J’ai lu avec un grand intérêt l’interview de Monsieur Guillaume Soro,
envoyé du Président Alassane Ouattara dans Lefaso.net, ce 10 Janvier.
Je pense qu’en dépit de la formule d’usage – « Je respecte
scrupuleusement le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des
États étrangers » –, il s’est bien agi d’une flagrante immixtion dans nos
affaires intérieures.
Médiateurs ou kpakpatos ? |
En effet, son interview dans le fond dit à nos compatriotes qu’ils ont
un président exceptionnel, indispensable à notre pays, à la sous-région et même
à l’Afrique. Vous avez la chance d’avoir un tel président, alors laissez-le
continuer. C’est exactement ce que nous disent tous les jours les supporters
nationaux du régime Compaoré plus proches de leurs intérêts personnels, souvent
illicites, que des intérêts de notre peuple.
Au nom du Pouvoir ivoirien, Guillaume Soro appelle en fait à soutenir Blaise
Compaoré pour le referendum qu’il veut s’acheter à coups de milliards afin de
se maintenir au pouvoir. Cela est ainsi résumé dans ces mots où Soro appelle :
« Tous nos Frères Burkinabé à poursuivre la belle aventure de paix, de
progrès et de démocratie jusqu’ici conduite sous la houlette du Président
Compaoré qui, comme vous le savez, est précieux à son propre pays, à notre
sous-région comme à notre continent, par l’exceptionnel rayonnement
diplomatique qu’il a donné à la parole du Burkina Faso ». Ce clair soutien
au referendum pour Blaise Compaoré a été bien souligné par tous les
observateurs indépendants de par le monde.
Monsieur Soro, quand on se veut médiateur, on ne prend pas aussi
ouvertement position en faveur de l’un des protagonistes. En cela, vous n’avez
pas bien écouté les leçons de Blaise Compaoré qui, comme vous le dites,
« m’est absolument précieux ». Lui, dans toutes ses médiations, a
toujours évité d’afficher ses positions qui ont généralement été celles des
puissances occidentales, notamment de la France.
N’oubliez pas qu’après Houphouët-Boigny et avec son appui, c’est Blaise
Compaoré qui a été adopté pour poursuivre la politique de la Françafrique dans
la sous-région. Ce choix a été fait même sous la Révolution mais personne ne
l’a su. Cette politique françafricaine consistait et consiste toujours à
piétiner la souveraineté des États pour promouvoir par TOUS LES MOYENS LES
INTÉRÊTS FRANÇAIS, MÊME ET SURTOUT LES PLUS MAFIEUX.
Fort de ce soutien, Blaise Compaoré s’est immiscé (sans referendum)
dans presque tous les conflits politiques armés ou non de notre sous-région
avant de s’en faire le médiateur. Ses intrusions avec leurs atrocités valent
aujourd’hui à nos compatriotes établis dans certains pays d’être traités en
pestiférés. En un moment donné et dans certains pays, il n’était pas sécurisant
de se dire Burkinabè. Et ça continue dans d´autres pays encore.
Sachez qu’aujourd’hui ce leadership a été retiré à Blaise par ces mêmes
puissances qui ne supportent plus les tripatouillages des Constitutions, encore
moins les pouvoirs autocratiques et patrimoniaux. Lors du dernier sommet
Afrique-France à Paris, cela a été rappelé au reste des dinosaures politiques
(plus de 20 ans au pouvoir) dans l’espace francophone.
Monsieur Soro, votre prise de position qui n’a rien de diplomatique,
n’est qu’un soutien mal camouflé à Son Excellence Monsieur Blaise Compaoré en
difficulté finale et fatale, car voulant s’éterniser au pouvoir. Dès lors, je
ne vous considère plus comme un médiateur, encore moins comme un homme de paix,
car la seule cause de toutes ces menaces contre la paix, la sécurité et la
stabilité politique aujourd’hui, c’est Monsieur Blaise Compaoré qui, après 28
ans de pouvoir ne veut plus le quitter et veut, comme Mamadou Tandja, s’acheter
un referendum par une corruption électorale sans précédent et des promesses
fort démagogiques.
Il suffit alors à Blaise Compaoré de renoncer à cet exercice dangereux
et périlleux pour que tous les risques de pathologie politique et sociale
disparaissent. Si vous tenez vraiment à la paix, c’est ce que vous devriez
amicalement conseiller à celui qui vous est « absolument précieux »
comme vous le dites.
C’est vrai que vous devez beaucoup à Blaise Compaoré qui : a hébergé et
formé (sans referendum) votre rébellion armée alors dirigée par IB (surnom du
sergent Ibrahima Coulibaly) dans le sud de notre territoire national. Et vous
en étiez le porte-parole ; vous a militairement soutenu (sans referendum) dans
votre crise post-électorale et vous soutient politiquement aujourd’hui.
Mais de grâce, ne pensez qu’à vous seulement et maintenant en
sacrifiant EVENTUELLEMENT DEMAIN. Car en vous lisant, si Blaise Compaoré est si
indispensable, que ferez-vous si un autre Burkinabé le remplace ? Or c’est ce
qui est programmé et va se réaliser quels que soient les moyens et les soutiens
utilisés. Je vous souhaite de bien vous comporter en homme d’Etat privilégiant
absolument les intérêts de son pays par rapport aux intérêts de sa personne ou
de son régime.
Et puis, auriez-vous la même réaction dans votre propre pays si
Alassane Ouattara voulait modifier votre Constitution pour effectuer seulement
un troisième mandat ? Assurément non ! Alors, pourquoi voulez-vous que les
Burkinabé acceptent ce que vous refuserez avec force, ou par la force, chez
vous ? Au Pouvoir ivoirien, si vous voulez sincèrement la paix pour nous tous,
ayez le courage de dire à votre Grand Ami de renoncer au tripatouillage de la
Constitution dans son pays. Il pourrait vous écouter et le peuple Burkinabé
vous en serait reconnaissant. Toutes autres attitudes amicalistes ou partisanes
renforceraient la crise ici en sacrifiant les intérêts de nos peuples sur
l’autel des intérêts individuels et partisans, tous passagers, alors que ceux
de nos peuples sont permanents. Je rappelle enfin que dans bon nombre de
conflits politiques, armés ou non, en Afrique, ce sont les immixtions des pays
voisins, parfois relais d’intérêts étrangers, qui les allument ou les
entretiennent. Évitons cela à notre sous-région désormais. Tout le monde y
gagne.
À l’occasion, j’interpelle nos gouvernants pour qu’ils respectent et
fassent respecter notre Souveraineté Nationale. Il n’est pas normal que sous le
couvert d’une médiation, on vienne s’immiscer dans nos débats politiques
internes. Qu’ils respectent également la souveraineté des autres États, entre
autres, en cessant de soutenir les rebelles indépendantistes armés du MNLA qui
se servent de notre territoire pour se la couler douce tout en tenant des
propos incendiaires et subversifs, mettant en cause l’intégrité territoriale
d’un pays frère et ami de par l’histoire et la géographie : la République du
Mali. Nous ne voulons pas de rébellions indépendantistes armées chez nous.
L'Auteur |
Alors, évitons de les soutenir ailleurs pour ne pas aussi risquer un
jour, d’engager notre peuple déjà si pauvre dans un conflit armé pour une cause
injuste, antipatriotique afin de satisfaire l’insensée volonté hégémonique d’un
homme. Peut-être diaboliquement prêt à cela pour se maintenir au pouvoir chez
nous !
Pr Etienne Traoré,
Université de Ouagadougou
Source : CIVOX. NET 14 Janvier 2014
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