« Quoi ! tu veux qu’on se lie à
demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et
qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se
piquer d’un faux honneur d’être fidèle, de s’ensevelir pour toujours dans une
passion, et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous
peuvent frapper les yeux ! Non, non, la constance n’est bonne que pour les
ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être
rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions
qu’elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je
la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous
entraîne. J’ai beau être engagé, l’amour que j’ai pour une belle n’engage point
mon âme à faire une injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir
le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la
nature nous oblige. (…). Les inclinations naissantes, après tout, ont des
charmes inexplicables, et tout le plaisir de l’amour est dans le changement. »
Molière,
Don Juan (1-2).
Marivaudage présidentiel
Par Jean-Luc Mouton, journaliste
Affaire privée ? Après le scoop du magazine Closer
sur une supposée liaison entre l’actrice Julie Gayet et le Président François
Hollande, la ligne communicante adoptée par l’Élysée était limpide. Le
Président français réclamait le droit au respect de sa vie privée au même titre
que n’importe lequel de ses concitoyens. Las, l’affaire de sa passion supposée pour
une actrice de cinéma a enflammé le web, les médias du monde entier et la classe
politique nationale, sinon internationale. Le gouvernement américain ne s’est-il
pas discrètement renseigné sur celle qui devrait accompagner le Président français
lors de son proche déplacement aux Etats-Unis ?
Affaire publique, donc. Si les prédécesseurs
de l’actuel hôte de l’Élysée ont tous eu une vie intime digne du théâtre de
boulevard, jamais aucun d’entre eux ne s’est retrouvé à devoir se justifier (ou
pas) publiquement. Les frasques sentimentales des gouvernants sont désormais soumises
à un inhabituel regain de “transparence”.
Dictature
de la transparence
L’erreur du Président français a été de se
croire encore au temps de Valéry Giscard d’Estaing ou de François Mitterrand,
d’imaginer qu’il pourrait, comme eux, s’offrir des escapades ou des vies parallèles,
protégé par la souveraineté de la fonction autant que par le silence des médias.
Au temps de la dictature de la transparence imposée par Internet et
l’hypermédiatisation, c’est aujourd’hui mission impossible.
On imagine aujourd’hui difficilement François
Mitterrand dissimulant, pendant treize ans, sa deuxième famille, sa fille
Mazarine et, de surcroît, les faire protéger par les gendarmes de l’Elysée et
les loger aux frais de la République. Ce temps-là est bien révolu. A ses dépens,
François Hollande a cru possible de l’ignorer.
De fait, le Président de la République n’est
plus libre de sa vie privée. Sa fonction même, quoi qu’il lui en coûte,
verrouille son emploi du temps, bride ses mouvements, cadenasse sa liberté personnelle,
expose sa compagne et place son couple en situation permanente de
représentation. Il n’est pas ici question de morale, mais d’obligation
professionnelle dans un monde où assumer des responsabilités publiques est plus
qu’un sacerdoce, un renoncement à toute vie privée, au moins pour le temps de
l’exercice de ses fonctions. Mieux, dans une période difficile où les attentes
à l’égard du politique sont fortes, l’opinion publique attend que celui qui
exerce les plus hautes responsabilités ne soit détourné en rien des affaires du
pays. Vouloir s’affranchir de cette ascèse peut coûter très cher. Hier, Nicolas
Sarkozy qui avait lancé en pleine conférence de presse « avec Carla, c’est
du sérieux » l’a payé d’un brutal discrédit dans l’opinion. Aujourd’hui, François
Hollande, malgré ses fortes annonces de sa dernière conférence, aura du mal à faire
oublier le pataquès qu’il a créé et le ridicule de sa situation. Déjà accusé
par d’aucuns d’être indécis dans sa conduite des affaires du pays, le Président
n’avait pas besoin de passer, en plus, pour un amant éperdu s’éclipsant
incognito en scooter pour aller rejoindre sa belle plutôt que gérer les dossiers
de l’État. Loin d’une affaire privée, l’erreur, la légèreté et la passion aveugle
du Président français comprend ainsi un volet strictement politique.
Les Français ont élu un homme politique de
gauche qui n’avait pas de mots assez cinglants, lors de la campagne
présidentielle, pour fustiger le «narcissisme » de son rival de droite,
Nicolas Sarkozy. « Ce président “m’as-tu-vu” qui nous installe tous en voyeurs
» de sa vie privée, de son divorce d’avec Cécilia, puis de sa rencontre, deux
mois plus tard, avec Carla Bruni. François Hollande n’avait-il pas lancé, lors
du débat télévisé avant le second tour de l’élection sa célèbre anaphore «
Moi Président… » et glissait cet engagement sans pitié pour son adversaire
: « Moi Président, je ferai en sorte que mon comportement soit, à chaque
instant, exemplaire. » Et voilà le même, aujourd’hui, piégé par des photos
prises à son insu et étalées sur la place publique, moqué sur tous les sites
Internet, brocardé par la presse étrangère, en outre, confronté à l’état de choc
où se trouve sa compagne, Valérie Trierweiler.
Clémence
africaine
Certes, vu d’Afrique, les jugements sont bien
moins sévères. En Afrique de l’Ouest, on semble mieux
Bôlkotch N°0080 du vendredi 24 au jeudi 30 janvier 2014 |
reconnaître et accepter
la faiblesse des hommes. Pas question, donc, de faire d’une infidélité un
psychodrame et encore moins une affaire d’Etat. La clémence pour les incartades
est de rigueur. Depuis Brazzaville, notre confrère congolais, Alain Shungu,
commente : « Ici, c’est dans les mœurs… On ne comprend pas pourquoi on fait
autant de bruit pour une affaire aussi banale ! Les deuxième, troisième, quatrième
bureaux, nos Chefs d’Etat en comptent énormément ». On peut badiner avec un
«deuxième bureau » ou un «sous-marin» (amant), mais peut-être
moins facilement avec l’institution qu’est le mariage. Les couples, surtout
quand ils sont présidentiels, se doivent d’être respectables en Afrique. Même s’il
ne s’agit que d’une façade. Les divorces sont rares au sommet de l’Etat, de
même que les scandales sur les relations extra-conjugales des Chefs d’Etat qui
(selon la rumeur) ne se privent traditionnellement pas. Les aventures d’un
homme marié peuvent être tolérées et pardonnées, mais à condition de ne pas
toucher au bien le plus précieux de la femme : son honneur. Du coup,
l’infidélité de François Hollande passionne ici moins que l’honneur perdu de
Valérie Trierweiler...
Même si, du côté de Bamako, quelques femmes s’esclaffent
: « S’il fallait aller à l’hôpital à chaque fois que nos maris nous trompent
! »
Source : Fraternité Matin 25-26 janvier 2014
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