jeudi 9 mai 2013

«Dans les faits, la Françafrique demeure.»

6 mai 2012-6 mai 2013, voilà un an que François Hollande est devenu le 7e Président de la Ve République. Rompre avec les pratiques de la Françafrique, était l’une de ses promesses électorales. Qu’en est-il aujourd’hui ? A l’occasion de ce premier anniversaire, la BBC a posé la question à Mathieu Lopes, politologue, vice-président de « Survie ». 

Un an après, selon vous, qu’est-ce qu’il en est de l’état de la Françafrique depuis l’élection de François Hollande ?
Pour nous, finalement il y a une grande continuité malgré cette nouvelle promesse de rupture. François Hollande avait promis comme Nicolas Sarkozy de rompre avec la Françafrique. En observant les faits, on ne peut constater qu’il n’y a pas énormément de
"La Françafrique demeure..."
différence avec ce qui s’est passé précédemment. Le soutien, la légitimation, la réception des régimes non démocratiques ou à la légitimité contestée continuent de plus belle. Il a reçu Ali Bongo du Gabon, Blaise Compaoré du Burkina Faso, Paul Biya du Cameroun, Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire, Idriss Deby du Tchad, Denis Sassou N’Guesso du Congo. Finalement, c’est ce que faisaient exactement ses prédécesseurs.
 
Oui, mais justement, est-ce que le seul fait de recevoir ces chefs d’Etat signifie que c’est la perpétuation de la Françafrique. Est-ce qu’on ne peut pas mettre ces visites sur le compte des relations diplomatiques d’Etat à Etat ?
Effectivement, ce pourrait être le cas. Mais quand on regarde le reste des aspects de la politique française, on constate une pareille pratique des autres aspects de la Françafrique qui en sont les piliers. Tout d’abord, le Franc Cfa. Avec le Franc Cfa, la France-Afrique est entretenue et continue sous Hollande. Nous, nous considérons que c’est un vol de souveraineté aux pays africains qui devraient pouvoir disposer de leur monnaie d’une manière indépendante. Aujourd’hui, par exemple, sur ce qui est de la stratégie de pénétration des marchés africains par les entreprises françaises, nous y trouvons une continuité. Notamment par le grand concept de diplomatie économique qui a été mis en avant par Laurent Fabius, nommé ministre des Affaires étrangères, le 16 mai 2012. Ou les récentes assises sur le développement qui ont mis à l’honneur le rôle des entreprises françaises dans la politique de développement des pays africains. 
Mais est-ce qu’on peut faire le reproche à la France de veiller à ce que ses intérêts en Afrique soient sauvegardés ? Est-ce que ce n’est pas quand même de bonne guerre que tous les pays le font ?
Effectivement, toutes les grandes puissances, en tout cas toutes les anciennes puissances coloniales le font. Mais considérons que c’est quelque chose qui n’est pas très équilibrée. Nous remarquons de facto que des entreprises françaises ont des monopoles dans certains secteurs. Nous pensons au transport ou à l’assainissement des eaux. Et puis, il y a aussi l’exploitation de certaines ressources qui ne se font pas du tout à l’avantage des peuples africains.
A votre avis, malgré les déclarations de bonnes intentions de François Hollande, qu’est-ce qui fait que ces pratiques perdurent ?
Dans le gouvernement actuel, il y a un élan très net de volonté de grandeur de la France qui n’est pas différente des autres. Il y a aussi une grande sensibilité de mainmise française, dans le cas, par exemple, de l’intervention au Mali. Ce qui permet à l’armée de défendre dans la démocratie française, sa place et son budget.
Cela se sent aussi dans les nouvelles relations que le président français signe avec les nouveaux dirigeants africains ?
Tout à fait. Ce sont des relations de complaisance, d’amitié et d’affaires entre les sphères des élites d’affaires africaines et françaises. On peut cependant noter quelques petites avancées dans la politique africaine de François Hollande. D’abord la dernière réforme bancaire qui va imposer une certaine transparence dans les entreprises concernant leurs filiales dans les paradis fiscaux. Il va y avoir une certaine législation de l’Union européenne qui va imposer au secteur administratif une certaine transparence sur ce qu’il paye comme impôt. Ce qui nous permettra d’avoir une meilleure lisibilité sur le pillage par les multinationales françaises des pays africains. Une avancée notable. Il y a eu un communiqué du parti socialiste français pour dénoncer le musèlement de l’opposition au Togo. Ça aussi c’est un point positif mais dans les faits, la Françafrique demeure. Les dirigeants français expriment cette volonté de rompre avec cette pratique quand ils sont dans l’opposition. Mais une fois au pouvoir, les données changent. 

Propos retranscris par Marcel Dezogno 

en maraude dans le web
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