvelle armée nationale et ceux qui vont être démobilisés.
Simultanément, la police d'intervention rapide du gouvernement va être
cantonnée et désarmée pour être équipée comme une police et non pas comme une
armée de terre. De même, les mercenaires sud-africains qui se trouvent de
l'autre côté, et non plus du nôtre (ils ont changé de camp), devraient aussi
retourner chez eux. Enfin, il faudrait que le gouvernement puisse faire reculer
ses forces des positions avancées qu'elles occupent aujourd'hui vers les zones
de casernement habituelles. Nous sommes en train de faire ce travail. Et si
nous avons connu au départ un certain retard c'est parce que les Nations Unies
devaient mettre en place la logistique pour ce cantonnement.
Vous
avez été, pendant longtemps considéré comme l'étendard contre l'avancée du communisme
en Afrique. Pour l'ancien Président américain Ronald Reagan, vous étiez «le
champion de la lutte contre le communisme» sur le continent. Depuis quelques
années, vous avez été lâché par vos amis d'hier les Etats-Unis en tête. Vous
considérez-vous comme une victime de l'ingratitude de l'Occident ?
Je ne le pense pas. S'il n'y avait pas de raisons réelles de combattre
le communisme nous-mêmes, nous ne nous serions pas porté volontaire dans ce
combat. Il y avait, en Angola, une forte présence cubaine estimée à environ
50.000 hommes. Nous considérions cela comme du néo-colonialisme, car si nous
avions combattu pendant quinze ans contre le colonisateur portugais, ce n'était
pas pour se retrouver sous une autre domination étrangère. Les Américains et
d'autres pays occidentaux nous ont donc aidé à combattre ceux que nous avions
déjà décidé de combattre. Mais quand il y a eu la fin de la guerre froide,
leurs intérêts leur commandaient de ne plus nous soutenir. D'autres pays
africains ont eu la même attitude. Je n'en suis pas frustré. Aujourd'hui nous
devons nous adapter à la nouvelle donne et à l'environnement international
marqué par l'absence de confrontation entre les deux blocs. Il nous appartient
maintenant de gérer la situation et faire passer un message susceptible de
recueillir leurs consentement et appui. Cela dit, il faut rendre hommage à des
amis qui se sont tenus à nos côtés des années durant et qui n'ont jamais reculé
dans la défense de notre cause. Parmi ces pays figurent la Côte d'Ivoire, le
Togo, le Maroc, le Zaïre... le plus important me concernant est que je n'ai
jamais perdu de vue qu'un jour il y aurait la paix en Angola et que nous
serions appelé à participer à l'effort de construction de la paix...
Pourquoi
avoir mené cette longue lutte qui a endeuillé nombre de familles angolaises ?
Vous savez, quand nous étions jeunes, nos parents ne cessaient de nous
rappeler que les colonisateurs portugais devaient quitter le pays. Nous avons
grandi dans cette philosophie de libération. Nous étions donc comme poussés par
l'histoire de notre temps pour participer à cette lutte pour la dignité de
notre peuple. Nous ne pouvions pas reculer. Mais aujourd’hui c’est différent...
Vous
êtes devenu un maquisard de la paix...
Aujourd'hui oui, avant l'on me traitait de maquisard de la guerre.
Vous
êtes considéré comme l'un des fils spirituels de feu le Président
Houphouët-Boigny. Peut-on savoir ce qui a conforté l'affection que le Premier
Chef d'Etat ivoirien vous portait ?
Je me considère tout simplement comme un homme privilégié. J'ai connu le
Président Houphouët tout à fait par hasard, il y a de longues années, à
l'époque de la lutte de libération nationale... C'est un grand homme, un homme
d'expérience et de connaissances. Je suis un privilégié parce que c'est lui qui est venu vers moi et non
l'inverse, parce qu'il disait que je suis un homme sérieux. Il m'a toujours prodigué des
conseils, soutenu et n'a cessé de défendre la cause de l'Unita. C'est difficile
d'expliquer pourquoi il m'a adopté. Disons que c'est un miracle.
Aujourd'hui, nous n'avons pas oublié ses enseignements, nous n'avons pas oublié
sa philosophie profondément humaine et africaine... Houphouët était un
intellectuel, un bâtisseur mais avant tout un Africain avec tout ce que cela
sous-entend. J'ai simplement eu la chance d'être choisi par le Président
Houphouët alors qu'il y avait d'autres dirigeants en Angola comme Agostinho
Neto, Pinto de Andrade, Holden Robert, Quinpinda... Dieu lui a dit : « C'est
lui ». Comme je crois en Dieu, je ne peux expliquer le choix d'Houphouët que
par rapport à la parole de Dieu.
Pourtant
vous n'étiez pas présent à ses obsèques à Yamoussoukro...
Vous savez, j'ai été tellement chagriné de ne pouvoir faire le
déplacement de la Côte d'Ivoire à cette occasion car j'avais d'énormes
problèmes en Angola et je ne pouvais pas sortir du territoire national.
Croyez-moi, j'en ai beaucoup souffert.
Quel
regard posez-vous sur la situation politique actuelle en Côte d'Ivoire ?
Je crois que vous avez eu la chance de grandir dans un pays qui s'est
libéré de la colonisation sans-violence. C'est important. La Côte d'Ivoire a
donc eu tout le loisir de se construire dans la paix, l'entente et le dialogue.
Et les bâtisseurs de ce pays ont créé des institutions pour faire de la Côte
d'Ivoire un véritable Etat de droit. Il faut aujourd'hui, à la tête du pays, un
président pour continuer l'œuvre du grand homme qu'était Houphouët-Boigny. Vous
avez les balises, les instruments juridiques pour réussir, dans la paix, cette
transition. Je suis confiant malgré
les opinions divergentes, qui existaient même du vivant
d'Houphouët. J'espère que toutes les filles et tous les fils de ce pays
pourront se comporter en accord avec la culture ivoirienne. Il ne faudrait pas
commencer maintenant avec la violence, en détruisant l'héritage de tout le
monde. Le Président Houphouët a bâti ce pays mais c'est pour des générations.
Je suis sûr que, quelles que soient les divergences actuelles, les dirigeants
actuels, du pouvoir et de l'opposition, vont pouvoir trouver un terrain
d'entente pour continuer la tâche la plus difficile : la construction
économique. Celle-ci ne peut se faire que dans la paix et la stabilité.
Interview
réalisée par Eugène Kadet
Source : Fraternité Matin 11 octobre
1995
ANNEXES 2
Retour sur les intrigues de la France en Angola :
S’il est un pays
africain qui ne s’embarrasse pas de fioriture et d’entourloupettes
diplomatiques pour soutenir la Côte d’Ivoire, c’est bien le pays du Président
Eduardo Dos Santos. Pour comprendre le sens de l’engagement de l’Angola aux
côtés de la Côte d’Ivoire, nous vous invitons à lire attentivement cette autre
partie de la magnifique interview d’Alexandre de Marenches, patron du contre-espionnage
français de 1970 à 1981. Vous y trouverez des choses incroyables et des mots de
tendresse à l’endroit d’un sanguinaire à vous couper le souffle. Vous
comprendrez pourquoi, comme Guillaume Soro aujourd’hui, Jonas Savimbi narguait
le pouvoir de Luanda. La France dévoile ses propres secrets et crimes sur le
continent africain et nous nous ferons le devoir de vous les faire lire car, à
la suite de Marenches, vous aurez Foccart…
DOCUMENT
O. — En Angola, avez-vous maintenu le contact ou même l’assistance à Savimbi malgré les consignes de l’Elysée ?
M. — Cette période a été difficile. Le
Président Giscard d’Estaing m’a dit : « Êtes-vous sûr que Savimbi ait des
chances? Peut-on compter sur lui ? Croyez-vous qu’il ait un avenir ? » Je lui
ai expliqué qu’il avait avec lui, contre les métis qui tenaient la capitale,
Luanda, l’ensemble de la population noire angolaise authentiquement africaine.
Savimbi est un vrai Noir et un véritable Africain, alors que la bourgeoisie
communiste de Luanda est composée en général de métis. C’est un élément
important à connaître pour aujourd’hui et pour le futur.
Comme en Afghanistan, si les Soviétiques
et leurs comparses tiennent les villes, une bonne partie du reste du pays est
libre. Il appartient à Savimbi. Aucun Cubain, aucun Allemand de l’Est, ni leurs
patrons soviétiques ne s’y risquent, sans des colonnes puissamment armées.
Un jour, le Président m’a dit : « Ah !
Mais l’Angola, c’est loin. » Et je lui ai dit avec un petit sourire : « Oui,
mais ça se rapproche. » J’ai
beaucoup insisté sur la dimension du personnage de Savimbi et aussi sur
l’importance stratégique d’une zone qui, comme la Namibie voisine, représente
un intérêt majeur pour des matières premières et aussi pour Walvis Bay, la
fameuse baie en eau profonde que convoite la marine de guerre soviétique.
Le Président Giscard d’Estaing m’a demandé si j’étais bien sûr que Savimbi et
ses partisans avaient saboté le chemin de fer de Benguela, qui transporte vers
Lobito, le grand port angolais sur l’Atlantique, les minerais zaïrois.
L’ambassadeur de France à Luanda, qui ne sortait jamais de la capitale de
l’Angola, faute d’autorisation, lui avait affirmé le contraire. J’ai vu le
président hésitant, aussi décidai-je de lui apporter une preuve indiscutable.
Je me suis dit, comme Mao, qu’une image vaut dix mille mots. J’ai donc envoyé
un de mes officiers sur le terrain, par la bande de Caprivi, cette bande de
terre très mince au Sud de l’Angola. Mon admirable représentant, chargé de
prendre les photos convaincantes, a remonté une grande partie de l’Angola à
pied dans la brousse pendant trois mois. Il a fait près de deux mille
kilomètres à pied — aller et retour — pour prendre des photos puisque le
Président de la République devait être convaincu. Les photos qu’il m’a
rapportées montrent des hommes de Savimbi le long de la voie ferrée du Benguela
Railroad, en train de poser des explosifs pour faire sauter les rails et
détruire les ponts. Quand cet officier remarquable est revenu par la même
route, c’est-à-dire à pied, il m’a raconté qu’il avait été repéré par des
avions et des hélicoptères cubains et attaqué plusieurs fois, lui et son escorte.
Ce qui m’a prouvé que Savimbi était bien
le chef du pays, c’est que, partout, mon officier a été hébergé et nourri par
les populations locales et les différentes tribus. Par-delà des ethnies,
Savimbi est le chef naturel, le vrai chef de l’Angola, comme de Gaulle était
celui de la France qui ne voulait pas se soumettre.
Je suis allé présenter au Président de la
République les photos qui montraient les ponts et le chemin de fer détruits.
O. — Il a été convaincu
?
M. — Il a bien voulu les regarder. A la
sortie de l’Elysée, j’espérais l’avoir convaincu. Il a pourtant pris la
responsabilité pour ne pas déplaire aux Soviétiques de faire cesser l’aide de
la France à Savimbi.
O. — Les États-Unis ont,
au même moment, officiellement suspendu leur soutien aux mouvements qui
luttaient contre le régime de Luanda. Pourtant, l’aide que vous prodiguiez
ouvertement ou officiellement à Savimbi devait être coordonnée, j’imagine,
entre vos Services et les Services américains ?
M. — Non, pas du tout! Sur le terrain,
nous opérions seuls.
O. — A ce moment-là,
Kissinger, le secrétaire d’Etat américain, était sûrement de votre avis ?
M. — Nous étions, en effet, du même avis.
O. — Et il s’est fait
violemment contester par le Congrès.
M. — Un des grands drames de ces dernières
années, c’est que les Services secrets américains étaient tellement ouverts à
n’importe qui que, souvent, ils m’ont recommandé eux-mêmes : « Surtout ne nous
dites rien, parce que nous sommes incapables de garder un secret. Vous le
liriez le lendemain dans le Washington Post ou le New York Times. » C’est ainsi
que Jonas Savimbi a été abandonné pendant longtemps aussi bien par l’Europe que
par les États-Unis. Cet
homme est un géant de l’histoire, non seulement un géant physique, mais un
géant intellectuel et moral. Il venait de temps en temps me voir en Europe ou
au Maroc. J’envoyais un avion le chercher. C’était assez compliqué. Je
ne voulais pas qu’il soit repéré en passant les frontières mais, enfin, c’était
de la routine. Il m’avait dit une fois : «
Ah ! Je ne pourrai jamais vous montrer la situation sur place, quel dommage ! »
Je lui avais répondu : « Vous savez, il
ne faut pas me dire des choses de ce genre parce que vous excitez ma curiosité.
Comme les taureaux ou les grenouilles quand ils voient un chiffon rouge, j’ai
envie de sauter. » Je suis donc allé lui rendre visite un jour dans son
maquis de l’Angola, dans l’un de ses P.C. opérationnels, au Sud, secrètement,
bien sûr. De ma vie, je n’ai vu un tel charisme ! Ses hommes, qui étaient dans
un état de dénuement incroyable, le regardaient comme une divinité. L’emprise
morale, psychologique que cet homme peut avoir sur ces pauvres hères en
guenilles est extraordinaire.
O. — Au-delà du simple
défi, pourquoi prendre le risque d’aller ainsi sur le terrain ?
M. — D’abord pour montrer au président
Savimbi et aux braves qui se battaient autour de lui qu’au moins un pays
occidental, européen celui-là, la France en l’occurrence, s’intéressait à eux
jusqu’au point de venir leur rendre visite. Ensuite, parce qu’il est essentiel,
pour un patron, de passer le premier dans des endroits difficiles. Cela aide
ensuite à dire aux autres : « Allez-y ! »
O. — Vous aviez demandé
l’autorisation du Président Giscard d’Estaing pour cette expédition ?
M. — Non. Je considère que ce genre de
choses faisait partie de mon travail quotidien.
O. — Autrement dit, le
Directeur général du Sdece a disparu pendant plusieurs jours ?
M. — Il disparaissait beaucoup et souvent.
O. — Sans que le chef de
l’État sût nécessairement où le trouver ?
M. — Sans que le chef de l’État eût ce
problème supplémentaire.
O. — Mais admettons
qu’il vous cherchât ?
M. — Eh bien, en admettant qu’il me
cherchât, il ne m’aurait pas trouvé sur-le-champ. Mais on lui aurait expliqué
que j’étais en mission. Voilà.
O. — Pourquoi êtes-vous
allé sur le terrain en Angola et non en Afghanistan ?
M. — Parce que nous ne pouvions pas tout
faire ! La France est un pays de premier plan, non l’un des deux géants. Notre
spécialité a toujours été l’Afrique. Il est relativement simple d’aller en
Angola. L’Angola avait comme chef de sa résistance un seul homme, et non pas
dix ou vingt chefs de tribus qu’il aurait fallu rencontrer. Si j’avais rendu
visite à un chef de la, résistance afghane, les autres auraient été vexés ou
furieux.
J’éprouve une admiration et une affection
sans bornes pour Savimbi. S’il survit, il sera un jour le Président de ce pays
plus vaste que la France et aux possibilités en tous genres, humaines,
minières, agricoles, exceptionnelles. Je crois servir la France et l’Europe en
disant que, si l’on regarde la carte de l’Afrique, on remarquera que nous
pourrions, avec un Angola libre, disposer d’une zone à influence culturelle
française extrêmement forte et qui irait pratiquement de Tanger, du détroit de
Gibraltar, jusqu’à la frontière sud de l’Angola et de la Namibie. Une grande
partie de l’Afrique occidentale serait plus ou moins de culture française.
C’est le côté culturel qui compte. Prenez
l’exemple de l’Espagne et du Portugal. A l’époque de Charles Quint, on disait
que le soleil ne se couchait jamais sur son Empire. Les Italiens n’ont plus de
colonies, comme on disait autrefois. Le Portugal, aujourd’hui, représente cent
trente à cent trente-cinq millions de personnes. Un Portugais peut aller au
Brésil: ils ont une sorte de citoyenneté commune. Un Brésilien au Portugal est
chez lui. Et ne parlons pas de l’Hispanidad. L’Hispanidad représente trois
cents à trois cent cinquante millions de gens qui parlent l’espagnol et qui
sont donc de culture espagnole.
Si un jour — et c’est hélas en train de se
faire — si le français, la langue française disparaît d’une grande partie des
pays traditionnels où nous étions fortement implantés, elle entraînera dans sa
chute la culture française, c’est-à-dire le rôle de la France.
O. — Quel genre d’assistance
avez-vous prodigué à Savimbi? Des armes, des vivres ?
M. — Je me souviens, par exemple, d’une
opération. Cent trente tonnes de fournitures venant de Chine populaire sont
arrivées dans un pays africain de la côte atlantique, où nous les avons conditionnées
en paquets de quinze, vingt kilos, pour qu’on puisse les porter sur la tête
dans les sentiers de la brousse. Un travail de fourmi. Nous les avons acheminés
jusqu’au port de Pointe-Noire, au Congo. De là, nous avons organisé leur
transport, par porteurs, jusque dans la zone de Savimbi.
O. — Qui avait acheté
les fournitures à la Chine ?
M. — C’était un arrangement. Les Chinois
s’intéressent à l’Afrique, en particulier quand il s’agit de contrer les
Russes.
O. — Cette assistance à
Savimbi était-elle coordonnée à l’époque, entre vous et les Sud-Africains ?
M. — Non. Pour aider Savimbi, il fallait à
un certain moment pouvoir passer par l’Afrique du Sud. C’est tout. Il n’y avait
pas tellement de voies d’accès vers l’Angola de Savimbi. Il fallait soit traverser
le Zaïre soit l’Atlantique, ce qui était dur, en raison de la barre. Il n’est
pas facile d’aborder sur la côte. Il fallait ou le consentement des
Sud-Africains, ou qu’ils acceptent de regarder de l’autre côté. Je m’y suis
employé.
(Extrait de «Dans le secret des Princes», Christine Ockrent/Marenches)
Source : Le Temps 5 janvier 2011
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