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A. DANSOKHO |
Le Sénégalais Amath
Dansokho est une figure de la gauche africaine. Ministre d’État, l’ancien
secrétaire général du Parti de l’indépendance et du travail (PIT) décrypte les engagements militaires français
sur le continent.
Avec l’opération « Sangaris » en Centrafrique, la
France est une nouvelle fois engagée militairement sur
le continent. Comment jugez-vous cette posture de gendarme de l’Afrique ?
Amath
Dansokho.
Apparemment, c’est pour la bonne cause… Ces pays, le Mali, puis la
Centrafrique, étaient confrontés à des situations catastrophiques. Il fallait
une force pour enrayer le cycle des violences de masse. Dans ces circonstances,
la France est apparue comme une force luttant contre des tortionnaires, des
assassins de la pire espèce. Dans le cas du Mali, on voit mal quelle autre
force organisée et puissante aurait pu arrêter l’avancée des djihadistes, des
forcenés qui veulent imposer leur modèle de société par la mort et la violence.
C’est ce qui explique le large soutien apporté à l’opération « Serval » au moment de son déclenchement. Pas seulement
au Mali : tous les pays du Sahel étaient menacés. Nous remercions donc la
France. Mais les choses ne s’arrêtent pas là. On le voit bien, aujourd’hui, les inquiétudes
sont exprimées par le président malien lui-même. D’autres chefs d’État, que je
connais bien, estiment eux aussi que le jeu de la France est trouble. Pourquoi
protège-t-elle certains groupes armés dans le nord du Mali ? On a l’impression que se trame, là, la
création d’un État croupion qui permettrait l’exploitation des immenses
ressources minières, énergétiques de cette zone, au détriment du Mali. Il y
aurait un pouvoir central formel mais, dans les faits, la réalité des relations
économiques serait entre les mains de ces groupes armés qui négocieraient avec
les puissances occidentales. Ce serait très grave.
Dans le cas de la
Centrafrique, la question des ressources naturelles entre-t-elle aussi en ligne
de compte ?
Amath
Dansokho.
Le contexte, les modalités sont peut-être différents mais les enjeux restent
les mêmes. Ce qui se joue là-bas, c’est un affrontement très violent impliquant
des États de la région. Le conflit n’aurait probablement pas connu cette
intensité si des acteurs comme la Chine, ou encore l’Afrique du Sud, ne
s’étaient pas aventurés dans une zone considérée comme relevant du « pré carré » français. Certaines grandes puissances estiment que
l’Afrique
du Sud doit rester au Sud et se tenir éloignée des affaires du continent… Les mêmes jouent
habilement la carte du Nigeria contre celle de l’Afrique du Sud, en faisant
miroiter un siège africain permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, pour
tenter de contenir les prétentions de Pretoria. La Centrafrique est un pays
immensément riche. Le régime soudanais a, surtout depuis la proclamation de
l’indépendance du Soudan du Sud, des visées sur ce pays. Le président déchu,
François Bozizé, a joué sur tous les tableaux. Il a conclu des accords avec
Khartoum, comme il en a conclu avec les Chinois et les Sud-Africains. C’est
avec cette toile de fond qu’il faut analyser la grave crise que traverse
aujourd’hui la Centrafrique, ballottée par des puissances aux intérêts
contradictoires. La Séléka s’est constituée avec des individus sans projet,
sans la moindre maturité politique, ne connaissant que le langage des armes et
facilement manipulables. Une fois le chaos installé, la France s’est proposée
d’intervenir. Mais il ne faut jamais oublier que toutes ces guerres sur le continent
africain, dont nous ne sommes que les acteurs apparents, dissimulent des enjeux
économiques.
Comment expliquer
que des États puissent s’effondrer comme des châteaux de cartes ?
Amath
Dansokho.
Ce sont des États artificiels qui, en réalité, n’ont jamais eu d’armature
politique et sociale forte. Ils ne sont pas nés d’un processus interne. Ce sont
des puissances extérieures qui se sont partagé des sphères de domination, sans
considération pour les peuples et l’histoire longue des territoires concernés. Les
formes étatiques que nous connaissons sont typiquement issues de la
colonisation, avec de vastes zones sous-administrées.
Au Sénégal, lorsque
le clan Wade accaparait le pouvoir, le pays aurait pu, lui aussi, sombrer dans
la violence. Cela ne s’est pas produit. Macky Sall doit au contraire son
élection à un vaste mouvement citoyen. Comment jugez-vous les premiers pas de
ce gouvernement ?
Amath
Dansokho. Certains
parlent « d’exception sénégalaise ». Je suis beaucoup plus
prudent, nous ne sommes pas à l’abri de convulsions catastrophiques si nous ne
faisons pas preuve de sagesse. Chez nous, l’alternance a été préparée longtemps
à l’avance par des forces politiques mûres, enracinées. Il existe au Sénégal
une culture, un patrimoine démocratique que nous avons mis à profit pour
discuter, rapprocher les points de vue. À défaut de candidat unique, nous avons
quand même élaboré un programme commun. C’est ce qui nous a permis de surmonter
les difficultés. Il était hors de question d’engager le pays sur la voie de la guerre
civile. Cela a été affirmé clairement. Les urnes ont parlé, Abdoulaye Wade,
isolé, sans soutien dans l’armée, n’a pas eu d’autre choix que de se plier à ce
verdict démocratique. Désormais, il nous faut rompre avec les pratiques du
passé, poursuivre la lutte engagée contre la corruption, continuer d’instruire
les dossiers des biens mal acquis. Mais cela ne suffira pas si l’on ne traite
pas les problèmes auxquels sont confrontés les Sénégalais. La crise sociale
continue de faire des ravages. Avec la religion universelle qu’est devenu le
capitalisme, on a encouragé l’émergence d’oligarchies bâties sur le
détournement des ressources publiques. Parallèlement, on a démantelé les
services publics, plongé les populations dans la misère. Tous les équilibres ont
été rompus, les États, eux, sont menacés de désintégration. C’est cela, le
résultat des politiques libérales imposées par les bailleurs de fonds, FMI et
Banque mondiale en tête.
Le Sénégal peut-il
échapper à la montée de l’islamisme ?
Amath
Dansokho.
La crise fait son œuvre et les gens sont révoltés par la conduite des
puissances occidentales, par leur arrogance et leur négation des droits des
êtres humains à la vie. C’est cela qui alimente cette révolte aux formes
monstrueuses. Cela existe chez nous. Au Sénégal domine un islam confrérique.
Mais les jeunes sont de plus en plus sensibles aux discours de prédicateurs
islamistes.
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proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas
nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en
rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et
aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
Source : L’Humanité 3 Janvier 2014
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