vendredi 24 mai 2013

Interview de Martine Kéi Vao, présidente de l'Association des Ressortissants de Duékoué en France (ARDEF)

Suite à l'arrestation d’Amadé Ouérémi, Martine Kéi Vao, présidente de l'ARDEF, répond aux questions de civox.net. Son Association a engagé une procédure judiciaire auprès de la Cour Pénale Internationale pour que justice soit rendue aux victimes de l'Ouest depuis le 19 septembre 2002. Elle donne ses impressions sur cette arrestation. Selon elle, Amadé Ouérémi n'est qu'un bouc émissaire pour protéger les autres responsables des crimes commis contre le peuple Wê.

Martine Kéi Vao
Civox : Madame Martine Kéi Vao, vous êtes la présidente de l’ARDEF, depuis le week-end dernier, le gouvernement ivoirien a annoncé l'arrestation du milicien Amadé Ouérémi, que vous inspire cette nouvelle ?

Martine Kéi Vao: Tout d’abord, je vous remercie de me donner la parole encore une fois afin de m’exprimer sur la tragédie que vit le peuple Wê depuis des décennies. Reçu par la rédaction du journal pro-gouvernemental Fraternité Matin il y a quelques mois, en vue d’évoquer la situation sécuritaire du pays, le général Soumaila Bakayoko des Frci avait affirmé, parlant d’Amadé Ouérémi, l’un des chefs Frci de l’ouest de la Côte d’Ivoire : « Pour parler d’un milicien qui serait dans la forêt du mont Péko, c’est le lieu de rappeler que hormis les militaires et agents de sécurité (police, gendarmerie), personne n’a le droit de porter une arme, encore moins d’en faire usage. Nous l’avons dit encore une fois, lors de notre passage, récemment, à Duékoué. C’est pourquoi nous avons rencontré les chasseurs traditionnels communément appelés dozo, pour leur dire que cette règle s’applique à eux également. Avec l’arrivée des forces, il n’est pas question que chacun se fasse justice. Il en sera de même pour tous les miliciens. Nous irons ratisser toute la région de Duékoué. Une opération "le mont Péko" sera lancée et nous rencontrerons le milicien dont vous parlez. Il faut qu’on arrête ces pratiques. » Pour ma part, je pense que c’est la suite logique des évènements.

« Alassane Ouattara, Paul Lazare Koffi Koffi, Soumaïla Bakayoko et Soro Guillaume sont aussi responsables des crimes d'Amadé Ouérémi. »


Civox : Pensez-vous que Amadé Ouérémi peut être utilisé par le régime Ouattara comme un bouc-émissaire, afin de protéger ses chefs de guerre, et pour contenter les ONG de défense des droits de l'homme qui critiquent les graves violations des droits de l'homme en Côte d'Ivoire ?

M.K.V : L’appareil sécuritaire hétérogène du gouvernement Ouattara est composé d’un premier noyau formé du Gspr sous la supervision du colonel Vagondo Diomandé, c’est l’unité la plus professionnalisée, la plupart de ses éléments ayant subi une formation complémentaire à Adiaké. Le reste des unités n’a de bataillon que de nom ; elles ont été vidées pour la plupart de leur substance militaire. Elles sont en fait les gardes prétoriennes des chefs de guerre de Soro depuis 2002, les noms fantaisistes de « Fansara 101 », « Atchengue », « Anaconda » et autres ont été substitués par les noms d’unités régulières comme la compagnie territoriale de Korhogo (CTK) et la garde républicaine. Les armes comme la marine nationale ou la gendarmerie sont dirigées par des officiers supérieurs réguliers proches de Ouattara. Les dozo venus de Sikasso, Boundiali, Tingréla, Sindou et Banfora constituent avec les unités des burkinabè de Lansana Kouanda, Issiaka Tiendrébéogo et surtout Amadé Ouérémi, sont les derniers maillons de la chaîne des troupes de Dramane Ouattara. Il n’y a donc aucun milicien dans les Frci ou alors, pour être plus précis, tous les Frci sont des miliciens. La plupart des « soldats » composant les Frci sont analphabètes et/ou étrangers, ce qui ne les empêche pas d’arborer uniformes et bérets prestigieux de l’armée Ivoirienne. En ce qui concerne les exigences de la CPI, la vérité est que les récents évènements du camp de réfugiés de Nahibly et de Duékoué ont choqué la conscience collective et celle de la communauté internationale, de sorte que partout où Ouattara est passé lors de ses nombreux voyages à l’étranger, les dirigeants de ces pays ont exigé des sanctions exemplaires contre les auteurs. Les Ong internationales de défense des droits de l’homme sont aux aguets et attendent que l’Etat prenne des mesures disciplinaires à l’endroit de ses soldats. A défaut de sanctionner les hauts gradés de son armée, le coupable idéal a été facilement trouvé : Amadé Ouérémi, le « milicien » du mont Péko. En effet, les tentatives de faire passer Amadé Ouérémi, l’étranger analphabète, pour le principal exécutant ou pour le commanditaire des différents massacres à l’ouest qui occupe illégalement le Mont Péko ne doivent abuser personne. Amadé Ouérémi, qu’une certaine presse tente de faire passer pour un milicien, n’en est pas un car il répond aux critères pour être un Frci digne de ce nom : « il est analphabète, étranger et n’a aucune compétence requise pour le métier des armes ». Il répond logiquement aux ordres de son supérieur hiérarchique qui est le commandant Fofana Losseni. Ce dernier est donc le premier responsable de tous les massacres commis sous la férule d’Ouérémi et des autres chefs de guerre burkinabès qui infestent l’Ouest ivoirien. La responsabilité est donc celle du commandant Losseni Fofana et de l’autorité qui l’a nommé, en l’occurrence Alassane Dramane Ouattara qui, signalons-le au passage, est aussi le ministre de la Défense de la Côte d’Ivoire, de Paul Lazare Koffi Koffi, le ministre délégué à la Défense, du chef d’état-major des armées, Soumaïla Bakayoko, sans oublier le tristement célèbre chef visible de la rébellion, Guillaume Soro Kigbafori, qui a installé ses troupes un peu partout sur le territoire national.

Civox : Cette arrestation d'Amadé Ouérémi annonce-t-elle la fin de la tragédie du peuple Wê ?

M.K.V : Le sieur Ouérémi, de son vrai nom Rémi Ouédraogo, est présent dans la région de Duékoué depuis 1986.  Arrivé de son Burkina-faso natal, plus précisément du plateau mossi, il a déposé ses pénates dans le village de Bagohouo. Au début de la crise de 2002, il s’est progressivement converti en planteur. Profitant du laxisme des autorités d’alors, il a progressivement investi la forêt classée du mont Péko avec une horde de Burkinabès armés jusqu’aux dents. Si la parodie d’arrestation d’Amadé est une bonne chose, il faut néanmoins insister sur le désarmement des trente mille (30 000) hommes qu’il revendiquait sous son commandement, car ce sont ces bandits de grand chemin, enrôlés par les chefs de Guerre de Ouattara qui, depuis des décennies, massacrent, pillent, incendient, exproprient et violent nos parents.

Civox : Pensez-vous que justice sera rendu à toutes les victimes d'Amadé Ouérémi ?

M.K.V : Au cours d’un point de presse, Bert Koenders, le patron de l’Onuci, avait fait savoir que le Conseil de Sécurité prie instamment le gouvernement ivoirien de veiller à ce que quel que soit leur Statut ou leur Appartenance politique, tous les auteurs de violations graves des droits de l’Homme ou d’atteintes au droit humanitaire, en particulier celles commises pendant la crise postélectorale, soient traduits en justice comme le lui imposent ses obligations internationales. Bert Koenders a beau crier, le pouvoir Ouattara et ses sbires restent sourds comme pour dire que les exactions dont nous sommes victimes sont de simples faits divers. En effet, les massacres perpétrés contre les Wê depuis Septembre 2002 par les hommes qui se réclament de Ouattara et de Soro, ont été officiellement dénoncés par les organisations humanitaires et relayés par les médias internationaux lors des événements postélectoraux. Ces rapports ont fait état, pour Duékoué-Carrefour le 30 mars 2011, de milliers de tués par les soldats de Ouattara (Frci) et ses milices composées de chasseurs traditionnels dozo venus du Nord, qui font actuellement la pluie et le beau temps en Côte d'Ivoire. A ceux-là s'ajoutent les allogènes Burkinabés en majorité, Guinéens, Maliens, dont le porte-parole est Amadé Ouérémi qui régnait en maître dans la forêt du mont Péko (Duékoué), occupant illégalement nos terres. A Diéhiba par exemple, sur ordre du Préfet de Duékoué, des dozo sont stationnés dans le village pour soi-disant des raisons de sécurité et se sont appropriés des terres pour des cultures vivrières et pratiquent le racket sur les populations. Même l’enquête gouvernementale concernant les massacres de Nahibly et l’autopsie des corps retrouvés dans des puits peu après n’ont toujours pas été rendues publiques. Pourtant, lorsqu’il s’agit de victimes « Malinké » le pouvoir prend automatiquement des mesures qui s’imposent. Depuis 2 ans, Ouattara nargue les Ivoiriens en nous imposant la justice des vainqueurs. A quand donc la réconciliation, si nos bourreaux vaquent à leurs occupations et nous autres victimes sommes laissées pour compte ? Si le souci de la Cour Pénale Internationale, tel que l’avait exposé Madame Bensouda lors de l’audience de confirmation ou d'infirmation des charges contre le Président Gbagbo, est la recherche de la vérité et la lutte contre l'impunité, alors le génocide du peuple Wê sera bel et bien reconnu un jour et justice nous sera rendue. Pour l’heure, cette mascarade d’arrestation  d’Amadé ne répond donc en rien aux attentes des Wê. Nos villages et nos terres sont toujours aux mains des hommes d’Amadé puissamment armés. D’ailleurs, dès l’annonce de cette nouvelle, les populations de Nidrou, Bagohouo, Yorozon et autres lieux ont à nouveau fui vers différentes destinations,  selon une source locale digne de foi.  

Interview réalisée par Zéka Togui. 

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Source : civox.net 23 mai 2013

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