dimanche 26 janvier 2014

DON JUAN A L’ELYSEE


 
« Quoi ! tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d’un faux honneur d’être fidèle, de s’ensevelir pour toujours dans une passion, et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non, la constance n’est bonne que pour les ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J’ai beau être engagé, l’amour que j’ai pour une belle n’engage point mon âme à faire une injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. (…). Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l’amour est dans le changement. »
Molière, Don Juan (1-2).
 
 

Marivaudage présidentiel
Par Jean-Luc Mouton, journaliste 

Affaire privée ? Après le scoop du magazine Closer sur une supposée liaison entre l’actrice Julie Gayet et le Président François Hollande, la ligne communicante adoptée par l’Élysée était limpide. Le Président français réclamait le droit au respect de sa vie privée au même titre que n’importe lequel de ses concitoyens. Las, l’affaire de sa passion supposée pour une actrice de cinéma a enflammé le web, les médias du monde entier et la classe politique nationale, sinon internationale. Le gouvernement américain ne s’est-il pas discrètement renseigné sur celle qui devrait accompagner le Président français lors de son proche déplacement aux Etats-Unis ?
Affaire publique, donc. Si les prédécesseurs de l’actuel hôte de l’Élysée ont tous eu une vie intime digne du théâtre de boulevard, jamais aucun d’entre eux ne s’est retrouvé à devoir se justifier (ou pas) publiquement. Les frasques sentimentales des gouvernants sont désormais soumises à un inhabituel regain de “transparence”.

Dictature de la transparence

L’erreur du Président français a été de se croire encore au temps de Valéry Giscard d’Estaing ou de François Mitterrand, d’imaginer qu’il pourrait, comme eux, s’offrir des escapades ou des vies parallèles, protégé par la souveraineté de la fonction autant que par le silence des médias. Au temps de la dictature de la transparence imposée par Internet et l’hypermédiatisation, c’est aujourd’hui mission impossible.
On imagine aujourd’hui difficilement François Mitterrand dissimulant, pendant treize ans, sa deuxième famille, sa fille Mazarine et, de surcroît, les faire protéger par les gendarmes de l’Elysée et les loger aux frais de la République. Ce temps-là est bien révolu. A ses dépens, François Hollande a cru possible de l’ignorer.
De fait, le Président de la République n’est plus libre de sa vie privée. Sa fonction même, quoi qu’il lui en coûte, verrouille son emploi du temps, bride ses mouvements, cadenasse sa liberté personnelle, expose sa compagne et place son couple en situation permanente de représentation. Il n’est pas ici question de morale, mais d’obligation professionnelle dans un monde où assumer des responsabilités publiques est plus qu’un sacerdoce, un renoncement à toute vie privée, au moins pour le temps de l’exercice de ses fonctions. Mieux, dans une période difficile où les attentes à l’égard du politique sont fortes, l’opinion publique attend que celui qui exerce les plus hautes responsabilités ne soit détourné en rien des affaires du pays. Vouloir s’affranchir de cette ascèse peut coûter très cher. Hier, Nicolas Sarkozy qui avait lancé en pleine conférence de presse « avec Carla, c’est du sérieux » l’a payé d’un brutal discrédit dans l’opinion. Aujourd’hui, François Hollande, malgré ses fortes annonces de sa dernière conférence, aura du mal à faire oublier le pataquès qu’il a créé et le ridicule de sa situation. Déjà accusé par d’aucuns d’être indécis dans sa conduite des affaires du pays, le Président n’avait pas besoin de passer, en plus, pour un amant éperdu s’éclipsant incognito en scooter pour aller rejoindre sa belle plutôt que gérer les dossiers de l’État. Loin d’une affaire privée, l’erreur, la légèreté et la passion aveugle du Président français comprend ainsi un volet strictement politique.
Les Français ont élu un homme politique de gauche qui n’avait pas de mots assez cinglants, lors de la campagne présidentielle, pour fustiger le «narcissisme » de son rival de droite, Nicolas Sarkozy. « Ce président “m’as-tu-vu” qui nous installe tous en voyeurs » de sa vie privée, de son divorce d’avec Cécilia, puis de sa rencontre, deux mois plus tard, avec Carla Bruni. François Hollande n’avait-il pas lancé, lors du débat télévisé avant le second tour de l’élection sa célèbre anaphore « Moi Président… » et glissait cet engagement sans pitié pour son adversaire : « Moi Président, je ferai en sorte que mon comportement soit, à chaque instant, exemplaire. » Et voilà le même, aujourd’hui, piégé par des photos prises à son insu et étalées sur la place publique, moqué sur tous les sites Internet, brocardé par la presse étrangère, en outre, confronté à l’état de choc où se trouve sa compagne, Valérie Trierweiler.  

Clémence africaine  

Certes, vu d’Afrique, les jugements sont bien moins sévères. En Afrique de l’Ouest, on semble mieux
Bôlkotch N°0080 du vendredi 24 au jeudi 30 janvier 2014
reconnaître et accepter la faiblesse des hommes. Pas question, donc, de faire d’une infidélité un psychodrame et encore moins une affaire d’Etat. La clémence pour les incartades est de rigueur. Depuis Brazzaville, notre confrère congolais, Alain Shungu, commente : « Ici, c’est dans les mœurs… On ne comprend pas pourquoi on fait autant de bruit pour une affaire aussi banale ! Les deuxième, troisième, quatrième bureaux, nos Chefs d’Etat en comptent énormément ». On peut badiner avec un «deuxième bureau » ou un «sous-marin» (amant), mais peut-être moins facilement avec l’institution qu’est le mariage. Les couples, surtout quand ils sont présidentiels, se doivent d’être respectables en Afrique. Même s’il ne s’agit que d’une façade. Les divorces sont rares au sommet de l’Etat, de même que les scandales sur les relations extra-conjugales des Chefs d’Etat qui (selon la rumeur) ne se privent traditionnellement pas. Les aventures d’un homme marié peuvent être tolérées et pardonnées, mais à condition de ne pas toucher au bien le plus précieux de la femme : son honneur. Du coup, l’infidélité de François Hollande passionne ici moins que l’honneur perdu de Valérie Trierweiler...
Même si, du côté de Bamako, quelques femmes s’esclaffent : « S’il fallait aller à l’hôpital à chaque fois que nos maris nous trompent ! » 

Source : Fraternité Matin 25-26 janvier 2014

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