Une interview de Mme
Josiane Grué, sa mère[1]
Le Point : À partir de quand avez-vous senti poindre chez lui une conscience politique ?
Josiane Grué : En dehors du fait que son métissage lui a fait, parfois, rencontrer le
racisme primaire et prendre conscience assez tôt des problèmes de
discrimination, quelques événements tragiques (comme l'assassinat du jeune Ali
à Marseille par un colleur d'affiches du Front national et d'autres événements politiques
divers) ont éveillé sa conscience politique.
J'ai lu sur Internet que vous étiez
vous-même une citoyenne engagée. Est-ce un trait de famille ? Est-ce qu'on
parlait souvent politique à table ? Bref, êtes-vous pour quelque chose dans son
virage vers la politique et l'engagement en faveur du peuple palestinien, par
exemple ?
J'ai des opinions politiques, mais je ne
suis pas vraiment "engagée". Dieudonné l'est beaucoup plus que moi et
que le reste de la famille. Je ne suis pour rien dans son virage vers la
politique et son engagement pour le peuple palestinien, même si je suis en
accord avec lui sur de nombreux points. Ses expériences de vie, son observation
du monde dans lequel il vit et ses réflexions personnelles sont seules
responsables de son positionnement politique. J'oserais même dire que cette
stupéfiante histoire de lynchage qu'il a vécue ces dernières années (pour un
sketch humoristique à la télé !) a été plutôt formatrice pour moi. J'ai
commencé à m'informer plus sérieusement qu'avant (grâce à Internet) sur les
problèmes de la France et du monde. Je ne peux que l'en
remercier.
A-t-il de l'humour sur lui-même ?
Il suffit d'aller voir ses spectacles
pour comprendre qu'il a un fort sens de l'autodérision. Il ne s'épargne pas !
Une des forces de Dieudonné est justement cette distance étonnante qu'il peut
avoir par rapport aux problèmes de ce monde, y compris les siens. Il y a là une
certaine sagesse, que seuls les gens qui le côtoient régulièrement (ses
spectateurs fidèles par exemple) peuvent percevoir.
Le succès est arrivé et avec lui
l'argent. Comment Dieudonné a-t-il géré sa notoriété subite et son rapport à
l'argent ?
Il a connu en effet une période faste où
l'argent a coulé. Il a toujours gardé son sang-froid par rapport à ça. Quant à
la gestion de sa carrière ou de son argent, indépendant comme il est,
pouvez-vous imaginer que j'ai pu lui donner quelque conseil ?! Il a beaucoup de
fans qui viennent le voir et le féliciter après ses spectacles. Je peux vous
dire qu'il reste très chaleureux, très simple et particulièrement accessible.
Pour résumer, il n'a jamais eu la « grosse tête ». Ses spectateurs
pourraient vous le confirmer.
Sa première participation électorale
remonte à 1997, contre une candidate du FN à Dreux (Mme Stirbois). Comment
expliquez-vous que onze ans plus tard, il demande à Jean-Marie Le Pen de
parrainer sa fille et que le baptême soit effectué par un prêtre
traditionaliste, l'abbé Laguérie ?
Combien de fois faudra-t-il redire aux
médias que Dieudonné n'est pas au Front national et n'a jamais voté pour
celui-ci. Il souhaitait rencontrer différents responsables de partis. Seul Le
Pen lui a ouvert les portes et a accepté de dialoguer avec lui. Ce n'est pas
parce que Dieudonné n'adhère pas aux thèses du FN qu'il n'a pas trouvé quelques
points d'accord avec l'homme Le Pen. Dieudonné est un homme de dialogue depuis
toujours. Il serait prêt à rencontrer n'importe quel extrémiste sioniste. Mais
on a préféré diaboliser Dieudonné (plutôt que de dialoguer avec lui). C'est
plus facile.
Il faut avoir un fort sens de la « dérision »
et une certaine distance philosophique pour comprendre la provocation de
Dieudonné dans cette histoire de baptême. Il s'en explique d'ailleurs dans son
spectacle J'ai fait l'con. Je vous conseille d'aller le voir. Tout cela
fait partie de son œuvre humoristique ! Je n'irais pas jusqu'à dire que j'étais
d'accord avec cette initiative... Mais Dieudonné, c'est Dieudonné.
L'abbé Laguérie est à des milliards de
kilomètres de Dieudonné. Pour comprendre ce décalage énorme, il faut abandonner
un moment la « pensée conforme », le conditionnement psychologique
habituel, et imaginer un Dieudonné qui a dépassé certaines catégories mentales
de la bien-pensance générale. Il voit les choses d'un point de vue situé hors
champ, avec la légèreté de l'homme libre. Ce que vous considérez peut-être
comme un horrible scandale le fait rire. Il n'est marié, ni avec Le Pen, ni
avec Laguérie, ni avec personne, mais il ouvre les frontières... Dieudonné est
avant tout un humaniste et un anti-communautariste. Les frontières
communautaires, ethniques, religieuses l'ennuient profondément. Il n'a de cesse
de les ridiculiser dans ses spectacles. La crispation identitaire de ceux qui
l'attaquent semble s'opposer à cette vision globale.
L'ostracisme dont il est l'objet à la
télé, vous en parle-t-il ? Cela l'affecte-t-il ? Ou bien, au contraire, est-ce
que cela le renforce dans ses convictions et justifie son engagement par
ailleurs ?
Ce qui ne tue pas rend plus fort. Bien
entendu, il a été affecté par cet ostracisme qu'il a vécu comme une injustice
stupéfiante. Desproges est allé plus loin que Dieudonné dans certains sketches
et n'a jamais eu aucun problème. Autre temps, autre liberté d'expression. Cette
expérience, cette connivence politico-médiatique destructrice l'ont, bien
entendu, éclairé davantage sur l'état de notre société.
Vous qui militez contre les oppressions
en général, approuvez-vous toutes les attitudes politiques de votre fils ? Par
exemple, quand il fréquente des personnes qui nient l'existence de la Shoah (je
pense à Faurisson) ou qu'un avion se soit écrasé sur le Pentagone (je pense à
Thierry Meyssan). J'ai du mal à croire que vous puissiez approuver... Ou alors
il y a quelque chose que je n'ai pas compris.
Vous m'attribuez une « militance »
que je n'ai pas ou qui est bien tiède par rapport à tous les besoins de ce
monde. Je suis une retraitée calme et tranquille. Les initiatives de mon fils
me surprennent toujours et je ne peux pas dire que je les approuve, puisque je
sais qu'elles le mettront en danger.
Dieudonné a effectivement fait une
nouvelle provocation en invitant Faurisson au Zénith pour lui remettre non pas
un « prix d'honneur » (comme pourraient le laisser supposer les
commentaires outrés des médias !) mais un « prix de l'infréquentabilité ».
Ce monsieur nie l'existence des chambres à gaz. La loi Gayssot lui interdit
d'affirmer cela, ce qui en fait un personnage infréquentable. Il nie également
l'existence de Gorée, lieu important pour la mémoire de l'esclavage. Mais cela
n'émeut ni les politiques ni les médias. On reproche donc à Dieudonné d'inviter
Faurisson uniquement parce qu'il a osé remettre en cause l'existence des
chambres à gaz. Qu'il ait pu éventuellement nier tous les autres crimes contre
l'humanité, ça n'a aucune importance. Ce qui a sans doute suscité (chez
Dieudonné) l'envie de cette provocation. Dieudonné, quant à lui, n'a jamais nié
les chambres à gaz, mais on ne va sans doute pas tarder à affirmer qu'il les
nie lui-même puisqu'il a osé rencontrer Faurisson. Je m'attends à tout !
Quant à Thierry Meyssan, je signale
qu'il n'est pas le seul à remettre en cause la thèse officielle sur le 11
Septembre. En dehors de Jean-Marie Bigard et de Marion Cotillard, il y a des
centaines d'experts qui ont exprimé leurs doutes avec arguments scientifiques à
l'appui, et des milliers de personnes dans le monde (dont de nombreux
Américains) qui ont vu les différents films (visibles sur Internet) traitant de
ce sujet. Ni Dieudonné, ni moi, ni les autres ne connaissons la vérité. Il est
étonnant que Thierry Meyssan soit, lui aussi, mis au ban de la société (avec
menaces de mort) pour avoir donné son opinion à ce sujet.
Je suis surprise par la facilité
inquiétante avec laquelle les médias peuvent diaboliser et mettre au ban de la
société des personnes qui osent exprimer des opinions contraires aux leurs.
Cela me semble assez inquiétant dans un pays qui se dit « démocratique ».
Je reviens également sur la mémoire de
l'esclavage dont il a fait l'un de ses combats. Noble cause que tout esprit
républicain défendra. Mais Dieudonné ajoute une lecture supplémentaire. Si j'ai
bien lu, il entre dans une compétition victimaire avec d'autres grands malheurs
(la Shoah) et estime qu'il y a « deux poids, deux mesures ». Est-ce
une conviction partagée ? Et comment voulez-vous rééquilibrer le traitement de
toutes les victimes ?
Cette question est complexe. (...)
Dieudonné n'est jamais entré dans une compétition victimaire avec la Shoah.
C'est au contraire quelques représentants de la communauté juive (élites
intellectuelles et médiatiques) qui ont joué cette compétition victimaire.
Comme si le fait de réclamer enfin ce travail de mémoire sur des siècles
d'esclavage et de colonisation allait faire de l'ombre à la mémoire de la
Shoah, qui pourtant ne manque pas de commémorations, films, documentaires,
émissions, livres, etc. Dieudonné n'a jamais nié la Shoah. Y a-t-il deux poids,
deux mesures, me demandez-vous ? Un exemple : il y a des centaines de films
traitant de la souffrance juive pendant la guerre, il n'y a aucun film français
sur l'esclavage. Le deux poids, deux mesures est largement « explosé »
!
Pour finir, si vous deviez citer trois qualités
et trois défauts de votre fils ?
Qualités : digne, courageux, non
violent.
Défauts : têtu, excessif..., je n'arrive
pas à trouver le troisième !
Mme Josiane Grué, la mère de Dieudonné, est
sociologue de formation. Après avoir travaillé durant 30 ans dans l'audiovisuel
d'entreprise, elle est désormais retraitée.
Source : Le Point.fr 03/02/2014
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