mercredi 26 février 2014

ET MAINTENANT, OU ALLONS-NOUS ?[*]

Trois semaines déjà que Magellan Airlines a dépêché son avion sanitaire pour une mission de sauvetage : ramener en catastrophe Alassane Ouattara dans un hôpital parisien en vue d’une opération au nom de code mystérieux : « sciatique ». Bien sûr nous ne saurons jamais si cette opération est liée à des problèmes de santé antérieurs ou si elle est une conséquence de sa vie tumultueuse de président toujours debout, par monts et par vaux, entre ciel et terre. Heureusement que la plupart des voyages rallient Abidjan à la France et que le décalage horaire est supportable. Voilà un peu plus de sept semaines, Ouattara nous faisait un bilan positif de l’année 2013, et nous confiait qu’il entrait dans cette année 2014 le cœur plus léger…  
(Source : Bôlkotch 21-27 février 2014)
Effectivement tous les soutiens extérieurs étaient là : Onuci, Licorne, conseillers, FMI, investisseurs potentiels. Cette année même la BAD promettait son grand retour ; plusieurs  chefs d’Etats étaient attendus pour apporter leur caution au mirage économique de la Côte d’Ivoire, tels des rois mages s’empressant autour de l’élu de la Communauté internationale. Le premier de ces rois, le roi du Maroc est arrivé, mais point de Ouattara à l’horizon. Quelques journalistes avaient même posté des veilleurs à l’aéroport pour guetter le scoop du malade remis sur pieds et être les premiers à diffuser la nouvelle… Mais sœur Anne n’a rien vu venir…
Ouattara est environné d’une nuée de mystère. Opéré une seule fois, son opération de banale sciatique devient une opération de trois heures avec dépose et repose du muscle, en version dozo assisté. Il semblerait que cette opération délicate ait eu des répercussions sur sa mobilité ; fatigué, endolori, il se prépare à une pénible rééducation. Mais son épouse nous le présente retrouvant une convalescence studieuse : il s’est remis à marcher, plein de punch, il reçoit ses collaborateurs, téléphone dans le monde entier.
Puis des bruits courent : il aurait pris l’avion pour une consultation aux Etats-Unis, parce que nous explique-t-on ce sont des chirurgiens américains qui l’avaient opéré il y a dix ans déjà d’un problème de sciatique. Donc nous en déduisons que cette opération n’a rien à voir avec sa longue maladie, qui elle stagne, pareil pour son cœur, où la pile est repartie pour 10 ans, mécanisme chinois ou suisse, de premier choix. Et la rumeur s’est arrêtée, le soufflé est retombé : nous n’avons jamais su comment s’était fait le voyage de retour, si Air Magellan avait été sollicité ou si la navette Discovery avait été louée pour l’occasion. Nous ne saurons pas si cette convalescence aux States – avec deux décalages horaires, un long et pénible voyage, même si le meilleur confort est garanti, et 4 jours de soins intensifs – a été concluante.
Cependant, Ado Solution étant le roi de l’impossible, le voici  de retour, à la fois dans son hôpital parisien où la chambre 517 s’est transformée en cabinet de travail, et pour d’autres, mieux informés, car la nouvelle a été rendue publique par son entourage, la veille de la venue du Roi du Maroc à Abidjan, il recevait Nicolas Sarkozy dans le Sud de la France. Sarkozy en visite, un tête à tête sans frivolité féminine, sans la guitare de Carla, sans les potions et autres colifichets de Dominique qui sortent de son énorme sac de voyage.
Notre première dame est très occupée : pensez donc, à peine rentrée jeudi soir à Abidjan, elle rencontrait le lendemain 2500 femmes à Treichville pour les initier au micro crédit : des prêts allant de  75 mille à 200 mille francs pour les plus chanceuses. « Femme, saisis ta chance contre la pauvreté ! », disait le slogan du jour. Quelle générosité que celle de  dame Ouattara qui puise dans les caisses de l’Etat une aide aux femmes, et de l’autre fait payer aux contribuables tous les soins de son époux, ambulances-taxi en sus ? Face aux dépenses de santé de son époux, ces chèques sont certainement une goutte d’eau dans un océan de dettes. Saupoudré encore de 50 millions de dons en nature distribués pour l’occasion.
Nous ne saurons pas ce que le petit homme à la barbe de trois jours et notre convalescent se seront dit. Aucun photographe pour immortaliser la scène, pas même une photo prise avec le portable dernière génération de l’homme à la Rolex. Ouattara racontera certainement sa visite de Valls, fera gouter un chocolat à Nicolas, une gâterie au grand malade de la République, reçue la veille. Selon le Patriote, un repas et plus de deux heures d’entretien, ont réuni ces deux hommes, au bord de la mer, savourant le clapotis des vagues, les cris des mouettes, suivant le vol des cerfs-volants dans un ciel d’azur. Curieusement le journal le Mandat nous rapporte la même visite à …Paris, peut-être sur les bords de Seine, ou alors un repas sur un bateau mouche… Mais pour Magellan Airlines, ici ou là-bas se résout très vite, ce n’est pas plus long que de traverser Paris en métro aux heures de pointe.
La com de Ouattara ne sait plus qu’inventer. Dominique lors de sa rencontre avec les femmes, donne des nouvelles, on ne peut plus vagues : « Aujourd’hui, il marche à nouveau sans douleur, mais les médecins lui ont exigé une période de repos. Et il me charge de vous dire qu’il rentrera très vite au Pays ». L’émotion lui fait même oublier son français de base. C’est l’empathie avec ses chères sœurs qui le commande. « Il reviendra-z-à Pâques ou à la Trinité » nous dit la chanson de « Marlborough s’en va-t-en-guerre ». Pour nous ce sera un peu plus tôt : Mardi Gras débutant le 4 mars, c’est 10 jours plus tard qu’il devrait faire son entrée, en plein carnaval, lors du lancement du « cabaret du cœur ».
En vertu de la grande ressemblance entre Ibrahima, alias Photocopie et son frère ainé, peut-être nous présentera-t-on un sosie, après une petite retouche à l’œil, la bouche, et dans la démarche, des chaussures adaptées pour le mettre à la bonne hauteur. Pourquoi pas dans une chaise roulante, nous présentant un Prado prêt à concourir avec les sportifs handicapés après Sotchi… Après tout, Sadam Hussein avait bien des sosies. Pourquoi ne pas essayer pendant cette grande messe carnavalesque ?
« Ce sera "le grand cabaret du cœur". Des stars, des personnalités nationales et internationales, sont toutes mobilisées pour qu'au soir du 14 mars, nous puissions réunir la somme nécessaire pour faire de cet hôpital, une véritable référence en la matière. Je voudrais compter sur l'appui de toutes et tous afin qu'ensemble, nous offrions un autre avenir aux enfants d'Afrique » nous dit Dominique. Dans la liste des invités, révélée par Paris-Match, nous retiendrons les noms d'Alain Delon, Richard Berry, Elsa Zylberstein, Noémie Lenoir, Elodie Frege, Miss France 2014 et le professeur Alain Deloche, mystérieux chirurgien cardiaque, président de la Chaîne de l'Espoir et grand communicateur.
Le roi du Maroc a été reçu par Kablan Duncan, puis Soro, protocole oblige. Kablan rayonnait, Soro moins souriant, plus petit aussi, cherchait ses marques, semble-t-il… Mais j’ai eu beau chercher partout, je n’ai aperçu ni Dominique ni son fidèle Bakayoko. Plus tard, l’agenda du roi révélé par la presse marocaine, nous informera que Mohamed VI recevait en audience privée madame Ouattara, chaperonnée par sa fille, à qui elle avait confié ses affaires et ses portefeuilles d'actions avant de se dévouer corps et âme pour la cause de la Côte d'Ivoire, en devenant l’épouse du premier personnage de l’Etat. En sa présence, selon le SerCom de dame Dominique, Mohammed VI aurait même passé un coup de fil au Président Alassane Ouattara à qui il a souhaité de vive voix un prompt rétablissement. Petite pose d'affaires privées entre gens du Maghreb, avant la reprise des préparatifs du gala de Bienfaisance et l’ordonnancement des invités autour des tables. Cela devrait prendre tout son temps, sans compter le suivi de tous les acrobates, illusionnistes et autres bonimenteurs qui interviendront et prendront la parole. 
Quant à Bakayoko, sa tâche est lourde ; il lui faut avancer les pions pour contrer les coups de Soro. C’est pour cela probablement qu’il y a depuis quelques jours çà et là des bruits de kalache, d’obus de mortier. La guerre des gangs se précise.
On raconte que les Américains aussi auraient des exigences dans la transition attendue, Konan Boniface, paraît-il, serait leur choix, un choix bien sûr qui ne plait guère à la France ; selon une émission récente sur RFI, la voix de son maitre, ce serait un vieux général PDCI, qui rêvait déjà de remplacer Bédié à la tête de son parti qui aurait la faveur des Français. Enfin Ouassénan Koné connaitrait son heure de gloire… Et ses crimes sont tout petits, amnistiés, effacés. Car ce qui est bien avec l’amnistie, c’est qu’elle arrange toujours celui qui a les mains les plus ensanglantées…L’amnistie est toujours exigée par l’arrogant de service, celui qui va exiger de sa victime qu’elle s’humilie encore et encore, et demande pardon.
Pensez donc, on peine à mettre sur le dos de Laurent Gbagbo quelques centaines de morts, et on ne trouve personne à qui imputer les autres pour arriver au chiffre de 3000 ! Mais surtout, il ne faut jamais évoquer Duékoué ou Nahibly sous réserve de fâcher et d’attrister les tueurs, parce que vous ne voulez pas demander pardon. Vous, les rescapés, les descendants des victimes, vous n’avez pas encore demandé pardon. Le processus de réconciliation est bloqué, c’est Joël N’Guessan, porte-parole du RDR qui nous le dit, tout le monde pardonne, parce que la vérité est toujours  à mi-chemin, le bourreau n’existe pas sans sa victime, mais la victime arrogante veut toujours salir son bourreau.

Et maintenant, où allons-nous ?

La Convention du FPI a mobilisé plusieurs milliers de personnes, terminant en apothéose dimanche avec au moins 30000 personnes. Bakayoko n’a pas osé jouer les trouble-fête, juste quelques casseurs programmés à la fin du meeting pour tenter de salir et abîmer…
Alors que l’on enregistre des demandes de visa pour l’étranger, presque mille en une semaine pour les rattrapés, bientôt rattrapés par leur passé, une ambiance fin de règne plombe les ténors du gouvernement, seul le premier ministre continue d’officier sereinement ; il s’en sort plutôt bien, il a essayé de son mieux de soutenir Ouattara, mais n’apparaît pas encore comme un autre conspirateur, à rajouter aux trois mousquetaires de l’ombre qui se mettraient alors en quatre pour mieux servir la France.
Aujourd'hui Dominique devrait repartir, afin de jouer les garde-malades auprès de son cher époux. Les consignes de prudence circulent. Il y a des bruits d’armes un peu partout, les étudiants retrouvent leur vigueur et refusent les conditions qui leurs sont faites. Demain la grève continue. Demain sera peut-être calme, comme il peut exploser de ce trop-plein accumulé par les Ivoiriens depuis si longtemps. Demain circuleront de nouvelles anecdotes, nous racontant les péripéties de Ouattara dans sa chambre d’hôpital, sa rééducation à Mougins, sa visite au Pape peut-être, ou un cierge brûlé à Lourdes, en présence de la très pieuse Dominique.
C’est sûr, le Prado va bien, tout le monde le dit, la rumeur passe d’un journal à l’autre, on y rajoute un élément on en enlève un autre, on change le lieu, l’heure, les protagonistes, et tout cela nous fait des journées bien chargées… Une chose est sûre, Ouattara ne nous a pas habitués à manquer les flatteries, les rencontres, les beaux discours, les décorations. Nous faire croire que tout va bien, qu’il est simplement en cure de repos et de jouvence, ne va pas nous satisfaire.
Julia Timochenko, opérée également d’une sciatique, est apparue à Kiev aujourd’hui en chaise roulante, quelques années après son opération. Alors le verbiage rassurant de madame Ouattara ne nous contente guère. Si le président a toute sa tête et qu’il revienne en fauteuil roulant, pourquoi pas, le président Franklin Delano Roosevelt avant lui, avait déjà connu une maladie invalidante ; ce n’est pas une honte : au contraire, face à la maladie, même le capital sympathie d’un affreux méchant augmente.
Mentir comme un arracheur de dents n’arrangera pas le sourire de madame Ouattara : parce que le sourire n'engage pas, n'engage plus, c'est un rictus, un jeu de muscles plus ou moins réussi, qui dure le temps de la com, le temps de la photo souvenir, le temps d'ouvrir ses lèvres sur une rangée de dents impeccables, et que l'onde de choc « sourire » aille chatouiller les oreilles, avant de revenir et de se dissiper. Ce sourire commercial n'atteint plus le regard, il n'appelle plus à la compassion, à l'affection, à la tendresse... « Com des com, tout n'est que com », dirait l'Ecclésiaste s'il vivait de nos jours.
Face à un homme que les forces abandonnent, alors que le plan B n’est pas encore boulonné, pourquoi ne pas présenter quelques photos, même relookées, pour rassurer les Ivoiriens, et décourager la rumeur. Oui l’avis des Ivoiriens est mitigé, ils ont été habitués au respect et à la parole d’honneur. Qu’on ne leur mente plus sur l’état réel du président Ouattara, comme pour l’argent qui travaille sans circuler. Si Ouattara est au travail, alors qu’on puisse le voir circuler. Le second exemple validera par là même le premier.

Shlomit Abel
 

 
en maraude dans le web
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Source : La Dépêche d'Abidjan 25 Février 2014

([*]) - Titre original : « Magellan ubiquiste »
 
Bôlkotch 21-27 février 2014

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