«Il pleut toujours là où c’est
mouillé»
Proverbe africain
Professeur Chems Eddine CHITOUR |
Ce proverbe résume le destin des pays africains
faibles qui, pour leur malheur disposent de réserves minières convoitées.
Encore une fois et pour ne pas changer, l’Afrique se signale par un énième
conflit. Souvenons-nous, en décembre 2012, c’était le Mali aux prises avec les
islamistes d’Al Qaîda. En décembre 2013, c’est un autre pays, la Centrafrique, plongé,
dit-on depuis quelque temps, dans un conflit religieux. La France a été appelée
à intervenir pour faire régner l’ordre après y avoir entretenu le désordre…
Brève présentation de la Centrafrique.
Brève histoire et géographie de la République
centrafricaine
La République centrafricaine, est un pays d’Afrique
centrale, dont la population est estimée à 4.500.000 habitants, pour une
superficie d’environ 623.000 km². Le pays est partagé entre savanes et forêt
équatoriale (au Sud), et connaît pour l’essentiel un climat tropical. La République
centrafricaine (RCA) est un pays enclavé sans accès à la mer. Elle dispose par
ailleurs de nombreuses ressources naturelles, notamment l’uranium, l’or et les
diamants. Le pétrole et l’énergie hydroélectrique sont d’autres ressources
potentiellement importantes mais inexploitées à ce jour. Les Français
colonisèrent la région à la fin du XIXe siècle et l’administrèrent sous le nom
d’Oubangui-Chari. Le projet colonial français, avait pour objectif de traverser
le continent africain d’ouest en est. Ce projet est stoppé net en 1898 à
Fachoda, par les Anglais (on parle du fameux complexe français de Fachoda).
Le premier chef de l’État, Barthélemy Boganda, considéré
comme le père de la nation centrafricaine, fut tué le 29 mars 1959 dans un
mystérieux accident d’avion. En 1965, lors du
«coup d’État de la
Saint-Sylvestre», le sergent Jean-Bedel Bokassa renverse son cousin David Dacko
et prend le pouvoir. On sait que les diamants de Bokassa – scandale qui
éclaboussa le président Giscard D’Estaing – lui permirent d’avoir un sursis
pour régner, voire devenir un empereur dont le journal satirique français le
Canard enchaîné a pu écrire que «son état empirait».
Barthélémy Boganda |
En septembre 1979, «l’opération Barracuda», organisée
par la France, renverse Bokassa et remet au pouvoir David Dacko. En effet,
Bokassa se rapprochait de plus en plus de Kadhafi dont la politique au Tchad
est en contradiction complète avec les intérêts français. David Dacko lui
succède encore brièvement. Il sera chassé du pouvoir le 1er septembre 1981 par
le général André Kolingba, qui établit un régime militaire. jusqu’en 1993,
année où, suivant le courant de démocratisation lancé par le sommet de La
Baule, en France sous le président Mitterrand, Ange-Félix Patassé désigné par
la France est élu président de la République. En 2001, une tentative de coup
d’État provoque de violents affrontements dans la capitale, Bangui. Après une
nouvelle série de troubles et malgré l’intervention de la communauté
internationale (Minurca), le 15 mars 2003, le général François Bozizé réussit,
avec l’aide de militaires français (deux avions de chasse de l’armée française
survolaient Bangui pour filmer les positions des loyalistes pour le compte de
Bozizé) et de miliciens tchadiens (dont une bonne partie va rester avec lui
après son installation au pouvoir.»(1)
«Une élection présidentielle a eu lieu, après
plusieurs reports, le 13 mars 2005, L’accession à la présidence de Bozizé est
violemment contestée et une première guerre civile ravage le pays entre 2004 et
2007, jusqu’à la signature d’un accord de paix en France. Cependant, les
rebelles reprennent les armes fin 2012, lançant une série d’attaques démarrant
la deuxième guerre civile de Centrafrique. Le 24 mars 2013, les rebelles de la
coalition Seleka s’emparent de Bangui et Bozizé s’enfuit. Michel Djotodia
s’autoproclame président de la République centrafricaine. Mais les nombreuses
exactions commises par les miliciens de la Seleka, majoritairement musulmans,
amènent l’insécurité dans le pays, et des milices chrétiennes d’auto-défense,
les anti-balaka se forment. Le conflit débouche sur une situation
«pré-génocidaire» selon la France et les États-Unis. Le 5 décembre 2013, une
résolution de l’ONU permet à la France d’envoyer des troupes armées en
Centrafrique (opération Sangaris) aux fins annoncées de désamorcer le conflit
et de protéger les civils.
L’acharnement sur la Centrafrique pour cause de
richesse
Pourquoi cet acharnement pour le pouvoir et pourquoi
la sollicitude permanente de la France, ancienne puissance coloniale? Est-ce
une guerre ethnique? Est-ce un conflit religieux? D’après le World Factbook de
la CIA (USA), près de 50% de la population est chrétienne dont 25% de
catholiques et 25% de protestants. 15% des habitants sont de religion
islamique. Le reste de la population, soit environ 35%, reste fidèle aux
religions africaines traditionnelles (animisme, génies, ancêtres, divinités).
La réponse est dont surtout économique. Les
Centrafricains, avant les interférences, vivaient en bonne intelligence. La
culture du coup d’Etat permanent est entretenue de l’extérieur, notamment de la
France avec sa politique gravée dans le marbre de la Françafrique – France à
fric – pourrions-nous être tenté de dire, qui peut prendre des formes
différentes. La deuxième raison concerne les richesses de ce pays. Bien qu’il
soit très arriéré du point de vue économique, le revenu par habitant vaut 350
dollars en 2007. L’agriculture représente 55% du PIB. La croissance était 2% en
2005. L’activité minière (or et diamants) constitue l’autre ressource
importante de la République centrafricaine en matière de recettes
d’exportation. Il faut signaler la présence de multinationales dont Areva: le
Groupe industriel français spécialisé dans l’exploitation de l’uranium de la
région de Mbomou à Bakouma.
Archéologie récente du conflit
Si on remonte plus loin, on s’aperçoit que le conflit
larvé avec des interférences extérieures date pour la période récente de la fin
de l’année dernière. Patrick O’Connor écrit: «Les Etats-Unis et la France sont
en train d’envoyer des troupes supplémentaires en République Centrafricaine (RCA)
alors que les milices anti-gouvernementales progressent vers la capitale
Bangui. L’intervention fait partie d’un renforcement plus général des
opérations militaires impérialistes sur l’ensemble de l’Afrique alors que
Washington et ses alliés européens s’efforcent de maintenir leur domination
stratégique sur le continent et le contrôle de ses ressources
naturelles ».(2)
« Les Etats-Unis et la France menaient déjà des
opérations militaires en RCA avant qu’une offensive des rebelles ne menace de
renverser le gouvernement du président François Bozizé. (…) Washington a
profité de la crise pour consolider davantage ses opérations militaires en
Afrique. Le déploiement en RCA qui a eu lieu quelques jours à peine après
l’annonce de l’armée américaine qu’une brigade armée spéciale forte de quelque
3500 soldats allait mener des activités continues partout sur le continent. Une
nouvelle ruée sur l’Afrique est en cours. (…) Derrière l’attitude fausse de la
«non-intervention», le gouvernement français travaille incontestablement main
dans la main avec le gouvernement américain pour déterminer l’issue de la crise
en République centrafricaine.(2)
Le président Bozize lors d'un voyage officiel en Chine |
La cause de toutes ces sollicitudes? On n’est pas naïf
au point de croire que c’est la raison humanitaire. Patrick O’Connor décrit
l’influence soft de la Chine que les Occidentaux combattent: «Le 17 juin
2009, l’ambassadeur américain Frederick Cook avait envoyé un câble disant,
«relations France-RCA sérieusement sous tension,» (…) Une autre dépêche envoyée
cinq mois plus tard était intitulée «L’influence chinoise grandissante en RCA
est évidente. Il ajoutait qu’environ 40 officiers de l’armée de la RCA étaient
formés tous les ans en Chine, contre les deux ou trois officiers qui allaient
aux Etats-Unis et les 10 à 15 en France. En montrant clairement les calculs prédateurs
qui se cachent derrière la présence américaine et française en République
centrafricaine, le câble faisait référence aux «riches ressources naturelles
inexploitées» du pays en prévenant: les investissements français étant
moribonds et l’influence française de façon générale en déclin, les Chinois en
toute probabilité se positionnent comme étant le principal bienfaiteur de la
RCA en échange de l’accès aux vastes dépôts d’uranium, d’or, de fer, de
diamants et probablement de pétrole.(3)
La détermination de la France à intervenir
La France déterminée a procédé par étapes: «Durant sa
visite du 13 octobre à Bangui, la capitale de la Centrafrique, le ministre
français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a annoncé que la France déploierait
des troupes supplémentaires dans le pays à la fin de l’année.
Des miliciens de la Seleka, dont beaucoup viennent du
Tchad ou du Soudan voisin, ont été accusés à plusieurs reprises de saccager des
églises et de terroriser les communautés chrétiennes. (…) Ce projet fait partie
d’une multiplication des interventions militaires françaises en Afrique visant
à garantir les intérêts géostratégiques français et à contenir l’influence
croissante de la Chine sur le continent. En moins de trois ans, la France a
déjà mené trois guerres en Afrique, en Libye, en Côte d’ivoire, et celle
toujours en cours au Mali. En décembre 2012, les forces rebelles de la Seleka
sont passées à l’attaque contre les forces du président alors en place,
François Bozizé, s’emparant de villes dans le nord et l’est du pays. La Seleka
a accusé le gouvernement de revenir sur les accords de paix de 2007-2008 qui
imposaient de payer les guérilleros rebelles et de les intégrer dans l’armée
nationale.»(4)
Pour rappel, le 11 janvier 2013, les accords de
Libreville ont temporairement empêché un coup d’Etat et initié un accord de
partage du pouvoir. L’accord n’a toutefois eu qu’une courte durée; les forces
rebelles de la Seleka, avec le soutien tacite des puissances impérialistes, ont
lancé une offensive contre les forces de Bozizé. Bozizé a été renversé le 24
mars, et le chef rebelle Michel Djotodia s’est déclaré président. Paris s’est
retourné contre Bozizé quand celui-ci a infléchi sa politique en faveur de la
Chine et passé des accords bilatéraux sur les investissements, le commerce et
le développement d’infrastructures. C’est dans ces conditions que Paris a
soutenu la coalition Seleka. La Seleka est constituée de factions armées
dissidentes venant du Nord-Est, et dominée par les musulmans, comme l’Ufdr et
la Convention des patriotes pour la justice et la paix.(4)
La première semaine de décembre, le gouvernement
français a donc lancé l’opération Sangaris. Officiellement, il est question de
sauver la population menacée par un conflit interne. (…) Après la Côte d’Ivoire
en 2010, la Libye en 2011 et le Mali en 2012, c’est donc au tour de la
Centrafrique d’être le théâtre d’une intervention militaire française sur le
continent africain. Le président François Hollande a qualifié l’opération d’«humanitaire»,
et a ajouté que «les Français doivent être fiers d’intervenir quelque part sans
intérêts».(5)
Tony Busselen invite à ne pas être naïf, il poursuit: «Quoique…
Le mercredi 4 décembre, Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères
et collaborateur proche de Mitterrand entre 1981 et 1995, rend public un
rapport commandé par le ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, 15
propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la
France. Védrine note: «Entre 2000 et 2011, la part de marché de la France au
Sud du Sahara a décliné de 10,1% à 4,7%.» Jeudi 5 décembre, la France obtient
un consensus au Conseil de
sécurité de l’ONU autour de la résolution 2172 pour
une nouvelle intervention dans la République centrafricaine (RCA). Cette
résolution est un compromis assez compliqué. La France aurait voulu, comme au
Mali, une mission de l’ONU qu’elle viendrait appuyer. Mais, vu la résistance de
l’Union africaine, cette option d’envoi d’une mission des Nations unies sera
rediscutée dans trois mois. Entre-temps, l’Union africaine déploiera une
mission de 6000 hommes (Misca) qui remplacera les Forces africaines de la
Communauté d’Afrique centrale (Fomac), actuellement présentes avec 1400
soldats. La France, de son côté, a reçu l’aval du Conseil de sécurité pour
lancer une opération parallèle au Misca ».(5)
François III, alias The War Lord |
«Le même vendredi 6 décembre conclut Tony Busselen,
Hollande préside un sommet à l’Elysée où sont invités 53 gouvernements
africains. Lors de ce sommet, Hollande lance la proposition d’entraîner 20 000
soldats par an pour une force de l’Union africaine. (…) La France veut ainsi
affaiblir l’Union africaine et renforcer des structures régionales plus
contrôlables. Ces événements cadrent donc bien avec une stratégie visant à
retrouver une hégémonie économique dans la région, aujourd’hui menacée par la
montée de l’influence de pays émergents comme la Chine et l’Inde. Pas
exactement une «intervention sans intérêts», donc (…). Si, aujourd’hui, la
République centrafricaine est complètement K.O. et que l’anarchie y règne,
c’est en grande partie la France qui en est responsable. Sur le plan économique
aussi, le pays n’a jamais cessé de dépendre de la France. Ainsi, la société
d’énergie française Areva décidait en 2010 de reporter l’exploitation de la mine
d’uranium de Bakouma jusqu’au moment où le prix de l’uranium allait augmenter.
De même, la politique monétaire du pays est définie à Paris par la Banque de
France…»(5)
Conclusion
En 2050, le quart du monde sera africain. Ce qui
positionne le continent qui regorge de richesses comme une destination
incontournable des prédateurs. Cinquante ans après les indépendances, le destin
de l’Afrique est toujours décidé dans les anciennes officines. On est en droit
de se demander si le temps de la Françafrique est révolu. C’est un fait, durant
ce cinquantenaire, que l’Afrique n’a jamais connu la paix du fait des
interférences des anciennes puissances coloniales, de la rareté des matières
premières dont l’Afrique regorge et de l’apparition de nouveaux acteurs qui
font à l’Afrique des propositions qu’elle ne peut pas refuser.
Manifestants à Bangui (20min.ch) |
Devant toutes ces avanies, que pense-t-on que
l’Afrique fait? Coordonne-t-elle en vue d’une sécurité alimentaire? En vue
d’une médecine de qualité? Etudie-t-elle un développement endogène?
Demande-t-elle qu’on la laisse en paix en alimentant en armes des belligérants
ou en soutenant des tyrans qui refusent l’alternance? Rien de tout cela, sa
«force d’action rapide» avec les armes des Occidentaux est devenue une vue de
l’esprit. A titre d’exemple, le Tchad d’Idris Deby joue les chiens de garde de
la France tant qu’il est en odeur de sainteté jusqu’au prochain coup d’Etat. La
politique française concernant ses «colonies», quel que soit le président a une
longévité remarquable. Les pays francophones anciens ont tous des dictateurs
adoubés par Paris.
En définitive au juste, pourquoi ce
nouveau conflit? Apparemment l’excuse d’ingérence humanitaire est toute
trouvée. Cette fois-ci c’est le conflit religieux qui est mis en avant. Pendant
ce temps les mêmes médias qui diabolisent avec une géométrie variable nous parlent
du Sud Soudan – arraché au Soudan –, qui se déchire pour le pétrole. Il y
aurait des milliers de morts, une famine épouvantable et personne ne bouge si
ce n’est Ban Ki Moon qui présente sa bourse vide pour recueillir l’aumône
auprès pays riches, en vain. Ainsi va le Monde.
CHEMS EDDINE CHITOUR, professeur
émérite, Ecole Polytechnique (enp-edu.dz)
Titre original : « Le drame de la Centrafrique : Une autre
prédation humanitaire occidentale »
1. La République centrafricaine Encyclopédie WIkipédia
2. Patrick O’Connor 04 janvier 2013 :
3. Patrick O’Connor: L’armée française supervise un
accord de partage Mondialisation.ca, 02 février 2013
4. http://www.mondialisation.ca/la-france-va-intensifier-son-intervention-militaire-en-centrafrique/5355735
5. République Centrafricaine: La France en quête
d’influence Tony Busselen http://www.michelcollon.info/Republique-Centrafricaine-La,4395.html
en maraude
dans le web
Sous cette rubrique, nous vous
proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas
nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en
rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et
aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
Source : Mondialisation.ca 27 décembre 2013
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