vendredi 21 février 2014

LE BLUES DES MANGECRATES…

Si l’aventure était à refaire, nombreux seraient les députés de la deuxième législature qui réfléchiraient au moins par deux fois avant de se présenter à des élections législatives.
Le désenchantement est palpable ! Et le discours de Guillaume Soro, le 20 décembre 2013, à l’occasion de la clôture de la deuxième session ordinaire du Parlement, n’aura pas changé grand-chose dans le regret que les parlementaires ont du sort qui est le leur. C’est que beaucoup parmi ces élus ne savaient que peu de chose sur leur statut de député. C’est une fois élus qu’ils commencent à réaliser qu’en termes de traitement ou d’avantages, il n’y a pas de quoi réaliser leurs rêves. « Ce serait vous mentir, si je dis que je ne regrette pas la situation que je vivais avant de devenir député », confie un président de groupe parlementaire. Ce que pleure notre interlocuteur, ce sont les avantages qu’il tirait de la fonction qu’il occupait dans l’administration. « A cause des incompatibilités, j’ai dû quitter ce poste pour répondre à l’appel de mon parti qui avait besoin de moi pour briguer un poste de député », s’explique-t-il. Cet élu n’est pas seul à parler de ses remords à qui veut l’écouter. Un autre, issu du parti au pouvoir, le Rassemblement des républicains (Rdr), d’une circonscription au centre du pays, n’est pas moins désenchanté : « Si je savais que cette affaire était aussi compliquée, j’aurais opté pour un poste de maire ou j’aurais continué à mener tranquillement mes activités comme par le passé. J’ai postulé sans savoir qu’il y avait autant de difficultés. Certes le poste de député paraît plus prestigieux, mais les contraintes qui vont avec sont énormes. Chaque jour, ce sont des milliers de sollicitations que vous recevez et vous devez y faire face parce que la plupart d’entre elles viennent de vos électeurs. Or comme le répète le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, le bon député, c’est celui qui se fait réélire. Comment pensez-vous que nous puissions nous faire réélire, si nous abandonnons nos électeurs ? L’équation est vraiment difficile à résoudre», avance ce parlementaire. Selon lui, le problème crucial qui se pose aux députés, c’est donc leur présence aux côtés de leurs mandants. « Depuis l’adoption des lois sur la nationalité, le foncier et l’apatridie, le président Soro nous a mis en mission. Il nous a demandé d’aller sensibiliser nos populations. Mais voyez-vous, pour aller à la rencontre de ces populations, je dois dépenser l’équivalent de 510.000 FCfa dans le carburant seulement, sans compter les dons que je dois envoyer aux chefs traditionnels et l’argent que je dois prévoir pour les cas sociaux qui me seront posés, lors de la tournée », raconte cet édile qui dit avoir déjà cassé une voiture dans ces déplacements. « Elle n’était pas adaptée aux routes qui conduisent à ma circonscription. Depuis lors, je suis contraint de me déplacer en taxi à Abidjan et de prendre le transport en commun, quand je dois retourner vers mes électeurs. Nous devrions avoir des véhicules, mais jusque-là, le projet est resté au stade de la promesse », relate-t-il. « Vraiment, c’est dur ! Nous avons énormément dépensé lors de la campagne, mais comme si nous ne sommes pas au bout de notre peine, les conditions de travail laissent aussi à désirer. Et en plus, quand le président de la République doit se déplacer dans nos régions, nous sommes appelés à mettre la main à la poche pour les préparatifs. Quand il y a une activité de grande envergure dans la région, nous devons être présents. Or, nous n’avons pas de budget prévu pour cela. Ce qui n’a rien à voir avec la contribution que nous devons apporter pour le fonctionnement de notre parti. Et comme si les dépenses ne suffisaient pas, il nous faut encore mettre la main à la poche pour rémunérer l’assistant-parlementaire. Ça fait trop de dépenses », témoigne un autre élu issu de l’Union pour la démocratie et pour la paix en Côte d’Ivoire (Udpci). Ce que confirme un autre député du Rdr d’une circonscription du Nord. « Conformément à la loi, nous ne pouvons pas mener d’autres activités aussi bien dans l’administration publique que dans le privé, sauf peut-être à démissionner. Il est vraiment difficile pour les députés de joindre les deux bouts quand ils sont obligés de dépenser presque trois fois ce qu’ils perçoivent comme émoluments », renseigne ce représentant du Rdr. Ce qui en rajoute, selon le député Udpci, c’est ce qu’il qualifie de ruse de la part de certains élus du Rdr, selon lui plus nantis. « Quand bien même la loi sur l’incompatibilité le proscrit, les uns sont dans les conseils d’administration de sociétés publiques ou privées et les autres continuent leurs affaires ou sont dans les mairies, les conseils régionaux, etc. », fait-il remarquer. « En plus, certains parmi eux rusent avec le Parlement où ils ne siègent pratiquement plus. C’est surtout vrai pour ceux qui sont sortis du gouvernement. Ils ont laissé la place à leurs suppléants, alors que le verrou qui les empêchait de siéger, a sauté. Ils préfèrent aller vaquer à leurs occupations qui leur rapportent plus que les frais de session qui s’élèvent à 500.000 FCfa par jour pour les sessions ordinaires et 50.000 FCfa pour les sessions extraordinaires comme celles qui se tiennent actuellement. Au Cameroun qui a pratiquement le même niveau de vie, c’est 150.000 FCfa qu’on paie aux députés, lors des sessions extraordinaires. Pour vous donner une idée de la désaffection, il n’y a qu’à voir les 41 absences enregistrées lundi dernier, à l’ouverture de la session extraordinaire », ajoute-t-il avant de plaider : « le président Soro a pris le dossier du statut des députés en main, mais selon nos informations, il n’y a rien à en attendre cette année. Nous espérons que quelque chose se fera pour l’année prochaine parce que les députés ivoiriens souffrent. Ils travaillent autant sinon plus que les ministres, mais ceux-ci sont mieux traités. On a l’impression que l’exécutif est contre l’émancipation des députés. Si on ne fait rien, il ne faut pas être surpris de voir des députés habiter dans des bidonvilles et se déplacer dans les gbakas (véhicules de transport en commun, ndlr) ». 

Marc Dossa

 
en maraude dans le web
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Source : Nord Sud Quotidien 20 février 2014

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