Depuis quelques mois, des personnalités
politiques d’envergure rentrent un à un au pays. Certains en fanfare avec
l’appui logistique et médiatique du régime en place à Abidjan. D’autres par
contre, rentrent presqu’en cachette. Ces derniers ont certainement raison,
puisqu’ils sont partis du pays en cachette, sans tambour ni trompette. C’est
une question de logique et de parallélisme des formes. Dans les deux cas, des
amis politiques de longue date de Laurent Gbagbo retournent au pays pour,
disent-ils, répondre à l’appel de Alassane Dramane Ouattara. Celui-ci leur
demande de venir participer au processus de réconciliation nationale. Ceux qui
répondent favorablement à cet appel, ont certainement des raisons respectables
différentes, les unes des autres. Des raisons qui motivent leurs choix. Nous sommes face à une fraction impropre
(pour exemple 10/3 en est une) où le numérateur (10) est plus important que le
dénominateur (3).
Le terme générique de participer à la
réconciliation nationale que Ouattara veut, à tout prix sans Laurent Gbagbo,
constitue le dénominateur commun des raisons qui expliquent officiellement le
choix des exilés politiques qui rentrent en ce moment au pays. Naturellement,
dans cette affaire, le numérateur, de loin le plus important, dépend de plusieurs
paramètres qui sont mis sous silence pour des raisons évidentes. Ces paramètres
sont les suivant :
· Les ambitions politiques personnelles.
Certains se voient déjà ministres dans un gouvernement d’union nationale.
D’autres, candidats à l’élection présidentielle de 2015 alors que la libération
de Laurent Gbagbo doit être un préalable non négociable à la participation du
FPI à cette élection. Il faut laisser Ouattara vaincre sans périr et triompher
sans gloire avec ses Dozos
et Frères Cissé (FRCI).
· Le nombre de biens immobiliers et
d’hectares d’hévéa, de palmier à huile, de cacao, etc. Il y en a qui ont au
moins 1000 à 3000 ha de ces
cultures de rente. Où ont-ils enlevé l’argent pour faire ces
plantations industrielles ? Forcément dans les caisses de l’Etat. Nos parents,
grands-parents ou arrières grands sont tous d’origine paysanne. Il n’y a pas de
tradition de « famille industrielle » en Côte d’Ivoire. Les Billon, Arnaud,
Brevet, Martin, Chirac et autres, sont des Français qui ont épousé des Ivoirienne
et ont construit petit à petit leurs richesses depuis l’époque coloniale.
· Les contenus bien fournis des comptes
bancaires avec la promesse ferme de leurs dégels comme appât alléchant pour les
« gros poissons ». Sur ce sujet, il faut rappeler que trois mois, après
l’arrestation de Laurent Gbagbo par l’armée française, quelques-uns de ses très
proches collaborateurs bien connus, ont choisis sans état d’âme, leurs comptes
bancaires et immenses biens matériels, au détriment de leur bienfaiteur de toujours,
en allant se prosterner au pieds de Ouattara. Il parait que l’un de ces traites
n’aime pas le néologisme pro-Gbagbo. Ce qui est tout à fait normal, puisse
qu’il ne l’est plus. Pro-Gbagbo veut tout simplement dire partisan de Gbagbo,
qu’il soit ancien ou nouveau, FPI ou pas, riche ou pauvre, Ivoirien ou
étranger.
Ouattara a personnellement donné des
garanties aux exilés politiques qui ont de gros intérêts de les retrouver une
fois au pays, son intention étant bien évidemment d’isoler davantage, à tout prix,
Laurent Gbagbo, soutenu par une grande partie des Ivoiriens qui ne jurent que
par lui. Ses amis de la communauté internationale, notamment les Etats Unis
d’Amérique se sont rendus à l’évidence. Ils ont maintenant compris que sans la
libération des prisonniers pro-Gbagbo (environ 650), sans l’implication
directe, de leur leader, sans le retour au pays des exilés politiques et
réfugiés, riches ou pauvres, dans le processus de réconciliation nationale, la
paix en Côte d’Ivoire, à court et long terme, est impossible. Ils savent aussi
que sur le plan sociopolitique, le pays d’Houphouët-Boigny, est assis sur une
grande bombe à retardement, à l’image de ce qui se passe actuellement en
Centrafrique. Malgré les apparences trompeuses de sérénité du régime dictatorial
d’Abidjan, la réalité est implacable. A tout moment, tout peut se dégrader et
la présidentielle qui est déjà proche, peut servir d’élément déclencheur si les
conditions d’un climat de paix ne sont réunies avant cette échéance.
Ouattara sait qu’il fonce tout droit dans
le mûr et sa seule alternative, aujourd’hui, est de faire la paix avec les
partisans de Laurent Gbagbo où qu’ils se trouvent. Il est obligé de libérer
tous les prisonniers et de favoriser le retour des exilés politiques. D’après
son bras droit, Hamed
Bakayoko, même Koné Katinan, porte-parole de Laurent Gbagbo,
qui, il n’y a pas longtemps, a été traqué physiquement et psychologiquement,
pendant deux ans à Accra, peut maintenant rentrer au pays, sans danger. Cette
bonté soudaine et débordante, difficile à croire, souffre naturellement d’une
suspicion légitime.
Dans la situation actuelle, Ouattara doit
certainement regretter d’avoir déporté Laurent Gbagbo à la CPI. L’avenir du
célèbre prisonnier de la Haye, contre qui, la désormais tristement célèbre
procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a du mal à réunir des preuves tangibles,
ne dépend plus de lui. Il est maintenant obligé, malgré lui, d’entreprendre des
négociations directes avec son opposition significative, et de faire des
démarches souterraines pour faire rentrer au pays des cadres LMP et FPI.
Rappelons en passant que dans un passé très récent, les plus « résistants et
dangereux » parmi ces exiles, étaient enlevés et ramenés de force au Dramanistan,
au mépris des règles du droit international, avec des menottes aux bras,
torturés sans état d’âme avec du fer rouge et du courant électrique, à la DST, sous le fallacieux
délit d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Que s’est-il donc passé, entre temps,
pour que Ouattara change du coup, de méthode d’approche pour asseoir son
pouvoir dictatorial. Son attitude actuelle ne peut que s’expliquer par son
impuissance à diriger la Côte d’Ivoire, la pression de la communauté
internationale et la recherche vaine d’une certaine légitimité auprès des
Ivoiriens.
OUATTARA
TOUJOURS A LA RECHERCHE VAINE D’UNE CERTAINE LÉGITIMITÉ.
Après trois ans au palais présidentiel,
Ouattara a toujours du mal à asseoir sa légitimité. Selon Le Petit Larousse, «
la légitimité est la qualité de ce qui est fondé en droit, en justice ou en
équité ». A partir de cette définition, on peut affirmer sans risque de se
tromper que nôtre « Président », n’a jamais eu le droit avec lui, pour la
simple raison qu’il est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat sanglant. Il n’a
pas, par conséquent, la légitimité qui s’appuie sur l’autorité de celui qui est
élu par le peuple. Cette autorité que donne le peuple à son élu, à son leader,
est justement assise sur des bases juridiques, éthiques ou morales. La
légitimité permet donc à l’élu de recevoir le consentement du peuple. Les
Ivoiriens aiment Laurent Gbagbo et il a toujours eu leur consentement car c’est
un homme du peuple. C’est aussi un grand Tribun de la Plèbe.
Depuis le coup d’Etat du 11 Avril 2011,
Ouattara, quant à lui, n’a que le consentement réel de 27 % des Ivoiriens. Ce
chiffre sort des résultats du premier tour de l’élection présidentielle de
2010. Le soutien des militants du PDCI/RDA
qui ont voté pour lui, au deuxième tour, n’était que circonstanciel.
D’ailleurs, aujourd’hui, ils doivent certainement regretter leur choix avec la
politique du « rattrapage ethnique » de Ouattara qui ne privilégie que les
ressortissants du Nord du pays. Les militants du plus vieux parti politique de
notre pays, ont vu la manière arrogante et méprisante, avec laquelle, Ouattara
a géré leur partenariat aux élections législatives, municipales et régionales.
Dans le fond, l’élu de la communauté internationale est toujours à la recherche
de sa légitimité auprès du peuple d’Eburnie dont une partie significative est
en exil en Afrique et en Europe.
Cette frange de la population qui est à
l’extérieur du pays, constitue sans aucun doute, une force politique. Elle met
davantage en mal la légitimité déjà sérieusement effritée du président du
Rassemblement de Républicains (RDR).
Ouattara a aussi, la pression de la France et des Etats Unis qui lui demandent
de créer les conditions d’une paix durable en Côte d’Ivoire. C’est pour cela
qu’il est obligé de faire la chasse aux « grosses têtes » de son opposition en
exil. N’oublions pas qu’avant son virage à 190°, Ouattara est passé par des
intimidations de toutes formes et des tentatives d’assassinats. Pour exemple,
la police ghanéenne en a déjoués une bonne partie. Il y a eu des morts
suspectes à Accra et à Lomé. Les preuves existent et des témoignages ont été
faits dans ce sens. Pour mémoire, un rapport d’experts indépendants des Nations
Unies a parlé des tentatives d’assassinats, il y a quelques mois.
LE RETOUR AU PAYS EST DEVENU UN ACTE POLITIQUE
Ouattara utilise donc tous les moyens
pour atteindre ses objectifs et aujourd’hui, chaque retour au pays d’un cadre
LMP ou FPI, est considéré comme une victoire politique pour lui et son camp,
même si la constitution est claire sur cette question. Aucun Ivoirien ne peut
être contraint à l’exil. Le fait qu’il y a encore de nombreux exilés politiques
et militaires dans les pays de la région ouest africaine, notamment au Ghana,
fragilise le pouvoir d’Abidjan et enlève une certaine légitimité à Ouattara. Le
retour au pays devrait en principe, s’inscrire dans le cadre global des
résultats des discutions de la direction du Front Populaire Ivoirien (FPI) avec
le gouvernement. Ce qui est en ce moment gênant, c’est que le retour au pays
des amis de Laurent Gbagbo se fait de façon individuel et désordonnée. Sur
cette base, il peut être
considéré à juste, comme une trahison de la cause commune qui est la libération
de tous les prisonniers politiques, notamment de Laurent Gbagbo et
l’instauration d’une justice impartiale et d’une véritable démocratie en Côte
d’Ivoire.
Ouattara « pêche de gros poissons » dans
le marigot du célèbre prisonnier de la Haye et parade avec eux dans les
couloirs de la présidence, dans une ambiance de compromissions souterraines. La
direction du FPI ne fait que constater malheureusement les dégâts. Laurent
Gbagbo est encore en détention et ses amis qu’il a pour la plupart « fabriqué
de toute pièce », c’est peu le dire, devraient en principe tenir compte de sa
situation, avant de poser tout acte qui, de toutes les façons ne peut qu’avoir
une connotation hautement politique visible. Ce serait une sorte de
reconnaissance légitime et surtout, une affirmation rassurante des idéaux
qu’ils ont défendus ensemble, avec leur leader qui, soit dit en passant, n’a
jamais reconnu sa défaite à l’élection présidentielle de 2010.
Tout le monde sait qu’en politique tout
est question de rapport de forces. Et justement, au Ghana, la communauté des
exilés, constitue une force extérieure qui pèse lourd dans le dialogue
gouvernement-FPI. Le Dr
Assoa Adou, le responsable politique de cette communauté et son
équipe, au pays de Kwame Nkrumah, en lien avec la direction du FPI à Abidjan
qui a envoyé récemment une mission à Accra et à Lomé, n’a encore donné aucun
mot d’ordre dans le sens du retour au pays. Et c’est une bonne attitude car le
sujet doit être traité politiquement.
De toutes les façons, les exilés et
réfugiés pro-Gbagbo qui, pour la plupart broient du noir dans les camps du HCR,
ne veulent pas rentrer en Côte d’Ivoire, tant que Laurent Gbagbo est encore en
prison et tant que Ouattara est au pouvoir. Deux raisons fondamentales,
intimement liées qui donnent à ces hommes et femmes de conviction, la force
morale et psychologique de résister à toute épreuve, hors de leur pays natal.
Logiquement, le fait de rentrer au pays, est un acte libre et individuel. Mais
aujourd’hui il est devenu politique. Ceux qui considèrent ce retour comme une
haute trahison, ont le droit et la liberté de le juger sur la base de leurs
propres choix qui est celui de rester en exil. Dans les conditions actuelles,
ils ont raison. La Côte d’Ivoire est comme une grande cocotte-minute. La seule solution viable et qui peut
faire baisser la pression en Côte d’Ivoire de façon considérable et durable,
est sans aucun doute, une loi d’amnistie générale et la libération de Laurent
Gbagbo.
Ben Zahoui-Dégbou, géographe, journaliste
spécialiste de géopolitique et de médiation institutionnelle.
(*) - Titre original : « Peut-on en vouloir à ceux qui rentrent
au pays après trois ans d’exil ? »
en maraude
dans le web
Sous cette rubrique, nous vous
proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas
nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en
rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et
aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
Source : Connectionivoirienne.net 2 février 2014
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