Interrogé, lundi soir 6 janvier sur
le plateau de C à vous, le talk-show
de France 5, à propos de l'« attaque
antisémite » dont il aurait été l’objet de la part de l’humoriste Dieudonné,
le journaliste Patrick Cohen a répondu : « Ce
n'est pas à moi de faire des commentaires, c'est une affaire qui me dépasse.
Les autorités judiciaires et politiques se sont saisies de l'histoire. Je n'ai
rien de plus intéressant à dire. J'ai une opinion de citoyen, je la garde pour
moi. »
Mais Patrick Cohen n’a pas toujours eu les opinions d’un humble citoyen, et il n’a pas toujours sobrement gardé pour lui ses opinions sectaires et attentatoires à la dignité de ceux qu’il considère comme ses bêtes noires. Il lui est arrivé, au moins une fois, face à Frédéric Taddéi qu’il interviewait, de les étaler même avec une belle assurance et sans trop se soucier de déontologie. Entre autres « cerveaux malades » comme il les qualifiait, ce jour-là l’une de ses cibles était Dieudonné, cité nommément mais qui, absent comme les autres, ne pouvait pas répliquer à l’injure… A l’époque, Daniel Schneidermann, le fondateur d’« @rrêt sur images », avait dénoncé la prétention de P. Cohen à vouloir trier ses invités sur une chaîne du Service public en fonction de ses goûts personnels, comme « une faute professionnelle ».
Nous vous proposons ci-après son article qu’il est utile
de connaître pour bien apprécier la signification et les enjeux de l’actuelle offensive
anti-Dieudonné de Manuel Valls et consort.
La Rédaction
LA LISTE DE PATRICK COHEN
Eh bien, c’est dit. Il existe une liste noire
d’invités sur France Inter. C’est l’animateur de la Matinale, Patrick
Cohen, qui a benoîtement mangé le morceau. Cela se passe au micro de
l’émission C’est à vous (France 5). Chroniqueur de cette émission,
Patrick Cohen reçoit son collègue Frédéric Taddéï, animateur de Ce soir
ou jamais, qui vient d’être transférée de France 3 à France 2. Et
Cohen ne va pas le rater, Taddéï. A présent qu’il est passé sur France 2,
chaîne amiral, Taddéï continuera-t-il d’inviter les maudits, comme il le
faisait à l’abri de la (relative) confidentialité de France 3 ? « Vous
invitez des gens que l’on n’entend pas ailleurs, mais aussi des gens que les
autres médias n’ont pas forcément envie d’entendre, que vous êtes le seul à
inviter. » Et Cohen cite quatre noms : Tariq Ramadan, Dieudonné, Alain
Soral et Marc-Edouard Nabe.
Un théologien, un humoriste, un publiciste
inclassable, un écrivain : voici la liste des proscrits, des interdits, des
bannis, dressée pour la première fois, tranquillement, sur un plateau de télé
convivial et sympathique. Instant de vérité. Deux quinquas se font face, deux
animateurs professionnels, au sommet de leur carrière, que tout pourrait
réunir, et dont on réalise en une seconde tout ce qui les sépare.
Cohen : « Moi, j’ai pas envie d’inviter Tariq
Ramadan. »
Taddéï : « Libre à vous. Pour moi, y a pas de liste
noire, des gens que je refuse a priori d’inviter parce que je ne les aime
pas. Le service public, c’est pas à moi. »
« On a une responsabilité. Par exemple de
ne pas propager les thèses complotistes, de ne pas donner la parole à des
cerveaux malades. S’il y a des gens qui pensent que les chambres à gaz n’ont
pas existé. »
« Qui ? »
« Kassovitz sur le 11 Septembre. »
« Si je dis : "j’ai des doutes
sur le fait que Lee Harvey Oswald ait été le seul tireur de l’assassinat de
Kennedy à Dallas", vous m’arrêtez ? »
« Evidemment pas. »
« Quelle différence ? Tout ce qui n’est
pas défendu est autorisé. Je m’interdis de censurer qui que ce soit, à partir
du moment où il respecte la loi. »
Même si la liste Cohen mélange tout (quoi de commun
entre les quatre ? Et pourquoi Kassovitz ne figurait-il pas dans la liste
initiale ?), chacun en entend bien le point commun : les quatre proscrits, sous
une forme ou une autre, ont dit des choses désagréables sur les juifs, Israël,
ou le sionisme.
Mais soudain, Taddéï renvoie la balle. « Vous
voulez que je vous fasse la liste des ministres condamnés, y compris pour
racisme, que vous avez reçus dans votre émission de radio ? »
« Y en a pas beaucoup. »
Taddéï ne prononce pas le nom de Hortefeux, mais là
aussi tout le monde a entendu pointer son nez l’éternelle concurrence
victimaire : il est légitime d’être désagréable aux Arabes, mais pas aux juifs.
Qu’on s’entende bien : c’est parfaitement le droit de Cohen, de ne pas inviter
Ramadan, Soral, Nabe ou Dieudonné. Aucun cahier des charges du service public
ne l’oblige à le faire. On a le droit d’estimer que Dieudonné n’est pas drôle,
ou que Nabe n’est pas un grand écrivain. Cohen serait parfaitement fondé à dire :
« j’estime qu’il existe des théologiens plus pertinents, des humoristes plus
drôles ». Manchettes, sujets, invités : être journaliste, c’est choisir, trier,
hiérarchiser. Mais aucune raison d’en faire une question de principe, et de
proclamer que même la baïonnette dans les reins, on n’invitera pas Bidule. En
reprochant à Taddéï d’inviter les proscrits, Cohen dit en fait : « ce
n’est pas parce que je ne les juge pas intéressants, que je leur barre l’accès
au micro de France Inter. C’est parce qu’ils ont contrevenu à un dogme ».
D. Schneidermann |
Se priver d’invités intéressants parce qu’on n’est pas
d’accord avec eux est, pour un journaliste payé par le contribuable, une faute
professionnelle. Et non seulement c’est indéfendable, mais c’est
contre-productif. Aujourd’hui, les dissidents n’ont plus besoin de Cohen et de
ses homologues, pour trouver un écho sur Internet. Avant, il était possible de
décider qui étaient les «cerveaux malades», et de les condamner pour crime de
pensée, comme dans 1984. Mais aujourd’hui, pour un animateur en vue,
déclarer qu’il n’invitera pas Bidule, c’est hisser Bidule sur le piédestal de
victime de la censure. Le pré carré audiovisuel, s’il veut rester un lieu
crédible de débat d’idées, n’a donc plus d’autre choix que de s’ouvrir aux
paroles jadis bannies, quitte à leur opposer une contradiction vigoureuse et
argumentée, ou à les prendre à leur propre piège de la dialectique. Et de s’en
donner les moyens.
Source : libération.fr
17 mars 2013
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