La France aurait interdit l’entrée sur son territoire
à Madame Aminata Dramane Traoré du Mali ! Le prétexte en serait sa critique de
l’intervention française dans la crise que vit son
pays depuis plus d’un an. Mais une analyse des causes profondes de cette crise permettra de comprendre le bien-fondé des positions de Madame Aminata Traoré.
Demba Moussa
Dembélé, Vice-président
du Réseau international Frantz Fanon, Ligue internationale de la lutte des
peuples, Dakar, Sénégal
pays depuis plus d’un an. Mais une analyse des causes profondes de cette crise permettra de comprendre le bien-fondé des positions de Madame Aminata Traoré.
Les origines de la crise malienne
En effet, la France et les pays occidentaux portent
une lourde part de responsabilité dans la crise que vit le Mali. Ses causes
immédiates sont l’agression impérialiste de l’OTAN, sous la houlette de la
France, des Etats-Unis et de la Grande Bretagne, contre la Libye qui a abouti à
l’assassinat du Président Kadhafi. Car les hordes du Mouvement de « Libération
de l’Azawad » (MNLA) sont venues de Libye avec leurs armes lourdes et des
équipements sophistiqués, avec la complicité et l’appui des puissances
occidentales. Et ce sont ces forces qui ont déclenché les hostilités contre
l’Armée malienne pour assurer « l’indépendance » d’une partie du Nord du Mali.
Le MNLA, qui avait le plein soutien de la France de Sarkozy, continue d’en
bénéficier sous Hollande, comme le montre la collaboration entre les éléments
de ce mouvement avec les militaires français sur le terrain. En effet, le MNLA
interdit l’entrée de Kidal à l’Armée malienne et refuse de désarmer. Les
déclarations très vagues des ministres français des Affaires étrangères et de
la Défense visent à conforter le MNLA dans son attitude de refus. Et certains de
ses dirigeants étaient logés – peut-être le sont-ils encore ? – à Ouagadougou
sous la protection de Blaise Compaoré, devenu une des pièces maîtresses des
basses œuvres de la France en Afrique de l’Ouest, comme on l’a vu dans les
crises ivoirienne et guinéenne.
C’est le MNLA qui a ouvert la voie aux autres groupes,
comme Ansar Dine et le MUJAO. La facilité avec laquelle les hordes du MNLA et
ces groupes ont pu venir à bout de l’Armée malienne s’explique par la
déliquescence de l’Etat malien, malmené et détruit comme la plupart des Etats
de la sous-région par les cures d’austérité imposées par la Banque mondiale et
le Fonds monétaire international (FMI) dans le cadre des plans d’ajustement
structurel de triste mémoire. Soumaïla Cissé, ancien ministre des Finances du
Mali sous la présidence de Alpha Oumar Konaré, disait dans une interview à un
quotidien sénégalais que pendant des années le budget consacré aux domaines de
souveraineté – Forces Armées, Affaires étrangères et Justice- ne dépassait
guère 3% du budget national ! Dans ces conditions, on comprend pourquoi l’Armée
malienne – tout comme celles des autres pays de la sous-région – est dans un
état de dénuement, voire de délabrement, total.
Cet état de délabrement de l’Armée malienne est le
reflet de l’état de décomposition avancée de l’Etat malien lui-même quand on
sait que l’Armée est une des composantes essentielles de l’Etat. Et cette
déliquescence de l’Etat malien est l’une des illustrations éclatantes de la
faillite du modèle néocolonial et du paradigme néolibéral inauguré par les
politiques désastreuses imposées par la Banque mondiale et le FMI il y a de
cela plus de trois décennies.
Intervention contre le « terrorisme
» ou la tentation de la recolonisation ?
Comme on le voit donc, la responsabilité de la France
et des pays occidentaux est entière dans ce qui arrive au Mali. Tout comme
celle de qu’on appelle « la classe politique » malienne dont la plupart ont
épousé les thèses néolibérales et se sont interdit de réfléchir par eux-mêmes
sur le devenir de leur pays. Par ailleurs, la complicité de la France avec le
MNLA ne peut que conforter les soupçons les critiques de celles et de ceux qui
pensent que les vraies raisons de son intervention n’ont rien à voir avec la
présentation qu’en fait la propagande officielle, à savoir une action visant à
« sauver le Mali » des groupes « terroristes » M. Laurent Fabius, ministre
français des Affaires étrangères, aurait même dit que « sans l’intervention
de la France, il n’y aurait plus de Mali ». Une affirmation grotesque et
mensongère qui en dit long sur l’attitude de la France à l’égard de ses
anciennes « colonies ». En réalité, la propagande officielle sur cette
intervention, qui aurait été faite à la « demande des autorités maliennes », a
été mise à mal par l’hebdomadaire français, « Le Nouvel Observateur » en
date du 7 février 2013. Selon cet hebdomadaire, cette intervention était
programmée pratiquement dès l’installation de François Hollande à l’Elysée en
mai 2012. L’avenir des intérêts français au Mali et dans la sous-région, avec
notamment l’uranium du Niger exploité par AREVA, est l‘aiguillon principal de
cette intervention. Donc, celle-ci est essentiellement motivée par la nécessité
de protéger les intérêts stratégiques et économiques de la France !
D’ailleurs, l’intervention est en train de prendre
l’allure d’une véritable entreprise de recolonisation du Mali. En effet,
François Hollande a dit qu’il serait « intraitable » avec les « autorités »
maliennes pour l’organisation d’élections – une farce grotesque dans les
conditions actuelles – début juillet pour doter le Mali d’institutions «
légitimes » ! Mais « légitimes » aux yeux de qui : de la France ou du peuple
malien ? Ce risque de recolonisation est renforcé par l’annonce de l’ouverture
d’une « base militaire permanente » au Mali au nom de la « lutte contre le
terrorisme » ! Ce que le Président Modibo Keïta avait refusé à de Gaulle
Hollande va l’obtenir les « autorités » maliennes !
La France s’est déshonorée
Les révélations du « Nouvel Observateur », la
complicité des militaires français avec le MNLA et les déclarations de François
Hollande et de ses principaux ministres ne font que confirmer les analyses de
Madame Aminata Traoré et des autres patriotes maliens qui n’ont pas succombé à
la propagande officielle française relayée par certains médias africains et les
« dirigeants » de la CEDEAO. La « faute » de Madame Aminata Traoré est d’avoir
exposé les véritables raisons de l’intervention française et les risques de
recolonisation de son pays. Sans doute, beaucoup de gens ne manqueront pas de
se demander ce que la France espère gagner en prenant une décision aussi
stupide contre Madame Aminata Traoré. La France ne peut que ternir davantage
son image auprès des intellectuels et citoyens africains. N’est-ce pas François
Hollande qui voulait « corriger » le désastreux « discours de Dakar » de son
prédécesseur, Nicolas Sarkozy, qui avait soulevé l’indignation générale en
Afrique ? Avec cette décision honteuse et insensée de barrer l’entrée sur son
territoire à Madame Aminata Traoré c’est raté. Car Aminata Traoré est une des
figures de proue de l’intelligentsia africaine engagée et un des symboles
puissants d’une Afrique debout, fière et digne.
Avec cette décision, la France s’est déshonorée, en
interdisant son territoire à une intellectuelle de cette envergure. La patrie
de Jean-Paul Sartre, le philosophe qui a dominé son siècle et a été de tous les
combats pour l’émancipation des peuples opprimés, a définitivement perdu son
lustre et son rayonnement intellectuel. Oui, la France est vraiment tombée très
bas, avec la montée inexorable de la xénophobie et du racisme. Une France où
l’on ose célébrer « les bienfaits de la colonisation » ! Aimé Césaire, ils
n’ont manifestement pas lu ton magistral et mémorable « Discours sur le
Colonialisme » !
La réalité est que la France, empêtrée dans des
problèmes économiques et sociaux insolubles, est tentée par le démon de la
recolonisation. C’est pourquoi elle redoute la critique, l’opposition, en
particulier de la part d’intellectuels africains, surtout quand son entreprise
de recolonisation se présente sous le manteau de la « lutte contre le
terrorisme » ! Le « tort » d’Aminata Traoré et de ceux qui partagent ses
analyses, c’est d’avoir déconstruit ce discours « anti-terroriste » en dénonçant
l’intervention française – et celles des autres pays occidentaux – au Mali et
ailleurs en Afrique, comme faisant partie d’une stratégie globale visant à
contrôler les ressources des pays africains pour tenter de sortir de la crise
du capitalisme que d’aucuns assimilent à une « crise de civilisation ».
Mais Hollande, Fabius, Valls et les autres doivent
savoir qu’il y a des milliers d’Aminata Traoré en Afrique et dans la Diaspora.
Des Africaines et Africains qui ont pu s’arracher à l’idéologie néocoloniale et
qui se battent pour construire une « Afrique libre et digne », comme l’appelait
de ses vœux Thomas Sankara !
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ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu
qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et
des Ivoiriens, et que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à
faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la «
crise ivoirienne ».
Source : L’Humanité (France)
17, 18 & 19 mai 2013
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