En guise d’hommage à notre confrère Doua Gouly, mort en
mission le 5 mai 2013, nous publions l’entretien qu’il eut en août 2012 avec
le capitaine Kpolo Ouattara, chef du secteur du Mont Péko de l'Office ivoirien
des parcs et réserves (Oipr), entretien au cours duquel cet officier lui raconta
sa
première et unique rencontre avec Amadé Ourémi, l’autre indéboulonnable.
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Doua Gouly, Super Ebony 2004 |
Comment va le secteur
parc du Mont Péko, aujourd'hui ?
J'ai pris fonction à
Duékoué en décembre 2011. En fait, j'étais déjà ici en 2008-2009 et je suis
allé en formation. En ce qui concerne la conservation du parc, notre absence
sur le terrain depuis 2002 a eu un impact. C'était partout la même chose. Même
nos locaux étaient occupés par les militaires. Nous n'existions même plus en
ville. Après la crise post-électorale, nous sommes revenus occuper nos locaux
qui étaient devenus, entre-temps, les logements de certains éléments des Frci.
Nous avons réhabilité partiellement un bâtiment en mars 2012. Malheureusement
pour nous, on nous annonce que les Frci reviennent. On nous a dit que c'est
provisoire. Mais cela nous inquiète.
Et le parc lui-même ?
Au plan technique,
c'est un autre problème. C'était difficile. Le personnel que j'ai trouvé sur
place n'allait pas sur le terrain. Les risques d'attaque étaient grands.
Surtout qu'au niveau du parc, il y avait beaucoup d'informations qui
circulaient.
Que disent ces rumeurs
?
Il s'agit principalement
de la présence d'hommes armés à l'intérieur du parc. Moi-même, après six mois
de présence, je n'y suis entré qu'une seule fois.
Avez-vous peur aussi ?
J'avais été averti de
la situation dès mon arrivée. Ma méthode a donc été d'approcher les populations
riveraines avant de rencontrer ceux qui sont à
l'intérieur du parc. Nous sortons d'une crise armée. Je ne peux pas engager,
dès mon arrivée, la répression. J'ai eu des instructions fermes de ma
hiérarchie dans ce sens. Je suis donc venu en tant qu'agent de développement.
Localement, je me suis appuyé sur la population. Parce que les gens pensaient
que les Eaux et Forêts n'allaient plus revenir et que la zone avait été
déclassée. J'ai pu réussir ma mission en partie parce que les préfets et
sous-préfets m'y ont aidé. Les deux tiers du parc sont dans le département de
Bangolo et l'autre tiers à Duékoué. Il était question de rencontrer les
infiltrés. Je leur ai adressé des convocations avec l'aide des sous-préfets de
Guinglo-Taouaké, Bléni-Méhouin, mais ils ont refusé de me rencontrer.
De quelle nature est
la population infiltrée ?
Pour nous, ce sont des
paysans. Ceux d'entre eux qui m'ont répondu, m'ont demandé de prendre attache
avec Amadé Ouérémi avant de les rencontrer. Or pour moi, il s'agit de personnes
individuellement en infraction. C'est là que j'ai compris qu'elles sont
organisées. A partir de février 2012, j'ai changé de stratégie en cherchant à
rencontrer Amadé Ouérémi, en vain. Je suis passé par ces mêmes sous-préfets,
sans plus de succès. Et quand j'ai voulu entrer dans le parc pour le voir
directement, on m'en a dissuadé en évoquant le danger auquel je m'exposais.
Avez-vous essayé de
joindre Amadé Ouérémi par téléphone ?
Son numéro que j'ai eu
marche bien. Mais il ne décroche jamais. J'ai appris, par la suite, qu'il ne
répond pas aux appels émanant de numéros qu'il ne connaît pas. J'ai donc changé
de méthode encore.
En quoi faisant ?
Je suis passé par des
gens qui lui sont proches. Notamment ses compatriotes burkinabè. On ne m'a fait
que des promesses. J'ai tenté de le rencontrer par le biais du sous-préfet de
Bagohouo qui m'y a envoyé à des réunions pour me présenter à la population, en
vain.
Qu'avez-vous donc fait
?
Finalement, j'ai pris
mon courage à deux mains pour pénétrer dans le parc.
Pourquoi une telle
décision lourde de conséquences ?
J'avais une contrainte
de temps du fait de la mission d'évaluation des parcs. Les experts devaient
venir voir la dégradation du Péko (faune et flore). Je me suis référé au
sous-préfet de Bagohouo qui m'y a encouragé. Quant au chef de ce village, il
m'a dit : « Allez-y, mais, je ne peux pas vous accompagner ». Il restait une
semaine pour la mission. J'ai pris la voie qui mène au campement d'Amadé
Ouérémi. Je suis arrivé à un corridor où des individus m'ont demandé ce que je
venais faire en ce lieu.
Ces personnes
étaient-elles armées ?
Elles étaient en civil
et ne portaient aucune arme. Elles étaient une douzaine. On m'a demandé si
j'avais rendez-vous avec Amadé Ouérémi. Quand j'ai répondu par la négative, on
m'a demandé d'attendre. Quinze minutes après, Amadé Ouérémi est arrivé. C'était
le 25 avril. Il n'était pas content que je sois entré dans la forêt.
Qu'a-t-il donné comme
argument pour justifier son mécontentement ?
Il a demandé qui m'a
autorisé à entrer dans le parc. Il m'a menacé en disant qu'il n'aime pas les
Eaux et Forêts parce que c'est sa forêt. Il m'a même dit que si je suis venu
chercher des histoires, il était prêt. Il a proféré des menaces de mort à mon
endroit.
Que vous a-t-il dit
exactement ?
Il a dit qu'il allait
nous tuer.
Combien de personnes
ont fait cette mission ?
Nous étions quatre.
J'ai répondu à Amadé Ouérémi que j'avais mesuré le danger auquel je m'exposais.
Mais, je n'étais pas là pour créer des problèmes. Il est devenu un peu froid.
Je lui ai dit : « Depuis cinq mois, je n'arrive pas à vous rencontrer. Je suis
le responsable du Mont Péko et je suis venu vous annoncer qu'une mission
d'évaluation viendra d'Abidjan dans une semaine pour visiter le parc. C'est
dans votre intérêt et le nôtre. Cette mission est diligentée par l'Etat de Côte
d'Ivoire. Si vous vous y opposez, c'est comme si vous vous opposiez à l'Etat de
Côte d'Ivoire ».
Quelle a été sa
réaction ?
Il m'a dit qu'il a
investi beaucoup d'argent dans le parc. Si la mission venait le lui arracher,
il ne se laisserait pas faire. Qu'il doit être dédommagé.
Qu'entend-il par « investir
de l'argent dans le parc » ?
Il a fait des
plantations. Je lui ai répondu : « Je suis un simple commis de l'Etat. Il faut
montrer aux responsables de la mission vos investissements dans le parc. Seul
l'Etat peut décider de votre sort. Si un jour, le parc est déclassé, je serai
affecté ailleurs ».
A-t-il autorisé la
mission des experts ?
Il n'était pas
question d'une autorisation. Mais juste de lui annoncer une mission qui
s'impose à nous tous.
Cette mission a-t-elle
eu lieu ?
Elle a effectivement
eu lieu de février à mars.
Sans accroc ?
Le deuxième jour de la
mission, les hommes d'Amadé Ouérémi ont voulu faire de la résistance à la vue
des agents en treillis dans le groupe. Ils s'en sont pris à un expert en
oiseaux, il faut savoir que la particularité de ce parc est qu'il abrite une
espèce rare d'oiseaux. C'est ce qui lui a permis de bénéficier d'un projet. Il
fallait s'assurer que cet oiseau était encore là. Il y avait tout de même deux
fausses notes.
Lesquelles ?
Quand les sociologues
sont venus, ils ont vu les chefs des villages voisins, ils ont demandé à
croiser les infiltrés. Ouérémi et ses éléments ont refusé. Vers la fin de la
mission, nous étions stressés. Un dernier volet devait faire l'état des pistes
qui ceinturent le parc dont l'une des vocations est le développement du
tourisme. Dès que la mission est finie, il y a eu le communiqué du gouvernement
qui demandait aux infiltrés de sortir des aires protégées. Amadé Ouérémi et ses
hommes ont pensé que l'objet de la mission était de connaître leur position et
les signaler à Abidjan.
Etiez-vous de la
mission ?
Non. J'ai fait partir
deux éléments. On me connaissait déjà, il fallait éviter que les esprits
s'échauffent. Je faisais la ronde autour du parc pour alerter les autorités en
cas de besoin.
La mission a-t-elle pu
voir cet oiseau rare ?
C'est ma hiérarchie
qui peut vous répondre. Je ne peux pas évoquer les conclusions d'une mission
dont je ne suis pas le commanditaire.
Le parc peut-il encore
être sauvé ?
La vocation d'un parc,
ce n'est pas forcément la forêt. C'est aussi le relief, le paysage, la faune.
Si on le laisse tranquille, il peut se reconstituer. Il y a des éléphants et
des chimpanzés dans ce parc. Ils sont chassés. L'exploitation agricole est
également très intense. Cela met le parc en péril.
Que dites-vous aux
populations riveraines qui se plaignent qu'on les empêche de travailler dans le
parc, alors qu'Amadé Ouérémi y est en toute tranquillité ?
Elles ont raison. Ce
parc est préservé depuis la période coloniale. Il a un rôle très important dans
la région. Aujourd'hui, on se rend compte que le fleuve Sassandra est en train
de mourir. Une des causes de cette situation est la destruction du Péko qui est
un de ses réservoirs. Tous les cours d'eau qui partent du Péko sont à sec. Dans
les champs, les populations déforment les lits des cours d'eau.
Comment régler, selon
vous, le cas d'Amadé Ouérémi ?
Nous nous référons à
notre hiérarchie et au gouvernement. Le dossier est très sensible pour diverses
raisons.
Lesquelles ?
Ceux qui sont à
l'intérieur du parc sont majoritairement des étrangers. En tant que
gestionnaire du Mont Péko, il ne m'appartient pas de mener des actions qui
peuvent entraîner des troubles dans la région.
Quel est l'état réel du
parc aujourd'hui ?
On ne peut pas vous
répondre sans faire une étude du parc. Or, il est impossible de la faire. Parce
que le parc est devenu une poudrière. Chaque semaine, deux à trois cars de
transport en commun y déversent les clandestins, augmentant ainsi leur
population. Si l’on part sur la base de deux convois par semaine, on se
retrouve facilement avec 600 personnes par mois. Au départ, les nouveaux venus
étaient des manouvres agricoles au service des anciens. Quand ils ont des
moyens, après leurs contrats, ils achètent à leur tour des parts de forêt. Ils
sont bien organisés sur place.
Pourquoi ne pas passer
du côté de Bangolo ?
Partout, on vous
renvoie à Amadé Ouérémi. En fait, il y avait deux groupes au départ. A Bangolo,
un certain Bakary et Ouérémi dans la zone de Duékoué. Chacun travaillait de son
côté. Il y a eu conflit de compétence entre les deux quand les champs des deux
groupes se sont touchés autour de 2008-2009. A la suite des affrontements,
Amadé Ouérémi a pris le dessus.
Interview réalisée à
Duékoué par Doua Gouly (in Fraternité Matin 25 août 2012)
Source : Fraternité Matin 10 Mai 2013
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