Avril 2011.
Laurent Gbagbo vient d’être fait prisonnier. Alassane Ouattara peut enfin
sortir de sa tanière du Golfe hôtel pour tenir son speech de « président
reconnu par la communauté internationale ». Devant lui, une forêt de micros.
Des flashes d’appareils photos, sans cesse, le mitraillent. Des journalistes
accourus pour couvrir l’évènement se jouent des coudes afin de ne rater aucune
de ses paroles. Des ruines encore chaudes de la résidence présidentielle,
s’élèvent les fumées noires des bombes françaises. Flottent encore à nos
narines, l’odeur insupportable de corps en putréfaction jonchant les rues
d’Abidjan. Une horde de rebelles tueurs vient de s’abattre sur la capitale.
Nous assistons, spectateurs ahuris, au dénouement brutal et sanglant d’un contentieux
électoral en Côte d’Ivoire.
Dans plusieurs
quartiers d’Abidjan, c’est la stupeur totale. Les habitants sont encore
tétanisés par la peur. Les hommes d’Alassane Ouattara contrôlent la ville. Par
contre, dans d’autres
Warifatchè
& Warifamousso,
alias Président Alassane-Dominique
Ouattara, dit ADO
|
quartiers, c’est la liesse. Les djembés* ont été sortis.
Leurs sons sont assourdissants. Les quelques partisans d’Alassane Ouattara,
sortis pour manifester leur joie, se trémoussent au rythme endiablé des
djembés*. « Pissanci, Ado pissanci, a
mâgni dêh* ! ». Peut-on entendre de la foule surexcitée et dont le champion
vient de s’emparer du pouvoir.
Les premiers
mots du chef du parti à la case sonnent encore à nos oreilles comme si c’était
hier : deux cargos de billets de banque de la série ‘’A’’ en provenance de la
BCEAO, sont en route. Le wari-fatchè*
a parlé. Le pays sera inondé d’espèces sonnantes et trébuchantes. Si bien que
ses partisans grisés par les paroles de leur champion, mirent en veilleuse
leurs diverses activités économiques pour dresser çà et là des bâches, afin de
s’adonner, des mois durant, à de pompeuses festivités, en l’honneur d’Alassane
Ouattara, « l’homme qui sait chercher l’argent », « le prophète aux pluies de
milliards »…, selon eux.
Deux ans après,
l’ardeur des premiers instants semble être retombée. Ces militants naguère
enthousiasmés, sont revenus de leurs illusions. Le refrain « Ado la solution »,
sonnent désormais à leurs oreilles, comme une grave injure. « Ado pissanci », leur est resté en
travers de la gorge, semble-t-il. La réalité est que l’argent ne circule plus.
Mais, il « travaille », soutien-ton, du côté du palais présidentiel. Pourtant,
la situation socio-économique des ivoiriens vit ses heures les plus sombres.
Rien ne marche ou, du moins, rien ne marche plus comme avant, constatent amers,
de nombreux ivoiriens. Personne n’est épargné. Même du côté des supporters au
slogan : « Ado solution ». La misère bat son plein. La pauvreté asphyxie ses
victimes. Pendant que le (presque) nouveau chef prétend faire émerger le pays
et prévoit une croissance à deux chiffres. Le panier de la ménagère reste
désespérément vide et les poches, plus que jamais trouées. Le « chef » et son
gouvernement recommandent la patience en nourrissant leurs pauvres concitoyens
de promesses à n’en point finir. Rien que de promesses.
Au nombre des
martyrs de la crise socio-économique, oh surprise, les fonctionnaires ! Qui
l’eût cru ? La grogne a fini aussi par gagner cette frange de la population
ivoirienne. On les croyait à l’abri. Que non !…
Chez les
fonctionnaires de Côte d’Ivoire, les fins de mois passent, mais ne se
ressemblent pas. En fait, chez ces braves serviteurs de l’Etat, la question du
virement des salaires ressemblent plus à un jeu de loterie. Si bien que les
moments de paiement des salaires sont attendus avec beaucoup d’appréhension.
Sous Ouattara, il faut désormais attendre le tout dernier jour du mois ou le
premier du prochain, avant de se hasarder au distributeur automatique ou se
présenter devant sa caissière de banque. Les virements ne sont plus faits avec
la même célérité et la même régularité que sous l’ancien régime. Encore que,
d’une banque à une autre, les réalités différent.
A la SGBCI
(société générale de banque en Côte d’Ivoire), par exemple, une banque qui,
pour soutenir Ouattara, ferma ses portes aux Ivoiriens, la crise est encore
plus profondément ressentie. Or, la filiale de banque française revendique plus
de 40% de la masse salariale, soit plus de 35 milliards de F CFA de salaires en
Côte d’Ivoire.
Spectacle de fin
de mois à la SGBCI :
Au Plateau, une
impressionnante foule a pris d’assaut le siège de cet établissement financier.
Longues files. Des clients de la banque sont assis à même le sol, sur les
marches, à l’entrée du bâtiment. Mines d’enterrement, agacements et colères se
lisent sur les visages. Les guichets ne marchent pas, ou du moins, ils refusent
de donner aux usagers leurs dus, commente un client. Depuis des heures, les
plus courageux font le pied de grue. D’ailleurs, ont-ils le choix ? D’autres
sont priés d’aller voir leurs gestionnaires, pour espérer toucher
l’hypothétique salaire. Malheur à eux, si leurs comptes sont domiciliés hors
d’Abidjan. Faudrait pouvoir assurer les frais du voyage.
Approchés, les
responsables de ladite banque se cachent derrière un tas de raisons : un
nouveau système en cours d’expérimentation occasionnerait les pannes des
machines ; il y aurait un problème de réseau ; ou encore une grève des
employés, en cours, etc.
Quelque soient
les raisons évoquées, le constat qui s’impose d’emblée est le suivant : un
manque criard d’argent. « S’il y en (l’argent, ndlr) avait suffisamment, nous
n’en serions pas là », vocifère un habitué de la banque.
Les banques
refuseraient-elles de payer les fonctionnaires, sous prétexte que l’Etat de
Côte d’Ivoire, version Ouattara, leur doit de l’argent ? Peut-on se demander.
Toujours est-il
que la rareté des billets de banque touche le pays tout entier. Ces sont les
ivoiriens, dans leur ensemble qui, malheureusement, constatent que l’argent ne
circule plus. Or, monsieur Ouattara et son clan soutiennent mordicus que : «
l’argent travaille ». Mais où ? Ou alors, à quoi travaille cet argent pendant
que souffrent les ivoiriens ?
Il est temps,
grand temps que l’on demande à monsieur Ouattara de s’expliquer sur cette
situation qui ne cesse de créer tristesse et désolation au sein des braves
populations ivoiriennes. Bien évidemment, nous en laisserons le soin à ses
suiveurs. Eux sauront surement trouver, à travers leurs déceptions et
désillusions encore plus grandes que celles des autres, les mots justes pour le
faire. On imagine leur toute première question. Elle sera certainement du genre
: « Ouattara-tchè*, wari bémi ? ».
Marc Micael, Chroniqueur politique
*Wari bémi ? = où est l’argent ?
*Le djembé = instrument de percussion africain
* Ado pissanci, a magni dêh ! = La puissance d’Ado
est terrible !
*Le wari-fatchè* = l’argentier
*Ouattara-tchè* = monsieur Ouattara
en maraude
dans le web
Sous cette rubrique, nous vous
proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas
nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en
rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et
aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
Source :
CIVOX. NET 9 Novembre 2013
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