Si l’aventure était à refaire, nombreux seraient les
députés de la deuxième législature qui réfléchiraient au moins par deux fois
avant de se présenter à des élections législatives.
Le désenchantement est palpable ! Et le discours
de Guillaume Soro, le 20 décembre 2013, à l’occasion de la clôture de la
deuxième session ordinaire du Parlement, n’aura pas changé grand-chose dans le
regret que les parlementaires ont du sort qui est le leur. C’est que beaucoup
parmi ces élus ne savaient que peu de chose sur leur statut de député. C’est
une fois élus qu’ils commencent à réaliser qu’en termes de traitement ou
d’avantages, il n’y a pas de quoi réaliser leurs rêves. « Ce serait vous mentir, si je dis que je ne regrette pas la
situation que je vivais avant de devenir député », confie un président
de groupe parlementaire. Ce que pleure notre interlocuteur, ce sont les
avantages qu’il tirait de la fonction qu’il occupait dans l’administration. « A cause des incompatibilités, j’ai dû
quitter ce poste pour répondre à l’appel de mon parti qui avait besoin de moi
pour briguer un poste de député », s’explique-t-il. Cet élu n’est pas
seul à parler de ses remords à qui veut l’écouter. Un autre, issu du parti au
pouvoir, le Rassemblement des républicains (Rdr), d’une circonscription au
centre du pays, n’est pas moins désenchanté : « Si je savais que cette affaire était aussi compliquée, j’aurais
opté pour un poste de maire ou j’aurais continué à mener tranquillement mes
activités comme par le passé. J’ai postulé sans savoir qu’il y avait autant de
difficultés. Certes le poste de député paraît plus prestigieux, mais les
contraintes qui vont avec sont énormes. Chaque jour, ce sont des milliers de
sollicitations que vous recevez et vous devez y faire face parce que la plupart
d’entre elles viennent de vos électeurs. Or comme le répète le président de
l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, le bon député, c’est celui qui se fait
réélire. Comment pensez-vous que nous puissions nous faire réélire, si nous
abandonnons nos électeurs ? L’équation est vraiment difficile à résoudre»,
avance ce parlementaire. Selon lui, le problème crucial qui se pose aux
députés, c’est donc leur présence aux côtés de leurs mandants. « Depuis l’adoption des lois sur la
nationalité, le foncier et l’apatridie, le président Soro nous a mis en
mission. Il nous a demandé d’aller sensibiliser nos populations. Mais
voyez-vous, pour aller à la rencontre de ces populations, je dois dépenser
l’équivalent de 510.000 FCfa dans le carburant seulement, sans compter les dons
que je dois envoyer aux chefs traditionnels et l’argent que je dois prévoir
pour les cas sociaux qui me seront posés, lors de la tournée », raconte cet
édile qui dit avoir déjà cassé une voiture dans ces déplacements. « Elle n’était pas adaptée aux routes
qui conduisent à ma circonscription. Depuis lors, je suis contraint de me
déplacer en taxi à Abidjan et de prendre le transport en commun, quand je dois
retourner vers mes électeurs. Nous devrions avoir des véhicules, mais
jusque-là, le projet est resté au stade de la promesse », relate-t-il.
« Vraiment, c’est dur ! Nous
avons énormément dépensé lors de la campagne, mais comme si nous ne sommes pas
au bout de notre peine, les conditions de travail laissent aussi à désirer. Et
en plus, quand le président de la République doit se déplacer dans nos régions,
nous sommes appelés à mettre la main à la poche pour les préparatifs. Quand il
y a une activité de grande envergure dans la région, nous devons être présents.
Or, nous n’avons pas de budget prévu pour cela. Ce qui n’a rien à voir avec la
contribution que nous devons apporter pour le fonctionnement de notre parti. Et
comme si les dépenses ne suffisaient pas, il nous faut encore mettre la main à
la poche pour rémunérer l’assistant-parlementaire. Ça fait trop de
dépenses », témoigne un autre élu issu de l’Union pour la démocratie
et pour la paix en Côte d’Ivoire (Udpci). Ce que confirme un autre député du
Rdr d’une circonscription du Nord. « Conformément
à la loi, nous ne pouvons pas mener d’autres activités aussi bien dans
l’administration publique que dans le privé, sauf peut-être à démissionner. Il
est vraiment difficile pour les députés de joindre les deux bouts quand ils
sont obligés de dépenser presque trois fois ce qu’ils perçoivent comme
émoluments », renseigne ce représentant du Rdr. Ce qui en rajoute,
selon le député Udpci, c’est ce qu’il qualifie de ruse de la part de certains
élus du Rdr, selon lui plus nantis. « Quand
bien même la loi sur l’incompatibilité le proscrit, les uns sont dans les
conseils d’administration de sociétés publiques ou privées et les autres
continuent leurs affaires ou sont dans les mairies, les conseils régionaux,
etc. », fait-il remarquer. « En
plus, certains parmi eux rusent avec le Parlement où ils ne siègent
pratiquement plus. C’est surtout vrai pour ceux qui sont sortis du
gouvernement. Ils ont laissé la place à leurs suppléants, alors que le verrou
qui les empêchait de siéger, a sauté. Ils préfèrent aller vaquer à leurs occupations
qui leur rapportent plus que les frais de session qui s’élèvent à 500.000 FCfa
par jour pour les sessions ordinaires et 50.000 FCfa pour les sessions
extraordinaires comme celles qui se tiennent actuellement. Au Cameroun qui a
pratiquement le même niveau de vie, c’est 150.000 FCfa qu’on paie aux députés,
lors des sessions extraordinaires. Pour vous donner une idée de la
désaffection, il n’y a qu’à voir les 41 absences enregistrées lundi dernier, à
l’ouverture de la session extraordinaire », ajoute-t-il avant de
plaider : « le président Soro a pris
le dossier du statut des députés en main, mais selon nos informations, il n’y a
rien à en attendre cette année. Nous espérons que quelque chose se fera pour
l’année prochaine parce que les députés ivoiriens souffrent. Ils travaillent
autant sinon plus que les ministres, mais ceux-ci sont mieux traités. On a
l’impression que l’exécutif est contre l’émancipation des députés. Si on ne
fait rien, il ne faut pas être surpris de voir des députés habiter dans des bidonvilles
et se déplacer dans les gbakas (véhicules de transport en commun, ndlr) ».
Marc
Dossa
en maraude
dans le web
Sous cette rubrique, nous vous
proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas
nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en
rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et
aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
Source : Nord Sud Quotidien 20 février 2014
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