mercredi 22 janvier 2014

HOMMAGE à AMILCAR CABRAL


 
Né en Guinée Bissau, devenu ingénieur agronome au Portugal, Amilcar Cabral fonda le PAIGC (Parti Africain pour l'Indépendance de la Guinée et du Cap Vert), le parti de libération de la Guinée, avant d'être assassiné en Guinée Conakry en 1973.
Amilcar Cabral est né le 12 septembre 1924 à Batafa, en Guinée Bissau, qui est alors une colonie portugaise. Il est le fils de Juvénal Cabral (originaire du Cap-Vert), enseignant dans une école élémentaire. Sa mère, Iva Pinhel Evora travaille comme couturière pour aider la famille. Bon élève, Cabral achève ses études secondaires en 1943, à Mindelon, sur l’île de San Vincente.
En 1945 il obtient une bourse et va poursuivre des études d’agronomie à Lisbonne, la capitale du Portugal où il restera jusqu’en 1952. D’une personnalité attrayante et ouverte, Cabral se fait facilement des amis et rencontre à Lisbonne un certain nombre de personnes qui joueront plus tard un grand rôle dans les luttes d’indépendance de l’Afrique australe et lusophone. Il s’agit notamment de Mario de Andrade, d’Agostinho Neto, de Viriato Da Cruz (qui deviendra le 1er secrétaire du MPLA), d’Eduardo Mondlane (fondateur du Frelimo), Marcelino Dos Santos, Vasco Cabral...etc
Cabral profite de ces années pour ouvrir ses horizons, lire et réfléchir sur la condition des africains. Cabral et ses amis sont aussi influencés par les idées « révolutionnaires » de par leurs lectures et leurs rencontres. En 1949, Cabral retourne au Cap Vert pour des travaux d’été, donne plusieurs conférences et commence à avoir pour leitmotiv de rendre les Cap-Verdiens conscients des problèmes auxquels leur société fait face. Il est pour lui essentiel que l’homme de la rue soit éduqué, bien informé. Une avant-garde intellectuelle doit se créer pour faire sortir de l'ignorance ceux des Cap Verdiens qui y sont. Mais les autorités coloniales portugaises lui interdisent vite de donner des conférences. De retour au Portugal, Cabral se met en relation avec d’autres étudiants issus des colonies portugaises, et entreprend une quête identitaire, la « réafricanisation des esprits ». Cette quête se matérialise par la création du « Centro de Estudos Africanos » (Centre des Etudes Africaines), un centre qui joue un rôle non négligeable dans la formation des futures organisations politiques des colonies portugaises.
En 1950, Cabral est diplômé d'agronomie et commence une période d'apprentissage au centre d’agronomie de Santarem. En 1952, il retourne en Guinée Bissau pour les services de l'agriculture et des forêts de Guinée portugaise. Le retour de Cabral en Guinée Bissau n’est pas dû au hasard. Il a en effet eu la possibilité de travailler dans d'autres colonies portugaises et au Portugal. Mais il a une idée en tête : contribuer à l’amélioration des conditions de vie de son peuple, et mettre fin à la domination coloniale portugaise. Il dirige rapidement le centre agronomique de Bissau.
En 1953, Cabral entreprend le recensement agricole de la Guinée, un travail colossal grâce auquel il s’imprégne de la réalité profonde du pays, ce qui lui permettra aussi plus tard de mettre en place une stratégie de mobilisation adaptée à la vie en Guinée Bissau.
En 1955, le gouverneur lui demande de quitter la Guinée Bissau et d’aller travailler en Angola. Cabral en profite pour prendre contact avec les groupes et les formations qui formeront le futur MPLA (Mouvement pour la Libération de l’Angola). En 1956, il est de retour et effectue des travaux agronomiques considérables sur la culture de la canne à sucre et le coton. Le 19 septembre 1956 Cabral et cinq de ses compagnons parmi lesquels Luiz Cabral, son demi-frère (futur président de la république de Guine-Bissau), Aristide Perreira (futur président de la république du Cap-Vert), Abilio Duarte (futur ministre et président de l’Assemblée nationale du Cap-Vert) fondent le parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap Vert (PAIGC). La Guinée est alors régie par le code de l’Indigénat qui établit une discrimination raciale de fait. Le parti fondé par Cabral est une organisation clandestine qui ne va acquérir de statut légal que quatre ans plus tard lorsqu’une délégation du PAIGC à Conakry, dans la Guinée de Sékou Toure.
En novembre 1957 Cabral rencontre à Paris Viriato Da Cruz, Mario De Andrade, et Marcelino Dos Santos, pour faire le point sur l’évolution de la lutte dans les colonies portugaises. Puis Cabral organise clandestinement le PAIGC en Guinée. Le parti se concentre d’abord sur la population urbaine, qu’il considère à cette époque comme le moteur de la révolution, en créant des cellules clandestines et un mouvement syndical. Le 3 août 1959, le PAIGC connaît une défaite importante puisqu’une grève d’ouvriers est réprimée (une cinquantaine de victimes) et une grosse partie de l’infrastructure du parti est démantelée. Cabral décide alors de réorganiser le PAIGC en mobilisant prioritairement les campagnes. C’est un grand changement dans l’orientation du parti qui provient de l’observation des réalités du terrain, de la prise en compte des revers subis et d’une meilleure connaissance du processus des luttes de libération.
En janvier 1960, Cabral assiste à la seconde conférence des peuples africains à Tunis, et se rend à Conakry en mai. Il se rend également à une conférence internationale à Londres en juin où il dénonce pour la première fois publiquement le colonialisme portugais (cette dénonciation sera publiée en Angleterre sous le titre de « Facts about portuguese colonies », signée sous son pseudonyme, Abel Djassi). Il affirme cependant clairement, comme il le fera tout au long des années de bataille qu’il se bat contre le système colonial instauré par le Portugal, et non contre le peuple portugais. A la même époque, le FRELIMO (Front de Libération du Mozambique) est créé.
 Au début des années 60, le PAIGC opère à partir de la république de Guinée Conakry. Il prépare les militants et les membres du parti à étendre son action en Guinée-Bissau afin de continuer à construire les cellules et l’infrastructure clandestines. Il cherche également à obtenir le soutien des pays voisins (Guinée Conakry, Sénégal). En 1962, il se rend à l’ONU à New-York afin de présenter un mémoire sur le colonialisme portugais en Guinée.
En 1963, la guérilla éclate avec une attaque du PAIGC dans le sud de la Guinée Bissau. Le PAIGC met en place un front nord en juillet, ce qui oblige les portugais à se battre sur deux fronts. Rapidement, le PAIGC contrôle le sud du pays. L’année suivante, Cabral préside un congrès du PAIGC en région libérée, puis en mai participe à un séminaire organisé par le centre Frantz Fanon de Milan où son analyse et ses interventions commencent à le faire connaître. En 1964-1965 le PAIGC met en place dans les régions libérées de nouvelles structures politico-administratives.
C’est en janvier 1966 que Cabral participe à la conférence tricontinentale de La Havane où est créée l'organisation de solidarité des peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique Latine. Cette conférence marque l’accession de Cabral comme dirigeant révolutionnaire majeur en Afrique et grande figure de la révolution dans les pays du tiers monde. Son intervention analyse la naissance, les objectifs et le développement des luttes de libération dans le tiers-monde. Il analyse également le rôle ambivalent joué par la bourgeoisie, qui est à la fois « agent du colonialisme et agent de la révolution ». Pour Cabral, cette petite bourgeoisie « doit être capable de se suicider comme classe pour renaître comme travailleurs révolutionnaires, entièrement identifiée aux aspirations les plus profondes du peuple auquel elle appartient. »
En 1968, le PAIGC contrôle les deux tiers de la Guinée-Bissau, a renforcé son infrastructure politique et administrative (création de « magasins du peuple » pour fournir les populations libérées en produits de première nécessité), ainsi que de brigades mobiles chargées d’encadrer la population. Le PAIGC met en place dans certaines régions les bases d’une structure étatique (création d’écoles, amélioration de postes sanitaires, amélioration de la condition féminine…). Cabral élabore déjà le processus qui quatre ans plus tard amènera la Guinée Bissau à proclamer unilatéralement son indépendance.
A partir de 1969 Cabral mène une intense activité diplomatique : en janvier il se rend au Soudan où se tient une conférence de solidarité avec les peuples des colonies portugaises. En avril, il est devant la commission des Droits de l’homme de l’ONU où il dénonce une fois de plus le colonialisme portugais. Il est de retour sur le terrain à Conakry en novembre où il dirige un séminaire de formation des cadres du PAIGC. Il traite notamment des problèmes de l’héritage magico-religieux des sociétés africaines, du poids des croyances du passé et de l’emprise des mentalités traditionnelle, notamment sous l’angle de la magie.
Les portugais devant l’ampleur de l’avancée militaire et de l’activité diplomatique de Cabral ont entrepris de réagir en déployant de gros moyens militaires, en africanisant la guerre par incorporation massive d’africains dans les troupes portugaises, en accordant des promotions aux élites traditionnelles qui collaborent avec eux. Les portugais entreprennent également d’améliorer les conditions sociales des habitants de Guinée Bissau afin que ceux-ci leur soient plus favorables (distribution de riz à rendement élevé, mise en valeur des terres, construction d’écoles et de postes sanitaires…).
Le PAIGC réussit malgré tout à conserver ses positions et Cabral est toujours sur le front international pour faire connaître son combat. En février 1970, il séjourne à l’université de Syracuse à l’occasion d’une réunion en la mémoire d’Eduardo Mondlane, dirigeant du Frelimo, assassiné un an auparavant. Cabral prononce un discours sur la lutte de libération en tant que fait et facteur de culture. Puis se rend au siège des Nations-Unies à Washington, puis devant la commission des affaires étrangères du congrès américain.
En avril, il se rend à Moscou à l’occasion de la commémoration du centième anniversaire de la naissance de Lénine. En juin, il est à Rome où il participe à la « conférence de solidarité avec les peuples des colonies portugaises. » A la fin de la conférence, Cabral, Marcelinho Dos Santos et Agostinho Neto sont reçus par le Pape Paul VI. Le 22 novembre, le gouvernement de Guinée Bissau lance un commando pour capturer ou assassiner les leaders du PAIGC, mais celui-ci échoue. En avril 1971, Cabral est à Stockholm, en juin à Addis-Abeba à l’occasion à l’occasion de la conférence des chefs d’Etat et des gouvernements africains. En août, il se rend à Dublin, à Helsinki (où il est reçu par le président de la république finlandaise), à Londres où il est reçu par le secrétaire général du parti travailliste. Il donne une conférence de presse à la chambre des communes.
En février 1972 il prend la parole lors de la 163ème session du conseil de sécurité de l’ONU, et invite les Nations-Unies à envoyer une mission d’observation dans les territoires libérés. L’activité diplomatique extrêmement importante de Cabral vise à faire proclamer l’indépendance dans les territoires passés sous contrôle du PAIGC. Misant sur la renommée internationale acquise par la lutte du PAIGC grâce à ses efforts sur la scène internationale, Cabral veut passer au stade de l’indépendance effective, et déclencher ainsi la chute finale du colonialisme portugais.
Une mission des Nations-unies se rend effectivement sur le terrain dans les régions libérées du sud de la Guinée du 2 au 8 avril 1972. Et son rapport amène les Nations unies à considérer le PAIGC « comme véritable et légitime représentant des peuples de la Guinée et du Cap-Vert ». Un peu plus tard, l’assemblée générale de l ‘ONU demandait aux Etats, gouvernements, organisations nationales et internationales de renforcer leur aide au PAIGC et de traiter exclusivement avec lui des problèmes concernant la Guinée-Bissau et le Cap-Vert. La stratégie menée par Cabral et ses alliés portait donc ses fruits.
Par la suite le conseil de sécurité de l’ONU adoptait à l’unanimité une résolution condamnant le colonialisme portugais en demandant que cessent les guerres coloniales et que les troupes d’occupation soient retirées et des négociations ouvertes. Fin août 1971, le conseil supérieur de la lutte (l’organe dirigeant du PAIGC) décide de préparer les conditions pour une élection au cours de l’année 1972, afin de constituer la première assemblée populaire de Guinée-Bissau. Quelques mois plus tard, les représentants de l’assemblée nationale populaire sont élus (273 conseillers régionaux et 120 membres de l’assemblée nationale populaire). Un mois plus tôt, une délégation du PAIGC, menée par Cabral s’était rendue en Asie (Japon, Chine et Corée du Nord), puis en octobre Cabral avait pris la parole devant la quatrième commission de l’assemblée générale de l’ONU.
Le 20 janvier 1973, à quelques mois de la proclamation de l’indépendance, un coup de tonnerre survient : Amilcar Cabral est assassiné à Conakry ! Les assassins sont des membres de son parti, le PAIGC, originaires de Guinée qui auraient commis le meurtre, espérant que les Portugais leur donneraient l'indépendance à la condition que les Cap-Verdiens soient écartés de la direction du PAIGC.
 
Source : AFRICAN DREAM 17 Juin 2008
 

 
AMILCAR CABRAL ET LA CONTRIBUTION DU PAIGC AUX MOUVEMENTS DE LIBÉRATION NATIONALE 
PAR GERARD CHALIAND, POLEMOLOGUE

Le recul du temps restitue ou confère aux êtres comme aux œuvres leur place, au-delà des engouements particuliers et circons­tanciels d'une époque. Nous regardons déjà l'époque, exaltante à bien des égards, des mouvements de libération nationale dirigés contre le colonialisme qui s'étend, pour l'essentiel, de 1945 à 1975 et qui a profondément modifié la carte du monde comme appartenant déjà au passé. Rétrospectivement, la figure d'Amilcar Cabral, tenu dès le milieu des années soixante comme un dirigeant de grande valeur par des secteurs de l'opinion relativement spécialisés, apparaît aujourd'hui, non seulement à l'échelle du continent africain mais à celle du tiers monde, comme exemplaire et sans cesse grandissante.
A. CABRAL au FRONT
L'histoire contemporaine n'a pas manqué de personnages flam­boyants, de dirigeants protestataires ou charismatiques souvent quasi négligés dès leur disparition de la scène ou du pouvoir. Il y a eu, au cours des décennies soixante et soixante-dix, des personnalités politiques ou des dirigeants plus prestigieux dont la célébrité a été, bien souvent, liée aux mythes révolutionnaires ou aux engouements romantiques d'une époque. Avec le recul du temps et une plus juste appréciation de ce qui a été effectivement accompli, il est hautement probable qu'en tant que dirigeant révolutionnaire, Amilcar Cabral occupe en Afrique la première place. A l'échelle du tiers-monde, il est de ceux, guère plus nombreux que les doigts d'une main, qui, par la réflexion et l'action, la rigueur intellectuelle et l'aura de leur personnalité, ont laissé un héritage qui, à condition de n'être pas momifié, continuera à être source d'inspiration.
Dans le cadre d'une problématique qui se situe dans la mouvance marxiste, il convient de souligner chez Cabral l'absence quasi totale de dogmatisme et d'idéologisation au sens péjoratif du terme. C'est-à-dire au sens où les réalités sont considérées comme trop contraignantes pour qu'on en tienne compte, tandis que l'idéologie, de façon ultra-volontariste, s'efforce de ployer les hommes et les faits. Devant l'inévitable échec de cette tentative, les idéologues préfèrent blâmer les réalités plutôt que critiquer leurs propres aberrations. A cet égard, Amilcar Cabral n'a cessé d'être un pragmatique, tenant compte des héritages historiques, de la complexité sociale et des facteurs culturels.
S'il a tendu, selon moi, à surestimer les capacités (ou la possibilité) de la petite bourgeoisie ou d'une fraction de celle-ci à « se suicider en tant que classe », il a été à contre-courant du conformisme révolutionnaire établissant comme catéchisme la prééminence du prolétariat — au moins telle qu'il s'exprime dans les Congrès — un des premiers à souligner le rôle moteur des éléments d'origine petite-bourgeoise des pays colonisés dans la lutte de libération. Cabral s'est efforcé de partir des réalités locales afin d'y adapter la stratégie du PAIGC. Je ne rappelle que pour mémoire son analyse de la société guinéenne et la connaissance concrète du terrain que celle-ci impliquait. Cela paraît fondamental si l'on se souvient des nombreuses directions révolutionnaires, en Amérique latine, en Afrique et au Moyen-Orient, qui se sont contentées d'appliquer mécaniquement des analyses abstraites, des pro­grammes ronflants, et qui n'ont pu très longtemps dissimuler leurs échecs derrière des slogans.
Rares ont été en fait, au cours des dernières décennies, les dirigeants capables de penser une lutte en produisant une contribu­tion intellectuelle sérieuse résistant à l'épreuve du temps tout en animant et en organisant un parti et une guerre de libération nationale.
Après avoir constaté, au cours de l'année 1959, les carences et la fragilité d'une stratégie axée sur les villes, Amilcar Cabral et le PAIGC tirent les leçons de l'échec consécutif à la répression de Pidjiguitti et s'orientent vers la préparation d'une guérilla rurale. A une époque où l'Amérique latine, de 1959 à 1967, reste fascinée par la théorie erronée du « foco » qui prétend entamer et mener à bien la lutte de libération sans préparation politique et sans encadrement des masses, Cabral et le PAIGC appliquent de façon adaptée aux conditions de la Guinée les principes de la guerre révolutionnaire. Ecole de formation de cadres ; patient travail au cours des années 1960-62 pour jeter les bases d'une infrastructure politique clandes­tine à l'intérieur de la Guinée. D'emblée, la lutte armée en 1963-64 est menée à l'intérieur du pays, tant au sud qu'au nord, et ne ressemble pas à tant d'autres luttes, en Afrique et ailleurs où l'on se contente de mener des opérations de commandos plus ou moins fugaces à partir de frontières voisines.
A cet égard, l'effort fondamental du PAIGC est qu'il est le premier mouvement de libération à l'échelle de l'Afrique à instituer dans les régions contrôlées des hiérarchies parallèles. Une fois la phase initiale de l'implantation réussie, le PAIGC fait procéder à l'élection de comités de village qui, par leur existence même, sont la négation de l'ordre colonial.
Ces comités de villages — et j'en ai vu un bon nombre lors de ma visite au maquis en compagnie
A. CABRAL ET L'ENFANT
d'Amilcar Cabral en mai-juin 1966 — prenaient en charge l'ensemble des problèmes économiques, sociaux et militaires du village. Le PAIGC fournissait, dans la mesure de ses moyens, les instituteurs, les infirmiers ou infirmières ainsi que les magasins du peuple. Je voudrais rappeler ici que ces comités de villages étaient composés de 5 membres élus, dont obligatoirement 2 femmes.
Je regrette, à cet égard, qu'il n'y ait pas dans la liste déjà substantielle des contributions à ce symposium de thème traitant du problème des femmes et de leur émancipation. Amilcar Cabral y avait toujours accordé une place importante bien avant que le mouvement féministe dans le monde d'aujourd'hui ait pris l'impor­tance qu'il a. Bien des jeunes filles qui refusaient le mariage forcé ont eu recours au parti durant la lutte et tout au long de celle-ci leur contribution a été non négligeable — en particulier sur le terrain de la production mais aussi comme infirmières, combattantes et cadres supérieurs.
Pour la période 1963-1974, le PAIGC est l'exemple majeur d'une guérilla réussie à l'échelle du continent africain. Plusieurs généraux portugais se sont cassé les dents en Guinée. C'est que le PAIGC n'a manqué ni d'organisation, ni de cadres dévoués et que le travail politique a toujours été considéré comme plus important encore que la lutte militaire. Ainsi une partie non négligeable de la population rurale a-t-elle été mobilisée, encadrée et organisée. J'ajouterai que Cabral a été un des très rares dirigeants au sein du tiers monde à ne pas évacuer les problèmes des faiblesses et insuffisances des mouvements de libération. Trop souvent, en effet, tout ce qui est négatif est commodément attribué au colonialisme. Or prendre son destin en main c'est aussi voir et corriger ses carences.
Quand, avec la contre-offensive menée avec énergie par le général Spinola, commence vers 1970 la période du relatif équilibre des forces où le PAIGC ne progresse que peu compte tenu des conditions géographiques, sociales et militaires, Amilcar Cabral a le talent stratégique et l'imagination de déplacer la guerre sur le plan diplomatique. En œuvrant pour la reconnaissance de la souveraineté de la Guinée-Bissau — encore occupée — par le truchement de l'élection d'une Assemblée populaire dans les régions libérées par le PAIGC. Après l'assassinat d'Amilcar Cabral, le PAIGC procède à ces élections et obtient, fait unique à l'époque dans les annales des mouvements de libération, la reconnaissance de plus de 90 Etats.
Les succès du PAIGC sont nombreux. Ses échecs, rares. L'échec politique et stratégique majeur d'Amilcar Cabral et des quelques cadres qui commencèrent la lutte est d'avoir tenté de lier la lutte du Cap-Vert et celle de la Guinée. Non point que cette liaison, généreuse autant que dictée par les circonstances, n'ait mené à l'indépendance la Guinée et le Cap-Vert. Mais en tant que pari optimiste sur une fusion éventuelle du destin des deux pays, il s'est heurté tant lors de l'assassinat d'Amilcar Cabral qu'au lendemain du coup d'Etat de 1980 en Guinée au même mélange de préjugé qu'on ne peut appeler autrement que raciste et de nationalisme étroit. Peut-être ne pouvait-il en être autrement dans le cadre d'une époque de plus en plus portée à jalousement exalter l'identité et la différence ?
Cela, cependant, n'enlève rien à l'exemplarité de la lutte de libération menée par le PAIGC — ni à l'héritage d'Amilcar Cabral — qui restent des contributions majeures de l'Afrique à l'histoire contemporaine. 

Gérard Chaliand
(Intervention lors du Symposium international Amilcar Cabral, Praia, Cap-Vert 17-20 janvier 1983 ; in « Pour Cabral », Présence africaine 1987). 

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