Le plaidoyer d’une certaine Juliette Bonkoungou, paru dans L’Observateur
Paalga du 24
janvier 2014, où elle accusait « des gens » qui « pressent le
président Compaoré de quitter le pouvoir au terme de son mandat présidentiel »,
a scandalisé bien des démocrates burkinabè. Nous publions ci-dessous la
réaction indignée du député de l’opposition, Alexandre Sankara (UNIR/PS).
b
Annoncée par le journal L’Observateur Paalga dans sa parution du jeudi 23 janvier, votre tribune était très attendue le vendredi 24, surtout après la démission de vos ex-camarades du CDP dont on annonçait pourtant que vous devriez faire partie.
Après avoir
parcouru votre déclaration, j’ai senti le besoin de vous dire ce que j’en
pense. Non pas que j’aie la prétention de vous faire de leçons. Non. Votre
tribune n’est en réalité qu’un prétexte pour moi pour vider le trop-plein de
ressenti et la colère qui gronde en moi.
Oui, j’enrage, Madame, de savoir que, pour vous, il y a des gens qui « pressent le président Compaoré de quitter le pouvoir au terme de son mandat présidentiel ».
Oui, j’enrage, Madame, de savoir que, pour vous, il y a des gens qui « pressent le président Compaoré de quitter le pouvoir au terme de son mandat présidentiel ».
Madame, s’il y
a quelqu’un qui le presse de quitter le pouvoir, c’est la loi, notre loi fondamentale
que nous avons tous votée en 1991 et que lui-même a promulguée.
Personne ne le
presse de quitter le pouvoir. Tous lui demandent simplement de respecter la
loi.
Oui, Madame,
j’enrage de savoir qu’aujourd’hui « nous sommes confrontés à la question de
savoir si, pour le bien commun, nous voulons une succession apaisée qui ne
porte pas atteinte à la cohésion sociale ou si nous voulons au contraire une
succession mal préparée, dans un environnement tendu, voire chaotique ».
De quelle
succession préparée et apaisée parlez-vous ? Qui est responsable de la mal
préparation de la succession du président Compaoré ? Si le président Compaoré
n’a pas ou a mal préparé sa succession, cela ne regarde que lui et son parti,
le CDP. C’est un problème interne au CDP et non celui de l’Opposition, encore
moins du peuple.
Le pays doit-il
prendre feu parce que monsieur Blaise Compaoré a mal préparé sa succession ?
Le 3 janvier
1966, a-t-on permis à feu Maurice Yaméogo de préparer sa succession ? La
Haute-Volta n’en a pas moins survécu.
Le 25 novembre
1980, Lamizana a-t-il eu le temps de préparer sa succession ?
Le 2 novembre
1982, Jean Baptiste Ouédraogo a-t-il demandé à Saye Zerbo s’il était prêt à
partir ? La Haute-Volta a-t-elle pris feu pour autant ?
Le 4 août 1983,
Jean-Baptiste Ouédraogo avait-il fini ses chantiers ? Certainement pas. La
Haute-Volta a-t-elle disparu de la carte de l’Afrique pour autant ?
Le 15 octobre
1987, Blaise Compaoré, pour qui vous demandez de lui permettre de préparer sa
succession, a-t-il laissé la moindre chance à son frère et ami Sankara pour
préparer sa sortie ? Le Burkina Faso a survécu à ce drame par la volonté, le
courage et la dignité de son peuple.
En novembre
2015, qu’il ait préparé ou non sa succession, Blaise Compaoré partira. Ça,
c’est certain. Le Burkina Faso lui survivra. Ça aussi, c’est certain.
Vous l’avez si
bien dit, « nous, nous passerons, mais le Burkina restera ». Blaise partira et
le Burkina restera.![]() |
Dessin de Glez (Jeune Afrique 22.07.2013) |
Oui, Madame, je
fulmine de constater que vous pensez que « le départ de Blaise au terme de son
mandat et conformément à l’article 37 de la Constitution se fera contre son gré
».
Madame, c’est
contre votre gré que vous respectez les feux rouges ? C’est contre votre gré
que vous partirez à la retraite ? La loi est dure, dit-on, mais c’est la loi.
Je ne décolère
pas de savoir que nous devons cajoler monsieur Blaise Compaoré pour qu’il
accepte de respecter la loi.
Blaise Compaoré
n’est ni un enfant qu’on flatte pour retirer l’objet dangereux avec lequel il
s’amuse pour qu’il ne se blesse pas avec, ni non plus une « pognèrée » qu’on
séduit avec toutes les flatteries dans l’espoir qu’elle nous dise enfin « oui,
j’accepte ».
Non Madame,
Blaise Compaoré, [tout] président qu’il est, est avant tout un citoyen comme
vous et moi et le premier devoir d’un citoyen, c’est de respecter la loi.
Il faut le lui dire. C’est ce discours qui doit lui être tenu et pas autre chose.
Il faut le lui dire. C’est ce discours qui doit lui être tenu et pas autre chose.
Enfin, Madame,
je fulmine de m’entendre dire que « le Burkina Faso est devenu, en Afrique, un
pays qui compte » parce que notre pays a fait des progrès dans le domaine « économique
et diplomatique grâce au leadership incontesté du président Compaoré qu’aucun
esprit objectif ne peut nier ».
Sans être pour
autant un esprit non objectif, je ne partage pas votre analyse des avancées
économiques et diplomatiques de notre pays encore moins sur le prétendu
leadership de notre cher président fondateur. On a certainement construit des
échangeurs. Les duplex poussent également comme des champignons dans Ouaga
2000. On roule aussi carrosse dans nos grandes villes. Mais pourtant on est
173e pays sur 175. Pourquoi ? Parce que Blaise Compaoré nous a certainement
tout apporté. Mais malheureusement, il nous a aussi volé ce qui compte le plus
: l’intégrité, la fierté, la dignité.
A sa prise du pouvoir en 1987, Blaise Compaoré a hérité d’un pays dont les citoyens étaient intègres, dignes et fiers d’appartenir à cette nation malgré l’hostilité de la nature.
A sa prise du pouvoir en 1987, Blaise Compaoré a hérité d’un pays dont les citoyens étaient intègres, dignes et fiers d’appartenir à cette nation malgré l’hostilité de la nature.
Depuis, notre
pays vit dans une situation à nulle autre pareille dans le monde, avec cette
particularité que les fondements séculaires de notre société ont été secoués à
maintes reprises par des crimes abominables, plongeant notre peuple dans un
psychodrame profond.
Vingt-sept (27) ans après, il nous lègue un pays où la morale a fini par rendre l’âme à force d’avoir agonisé sans avoir jamais reçu véritablement le traitement qu’il faut.
Vingt-sept (27) ans après, il nous lègue un pays où la morale a fini par rendre l’âme à force d’avoir agonisé sans avoir jamais reçu véritablement le traitement qu’il faut.
Le constat,
comme vous le voyez, Madame, est sans appel : les Burkinabè ont mal à leur pays
et à sa classe dirigeante. Le déficit entre les gouvernés et les gouvernants
est énorme. Personne ne croit plus à rien, mais tout le monde croit à la courte
échelle et aux passe-droits. C’est le « sauve-qui-peut » !
Ce n’est même
plus la pauvreté ni les conditions de vie difficiles qui posent problème. Non,
Madame, le malaise est profond et le mal-être généralisé. Un mal-être qui a
conduit les uns et les autres à un fatalisme suicidaire, préférant s’abriter
derrière la providence, en espérant que Dame Nature fasse son travail
rapidement.
La faute
incombe à cette nouvelle race de Burkinabè qui ont pris en otage notre pays
depuis 27 ans. Ils claironnent sur tous les toits que le Burkina avance,
oubliant cependant qu’il est impossible de construire une nation avec des
citoyens qui ne croient plus et ne s’intéressent plus à leur pays.
Madame, l’heure
n’est plus aux équilibrismes intellectuels. Non, chacun et chacune de nous doit
choisir son camp, car notre pays est en danger et le devoir nous interpelle
tous ; mais l’histoire nous enseigne qu’il y a trois types de généraux
lorsqu’une bataille décisive s’annonce :
- il y a d’abord
ceux qui ont peur de la défaite et renoncent aux combats. Ces généraux prennent
toujours la fuite et abandonnent parfois leurs troupes aux mains de l’ennemi.
Dans notre pays, nous avons malheureusement ce type de généraux qui ont peur du
combat et jettent l’éponge, préférant les jérémiades et les complaintes dans
l’espoir d’attendrir le cœur de l’ennemi. Il s’agit de tous ceux qui
pleurnichent et supplient de ne pas faire ceci ou cela contre le président
Compaoré au risque de compromettre la paix sociale, oubliant de dire que notre
pays n’a jamais connu de guerre civile et que, par conséquent, s’il y a paix,
ça toujours été ainsi et Blaise Compaoré n’y a aucun mérite particulier par
rapport à ses devanciers. Tout au contraire ;
- Il y a
également ceux qui vont au combat avec la peur au ventre. Ils sont les plus
dangereux, car ils sont prêts à tout pour gagner, même si pour cela ils doivent
utiliser des armes non conventionnelles, car ils ont peur de perdre la bataille
et de tomber dans les mains de l’ennemi, sachant qu’ils seront châtiés à la
hauteur des abominations qu’ils ont commises. Ce type de généraux existe aussi
dans notre pays et c’est à eux que nous devons faire face aujourd’hui.
- Il y a enfin
ceux que le devoir appelle et qui partent au combat avec la conviction de
gagner, mais en sachant aussi que la défaite en fait partie. Ces généraux
conduisent leurs troupes avec détermination, prêts à combattre sans concession,
mais à armes égales, jusqu’au sacrifice suprême. Ce type de généraux existe
heureusement dans notre pays et est incarné par l’Opposition et je suis fier
d’en faire partie.
Madame, dans
votre conclusion vous avez attendri le cœur de certains d’entre nous en
affectant à chacune des personnalités que vous citez un qualificatif fraternel,
alors permettez-moi de vous rendre la pareille en vous appelant, pour terminer,
« grande sœur ».
Grande sœur
Juliette, vous et moi avons tous des enfants que nous aimons énormément. Ils
sont notre raison de vivre et je refuse qu’une poignée de gens prennent en
otage leur avenir que j’espère meilleur.
C’est pourquoi,
plutôt que de fuir le combat, je préfère aller aux fronts, persuadé comme
Norbert Zongo que « le pire n’est pas la méchanceté des gens mauvais, mais le
silence des gens biens » et convaincu comme Thomas Sankara que « là où s’abat
le découragement s’élève la victoire des persévérants ».
Le Burkina est
un pays qui « compte en Afrique », avez-vous dit. En 2007, vous avez célébré « les
20 ans de renaissance démocratique avec Blaise Compaoré ». Vingt-sept (27) ans
après cette « renaissance démocratique », le pays qui « compte » négocie,
supplie, pleure et implore son président bien-aimé de respecter une loi ; oui,
une simple loi.
Les Burkinabè ne veulent point de ce pays qui « compte en Afrique ». Ce qu’ils veulent, c’est un pays simplement démocratique.
Les Burkinabè ne veulent point de ce pays qui « compte en Afrique ». Ce qu’ils veulent, c’est un pays simplement démocratique.
Alexandre Sankara, Député à l’Assemblée nationale
Titre original : « De l’article 37 : Le
député Alexandre Sankara à sa "grande sœur" Juliette »
Source :
L’Observateur Paalga 28 janvier 2014
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